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L’enseignement des savoirs initiatiques dans le cours ÉCR Herméneutique de la série jeune 13 Reasons Why

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Academic year: 2021

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L’enseignement des savoirs initiatiques dans le cours

ÉCR Herméneutique de la série jeune 13 Reasons Why

Mémoire

Louis-Philippe St-Amant Gauron

Maîtrise en didactique - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Résumé

Le passage à l’âge adulte, à partir de la seconde modernité qui commence dans les années 1960, voit émerger toutes sortes de nouvelles pratiques par lesquelles les adolescents accèdent à la vie adulte. Par contre, les jeunes ne se sont jamais sentis aussi seuls, délaissés et abandonnés par leurs aînés. Ils doivent dorénavant prendre l’initiative, lorsque le temps est venu, de découvrir toutes les grandes questions de l’existence humaine.

Ce mémoire porte sur la série jeune 13 Reasons Why réalisé par Brian Yorkey en 2017. Nous avons choisi cette série parce qu’elle aborde un nombre incroyable de thèmes initiatiques propres à la culture jeune. Ce sont des thèmes très importants dans le processus de passage à l’âge adulte des jeunes d’aujourd’hui. Les thèmes initiatiques présents dans cette série leur permettent d’approfondir leur compréhension des rapports qu’ils ont avec eux-mêmes, autrui et le monde.

Nous avons utilisé une approche socio-anthropologique pour analyser la série jeune 13 Reasons Why. Cette approche nous a fourni des concepts clés pour mettre en lumière la richesse des thèmes initiatiques de cette série. Ceux-ci pourront être utilisés pour l’enseignement de cours pour le niveau secondaire du Programme Éthique et culture religieuse (ÉCR)1.

                                                                                                               

1 Lorsque nous avons commencé notre mémoire, le ministre Jean-François Roberge n’avait pas annoncé que

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Table des matières

Résumé II

Table des matières III

Remerciements V

Introduction 1

CHAPITRE 1 5

Problématique et méthodologie 5

1.1 Les savoirs utilitaires, civiques et initiatiques 5

1.2 Problématique de la recherche 9

1.3 Les savoirs initiatiques et le programme ÉCR 15

1.4 Proposition de recherche 17

1.5 Objectifs général et spécifiques 18

1.6 Pertinence de la recherche 19

1.7 Méthodologie 20

CHAPITRE 2 25

Les séries jeunes : vers l’élaboration d’une définition 25 2.1 Les séries télévisées : quels genres de séries? 25 2.2 Les séries jeunes : quelles caractéristiques? 27 2.3 Les séries jeunes : proposition de définition de leur dimension initiatique 33

CHAPITRE 3 34

La série jeune 13 Reasons Why 34

3.1 Synopsis de la série 34

3.2 Historique de la série : un succès populaire infatigable 34 3.3 L’auteur, le créateur et la productrice 36 3.4 Les héros adolescents principaux de 13 Reasons Why 37 3.5 Les héros adolescents secondaires de 13 Reasons Why 41 3.6 Les personnages adultes de 13 Reasons Why 43 3.7 Structure temporelle de 13 Reasons Why 45 3.8 Résumé des épisodes de la série jeune 13 Reasons Why 48 Conclusion : une série représentative des jeunes du secondaire? 54

CHAPITRE 4 56

Cadre théorique de la recherche 56

4.1 Présentation générale de la socio-anthropologie de l’adolescence 56 4.2 La culture jeune : penser l’adolescence par sa culture 59 4.3 Les savoirs initiatiques : acquisition traditionnelle et contemporaine 62

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4.4 La tripartition des rites pubertaires 64 4.5 Savoirs initiatiques traditionnels et quêtes contemporaines 69 4.6 Les conduites à risque, selon le socio-anthropologue David Le Breton 72 4.7 Les pratiques initiatiques dans les œuvres de fiction 75 Conclusion : approche compréhensive de l’adolescence contemporaine 78

CHAPITRE 5 79

Thèmes d’analyse de la série 13 Reasons Why 79

5.1 L’amitié 79 5.2 La sexualité 81 5.3 La famille 84 5.4 La violence initiatique 86 5.5 La honte de soi 87 5.6 Le récit initiatique 89

Conclusion : vers l’analyse de la série 13 Reasons Why 93

CHAPITRE 6 94

Analyse de la série 13 Reasons Why 94 6.1 L’amitié : l’importance des liens de solidarité 94 6.2 La sexualité : le sexe confronter à la réalité 97 6.3 La famille : la redéfinition des liens parents-ados 101 6.4 La violence : la connaissance de soi par les épreuves initiatiques 103 6.5 La honte : un sentiment difficile à accepter 106 6.6 Le récit initiatique de Clay Jensen 108 Conclusion : les savoirs initiatiques de la série 13 Reasons Why 114  

Conclusion 116

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Remerciements

J’aimerais d’abord remercier Denis Jeffrey, directeur de ce projet de recherche, qui a été d’une grande inspiration tout au long de ma recherche. Sa passion pour les adolescents, la culture jeune, les nouvelles pratiques initiatiques et sa profonde érudition sur les notions entourant le rite et l’initiatique font de lui un pilier de ma recherche, et je suis fier d’avoir pu travailler avec lui sur ce projet. Je voudrais aussi remercier mon copain Samuel Girard et mon collègue à la maîtrise Julien Vallée-Longpré ainsi que toutes les autres personnes qui ont relu mon mémoire durant l’année de rédaction. Enfin, merci à la direction du programme de maîtrise en didactique de l’Université Laval et au   Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) qui m’ont permis de faire une recherche créative et à mon image, ce que je ne peux qu’être reconnaissant tant cela a eu un effet positif sur l’individu que je souhaite devenir.

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Introduction

La vie humaine est peuplée de petits ou de grands passages que nous devons avoir le courage de franchir le temps venu. Une rupture amoureuse, un déménagement dans une ville inconnue, le décès d’un proche, l’obtention d’un diplôme universitaire ou le premier voyage à l’étranger font, par exemple, partie de ces moments qui laissent une trace dans notre conscience, qui donnent un sens à la vie. Plusieurs de ces passages se déroulent durant l’adolescence qui est un moment de transition de l’enfance à l’âge adulte. Cette période de l’existence, en fait, est un temps d’exploration de soi, des autres et du monde en général. C’est un temps, peut-on dire, où les grands thèmes de l’expérience humaine sont explorés.

Les jeunes en savent quelque chose. Durant les années qui marquent leur adolescence, ceux-ci essaient de trouver en eux le courage de prendre des décisions qui vont leur permettre de s’ouvrir à des dimensions de l’existence humaine qui leur sont encore inconnues. L’exploration de la sexualité, des relations amoureuses, des changements pubertaires, des liens fragiles de l’amitié, de la vaillance dans le travail, de la confrontation avec les autorités adultes, de la peur de l’échec scolaire et même de la nature faillible de leurs parents les marqueront.

La découverte des grands thèmes initiatiques de la condition humaine est ce qui caractérise l’adolescence. Les réponses que les jeunes trouvent à leurs questions soutiennent la construction de leur identité personnelle. Puis, ils devront aussi, tranquillement, mais sans choix, devoir assumer toutes les responsabilités d’adulte. Dans les pays modernisés, ils y arrivent peu à peu. Ils cumulent des responsabilités médicales, éducatives et sociales à partir de l’âge de 14 ans. Notamment pour travailler, pour quitter l’école, pour un choix médical, pour conduire une voiture, etc., mais c’est à 18 ans qu’ils peuvent notamment voter, acheter de l’alcool et des cigarettes. L’âge légal n’est pas l’âge psychologique. Cette question de l’âge est arbitraire. Par exemple, l’âge du consentement sexuel était de 14 ans avant les années 1990, et il est dorénavant de 16 ans. Les limites d’âge ne sont pas fondées sur des études psychologiques ou sociales, mais sur les principes

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moraux et religieux. Quoi qu’il en soit, les adolescents savent bien qu’ils se dirigent vers l’âge des responsabilités établies au Canada à 18 ans. C’est à cet âge de la vie qu’ils seront considérés, au point de vue des institutions de l’État, comme adultes. Ils seront donc, devant la loi, jugés comme adultes.

