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La périurbanité au cœur de la construction identitaire

I. Un ancrage différencié au territoire périurbain

3. Ceux de nulle part, ceux perdus dans les entre-deux

La mention de Nulle part insiste sur le fait que le jeune ne revendique pas un lieu particulier dans sa construction identitaire. Cela ne semble pas toujours rendre compte d’un jugement péjoratif sur le lieu habité.

Ainsi, Léa (Courlon-sur-Yonne, Yonne, 17 ans, 17 ans de résidence) présente la commune périurbaine qu’elle habite : « J’aime bien. Y’a quelques commerces. C’est un village sympa. Y’a au bord de l’eau des jeux pour les enfants, un stade. À peu près 1300 habitants. J’aime bien. Y’a plein de champs autour. À un moment, c’est en hauteur et y’a une belle vue. » Pourtant, elle ne s’estime pas de Courlon.

« Je sais pas pourquoi. J’ai plein de souvenirs à Courlon mais je fais pas grand chose pour le village à part fréquenter les commerces. Je préfère la maison de campagne.

42 Association Les Tropiques, créée en 2003 à Villeneuve-La-Guyard, avec pour objectif : organisation de soirées, fêtes, sorties, voyages, etc., tous loisirs ; regrouper, aider et retrouver l’ambiance de l’île de la Réunion pour les Réunionnais vivant dans l’entourage de Villeneuve, voire pour les autres personnes intéressées par l’association.

À Pargues, j’y vais chaque été pendant un mois avec mes cousines. C’est un tout petit village mort. (…) Mais, là-bas, la maison, elle a du caractère : une grosse maison avec deux granges de chaque côté, des poutres apparentes, des grosses pierres au sol, du vrai parquet… Mais, y’a pas de chauffage… »

Il semble que l’ancrage de Léa ne peut se faire que si le patrimoine immobilier le justifie.

Elle est très critique sur le confort du logement qu’elle occupe avec sa mère à Courlon :

« Il est bien placé, au bout d’une voie sans issue, tout en haut. Mais, c’est un pavillon. En plus, la maison est pas finie. La terrasse est pas carrelée, la salle de bains est pas finie, les murs sont sans crépis. »

Figure 18 - La maison de Léa (Courlon-sur-Yonne, 89)

Source : Photographie de Léa

Juliette (Saint-Valérien, Yonne, 18 ans, 9 ans de résidence) s’estime « Fière de Saint-Val.

Car, c’est un village au dessus des villages alentours. Ils ont fait des efforts. » mais elle ne sait pas quoi répondre quand il s’agit de dire d’où elle est. « Je sais pas trop. J’ai grandi dans l’Yonne. Je vais rester dans le coin plus tard quand j’aurai fini mes études. » Elle estime qu’elle se doit d’habiter à proximité de ses parents dans le futur. « On leur devra de continuer à les voir régulièrement. C’est une manière de rendre la monnaie de la pièce.

Ils se sont saignés. Faudra pas les jeter. Si je reste ici, c’est par rapport à eux. » Les propos de Juliette sont très forts. Ils font référence à l’investissement en temps comme en argent de ses parents dans les loisirs de leurs enfants. Le père de Juliette (âgé de plus de 60 ans) a cessé son activité de vendeur de cuisines équipées pour se consacrer à ses enfants afin de leur permettre d’exercer des activités de loisirs très prenantes

(l’équitation pour Juliette et le tennis pour son frère). Juliette a suivi de nombreux cours et a même été scolarisée dans un lycée spécialisé à Fontainebleau quand elle était en classe de seconde. Elle suivait des horaires aménagés afin de pratiquer à un très haut niveau l’équitation. Son père faisait les navettes entre leur domicile et le lycée. Mais, cette formation a été ensuite abandonnée par la jeune qui a repris un cycle de scolarité, à partir de la classe de première, au lycée de Sens. Juliette est encore très prise tous les week-ends pour participer à des concours d’équitation dans la France entière. En comptant l’achat (à crédit) du cheval, du van, les déplacements et les engagements pour les concours hippiques, elle estime que ses parents investissent 1200€, pour elle, chaque mois. C’est à cette somme qu’elle fait allusion dans ses propos.

Dans le cas de ces deux demoiselles, une poursuite d’études a été envisagée et réalisée à l’extérieur de l’espace périurbain. Léa suit actuellement une première année de licence en sociologie à l’Université Descartes (Boulogne-Billancourt). Elle réside chez sa grand-mère et elle ne rentre qu’aux vacances scolaires chez sa grand-mère préférant passer ses week-ends en région parisienne. Juliette fait des navettes quotidiennes en train entre Saint-Valérien et Paris43 pour suivre une classe préparatoire au concours d’entrée dans des écoles d’orthophonistes. Ce ne sont pas tant des considérations budgétaires et économiques qui expliquent les recompositions territoriales en cours chez ces deux jeunes mais la place tenue par la famille dans ce processus : l’une s’émancipe des espaces périurbains en s’appuyant sur l’opportunité offerte par la localisation résidentielle des ascendants alors que, pour l’autre, la famille nucléaire légitime des navettes pendulaires et maintient la jeune dans un territoire.

L’attachement au territoire périurbain ne doit pas être considéré de manière réductrice.

L’ancrage n’empêche pas d’aller ailleurs. Mobilités et ancrages ne s’opposent pas systématiquement. Ne retenir que cette opposition ne permet pas de rendre compte du panel des mobilités et des ancrages. L’ancrage est une notion complexe ne se réduisant pas à l’attachement à un lieu unique. Les jeunes dont il est question ici ne peuvent souvent se référer qu’à un lieu à ce moment de leur vie. La thématique de l’ancrage prend sans doute plus de sens si elle est mise en perspective par rapport à un parcours de vie plus long. Être ancré dans un territoire à 17 ans ne conditionne pas la vie à venir.

L’ancrage ne doit pas être vu de manière définitive. Au fil de la vie, les lieux de territorialité auxquels l’individu fait référence vont s’enrichir, chacun ayant peut être des statuts différents.

43 Détentrice du permis de conduire, elle va en voiture jusqu’à la gare de Sens.

II. Les espaces périurbains au cœur de la