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La périurbanité au cœur de la construction identitaire

2. Un rapport adolescent ambivalent aux espaces habités

À travers les images projetées par les élèves lors de leur exposé, au-delà des essais de typologie menée plus haut46, apparaissent plusieurs postures de l’adolescent vis-à-vis des espaces périurbains.

2.1 Le désir de montrer que l’on habite pas n’importe où

La présentation des images a été l’occasion de se mettre en représentations. Les images (de la commune) n’ont pas été choisies au hasard, les élèves disposant d’un délai de quinze jours pour se les procurer ou les réaliser. S’il n’était pas question de travestir la réalité de leur commune, une « recherche de singularité dans la banalité » a été menée

46 Les trois types d’image mises en avant ne sont pas limitatives. Le lavoir peut être à la fois un lieu de sociabilité (lieux du quotidien) et un lieu patrimonial.

pour valoriser ou du moins donner une image positive des espaces habités, leur donner du sens.

Les jeunes ayant eu recours à ce choix de lieu pour représenter leur commune ont ainsi cherché à montrer que ce lieu avait une identité, une singularité, une histoire. Ont été sélectionnés par les jeunes des « monuments » de leur commune et parfois très originaux, comme en témoigne la photographie choisie par Luc. Les curiosités locales de tout type (éolienne ancienne, pont détruit pendant les bombardements de la seconde guerre mondiale…) sont exploitées afin de mettre en valeur la commune. Par leurs commentaires, ils mettent en récit leur commune, en font des lieux de mémoire (Nora, 1997).

Figure 27 - Photographie d'Égriselle-le-Bocage (Yonne)

Photographie choisie par Luc sur le site de la commune d’Égriselle-le-Bocage : http://www.egriselles-le-bocage.net

En mettant en avant ces lieux, ils les apparentent à des hauts-lieux, à entendre comme : « ...un lieu emblématique du territoire. Il le structure par le biais des pratiques qu’il peut susciter, par exemple par des « pratiques pérégrinales », dont peuvent découler des réseaux de toutes sortes et des activités économiques. Ils contribuent également à la territorialité d’une communauté : ils sont à la fois « des repères et des aimants vers lesquels convergent ceux qui les reconnaissent comme tels. » (Clerc, 2004). Ils symbolisent et incarnent la singularité d’un territoire en questionnant le sens des lieux et le sentiment d’appartenance ainsi que sa pratique (Debarbieux, 1983 ; Desjardins, Fleury, Berroir et Queva, 2014 ; Vienne, Douay, Le Goix et Severo, 2014) qui en fait un espace en perpétuelle évolution (Cresswell, 2014). Ils ont un statut particulier « en égard à l’imaginaire qu’il suscite et à la symbolique qu’on lui reconnaît » (Bédard, 2002, p. 51) et sont le reflet de la société dans laquelle ils s’inscrivent : lieu de fierté ou de sociabilisation.

2.2 Insister sur ses sociabilités

Se mettre en scène, montrer qu’on a des amis et que le village est notre territoire est un autre aspect des commentaires ayant accompagné la photographie de la commune (voir Brenda plus haut). C’est une particularité des photographies montrées par les jeunes des espaces périurbains, ceux des espaces urbains n’ayant pas du tout évoqué leurs sociabilités. Un lieu « digne d’intérêt » peut être le support à cette sociabilité adolescente, sans que ces lieux ne soient exclusifs.

Figure 28 - Photographie de Fontaine-la-Gaillarde (Yonne)

Photographie d’Énora (2013)

« J’habite un petit village à 7 km de Sens qui s’appelle Fontaine la gaillarde. C’est un village d’à peine 500 habitants. Cela explique pourquoi je n’ai pas pris de photos à un endroit où il y a des gens, car pour moi Fontaine est un village un peu triste et loin de tout (Même si on peut vraiment passer de très bons moments si on est bien accompagné). La photo que j’ai prise représente le cœur du village avec l’église et le lavoir qui est très joli au printemps, qui Énora ne met pas seulement en avant le patrimoine de son village mais la convivialité y régnant lorsqu’elle vient à cet endroit avec ses amis. Elle ne cache pas aussi les mauvais côtés de sa commune : petit nombre d’habitants, triste, loin de tout. Mais, pour rendre compte de son village, elle a fait le choix de montrer ce qui était le plus charmant. C’est d’ailleurs cet endroit qui compte dans sa sociabilité. Il y a donc bien une relation dynamique entre l’acteur individuel et l’objet périurbain. Ce dernier est un espace pratiqué, investi et approprié même si les jeunes regrettent son manque d’aménité.

2.3 Un état transitoire témoin de la construction identitaire

En dehors de ceux qui valorisent leur commune en insistant sur ses particularités ou en exposant leurs sociabilités, le choix de lieux du quotidien ou d’un panorama paysager témoigne le plus souvent d’un état transitoire de la construction identitaire. Le repli sur la maison, le choix de présenter des axes de communication ou un bâtiment administratif tel que la mairie montre que le rapport à la commune de résidence est ambivalent. Cette ambivalence est liée à leur histoire personnelle, résidentielle ou à l’histoire de la commune mais aussi à la localisation résidentielle en périphérie de village ou dans un hameau (Pinson, Thomann, 2002), l’ensemble de ces facteurs se combinant.

Cet état est instable, en construction permanente comme en témoigne l’attachement à sa commune apparue chez Marianne au cours de ses études supérieures. Lycéenne, elle ne se sentait pas de Villeneuve-sur-Yonne, étudiante en classes préparatoires à Paris, habiter là est une manière de se distinguer des autres, quitte à être « le mouton noir » de la classe. Voilà ce qu’elle disait à 16 ans : « Si on me demande d’où je suis, je dirais que je suis de l’endroit où j’habite. Mais, je n’irais pas m’inventer une identité. Je n’en parlerai pas.

Je sais pas ce que j’aurais à dire. Pour moi, Villeneuve-sur-Yonne, j’y vis et c’est tout. » Et ce qu’elle en dit après une année de classe préparatoire au Lycée Fénélon à Paris : « Les élèves de la classe me trouvent très exotique ! (…) Je me suis faite remarquer ! J’aurais pas dû ! En Histoire, on a parlé des petites villes comme Villeneuve-sur-Yonne qui dépendaient du roi. (…) Et là, la prof elle dit : "J’ai pas eu l’occasion de visiter des petites villes fortifiées mais il doit y en avoir encore aujourd’hui". J’ai dit : "Ben oui. Y’en a encore ! Alors je leur ai expliqués". (…) On m’a pris pour un petit oiseau tombé du nid. » Son regard sur la commune a changé et ne cesse de changer au fil des rencontres (voir chapitre 6). Plus elle s’éloigne, pour ses études, de sa commune, plus elle développe un sentiment de la perte de quelque chose. Elle valorise, par le biais de la patrimonialisation, cette commune qu’elle trouvait très banale quand elle était lycéenne.

Le parcours de Marianne montre à quel point, dans le cadre de la construction identitaire, son rapport à l’espace habité est complexe, en devenir constant. Le terme

« périurbain », donné à ces espaces entre la ville et la campagne, en construction, s’applique d’autant mieux à ces jeunes, eux mêmes en construction.