Pourtant, l’accès à cette identité d’adulte, en plus de comporter plusieurs défis initiatiques, est souvent un parcours en solitaire. Les jeunes reconnaissent qu’ils vont devenir adultes, qu’ils ne vont plus pouvoir se comporter comme des enfants, mais rien ne leur montre comment on devient un adulte. Ils le vivent comme un impératif social, et se sentent pressés de parvenir à leur identité d’adulte, mais ils sont dans l’incertitude quant à ce qu’ils doivent faire pour y parvenir.

Ils devront par eux-mêmes découvrir les savoirs initiatiques qui les préparent à assumer leurs responsabilités d’adulte. Les trajectoires initiatiques de chaque adolescent comportent un certain nombre de situations d’anxiété et d’angoisse existentielle. En réalité, les jeunes ont besoin de temps pour découvrir l’immensité de la vie. Le temps de l’adolescence est bien court, surtout lorsque les chemins initiatiques ne sont plus tracés à l’avance.

L’adolescence est un temps condensé pour explorer les diverses dimensions de la vie. La multiplication de pratiques visant à la connaissance de soi et du monde (tatouages, sports extrêmes, festivals de musique, voyage en sac à dos appelé backpacking, etc.) montre que les ados cherchent à se prouver à eux-mêmes leur valeur, à trouver leurs limites, à donner un sens à la vie, à approfondir leurs connaissances du système social qui leur semble si hermétique. Les jeunes, par leurs expérimentations, forcent leur passage vers l’âge adulte. Un âge où ils seront en mesure de donner de leur propre chef un sens à leur existence et de se situer face aux autres et face au monde dans lequel ils vivent.

Les séries jeunes sont devenues, pour nombre de jeunes d’aujourd’hui, une avenue possible de la découverte des savoirs initiatiques. Soulignons d’emblée leur popularité auprès des jeunes à travers le monde. En effet, elles occupent de plus en plus de place sur

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des plateformes numériques comme Netflix. Nous avons choisi d’étudier la série jeune 13 Reasons Why (13), diffusée sur Netflix, parce qu’elle a été écoutée par des millions de jeunes à travers le monde. Nous désirons montrer comment cette série présente des scènes où des ados doivent frayer leur passage vers l’âge adulte. Ces scènes apparaissent exemplaires pour des ados, car elles leur permettent de savoir qu’ils ne sont pas seuls à vivre des situations existentielles difficiles. Ces scènes révèlent également des voies de passage. Les héros des séries jeunes traduisent en mots ce qu’ils vivent. Ces mêmes mots peuvent être calqués par tous les jeunes qui, trop souvent, ne trouvent pas les bons mots pour dire ce qu’ils vivent. Ainsi, nous tenterons de faire valoir la richesse initiatique de la série 13, car plusieurs scènes jouent le rôle de miroir des préoccupations des adolescents contemporains dans leur passage vers la vie adulte.

Nous avons divisé notre mémoire en six chapitres. Le premier met en contexte notre recherche en présentant sa problématique, ses objectifs, sa pertinence scientifique et éducative. Dans le deuxième chapitre, nous proposons une définition de la série jeune. Le troisième chapitre présente la série 13. Il sera question de son synopsis, de ses auteurs, de ses héros et des épisodes qui la composent. Dans le quatrième chapitre, nous présentons le cadre théorique qui s’inscrit dans l’approche de la socio-anthropologie de l’adolescence. Nous allons détailler, outre l’historique de cette approche, un ensemble de concepts clés pour l’analyse de 13. Parmi ces concepts, nous avons notamment retenu ceux de rites pubertaires, de culture jeune, de héros, de liminalité et de voyage initiatique.

Le cinquième chapitre présente les six thèmes initiatiques retenus pour l’analyse de la série 13, à savoir l’amitié, la sexualité, la famille, la violence, la honte ainsi que le récit initiatique. Ce choix de ces thèmes est justifié par le fait que tous les jeunes se sentent interpellés par ces thèmes. Nous allons présenter nos thèmes sous la perspective de la socio-anthropologie de l’adolescence. Dans le sixième chapitre, enfin, nous allons présenter nos analyses de ces six thèmes.

Nous concluons notre recherche en faisant un retour sur l’ensemble du mémoire, en particulier sur les multiples pratiques initiatiques de la jeunesse actuelle, dont celles que

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nous avons mises en évidence dans la série 13. Nous pensons que ces savoirs peuvent faire l’objet d’un enseignement dans le cours Éthique et culture religieuse du secondaire (ÉCR).

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CHAPITRE 1

Problématique et méthodologie

Dans ce premier chapitre, nous allons nous employer à contextualiser la recherche. Il sera question, en premier lieu, de la distinction entre trois types de savoirs: utilitaires, initiatiques et civiques. En deuxième lieu, nous allons présenter la problématique de notre recherche. Ce sera le moment de définir ce que sont les savoirs initiatiques. Cela nous permettra de saisir l’évolution de ce type de savoirs à travers le temps et de voir comment ceux-ci s’acquièrent par les jeunes dans les sociétés traditionnelles et contemporaines. En troisième lieu, nous allons aborder le manque de place accordé aux savoirs initiatiques dans le cours ÉCR. En quatrième lieu, nous formulerons les questions, les objectifs et la pertinence de notre recherche. Dans la dernière section de ce chapitre, nous allons présenter notre méthodologie de recherche qui est celle de l’approche herméneutique, conduite sous l’éclairage de la socio-anthropologie de l’adolescence.

1.1 Les savoirs utilitaires, civiques et initiatiques

Les savoirs dont chaque être humain a besoin pour définir sa personne sont multiples et dépendent, en partie, de l’environnement familial et culturel dont il a hérité. Ces savoirs sont enseignés dans les institutions scolaires. De quels savoirs s’agit-il? Par commodité, nous les divisons en trois grandes catégories. Les premiers sont utilitaires. Qu’est-ce qu’un savoir utilitaire dans le monde scolaire? Un savoir utilitaire, dans le monde scolaire, vise presque exclusivement la préparation au marché du travail. Ce ne sont pas forcément des savoirs qui visent le développement et la formation de la personne, c’est-à-dire la compréhension de soi, d’autrui et du monde, l’expérience esthétique, le sens de la vie humaine, comme le sont les savoirs initiatiques.

Cela ne signifie pas que les enseignants évitent d’aborder des thèmes initiatiques en classe, mais il est clair que les matières scolaires sont d’abord orientées par des finalités utilitaires (Gauthier, 1986). La dernière réforme de l’enseignement par compétences montre très bien le choix pour une perspective utilitaire. Par exemple, les enfants apprennent à

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parler, à écrire, à compter, à écouter les directives de l’enseignant, à manier des instruments scientifiques, à résoudre des problèmes mathématiques ou encore à identifier les caractéristiques textuelles d’un éditorial (Jeffrey, 2016). L’école enseigne donc principalement des savoirs utilitaires qui préparent, entre autres, à l’entrée sur le marché du travail. En effet, l’une des missions fondamentales de l’école québécoise, outre l’instruction et la socialisation, est celle de qualifier les élèves pour le marché du travail. Les débats qui ont entouré les réformes scolaires au cours des dernières décennies ont porté sur les savoirs utilitaires à privilégier à tous les niveaux scolaires.

Les savoirs civiques, propres à l’éducation citoyenne, amènent les jeunes à assumer les règles de la vie en société et les pratiques citoyennes qui s’y rattachent (Leleux, 1997). Cet apprentissage du vivre ensemble a pris, au cours des dernières années, une très grande place dans les programmes scolaires. Les savoirs civiques sont enseignés dans plusieurs programmes: ils tiennent une place centrale dans l’enseignement des cours d’histoire, de français et d’ÉCR. Dans le premier programme, les élèves apprennent, entre autres, les institutions démocratiques du Québec et du Canada (PFEQ, 2017). Ces apprentissages leur permettent de connaitre les grandes règles qui régissent la société et de voir qu’ils ont eux-mêmes des droits et des responsabilités à titre de citoyens de cette même société. En français et en ÉCR, les élèves apprennent à soutenir leurs opinions avec des arguments de qualité et à parlementer avec leurs pairs.

