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Présentation générale de la socio-anthropologie de l’adolescence

Cadre théorique de la recherche

4.1 Présentation générale de la socio-anthropologie de l’adolescence

La socio-anthropologie de l’adolescence puise ses origines dans la sociologie américaine, particulièrement dans celles des travaux sur les phénomènes de délinquance issus de l’École de Chicago qui nait au début du siècle dernier (Le Breton, 2012). Les sociologues, dont les plus notoires sont Frederik Milton Thrasher, Clifford Shaw et Ernest Burgess ont contribué à faire entrer l’adolescence dans l’histoire des sciences sociales, et ils ont surtout inspiré les travaux ultérieurs sur les questions relatives à cette période de la vie, comme le montre bien le développement de l’interactionnisme symbolique (Le Breton, 2012). L’objectif de l’École de Chicago, en centrant son regard sur les adolescents délinquants, était de comprendre le sens de leurs comportements «de l’intérieur», c’est-à- dire en accueillant le discours qu’ont les jeunes sur eux-mêmes (Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016). En 1966, un des ouvrages majeurs de l’École de Chicago rédigé par Clifford Shaw intitulé The Jack-Roller : A Delinquant Boy’s Own Story constitua un apport majeur dans la recherche en sociologie puisque la méthode de Shaw se centra sur le récit de vie d’un délinquant interrogé lors de ses recherches. Ses valeurs, ses principes, ses objectifs, ses compromis, ses dilemmes, ses fantasmes, ses attitudes ainsi que sa perception de soi et des autres furent ainsi étudiés. En réalité, Shaw s’intéresse au discours qu’a un adolescent sur lui-même. En ce sens, l’apport de Shaw fut de ne pas limiter la compréhension du

phénomène de la délinquance par l’unique examen des dimensions sociales et culturelles des actes délinquants. Son travail procède plutôt d’une volonté de donner la voix aux laissés pour compte et sa démarche fut un apport fondamental pour les sciences sociales de l’époque (Le Breton, 2016). Pour dire autrement, la sociologie de l’École de Chicago implique une conception plus active des individus. Cette conception nécessite donc que leurs points de vue soient d’abord reconnus, puis écoutés, pour enfin être assimilés dans un discours plus inclusif (Le Breton, 2016; Coulon, 1997).

Les nouvelles perspectives de recherche en sociologie au début du XXe siècle, propulsé par l’École de Chicago et par sa compréhension sensible et intérieure de la délinquance chez les adolescents, ouvrirent la porte, dans les décennies qui ont suivi, à des méthodes qualitatives plurielles, ouvertes et multiples qui ont toujours cherché à clarifier le sens que les adolescents donnent à leurs pratiques, à leurs identités et à leurs récits de vie. Parmi ces méthodes, il y a la socio-anthropologie de l’adolescence. Cette approche, qui constitue le cadre théorique de notre recherche, est inspirée des socio-anthropologues Denis Jeffrey, Jocelyn Lachance et David Le Breton (2016) qui s’inscrivent dans la continuité de la démarche des sociologues de l’École de Chicago. En effet, ces chercheurs désirent accéder à la voix des jeunes sur un sujet qui les concernent tous: leur devenir adulte dans un monde où ils sont amenés à s’approprier eux-mêmes les savoirs initiatiques de l’existence humaine. Leurs recherches s’attardent donc à cerner les passages par lesquels les jeunes parviennent à l’âge adulte (Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016).

Ces passages sont des occasions pour les jeunes de s’initier à des savoirs fondamentaux sur la condition humaine. Ce sont des savoirs qui découlent des expériences humaines qui concernent les grands invariants anthropologiques de l’existence. Les adolescents contemporains empruntent différentes trajectoires qui les mèneront à s’insérer lentement dans leurs responsabilités d’adultes. La trajectoire de chaque jeune est unique, mais les événements qu’ils vivent sont universaux (Jeffrey, 2016).

Afin de comprendre l’adolescence contemporaine dans sa traversée vers l’âge adulte, les socio-anthropologues se proposent de revisiter les mœurs des sociétés

traditionnelles pour comprendre comment s’opérait la transition de l’enfance à l’âge des responsabilités (Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016). Ce détour par l’anthropologie et ses grands concepts (rite, interdit, sacré, ordalie, mythe, ordre symbolique, etc.) permet de jeter une lumière inédite sur le vécu des jeunes d’aujourd’hui. Tous les jeunes de toutes les sociétés doivent un jour délaisser le monde maternel pour assumer leurs responsabilités d’adulte. Même si les rites pour réaliser ce passage sont très différents d’une société à une autre, le fait de réaliser ce passage est universel. Ainsi, cette traversée vers l’âge des responsabilités sociales existe de tout temps, elle est intemporelle, mais s’exprime de façons différentes selon les époques et les sociétés. L’anthropologie ne pourrait donc se dissocier de la sociologie qui réinscrit, dans le contexte actuel, ce qu’il y a d’universel dans le devenir adulte des adolescents (Le Breton, 2016).

La spécificité de la socio-anthropologie réside dans son ambition d’allier dans une perspective interdisciplinaire la sociologie et l’anthropologie afin de mieux comprendre comment les jeunes d’aujourd’hui arrivent à prendre leur place dans la société. Dans le contexte des sociétés modernes, les jeunes apprennent progressivement à devenir autonomes. Nous avons souligné que dans le contexte des sociétés traditionnelles, les jeunes apprennent plutôt à se conformer aux normes sociales. Dans leur quête d’autonomisation, les adolescents actuels sont ainsi appelés à découvrir par eux-mêmes les savoirs initiatiques qui les amènent à grandir en responsabilité. On sait que cela n’est pas toujours facile pour ceux qui n’ont pas les ressources symboliques et matérielles nécessaires pour le faire (Le Breton, 2017).

Au demeurant, soulignons que la socio-anthropologie ne saurait se limiter à la seule alliance entre anthropologie et sociologie, car toutes les disciplines intéressées au devenir adulte de la jeunesse contemporaine sont sollicitées pour étudier l’adolescence en passage: la psychologie, la psychanalyse, la littérature, les arts, l’histoire, etc. Le fait de décloisonner les appartenances disciplinaires enrichit le regard sur les enjeux du passage à l’âge adulte (Dolto, 1985).

La parole que nous désirons donner aux adolescents s’exprime à travers l’analyse de la série jeune 13, production culturelle issue de la culture jeune qui est un concept central de notre recherche (Lachance, Mathiot, St-Germain, 2016). La prochaine section de ce chapitre s’emploiera à clarifier le concept de culture jeune et à le transposer dans la série 13. Cela nous permettra, entre autres, d’insister sur cette compréhension dite de l’«intérieure» du devenir adulte des adolescents dans le contexte contemporain. Nous allons également clarifier une panoplie de pratiques de passage qui aident les jeunes à explorer les savoirs initiatiques. Cette approche compréhensive et sensible à l’égard des adolescents nous est particulièrement chère dans le cadre socio-anthropologique de l’adolescence que nous allons utiliser dans notre analyse de 13.