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La périurbanité au cœur de la construction identitaire

III. La périurbanité et les « entre-deux »

2. Entre ville-campagne : l’ambivalence de ces « espèces d’espaces »

3.1 Entre la ville et la campagne

Lors des entretiens, nombreux ont été ceux à estimer que l’espace qu’ils habitent ne s’apparente ni à la ville ni à la campagne. Ils montrent la proximité de la ville, même si la dimension rurale l’emporte : « C’est pas la pure ville, tout le temps des villes. C’est pas la campagne, un minimum dynamique, on peut faire des choses dedans. » (Déborah, 18 ans, Garancières, Yvelines, 1 an de résidence) ; « C’est perdu mais proche. (…) On est en pleine campagne alors qu’on a la N12 pour aller à Paris. » (Aristide, 18 ans, Grosrouvre, Yvelines, 18 ans de résidence) ; « Je suis dans un espace intermédiaire. (…) On est au-delà des clichés. C’est pas vraiment la campagne. On est tous en tenue de ville. On a un environnement mais on n’a pas les habitants qui collent avec. On est des citadins dans un environnement de campagne. » (Emmanuel, 23 ans, Pont-sur-Yonne, Yonne, 15 ans de résidence).

Emmanuel, comme les autres jeunes cités, rend compte de l’interface paysagère et fonctionnelle du périurbain, du mélange des aménités rurales (agriculture, paysage, faibles densités) et des « signaux urbains » (origine citadine des habitants, mobilités pendulaires, comportements en termes de loisirs). La proximité avec la ville est relevée par Aristide insistant sur la bonne accessibilité de sa commune par rapport au reste de l’espace urbain. Les ressources disponibles dans les espaces périurbains sont mises en avant par les jeunes (Déborah). Comme l’avaient repéré Chalas et Dubois-Taine (1997), les pratiques émergeant dans les espaces périurbains témoignent d’une nouvelle urbanité. Les jeunes ne qualifient pas ces espaces d’urbains mais ont conscience d’habiter dans la ville émergente ou du moins dans un espace intermédiaire.

Ils font aussi apparaître dans leurs discours que l’espace dans lequel ils vivent est en train de changer. Ils ont repéré les mutations en cours. Ainsi, Aristide (18 ans, Grosrouvre, Yvelines, 18 ans de résidence) qualifie sa commune : « C’était la campagne, c’est en train de devenir un entre-deux. » Il appuie son propos sur la modification de la sociologie de la population récemment installée :

«Les gens qui arrivent ne sont plus les mêmes. Il y a beaucoup de cadres de grandes entreprises, qui veulent l’accès à tout. Ici, la voiture est indispensable. C’est agricultrice ici depuis sept générations. Aristide souligne que l’activité agricole de son père a besoin d’être complétée par celle qu’exerce sa mère : gérante d’une pension de chevaux.

Aristide rend compte de la légère reprise du solde migratoire depuis 199948, sans que comme si c’était la banlieue. Je trouve ça nul. On est dans un autre endroit, pas en Ile-de-France mais c’est comme si. Par exemple, y’a deux nouveaux lotissements.

Dans un lotissement, c’est comme dans une cité en moins cliché qu’une cité. C’est des maisons quand même. Les gens se connaissent tous. Ils sont tous de la même famille.

Ils se côtoient tout le temps. Ils font des barbecues ensemble. Ça paraît cliché. C’est que des Congolais, des Ivoiriens, des Antillais ou des Arabes. Dans l’autre lotissement, y’a de tout. Des Asiatiques, des Africains, des Antillais, des Français. (…) Moi, j’habite dans le côté le plus calme de Champigny. Ma maison, elle est pas dans un lotissement. » (16 ans, Champigny, Yonne, 2 ans de résidence.)

La durée de résidence de Jessica a beau être réduite, son discours rend compte d’évolutions paysagères qui doivent être le résultat de ses propres observations comme d’une reprise des propos que ses parents ou ses amis peuvent formuler. La commune de Champigny a atteint en 2009 2142 habitants contre 1898 en 1999. Ce n’est pas tant le chiffre de la population qui peut être ressenti comme un changement important. La densité de population a quasiment doublé entre 1968 (54,8 hab./km2) et 2009 (100 hab./km2). La structure socio-professionnelle de la population n’a quasiment pas changé par rapport à 1999. L’accroissement de la population s’est ralenti par rapport aux années 1975-1990, temps fort de la périurbanisation. Le solde migratoire n’est plus que de 0,9% par an contre 3,7% par an entre 1975 et 1982. Pourtant, le discours de Jessica fait référence à un solde migratoire important. Les nouveaux arrivants constituent des minorités visibles, l’origine ethnique des arrivants attirant l’attention y compris de Jessica, originaire du Congo-Brazzaville. Elle a l’impression d’être rattrapée par la banlieue et lit dans la composition ethnique des lotissements des processus de ségrégation (Lambert, 2015).

L’évocation des changements au niveau morphologique est fréquemment mise en évidence par les jeunes rencontrés.

« La population augmente. Y’a plein de lotissements qui se construisent. A la place des champs, y’a des maisons. (…) Ça gâche un peu le village. C’est pas de belles maisons. Elles se ressemblent toutes. Elles sont trop collées. » Thomas, 16 ans, Marolles-sur-Seine (Seine-et-Marne), 8 ans de résidence.

48 La commune a connu trois vagues d’arrivées de nouveaux habitants (1968-1975 : 3%/an, 1982-1990 : 2,2%/an, 1999-2009 : 1,3%/an).

49 http://www.statistiques-locales.insee.fr/FICHES/DL/DEP/78/COM/DL_COM78289.pdf

Figure 30 - Le lotissement en face de chez Thomas, Marolles-sur-Seine

Photographie : Catherine Didier – Fèvre

« Beaucoup de nouvelles constructions. C’est en opposition avec ce qu’il y avait avant. (…) Ce sont des lotissements, qui se sont construits en plusieurs années sur des tout petits terrains. (…) Moi, ça me gêne pas. Ceux qui sont gênés sont les personnes âgées. Ils voient que c’est modifié. Ça commence à ressembler à une ville. » Eloise, 17 ans, Marolles-sur-Seine (Seine-et-Marne), 15 ans de résidence.

Ces jeunes se rendent compte des mutations qui affectent leur commune. Ils accompagnent ce constat d’une analyse sociologique et morphologique des évolutions en cours. Celles-ci remettent en cause l’image qu’ils pouvaient avoir de leur commune.

Thomas, en dénonçant la modification paysagère, rejette ce qui fait, pour lui, la ville : la densité.

Le fait que les espaces périurbains soient dans un état transitoire entre ville et campagne participe à la difficulté que les jeunes ont de s’identifier à eux. Ils sont conscients des ressources paysagères que ces espaces leur offrent même s’ils n’oublient pas de signaler les carences en termes de services et de mobilités qui les caractérisent.

Ils ont conscience de la ville en train de se faire et essaient d’en rendre compte.