À côté de ces savoirs utilitaires et civiques, il y a des savoirs que nous qualifions d’initiatiques. L’école ne doit-elle que préparer les enfants au marché du travail et à devenir de bons citoyens? Ne devrait-elle pas aussi permettre aux élèves de cultiver la connaissance de soi, de pratiquer l’art de la douceur de vivre avec autrui et d’explorer les interstices du monde afin de mieux le comprendre? Les savoirs initiatiques sont plus près du vécu personnel des élèves. Ils ne sont pas moins importants que les deux derniers. L’apprentissage de ces savoirs est souvent laissé à l’initiative des parents. Par contre, les parents n’ont pas toujours les moyens pour les enseigner à leurs enfants, ce qui renforce le sentiment de solitude que peuvent éprouver certains jeunes. C’est pourquoi nous pensons que l’école pourrait s’y intéresser.

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Les savoirs initiatiques touchent à la connaissance des mystères, du sens de la vie, de la souffrance, des finalités de l’existence. Pour bien comprendre ce concept de savoir initiatique, il suffit de penser à des événements vécus qui permettent d’acquérir de la maturité, qui offrent une compréhension plus pointue de la trajectoire de vie de chacun ou qui ouvrent sur de nouveaux questionnements sur soi, sur autrui ou sur des événements qui touchent au sort de l’humanité ou de la planète. Les exemples sont multiples: une première relation sexuelle, une peine d’amour, l’admission dans un programme d’études, le décès d’un proche, la lecture d’un roman, etc., constituent des moments privilégiés pour se connaitre, pour construire son identité personnelle et pour découvrir la condition humaine (Jeffrey, 2016). Les savoirs initiatiques permettent de se transformer soi-même, de se comprendre différemment.

Durant les débuts de la vie, les savoirs initiatiques sur la condition humaine sont souvent énigmatiques pour les enfants, du fait qu’ils n’ont pas les mots pour nommer ce qu’ils vivent. Ils peuvent ainsi être quelque peu inquiétants pour les jeunes, puisqu’ils ouvrent, très souvent, sur des interrogations sans réponse (Jeffrey, 2016). En effet, au début de la vie, lorsque des questions inquiétantes s’installent chez les enfants, ce sont les parents qui y mettent de l’ordre (Jaspers, 1986; Dolto, 2003). Lorsqu’ils grandissent, par contre, les adolescents, de plus en plus distanciés de la matrice familiale, prennent conscience que c’est à eux seuls de mener leur existence, qu’ils doivent répondre par eux-mêmes aux questions qu’ils se posent (Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016).

Confrontés à la question de savoir qui ils sont, les jeunes d’aujourd’hui doivent aller de l’avant pour se connaitre, et les savoirs initiatiques leur offrent des occasions afin qu’ils puissent se forger leur identité d’adulte. Même si nous ne savons plus très bien ce qu’est un adulte, nous savons tout de même que c’est l’âge où chacun doit assumer entièrement toutes ses responsabilités légales. Les jeunes se font une idée de cet âge adulte en fonction de ce qu’ils peuvent enfin faire par rapport à ce qu’ils ne pouvaient pas faire avant 18 ans. Mais plus qu’une limite légale, l’âge des responsabilités touche à plusieurs dimensions sociales, politiques et existentielles. Ainsi, le parcours vers l’âge adulte les amène à consolider leurs relations entre copains, à s’impliquer dans la communauté ou dans un parti

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politique, à découvrir les conditions de la vie au travail, mais aussi à explorer les responsabilités amoureuses, sexuelles et familiales. Ils vont explorer les multiples défis qui se bousculent à l’entrée de la vie adulte. C’est le plus souvent au moyen de l’expérimentation qu’ils apprennent à devenir des adultes.

Nul ne peut être étrangers, par ailleurs, au fameux précepte de Socrate inscrit sur le temple de Delphes, «Connais-toi toi-même», par lequel le philosophe invite le jeune Alcibiade notamment, à prendre la mesure de lui-même, à apprendre à se gouverner, à saisir que son éthique est perfectible et chercher à comprendre ce que signifie être humain – dans le sens de ce qu’est notre humanité (De Koninck, 2004; Jeffrey, 2016). Les savoirs initiatiques ont ainsi une caractéristique philosophique, car tous les jeunes doivent s’initier, comme le voyait Socrate, aux arts de vivre en restant ouvert à la réflexion sur les multiples expériences qu’ils vivront. Ces expériences leur donneront accès aux savoirs initiatiques. Mais cela ne se fait pas sans heurts, puisqu’ils impliquent des épreuves personnelles, des défis existentiels, une discipline de soi, une quête de sens à la vie et des remises en question (de Singly, 2011). Il s’agit d’obstacles qui amènent les jeunes à construire leur identité personnelle en intégrant les dimensions initiatiques qui feront d’eux des adultes.

Le système scolaire québécois ne semble pas prendre la responsabilité de discuter avec les élèves des savoirs initiatiques. Ils font rarement l’objet d’un enseignement formel. Les questions du sens à la vie, de la souffrance, de la solitude, de la détresse sexuelle, de la violence de vivre et de la mort ne sont pas abordées dans les cours. Nous préconisons cet enseignement, car nous pensons qu’il est important que l’école soutienne les jeunes dans les expériences qui les conduisent vers l’âge adulte. Par ailleurs, il en va du bien-être des adolescents qui s’angoissent puisqu’ils doivent affronter seuls une multitude de thèmes initiatiques.

Dans ce mémoire, nous nous intéressons donc aux savoirs initiatiques. Nous n’allons pas aborder par contre les problèmes et les défis posés par l’enseignement des savoirs initiatiques au niveau secondaire. Nous conservons ce thème de recherche pour

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notre prochain projet de doctorat. Nous proposons par contre une recherche qui vise à faire valoir la richesse des savoirs initiatiques dans la série 13.

1.2 Problématique de la recherche

L’acquisition de savoirs initiatiques préparant les jeunes à la vie adulte est un passage obligatoire de l’expérience humaine. Dans le contexte des sociétés traditionnelles, les jeunes acquéraient des savoirs initiatiques par l’entremise de rites de passage organisés par leur société. Qu’est-ce qu’un rite de passage? De la naissance à la mort, l’individu transite d’un passage à un autre. Il est appelé à se transformer, à mourir à ses anciennes appartenances pour renaitre, à d’autres (Van Gennep, 1981). Les rites de passage visent donc à soutenir et à accompagner les personnes appelées à vivre une transition ou un changement dans leur existence.

Parmi les rites de passage, il y a les rites pubertaires qui concernent l’accès à l’âge adulte des jeunes garçons et des jeunes filles (Van Gennep, 1981). L’identité des filles s’instituait souvent, dans les sociétés traditionnelles, lors de leur menstruation2, puisqu’elles naissaient alors à leur nouvelle identité féminine. L’identité des garçons, plus floue, nécessitait la mise en place de rites pubertaires (Godelier, 1996). Dans le christianisme, les rites du baptême, de la première communion et de la confirmation accompagnent les jeunes dans les étapes de leur entrée dans la communauté des croyants adultes (Routhier, 2000). Dans ce rite de confirmation, les jeunes sont devenus adultes dans leur communauté chrétienne. Pour les rites pubertaires en général, l’enjeu est de parvenir au statut d’adulte, le plus souvent défini comme étant un être humain accompli.

Non pas que par la suite, il n’y a plus d’évolution. Mais les sociétés traditionnelles accompagnaient les jeunes vers leurs responsabilités adultes, car ils reconnaissaient que les jeunes n’ont pas nécessairement le désir d’entrer dans l’âge adulte. Il n’y a pas chez l’humain un processus biologique ou psychologique inné qui les force à devenir adultes. Comme le soulignait Van Gennep, l’âge adulte est déterminé socialement. Il peut être très jeune comme plus vieux. Ce qui compte pour un novice, c’est d’avoir réussi à surmonter                                                                                                                

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l’ensemble des épreuves rituelles qui l’amènent vers son statut d’individus responsables de certaines fonctions sociales dévolues aux initiés. Pour y parvenir, les jeunes doivent se percevoir et être perçus comme initiés. C’est l’enjeu du rite pubertaire tant dans les sociétés traditionnelles que dans nos sociétés.

