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Savoirs initiatiques traditionnels et quêtes contemporaines

Cadre théorique de la recherche

4.5 Savoirs initiatiques traditionnels et quêtes contemporaines

L’un des grands thèmes du livre Les rites de passage (1909) d’Arnold Van Gennep est celui des «seuils», c’est-à-dire des passages à franchir. L’existence humaine est peuplée de ces passages que tous doivent avoir le courage de passer dans les moments les plus opportuns. Les rites pubertaires des sociétés traditionnelles en font partie. L’objectif des rites pubertaires, à travers les trois séquences que sont les préliminaires, les liminaires et les postliminaires servent, respectivement, à séparer les initiés de la matrice maternelle, à les initier aux savoirs sacrés que sont les savoirs initiatiques pour, enfin, les réagréger dans leur communauté (Van Gennep, 1981).

L’opposition entre l’agrégation et la désagrégation et entre la naissance et la mort, est donc l’essence des rites pubertaires. Lorsqu’ils sont accomplis, ces rites permettent aux initiés de mourir à leur ambivalence double de l’enfance où le sexe n’est pas encore distingué pour adhérer à une identité sexuée d’homme (Goguel d’Allondans, 2002). Les savoirs sacrés transmis par les aînés aux initiés visent la reproduction de la société. En fait, ce sont les savoirs sacrés d’autrefois que nous qualifions de savoirs initiatiques.

De nos jours, les jeunes accèdent aux savoirs initiatiques par essais et erreurs, c’est- à-dire au fur et à mesure des expériences qu’ils vivent au cours de leur adolescence. À ce propos, les trajectoires personnelles d’acquisition des savoirs initiatiques dans le contexte contemporain appartiennent, selon l’anthropologue Victor W. Turner (1990), à la séquence liminaire. Tous les adolescents d’aujourd’hui sont appelés à vivre une période de marge au cours de laquelle ils vont s’approprier les savoirs initiatiques. Chaque jeune le fait à son rythme personnel en suivant un ordre de découverte qui n’est pas le même pour tous.

Suivant leur rythme propre, les jeunes d’aujourd’hui sont invités, à travers différentes pratiques initiatiques corporelles ou imaginaires, à accéder aux responsabilités adultes. Or, contrairement aux jeunes des sociétés traditionnelles qui doivent se conformer aux normes très strictes de leur société, les jeunes d’aujourd’hui conservent leur individualité. Ils sont appelés, justement, à apprendre à cultiver leur individualité. Leurs pratiques de passage doivent donc être entendues comme des moments privilégiés d’expérimentation et d’ouverture à la connaissance de soi et à la connaissance du monde adulte. Le défi des jeunes d’aujourd’hui est d’autant plus grand qu’ils sont le plus souvent laissés à eux-mêmes pour se connaitre, pour connaitre le monde adulte et pour prendre la décision d’assumer leurs devoirs de citoyens.

Même si notre monde est très différent des sociétés traditionnelles, la tripartition des rites pubertaires de Van Gennep demeure tout de même pertinente pour comprendre le passage des adolescents d’aujourd’hui. En fait, le passage à la vie adulte, quelles que soient l’époque et les sociétés, équivaut toujours au franchissement d’un seuil (Van Gennep, 1981). À ce sujet, la séquence liminaire est la plus intéressante pour saisir ce qui signifie le

seuil de passage à l’âge adulte des jeunes vers l’âge adulte. Nous allons donc nous concentrer sur la notion de «liminalité» telle que théorisée par l’anthropologue Victor W. Turner (1990).

Dans son ouvrage de 1990, Le phénomène rituel : structure et contre-structure, l’anthropologue anglais Victor W. Turner reprend le concept de liminarité de Van Gennep qu’il préfère appeler «liminalité». Selon Turner, la contre-culture des années 1960 est une forme de liminalité puisque des jeunes vivaient dans une situation de marge. Leur désordre était créatif. Dans ce désordre, les jeunes expérimentaient, sous un mode extatique, les forces sacrées de transformation de l’existence (W. Turner, 1990; Jeffrey, 2019). L’exemple le plus patent et sans doute le plus contextuel de l’époque de la contre-culture est celui de la génération hippie. Cette dernière s’inscrit dans le même contexte historique que celui de l’émergence de la culture jeune en Occident par le phénomène, entre autres, de la Beatlemania (1963-1970), période de popularité monstre du groupe de rock les Beatles. L’attachement des jeunes de cette époque avec la culture hippie se veut, en fait, celui d’un état d’esprit ouvert à la libération des mœurs sociales et sexuelles, à la protection de la nature et à l’ouverture aux mystères de l’existence (Jeffrey, 2019).

Les jeunes des sociétés traditionnelles, tout comme ceux du mouvement hippie des années 1960, ne sont pas si différents des adolescents actuels: beaucoup vivent une certaine ambivalence sexuelle, tous doivent mourir à leur vie d’enfant pour renaitre dans un statut d’adulte (Dolto, 2003). Tous partagent donc une condition commune qui est celle de franchir le seuil entre l’enfance et la vie adulte. Les voies de ce passage ne sont toutefois plus tracées comme autrefois, d’où le fait que les jeunes doivent trouver eux-mêmes les savoirs initiatiques qui les amèneront à accepter les responsabilités sociales. La liminalité de W. Turner se veut donc une période d’expérimentation de toutes sortes de pratiques initiatiques (Jeffrey, Lachance, Le Breton, 2016).

Devant le prolongement de la temporalité d’accès à la vie adulte, où les ados doivent s’initier à la connaissance de soi, chacun d’entre eux expérimente les possibilités

que la vie leur offre (Jeffrey, 2016). Les pratiques initiatiques sont donc sous-jacentes au monde caractérisant la liminalité (W. Turner, 1990).

Dans la prochaine section, nous allons explorer un certain nombre de pratiques initiatiques. Ce sont des pratiques corporelles que David Le Breton appelle des conduites à risques. Elles sont présentes dans 13 Reasons Why. Nous avons choisi de parler de la vitesse au volant, de la tentative de suicide, de la toxicomanie, de l’alcoolisme et de la fugue et de l’errance.