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Les conduites à risque, selon le socio-anthropologue David Le Breton

Cadre théorique de la recherche

4.6 Les conduites à risque, selon le socio-anthropologue David Le Breton

Avant d’aborder les conduites à risque, nous désirons souligner qu’il existe d’autres pratiques corporelles qui sont plus maitrisables par les ados. Par exemple, certains d’entre eux rêvent de partir à la découverte du monde en voyageant, plusieurs font des autoportraits numériques (selfies) pour apprivoiser leur nouveau corps, d’autres se rendent dans des festivals de musique pour ressentir un sentiment d’effervescence au fait de se retrouver entre pairs ou d’autres aiment se faire tatouer pour afficher leur originalité. Il existe donc une panoplie de pratiques corporelles. Dans le cas présent, nous sommes limités aux conduites à risque présentes dans 13.

Plusieurs adolescents peuvent pratiquer des conduites à risque. Le socio- anthropologue David Le Breton en propose la définition suivante: « le terme de conduites à risque appliqué aux jeunes générations rassemble une série de comportements disparates, répétitifs ou uniques, mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger » (2014 : 13). L’exposition délibérée au risque de se blesser ou de mourir est donc tangible dans les conduites à risque. Le Breton présente quelques exemples: jeux dangereux, tentatives de suicide, errance, alcoolisation, toxicomanies, inhalation de solvants, dépendance aux jeux vidéo, au Web, troubles alimentaires, vitesse sur les routes, délinquances, incivilités, le refus d’un traitement médical vital, etc. (2014).

Pour Le Breton, les jeunes ont recours aux conduites à risque non pas dans l’optique délibérée de mettre fin à leur jour, mais plutôt pour se ressaisir, pour prendre pied dans leur

existence, même si cette démarche n’est pas consciente (Le Breton, 2014). Pour tout dire, les conduites à risque sont des détours utilisés par les jeunes qui désirent être assurés sur la valeur et le sens de leur existence. Vaut-elle la peine d’être vécue, malgré ce que peut parfois leur renvoyer un entourage dégradant à leur égard (Le Breton, 2009). Il s’agit donc toujours de solutions provisoires pour s’accrocher au monde. Les conduites à risque représentent des voies de passage privilégiées pour les ados les plus éprouvés, mais également pour ceux qui s’ennuient dans les banlieues. Dans les pratiques corporelles, les jeunes expérimentent les nouvelles possibilités de transformation liées à leur corps. Dans les conduites à risque, ils attentent plutôt à leur corps, car ils n’ont pas les ressources sociales et psychiques utiles pour affronter les batailles de leur vie.

La première conduite à risque présente dans 13 est celle de la vitesse au volant. Entre les mains des jeunes, la voiture peut devenir un instrument de maîtrise (Lachance, 2012). Leur corps est alors prolongé par la voiture, d’où le fait qu’ils sont persuadés que tout est possible. Le danger de mort est toutefois réel. En prenant un virage à toute vitesse, les ados essaient de reprendre le contrôle sur leur vie. En voulant maîtriser leur voiture, ils veulent se maîtriser eux-mêmes (Le Breton, 2009). Dans la série, le héros Alex Stendall tente de définir une part de son identité à travers la sensation euphorisante de toute puissance que lui procure la vitesse au volant.

La deuxième pratique est celle de la tentative de suicide. Dans la socio- anthropologie de David Le Breton, cette pratique doit être comprise comme une tentative de vivre, car l’objectif le plus souvent désiré est de trouver une garantie que la vie vaut la peine d’être vécue (Le Breton, 2014). La tentative de suicide vise souvent à interpeller un entourage parfois ignorant des souffrances personnelles des jeunes ou qui, en réalité, se montre tout simplement négligeant de leur offrir un environnement de vie sécurisant et stable (Dolto, 2000). Le besoin de soutien se veut donc criant pour les jeunes en détresse, et lorsqu’il n’y en a pas, la tentative de suicide est le seul moyen qui reste pour sortir d’une situation insoutenable (Le Breton, 2014). Cette conduite à risque est abordée dans la série jeune 13, et elle se manifeste dans la scène du suicide intégral du personnage d’Hannah Baker. Dans cette scène, Hannah explique avoir voulu, par son suicide, attirer l’attention de

ses pairs et de ses parents sur ses souffrances. Selon sa vision des choses, si les autres avaient été plus à l’écoute, elle n’aurait pas passé à l’acte.

La troisième conduite à risque est celle de la prise récurrente et abusive de drogues et d’alcool (Le Breton, 2015; Lachance, 2012). Selon Le Breton, par cette pratique, des jeunes tentent d’échapper à leur identité statuaire qui pèse lourd sur eux (Le Breton, 2014; Lachance, 2012). En effet, le brouillage offert par les drogues et l’alcool permet aux jeunes en difficulté de quitter la morosité de leur quotidien afin de vivre une joie intérieure que leur existence ne peut leur procurer. C’est le cas avec le personnage de Jessica Davis dans 13. Celle-ci consomme des drogues et de l’alcool dans sa chambre, et elle entraine ses pairs à la suivre dans ses gestes.

Les dernières conduites à risque présentées sont la fugue et l’errance. Il importe de faire une distinction entre les deux. Dans la fugue, un adolescent désire échapper à une réalité afin d’attirer l’attention sur sa détresse, d’où le fait que la fugue est souvent temporaire (Lachance, 2012). En effet, au même titre que la tentative de suicide, les jeunes cherchent le plus souvent à attirer l’attention de leurs parents; ils désirent une preuve de leur amour à leur endroit. Quant à l’errance, selon David Le Breton, elle doit plutôt être perçue comme une « chronocisation de la fugue », c’est-à-dire qu’elle se prolonge dans le temps. Les jeunes qui errent désirent se créer une identité nouvelle qui ne ressemblera en rien aux difficultés qu’ils vivent (Lachance, 2012 : 57; Le Breton, 2007).

Dans la série 13, certains personnages expérimentent la fugue, dont le héros Clay Jensen qui quitte son école à l’improviste pour vivre une épreuve initiatique avec son ami Tony. En ce qui concerne l’errance, c’est plutôt le personnage de Justin Foley qui la vit, puisqu’il désire quitter son espace familial toxique. La violence psychologique de sa famille l’a amené à l’errance et à d’autres prises de risque plus dangereuses, dont la consommation de drogues dures. Bref, les pratiques à risque contemporaines sont multiples, elles font partie des trajectoires de vie particulières de chaque ado. Dans la prochaine section, nous allons discuter des pratiques initiatiques au sein des œuvres de fiction.