Les sociétés traditionnelles ritualisaient ce passage, souvent par plusieurs petits rites selon les longues descriptions de Van Gennep dans le chapitre six de son livre qui porte sur les initiations. Dans certaines sociétés traditionnelles, il se pouvait que les anciens fassent subir aux garçons des épreuves morales et physiques afin de les tester (Van Gennep, 1981). Les jeunes initiés devaient alors mourir à leur vie d’enfant pour renaitre dans la peau d’un être humain accompli. On parle d’une seconde naissance, d’une renaissance, c’est-à-dire d’une transformation radicale de l’enfant qui passe d’un état à un autre, celui d’un adulte (Jeffrey, 2016). Des rites pubertaires des sociétés traditionnelles étaient donc organisés par les anciens qui veillaient à conformer les jeunes aux normes de leur société. Durant le rite pubertaire, il y a une séquence, qualifiée par l’ethnologue Arnold Van Gennep de liminaire – ou de marge - au cours de laquelle sont transmis aux jeunes des savoirs initiatiques sur les choses sacrées et les règles secrètes. Ces savoirs les instruisent également sur leur place dans le groupe, sur la vie des ancêtres ou encore sur les mystères de la vie après la mort (Van Gennep, 1981).

On peut ainsi dire que les initiés devenaient comme les aînés parce qu’ils connaissaient leurs savoirs. La structure du rite pubertaire permettait donc à la communauté d’offrir aux jeunes, dans un moment prédéterminé, l’ensemble des savoirs nécessaires à la réalisation de leur passage vers l’âge d’homme (Eliade, 1959). Cet accès à la vie adulte ne profitait pas qu’aux initiés qui s’introduisaient aux savoirs initiatiques de la vie humaine, mais également à la communauté qui se perpétuait dans les nouvelles générations. Quels étaient les savoirs initiatiques?

Avant d’aborder plus en détail les types de savoirs initiatiques, il convient de définir le concept d’«initiation». Ce sont les travaux de l’historien des religions Mircea Eliade qui ont permis de proposer une définition de l’initiation. Ainsi, dans le sens éliadien, on peut

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définir l’initiation comme étant le processus lors duquel la société permet aux initiés, par le soutien des adultes, d’accéder à certaines connaissances gardées cachées et inaccessibles à ceux qui ne peuvent être initiés comme les femmes (Eliade, 1959).  

 

  Nous avons modélisé, en suivant les travaux de Jeffrey (2016), les savoirs initiatiques en trois grandes catégories: 1) Le sens de la vie, 2) Les mystères sacrés et 3) La discipline de soi. Ils concernent, en premier lieu, le sens à conférer aux grands thèmes de l’existence humaine comme l’amour, l’amitié, le dépassement de soi, la souffrance, la peur, la solitude, la sexualité, la perte, l’abandon, l’engagement, le don, la fragilité, le déracinement, l’espoir, l’épuisement, la déréliction, etc. Les savoirs initiatiques, en second lieu, ouvrent sur la découverte de savoirs cachés. Cette catégorie porte sur les mystères de l’existence: la cause première, la vie après la mort, les extra-terrestres, les pouvoirs de l’être humain, la magie, les fantômes, les miracles, les phénomènes surnaturels, etc. Enfin, la troisième catégorie comprend l’apprentissage d’une discipline, d’une sagesse du corps, d’un usage mesuré de ses peurs, d’un contrôle devant les forces intérieures et les menaces extérieures. Cette dimension renvoie à l’affrontement à soi-même et au renforcement de la volonté.

Les rites pubertaires institués dans les sociétés traditionnelles, mis en place par la communauté des aînés, sont bel et bien disparus, mais cela ne veut toutefois pas dire que la nécessité d’acquérir des savoirs initiatiques n’a plus aucune importance. Ces savoirs se perpétuent quand même au sein des récits dans les grandes spiritualités religieuses, dans la littérature depuis les tragédies grecques jusqu’à aujourd’hui et plus récemment dans le cinéma et dans les séries jeunes.

Plusieurs grandes œuvres religieuses, littéraires et cinématographiques offrent aux individus l’occasion de découvrir les savoirs initiatiques de l’existence humaine. C’est le cas avec le récit de Job, dans la Bible, qui montre que le croyant doit chercher à accepter ses souffrances et à grandir avec celles-ci plutôt qu’à tenter de les justifier. Ce récit enseigne aussi que l’on doit garder espoir dans la vie lorsqu’il y a souffrance, car il y a toujours une promesse que les choses pourront s’arranger. Il en va de même de la Baghavad

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Gita des hindoues, texte dans lequel le lecteur apprend, entre autres, que tout arrive pour une raison et que les plaisirs sensoriels sont de courtes durées, d’où l’intérêt de chercher des plaisirs à long terme comme l’amitié et l’amour du cosmos. Pour tout dire, les récits des traditions religieuses faisaient autrefois autorité pour transmettre des savoirs initiatiques par lesquels les individus tiraient une sagesse qui les menait vers l’âge des responsabilités.

Un autre exemple concerne les romans de formation (en allemand Bildungsromans). Les jeunes du XIXe et du XXe siècle en particulier pouvaient compter sur des romans qui agissaient comme le reflet littéraire de leurs propres préoccupations initiatiques. À titre d’exemple, le roman Demian (1919) du romancier Hermann Hesse propose des pistes pour la découverte de soi à travers les expériences de Demian, mais aussi par la sagesse de philosophes ayant jalonné l’histoire de la pensée (Platon, Nietzsche), de grands littéraires comme Dante, de maîtres de la spiritualité comme Bouddha et même de récits bibliques comme celui de Caïn et Abel. Ce roman de formation offrait aux jeunes lecteurs une occasion de plonger à l’intérieur de soi par le truchement des œuvres majeures de la culture occidentale qui fondent l’appartenance à notre commune humanité. La présence d’un jeune héros en quête de son destin dans les romans de formation, c’est-à-dire d’un individu dont l’identité est en construction, offrait à la jeunesse un modèle d’humanité sur lequel s’appuyer. Cette jeunesse pouvait ainsi s’identifier au parcours initiatique des héros et à leur quête de sens (Eliade, 1959; Vierne, 1973; Routisseau, 2008; Campbell, 2009).

Peu après le début de la seconde modernité qui s’accentue autour des années 1960, le roman initiatique redevient populaire auprès de la jeunesse hippie. Des groupes de jeunes hippies expérimentent les trois catégories de savoirs initiatiques. Les thèmes de ces romans seront repris dans les séries télévisées. À titre d’exemple, les Québécois ont été profondément marqués par la série Fugeuse (2018) qui porte sur la réalité de la prostitution jeune dans les centres urbains. L’héroïne est laissée à elle-même pour affronter un grand nombre de défis qui l’amènent à prendre sa place dans la société, à se sentir responsable de sa personne et à construire son identité personnelle.

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Cette héroïne mène des batailles existentielles qui ne sont souvent pas si éloignées de celles que vivent les jeunes téléspectateurs qui suivent la série. Les jeunes générations ont eu droit à une offre considérable de séries jeunes adressées spécifiquement à eux. Pensons à la populaire série Radio Enfer (1995) qui a abordé, avec humour, des thèmes initiatiques délicats, comme l’amitié, l’amour et l’abandon. D’autres séries, comme Watatatow (1991) a permis à beaucoup d’adolescents québécois de grandir avec des personnages partageant avec eux une humanité commune. Dans les dernières années, la série québécoise jeune Jérémie (2015) aborde de front des enjeux initiatiques liés aux relations d’amour, d’amitié et de sexualité dans un groupe de copains.

Ainsi, s’il n’existe plus de rites pubertaires dans les sociétés modernisées, à l’exception des rites religieux, la dimension initiatique de l’expérience humaine réapparait sous diverses formes dans la littérature, le cinéma et la série télévisée. En effet, les thèmes initiatiques inhérents au passage à l’âge adulte sont très présents dans les séries jeunes. Des séries qui servent de modèles auprès de jeunes laissés à eux-mêmes pour explorer le vaste univers des savoirs initiatiques. La plupart des jeunes ne sont plus accompagnés par les adultes durant leur adolescence, comme l’étaient les jeunes des sociétés traditionnelles. Les jeunes occidentaux ont plutôt tendance à se distancier du monde adulte et à se refermer entre groupes d’amis. Non pas qu’ils ne font plus confiance aux adultes, mais plutôt qu’ils ne rencontrent pas souvent des adultes de confiance pour les accompagner.

L’entrée dans la maturité ne se fait donc plus à l’aide de rites de passage comme ceux des sociétés traditionnelles. Étant donné que la période de l’adolescence se prolonge pour diverses raisons sociales, économiques et politiques, il est devenu difficile de définir l’adolescence. Comment définir quand elle commence et quand elle se termine? Il semble clair que la vie adulte au point de vue légal commence à 18 ans, mais au point de vue social et psychologique, la maturité adulte reste imprécise. Tout de même, nous devons définir l’adolescence.

Nous allons conserver une définition très large en définissant l’adolescence comme étant la période transitoire de la vie humaine qui marque le nécessaire passage de l’enfance

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à l’âge des responsabilités de la vie adulte. Le temps de l’adolescence est donc celui d’un processus d’exploration des savoirs initiatiques sur l’existence humaine qui mène les ados à acquérir une nouvelle identité d’adulte responsable (Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016; Fize, 1998).

Les adolescents sont habituellement fascinés par la dimension initiatique de l’existence humaine comme le montre notamment la série romanesque Harry Potter et d’autres œuvres qui ont connu un succès notable auprès des jeunes. En plus de ces récits initiatiques, les séries jeunes ont connu une popularité inouïe au cours des dernières décennies. Ces séries offrent aux ados des modèles d’expérimentation de la vie humaine qui sont aussi pertinents que ceux d’autrefois. Les séries répondent donc bien aux quêtes initiatiques individuelles, car, comme le suggère Dolto, elles se sont personnalisées (Dolto, 2003). Elles sont devenues une tâche laissée à chaque jeune.

Le passage à la maturité se montre toutefois plus hasardeux à notre époque puisque les adultes n’en indiquent plus le chemin à l’avance. C’est compréhensible puisque les jeunes d’aujourd’hui ne doivent plus devenir identiques à leurs aînés comme dans les sociétés traditionnelles. Ils doivent plutôt développer leur individualité, leur identité personnelle, leur personnalité, leur style unique (Jeffrey, 2016; de Singly, 2011). Dans notre société modernisée, les ados acquièrent progressivement leur maturité. Dans les sociétés traditionnelles, elles étaient acquises à la fin des rites de passage qui pouvaient se dérouler en une période longue ou courte, selon le type de société. Or, le long chemin à l’âge adulte ne va pas sans quelques inquiétudes pour les ados d’aujourd’hui. Pour le sociologue Alain Ehrenberg (1995), l’individu laissé à lui-même devient incertain et angoissé devant les responsabilités croissantes qu’on lui demande d’assumer.

Les jeunes d’aujourd’hui n’échappent pas à ces inquiétudes. Devant les impératifs de constructions de leur identité motivés par les slogans «be yourself», «be authentic», «be vulnerable», «find your true identity», «be positive» et d’hédonisme individuel qu’imposent la vie moderne, les clés d’accès à la compréhension des enjeux liés au devenir adulte sont plus que nébuleuses (Ehrenberg, 1995; Le Breton, 2014). La difficile tâche qui incombe

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aux jeunes de s’initier eux-mêmes aux grands savoirs initiatiques de l’expérience humaine ne va donc pas sans heurts, surtout si les adultes autour d’eux n’arrivent pas à bien les soutenir.

À ce propos, qu’est-ce que l’école québécoise propose en termes d’enseignement des savoirs initiatiques aux élèves des écoles secondaires? Plus spécifiquement, qu’est-ce le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) du cours ÉCR propose à tous ces adolescents inscrits dans leur processus de devenir adulte sur la question des savoirs initiatiques?

1.3 Les savoirs initiatiques et le programme ÉCR

Dans l’école québécoise, seul le programme d’Éthique et culture religieuse (ÉCR) accorde une petite place à la dimension initiatique de l’expérience humaine. En effet, lorsque l’on consulte ce programme, il y a un seul endroit où l’on fait référence aux rites initiatiques. Dans le thème Des éléments fondamentaux des traditions religieuses, on suggère de traiter des «rites initiatiques» uniquement lorsqu’il est question de traditions religieuses (ministère de l’Éducation, 2008 : 43). En n’abordant le thème général de l’initiatique que sous cet angle, on induit peut-être que les savoirs initiatiques ne concernent que les sociétés religieuses, et qu’ils ne concernent pas d’autres dimensions initiatiques qui concernent les trois catégories présentées plus haut. Cela interroge donc sur le manque de place que l’on donne au thème de l’initiatique dans l’enseignement du seul cours au secondaire où on pourrait les aborder.

D’ailleurs, le manque de contenus dans le programme d’ÉCR entourant les différents types de rites, dont les rites funéraires, sacrificiels, liturgiques, initiatiques, de passage, etc. ne facilite pas la compréhension de ce que peuvent signifier les savoirs initiatiques dans le contexte contemporain (ministère de l’Éducation, 2008). Les enseignants d’ÉCR pourront ainsi penser que tous les rites sont semblables et ne concernent que le monde religieux, alors qu’il n’en est rien. La présente recherche vise donc à montrer l’importance des savoirs initiatiques non religieux. Nous souhaitons que nos recherches puissent inspirer des enseignants en ÉCR, mais aussi d’autres agents éducatifs comme les

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Animateurs de vie spirituelle et d’engagement communautaire (AVSEC). Ces derniers pourraient aisément endosser un rôle d’initiateur auprès des adolescents. Nous pensons qu’ils pourront être intéressés par notre recherche.

Parallèlement à ce manque de contenus d’enseignement sur l’aspect initiatique de la vie des adolescents, nous désirons souligner que le cours ÉCR, par ses finalités philosophiques et politiques visant la Reconnaissance de l’Autre ainsi que la Poursuite du bien commun, nous semble être un endroit privilégié pour discuter avec les élèves des savoirs initiatiques.

En effet, il est écrit dans le programme d’ÉCR que la finalité de la Reconnaissance de l’Autre est « indissociable de la connaissance de soi » (ministère de l’Éducation, 2008 : 2). Toutefois, le programme ne donne jamais d’indications pédagogiques sur la connaissance de soi et semble tout orienter vers la reconnaissance de l’autre par la pratique du dialogue. Il semble, à notre avis, que la trop grande importance accordée à l’autre a pour effet de mettre de côté la connaissance de soi. Pourtant, nombre de jeunes sont très ouverts à la découverte de leur monde intérieur et cherchent à faire reconnaitre leur individualité.

La seconde finalité du programme d’ÉCR, celle de la Poursuite du bien commun, suppose que des personnes d’horizon divers s’entendent afin de relever des défis inhérents à la vie en société (ministère de l’Éducation, 2008). Cette finalité est certes louable, mais comment faire en sorte d’arriver à cet objectif si les jeunes n’ont pas appris à bien se connaitre eux-mêmes? Ne faudrait-il pas cerner ses différences pour être capable, du moins, de tolérer celles des autres?

En fait, le programme ÉCR semble faire peu mention de l’importance de la connaissance de soi dans l’acquisition des deux finalités proposées, à savoir la Reconnaissance de l’autre et la Poursuite du bien commun. Ces finalités sont pertinentes dans le contexte démocratique contemporain, mais le programme semble évacuer l’aspect initiatique pouvant être lié à ces deux finalités. Il mise sur l’obligation de se préoccuper d’autrui sans toutefois prendre en compte l’obligation de se préoccuper de soi. Nous

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croyons que la connaissance de soi précède celle des autres. Le cours ÉCR pourrait donc offrir aux élèves une occasion de réfléchir sur les savoirs initiatiques qui pourraient les soutenir dans leur passage à la vie adulte. Mais encore faut-il des contenus précis à ce sujet. C’est ce que nous comptons proposer dans le cadre de notre recherche.

1.4 Proposition de recherche

Dans ce mémoire, nous nous proposons de construire des connaissances sur les savoirs initiatiques qui pourraient être utilisées pour élaborer des contenus d’enseignement en ÉCR. Les connaissances sur les savoirs initiatiques seraient construites à partir de contenus de la première saison de la série 13 diffusée sur Netflix depuis le 31 mars 2017. Nous avons choisi cette série parce qu’elle a captivé un large auditoire d’adolescents depuis les trois dernières années. Elle représente un choix judicieux pour penser l’enseignement des savoirs initiatiques en ÉCR. Pourquoi vouloir étudier les savoirs initiatiques à l’aide de cette série jeune?

Les adolescents surmontent des épreuves dans leurs différentes expériences de vie, et nous croyons qu’ils peuvent également observer comment d’autres jeunes surmontent le même type d’épreuve à travers une série jeune. En fait, une série jeune présente des personnages qui sont appelés à traverser des épreuves difficiles qui les amèneront à révéler les grands pans des savoirs initiatiques de la vie humaine (Routisseau, 2008; Corroy, 2014). En apprenant à se connaitre, les adolescents découvrent des savoirs initiatiques qui sont communs à tous les êtres humains. D’où l’intérêt pour les ados de suivre une série qui montre comment des jeunes se dépatouillent lorsqu’ils traversent un moment existentiel difficile.

Il est vrai que la production de nombre de séries jeunes créées dans les dernières décennies se démarque par leur qualité et leur diversité (Julier-Costes, Lachance, Jeffrey, 2014). Il suffit de penser à Netflix et à ses séries qui, depuis 2007, ont complètement transformé le paysage télévisuel contemporain ainsi que la manière qu’ont les adolescents, mais aussi les adultes, de consommer ce type de production culturelle (Campion, 2019; Baldacchino, 2019). En outre, les études sur les séries télévisées, dont celles pour les

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jeunes, connaissent un essor grandissant (Boutet, 2011; Pasquier, 1999; Rollet, 2006; Sepulchre, 2011; Winckler, Petit, 1999; Combes, 2011; Besson, 2016). Nous désirons ainsi, dans notre recherche, nous inscrire dans la continuité de ce nouvel intérêt pour les séries jeunes.

L’analyse de la série 13 nous permettra d’atteindre deux objectifs importants de notre recherche. Le premier objectif est celui d’approfondir la richesse des savoirs initiatiques contenus dans la série 13. Le deuxième objectif est celui de développer de nouvelles connaissances pour l’enseignement des savoirs initiatiques au secondaire en ÉCR.

1.5 Objectifs général et spécifiques

1.5.1 Objectif général

La visée de cette recherche est d’éclairer l’apport des savoirs initiatiques inhérents au passage à l’âge adulte des adolescents à partir de la série jeune 13 Reasons Why.

1.5.2 Objectifs spécifiques

Nous avons deux objectifs spécifiques. Le premier objectif est d’approfondir le sens et la pertinence des savoirs initiatiques dans le passage des adolescents à l’âge adulte. Nous allons préciser les principaux enjeux de la transition à l’âge adulte des adolescents contemporains et cerner leurs interrogations, leurs préoccupations et leurs inquiétudes relatives à ce même passage.

Le second objectif est de montrer que les personnages adolescents de la série 13, du fait de leurs questionnements sur les savoirs initiatiques, peuvent servir de modèles auprès des adolescents. Nous allons donc étudier, dans la série 13, six thèmes initiatiques qui sont l’amitié, la sexualité, la famille, la violence, la honte et le récit initiatique. Par cette étude, notre objectif spécifique est celui d’analyser des scènes qui renvoient aux six thèmes de savoirs initiatiques retenus. Par ce second objectif, nous désirons faire écho à l’expérience

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des ados en tentant de comprendre en quoi les savoirs initiatiques que nous aurons analysés peuvent les aider à mieux se situer dans leur passage à l’âge adulte.

1.6 Pertinence de la recherche

1.6.1 Pertinence personnelle

À titre de diplômé du programme en enseignement secondaire de l’histoire et de l’éthique et culture religieuse, j’ai souvent été appelé à me questionner sur la manière d’envisager la transmission de savoirs initiatiques à différents niveaux scolaires. La découverte du thème de l’initiatique par la lecture du roman Le Grand cahier (1986) de l’auteure Agota Kristof et l’application en classe que j’en ai faite par le film It (2017) d’Andrés Muschietti, m’a permis de saisir à quel point la connaissance des savoirs initiatiques, par les œuvres fictionnelles jeunes, est un enjeu primordial pour les élèves du secondaire. L’ambition personnelle de ce mémoire est donc de participer à la connaissance du thème de l’initiatique pour l’enseignement au secondaire.

1.6.2 Pertinence sociale

Cette recherche est pertinente sur le plan social puisqu’elle s’adresse aux enseignants et peut-être aussi à d’autres acteurs de l’éducation sensibles à l’enjeu du passage à la vie adulte des jeunes d’aujourd’hui. En effet, l’importance accordée aux enseignants du cours ÉCR s’explique par le fait qu’ils ont un rôle de passeur culturel, c’est-à-dire qu’ils sont ceux qui doivent établir la continuité entre le passé et le présent, entre les savoirs et le monde afin d’inscrire les élèves dans la profondeur historique de leur culture ainsi que dans la complexité des enjeux du monde actuel qui se présentent à eux (Simard, 1999; Fabre, 2011). Le fait d’aborder les savoirs initiatiques en ÉCR par le moyen des séries jeunes pourrait permettre de faire comprendre aux élèves, entre autres, que les difficultés liées au passage à l’âge adulte sont tout à fait normales, qu’elles ont existé de tout temps, mais qu’elles prennent d’autres formes de nos jours. Cela leur permettra donc d’aborder un passage symbolique que tous les ados traversent. Enfin, notre recherche se veut surtout une manière d’interroger le devenir adulte des jeunes dans le contexte de notre société contemporaine qui ne leur fournit pas de rituels conventionnés afin de réaliser ce passage.

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1.6.3 Pertinence scientifique

Le concept de savoir initiatique, appliqué dans un contexte de série jeune, nécessite des clarifications conceptuelles. Nous avons l’intention de clarifier ce concept. Notre étude propose de le faire par l’analyse de la série 13. Notre perspective d’analyse est originale, car peu de recherches scientifiques portent sur la dimension initiatique dans les séries jeunes (Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016). En outre, notre recherche se montre attentive aux façons contemporaines qu’ont les ados d’apprendre à mieux se connaitre. Le détour par l’imaginaire des séries jeunes va donc nous permettre d’appréhender les idéaux qui les animent ainsi que le monde dans lequel ceux-ci souhaitent vivre dans le futur. Enfin, dans la recherche scientifique en didactique de l’éthique, nous souhaitons faire partager l’immense profondeur qu’incarne une œuvre télévisuelle qui comporte une dimension initiatique.

1.7 Méthodologie

Sur le plan méthodologique, nous allons procéder en plusieurs étapes. Nous allons d’abord clarifier le sémantisme de l’initiatique et du passage à la vie adulte. Nous allons faire une synthèse de travaux récents sur ce thème. Partant de ce premier travail de définition, nous allons proposer un travail interprétatif des savoirs initiatiques de la série 13. Cette seconde partie de notre recherche est conduite sous l’égide d’une approche herméneutique qui s’inscrit dans le champ de la socio-anthropologie de l’adolescence. Nous allons d’abord définir ce qu’est l’approche herméneutique, puis en venir à la socio-anthropologie.

L’herméneutique désignait autrefois l’art, la technique et les méthodes de l’interprétation des textes sacrés, des textes profanes et des textes juridiques (Simard, 2002). Au sens classique toutefois, l’herméneutique fut d’abord la méthode pour interpréter (exponere : exposer, expliquer) les textes religieux. Le besoin d’une telle méthode s’explique par le fait que le sens des textes religieux n’est pas toujours clair, d’où l’utilisation d’une méthode interprétative qui permet de produire du sens (Grondin, 2006). La compréhension se fait donc par le moyen de l’interprétation. Le terme interprétation vient du verbe grec hermeneuein qui signifie à la fois processus d’élocution (énoncer, dire,

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affirmer une chose) et celui de l’interprétation (ou de traduction) (Simard, 2004). En fait, l’herméneutique se propose de reconstruire le texte interprété, comme si l’on en était l’auteur (Grondin, 2006). L’objectif de l’herméneutique est donc celui de traduire un texte pour en faire émerger différents sens qui n’est pas forcément celui de son auteur.

De nos jours, l’herméneutique est devenue une philosophie universelle de l’interprétation de tout objet de culture, et non plus seulement de textes écrits (Grondin, 2006). En effet, au courant du XIXe siècle, le philosophe Frederich Schleiermacher a précisé que l’herméneutique ne devait pas se limiter qu’aux seuls textes écrits, mais devait aussi pouvoir s’appliquer à tous les phénomènes qui demandent une compréhension (Grondin, 2006). Selon Denis Simard, avec Heidegger et Gadamer au XXe siècle, l’herméneutique accède même au rang de philosophie. En effet, avec eux, nous avons découvert que le fait même de comprendre caractérise les disciplines des sciences humaines et des sciences naturelles (Simard, 2004). La compréhension incarnerait, dès lors, une posture substantielle de notre rapport au monde (Gadamer, 1996; Heidegger, 1985).

Dans le cadre de notre mémoire, l’herméneutique est l’approche que nous privilégions pour interpréter la série 13 dans laquelle on retrouve des textes, des images, des décors, des comportements, des interactions sociales, des rituels, etc. Notre objectif est, en interprétant cette série, de mettre en lumière des savoirs initiatiques qui feraient écho au passage à l’âge adulte des adolescents actuels. Notre travail d’interprétation de la série n’est toutefois pas évident à la première écoute de 13, d’où la nécessité de la méthode herméneutique.

En outre, dire que nous utilisons une approche herméneutique pour interpréter une série jeune ne saurait suffire, car c’est à partir d’une théorie que l’on interprète un objet de culture (Simard, 2004). L’utilisation d’un cadre théorique est donc nécessaire afin de perfectionner notre analyse. Le cadre théorique que nous employons est celui de la socio-anthropologie de l’adolescence. Ce courant, influencé par les travaux du sociologue David Le Breton, insiste sur la nécessité de cerner comment les «invariants anthropologiques» liés au fait de devenir adulte se réactualisent dans nos sociétés modernes (Le Breton, 2012;

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Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016). Qu’est-ce qu’un invariant anthropologique? Ce sont les grands thèmes de la condition humaine qui existent de tout temps. Par exemple, la famille, la peur, la déréliction, la sexualité, l’amitié, l’abandon, le deuil, l’échec, la solitude, la violence, la souffrance, les mystères de l’existence et la mort sont tous des thèmes universels, même s’ils ne s’expérimentent pas de la même manière d’une société et d’une époque à une autre. Nous nous intéressons aux invariants anthropologiques en tant qu’ils peuvent se manifester sous la forme de savoirs initiatiques au sein des séries jeunes.

En quoi sont-ils initiatiques? Ils sont initiatiques du fait que l’adolescence est la période de la vie où on les découvre, on les expérimente et on s’y confronte dans des situations nouvelles et inédites. Par exemple, la sexualité est un invariant anthropologique. Pour les adolescents qui découvrent leur sexualité, il y a des savoirs initiatiques à découvrir sur le sexe, surtout lors de leurs premières expériences sexuelles. Ces expériences sont mises en scène dans la littérature, le cinéma et les séries. Il ne s’agit pas de savoirs savants, scientifiques et intellectualisés. Mais plutôt de savoirs vécus qui permettent de donner un sens à la sexualité.

Un autre exemple d’invariant anthropologique est celui de la famille. Tous les jeunes ont des rapports faciles ou difficiles avec les membres de leur famille, surtout avec leurs parents. Or, plusieurs jeunes et moins jeunes ont raconté ce vécu familial. Ces récits apparaissent dans les productions culturelles comme la littérature, le cinéma et les séries. Les jeunes comprennent, en étant initiés à ces récits qui forment des savoirs initiatiques, qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ce qu’ils vivent. L’expérience de déracinement familial est universelle. Elle est l’objet de nombreux récits, de nombreuses histoires qui sont mises en scène notamment dans les séries jeunes. Un jeune qui vit un tel déracinement rencontre dans une série des héros et héroïnes qui vivent la même chose que lui et surtout, qui mettent des mots sur ce qu’il vit.

Les socio-anthropologues proposent de comprendre les comportements des adolescents d’aujourd’hui à l’aune de pratiques rituelles des sociétés traditionnelles. À vrai dire, la connaissance des pratiques traditionnelles permet de comprendre ce qui diffère dans

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nos mœurs, et peut-être aussi ce qui est semblable. Ainsi, dans les sociétés traditionnelles, des aînés préparaient des rites pour le passage pubertaire afin d’amener les jeunes à accéder à l’âge des responsabilités adultes. Durant ces rites, les jeunes étaient alors initiés aux savoirs les plus importants de leur société. Or, les adolescents d’aujourd’hui sont laissés à eux-mêmes pour découvrir les savoirs initiatiques qui donnent sens à leur existence, à leur place dans la société, à leurs souffrances, à leurs craintes, à leur solitude, en fait, à toutes ces expériences existentielles qui sont autant des invariants anthropologiques. Nous retenons donc que les rites d’autrefois peuvent éclairer le devenir adulte des jeunes d’aujourd’hui. Ce cadre théorique qui constitue la socio-anthropologie de l’adolescence sera développé dans le quatrième chapitre de la recherche.

La méthodologie utilisée dans notre recherche s’inscrit donc dans la continuité du travail des socio-anthropologues. En effet, par l’étude de l’acquisition des savoirs initiatiques dans les sociétés traditionnelles, nous insisterons sur leur spécificité actuelle d’acquisition par les adolescents. Par ailleurs, notre recherche s’appuie également sur plusieurs autres disciplines qui se sont intéressées, de près ou de loin, à la question du devenir adulte de la jeunesse contemporaine. Le mythologue Joseph Campbell, la psychanalyste Françoise Dolto, l’historien Mircea Eliade, les ethnologues Arnold Van Gennep et Margaret Mead, les philosophes Michel Foucault et Fernand Dumont ou encore les socio-anthropologues Denis Jeffey, David Le Breton, Jocelyn Lachance et Michel Fize, etc. font partie des intellectuels qui éclaireront l’importance des savoirs initiatiques dans la vie des adolescents actuels. Nous ne sommes pas des spécialistes de tous ces auteurs, mais nous les avons lus durant notre mémoire.

La spécificité de l’herméneutique et de la socio-anthropologie de l’adolescence tiennent à leur caractère interdisciplinaire, à leur volonté de faire rayonner plusieurs disciplines scientifiques dans l’appréhension d’un objet de recherche (Grondin, 2006; Simard, 2004; Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016). La pluralité des interprétations de la communauté scientifique et intellectuelle sur le devenir adulte des adolescents dans notre contexte contemporain ne manquera donc pas de résonner, et nous nous ferons une responsabilité de mettre en lumière ces recherches.

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Comme nous l’avons souligné, nous avons retenu six thèmes pour l’analyse de la série jeune 13: l’amitié, la sexualité, la famille, la violence, la honte et celui du récit initiatique. Ce dernier thème fera l’objet d’une analyse distincte. Pourquoi avoir fait ce choix de six thèmes? En fait, malgré leur diversité, toutes les expérimentations des adolescents possèdent le potentiel de les initier à leur condition d’humain. Ce sont les travaux de la psychanalyste Françoise Dolto qui nous ont aidés à identifier nos six thèmes. Pour cette psychanalyste, l’adolescence apparait comme une seconde naissance. L’adolescent délaisse une première peau pour s’en faire une nouvelle. L’enfant quitte peu à peu la matrice familiale pour accéder à celle de la vie adulte (Dolto, 2003). Ce changement de peau nécessite donc que les adolescents trouvent des réponses aux nouvelles questions qu’ils se posent. On retrouve aussi cette idée de mutation dans les travaux de Mircea Eliade que nous allons aborder plus loin.

Les trois premiers thèmes, ceux de l’amitié, de la sexualité et de la famille nous semblent être des incontournables dans la vie des adolescents. Par exemple, certains d’entre eux peuvent remettre en question leur relation amicale, découvrir leur homosexualité ou encore prendre leur distance avec leurs parents. Les deux thèmes suivants, ceux de la violence et de la honte, sont plus inusités, car ce sont des sujets très rarement abordés dans la littérature initiatique. Pourtant, ce sont bien des thèmes initiatiques universels puisque chaque jeune doit négocier avec la part de violence qui réside en lui, et il doit parfois savoir négocier avec le sentiment unique qu’est la honte. Le thème du récit initiatique permettra de voir que les ados doivent parcourir des épreuves initiatiques desquelles ils doivent tirer des leçons de vie.

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CHAPITRE 2

Les séries jeunes : vers l’élaboration d’une définition

Dans ce chapitre, nous proposons une définition de la dimension initiatique dans les séries jeunes. Sa dimension initiatique fait d’une série jeune un genre en soi. Nous allons commencer par présenter un court historique des trois âges d’or de la télévision américaine puisque 13 est une série jeune créée et produite aux États-Unis. Cela nous amènera à discuter des trois caractéristiques communes aux séries jeunes: 1) la redéfinition identitaire des héros adolescents, 2) la construction de l’identité des héros par les liens de connivence et 3) la connaissance de soi par les épreuves initiatiques. Enfin, nous terminons ce chapitre en soutenant que les séries jeunes comportent inévitablement une dimension initiatique.

2.1 Les séries télévisées : quels genres de séries?

Avant de présenter le contenu de ce chapitre, il importe de définir ce qu’est une série. Nous reprenons la définition proposée par l’historienne Marjolaine Boutet. Cette dernière propose de l’utiliser dans le sens général, c’est-à-dire qu’une série désigne « les fictions plurielles de la télévision, qu’elles soient des séries ou des feuilletons » (Boutet, 2011 : 11).

Venons-en aux trois âges d’or de la télévision américaine. Le premier âge d’or de la télévision américaine a commencé dans les années 1950, et il marque le véritable détachement d’avec les émissions radiophoniques: à cette époque, la télévision se développe comme un secteur à part et utilise les techniques du cinéma pour créer de nouveaux objets, à savoir les séries (Boutet, 2011; Petit, 1994; Favard, 2018). En effet, à cette époque, on voit l’émergence de séries, dont les sitcoms, les anthologies dramatiques, familiales, médicales et policières, mais aussi des programmes destinés aux jeunes enfants avec Disneyland sur ABC. Par leur esprit d’originalité, ces séries marquent les mentalités de l’époque et forment graduellement tous les grands genres du paysage télévisuel des décennies à venir aux États-Unis (Boutet, 2011).

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Le deuxième âge d’or, dans les années 1980, est associé à l’apparition du magnétoscope et de la télécommande, mais surtout à l’apparition des premières chaînes câblées qui ouvrent l’ère du zapping aux États-Unis. L’audience étant désormais éparpillé sur plusieurs chaînes, les grands réseaux américains (ABC, CBS, NBC, FOX) prennent rapidement conscience qu’ils doivent innover sans cesse pour séduire un public plus exigeant puisque plus volatile dans sa consommation de séries télévisées (Boutet, 2011; Gitlin, 1983). De là découle une certaine inventivité dans la formation des séries qui mélangent plusieurs styles pour ne pas perdre ses téléspectateurs. Ainsi, soap opera, sitcom, documentaire, comédie musicale et bien d’autres sont intégrés dans une seule série, ce qui ne facilite pas leur classification. À titre d’exemple, la série Dynasty (1981) mélange les intrigues policières, amoureuses, familiales ainsi que de quête de pouvoir de gens fortunés, ce qui la rend éclatée, mais intéressante pour son auditoire.

Le public étant désormais de plus en plus niché dans ses attentes, les séries adressées aux jeunes commencent à émerger. Durant les années 1980 et 1990, on voit apparaitre des comédies (Save by the bell), des séries dramatiques (Dawson, Degrassi) et des soap operas (Beverly Hills) qui mettent en scène des adolescents et qui s’adressent à eux (Boutet, 2011). La révolution numérique progressive au courant des années 1990 et 2000, avec l’apparition du VHS, du DVD ainsi que du streaming, change les modes d’écoute des séries qui se font désormais sans interruption publicitaire. Les spectateurs, puisque moins dépendants de la télévision, vont donc augmenter leurs attentes pour voir des séries télévisées qui répondent à leurs goûts respectifs.

Le troisième âge d’or de la télévision se situe dans l’époque actuelle, et il est celui de la perméabilité plus forte entre la télévision et le cinéma hollywoodien (Favard, 2018). Par exemple, la série Game of Thrones (2011) du réseau HBO repousse les limites de la télévision et offre de véritables longs métrages filmés avec les moyens de production du cinéma hollywoodien. Il en va de même de la série The Walking Dead (2010) diffusée sur AMC. Cet âge d’or, loin d’être terminé, mériterait une analyse que nous ne développerons pas ici. Quoi qu’il en soit, les créateurs des séries jeunes, qui développent leurs séries depuis le deuxième âge d’or de la télévision aux États-Unis dans les années 1980, tentent de

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s’adresser aux jeunes, c’est-à-dire de les maintenir assis devant leur écran (Corroy, 2014). Avec le numérique, cela est plus difficile (Poirier, 2012). Les séries jeunes doivent contenir certaines caractéristiques nichées, différenciées des autres séries, pour captiver un auditoire majoritairement jeune (Boutet, 2011). Dans les prochaines sections, nous tenterons d’identifier certaines de ces caractéristiques spécifiques, ce qui nous permettra de proposer par la suite notre définition de la dimension initiatique des séries jeunes dont fait partie 13.

2.2 Les séries jeunes : quelles caractéristiques?

Nous allons maintenant identifier et expliquer trois grandes caractéristiques des séries jeunes. La première concerne les héros adolescents, la seconde renvoie à la construction identitaire des héros et la troisième touche aux épreuves initiatiques que vivent les héros.

2.2.1 Première caractéristique : des héros adolescents en redéfinition

identitaire

Les adolescents, à titre de protagonistes principaux et de héros d’une série jeune, forment la première caractéristique. Leur seule présence à l’écran ne saurait toutefois suffire pour définir une série jeune. En effet, les séries jeunes présentent des adolescents comme héros exclusifs ou comme héros non exclusifs, mais traités, et cela est central, sur le même pied d’égalité que les adultes. En fait, leur taux d’apparition à l’écran tout comme leur rôle dans l’intrigue se relève quantitativement plus importants ou du moins équivalents (Corroy, 2014; Besson, 2016). Les parents des héros sont aussi très présents dans les séries jeunes. Ils occupent une place particulière dans les enjeux qui traversent le récit personnel des adolescents. Plus spécifiquement, le fait de connaitre son histoire familiale et de mettre au jour les secrets de la famille contribue à la redéfinition d’une identité en transformation se situant entre l’enfance et l’âge adulte (Corroy, 2014).

À titre d’exemple, la série jeune Riverdale (2017) de la chaîne américaine CW montre des parents qui peuvent être à la fois des alliés, mais également des ennemis de leurs enfants. Le personnage de Veronica Lodge qui idéalisait sa mère Hermione, la pauvre victime, en opposition avec son père Hiram, le vilain criminel, s’aperçoit que sa mère n’en

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