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La périurbanité au cœur de la construction identitaire

III. La périurbanité et les « entre-deux »

3. Les géosymboles de la périurbanité

3.3 La maison individuelle : un marqueur social à transmettre

Deux éléments apparaissent dans les discours tenus par les jeunes interviewés comme dans les commentaires laissés par ceux qui ont répondu à l’enquête en ligne. La maison est porteuse d’un statut social que les jeunes ont souvent à cœur de le mettre en valeur.

Les équipements comme les matériaux de la maison sont fréquemment mentionnés :

« Maison possédant 10 pièces, grande salle, étage type "mezzanine". Maison possédant des panneaux solaires. » Vincent, 18 ans, Marsangy, Yonne.

« Maison ancienne en pierres de meulière apparentes. Grande maison sur trois étages (grenier compris) avec un grand jardin et un garage. » Marine, 16 ans, Gambais, Yvelines.

« En forme de L, blanche, avec un garage en dessous, avec une dépendance, avec un four à pain à l'intérieur, ainsi qu'une piscine à côté et un très grand jardin avec des pommiers et des sapins. » Marie, 18 ans, Bagneaux, Yonne.

La plupart mettent en avant les particularités de l’espace habité et sont soucieux de raconter son histoire.

« Ma maison est une maison d'architecte, très grande, en pleine campagne. » Émilie, 19 ans, Thorigny-sur-Oreuse, Yonne.

« Maison des années 30 atypique avec des fenêtres volumineuses et une vieille véranda en fer forgé en guise d'entrée. Elle a un crépi blanc cassé et comporte 2 étages (excepté le grenier). Elle a 4 chambres, une salle de jeu, une cuisine, une salle de bain... » Olivia, 18 ans, Gron, Yonne.

« Ma maison, elle est un peu vieille, avant c'était un garage à bus scolaires, et encore avant, une étape pour les bœufs qu'on acheminait vers Paris. Elle est donc assez vieille, assez grande aussi, bordée d'une terrasse, avec une véranda et deux étages. » Elsa, 17 ans, Villethierry, Yonne.

Le caractère de la maison et son aspect patrimonial, son histoire, sont soulignés comme son apparence. Si la mention de la couleur des façades et des volets revient très souvent dans les descriptions, les intérieurs sont rarement décrits. La maison signe le statut de l’occupant et la façade en est la mise en scène (Larceneux, 2011). Elle indique qui habite là et les architectes comme les promoteurs ont bien compris les enjeux qu’il y avait à tenir compte de cet aspect. « La maison nous apprend aussi à paraître (ce qu’elle permet encore plus parfaitement que notre costume ou notre voiture), c’est-à-dire aussi à être, dans la mesure où, par le style de notre existence, nous nous révélons à nous-mêmes et aux autres. Ce faisant, elle nous situe, nous « cale » en un point précis de l’échiquier social, délimite nos connaissances et nos désirs, nous assure de la véracité de notre moi en l’intégrant dans l’ordre rassurant de la collectivité. » (Pezeu-Massabuau, 2000, p. 137).

Les témoignages des jeunes font très souvent référence au fait que leur famille est propriétaire de ce bien, notamment chez les plus modestes (Rougé, 2012). Par la forte mobilisation financière51, physique et morale que représente l’acquisition d’un logement, la maison est un « espace de projection et réservoir de sens » (Bidou, 1984, p.

68). Acheter un bien est un acte majeur engageant sur plusieurs années, porté par une idéologie valorisant le fait d’être propriétaire tant au niveau sociologique qu’individuel.

La démarche d’investissement est souvent vue comme une initiative rationnelle alors que le subjectif joue un rôle fondamental dans la pratique. De cet achat, sont attendus un gain de sécurité et de sécurisation, un gain psychologique, un gain d’appartenance et un gain financier. Protection, ancrage, valorisation motivent les candidats à l’accession à la propriété. L’habitat est un élément de distinction permettant de valider un statut (Bourdieu, 1972) : « Cette maison rêvée peut être un simple rêve de propriétaire, un concentré de tout ce qui est jugé commode, confortable, sain, solide, voire désirable aux autres. Elle doit satisfaire l’orgueil et la raison, termes inconciliables. » (Bachelard, 1978, p. 68).

51 « En 1978, le patrimoine des ménages représentait en moyenne quatre années de revenu. En 2000, ce chiffre avoisine sept années. » (Coloos, 2002, p. 315)

La maison familiale représente à la fois le confort et la sécurité tout en délimitant l’espace intime. Liée à l’histoire personnelle (Marre, 2012, Andreu, 2009), elle participe à l’ancrage dans l’espace. La promotion du cocooning, depuis les années 1980 (Serfaty, 2003b), met en avant la fonction de refuge de la maison par la recherche du confort et de sécurité. Elle diffère de la nidification qui, si elle insiste sur l’idée de confort, ne prend pas en compte un monde social environnant pouvant être vécu par les habitants comme agressif. Le cocooning revendique un droit à l’intimité personnelle et familiale, une demande de confort en opposition avec le monde extérieur. « L’homme est donc essentiellement nu, le plus nu des animaux, et la maison est son vêtement, son armure et son refuge. » (Pezeu-Massabuau, 1993, p. 15). La maison est véritablement un géosymbole, un point d’ancrage dans l’espace permettant de trouver sa place, y compris quand le jeune a peu d’appétences avec l’espace dans lequel il vit. C’est bien la preuve que les espaces périurbains sont porteurs de sens pour leurs habitants – même si le paysage et le mythe villageois sont des géosymboles plus instables que la maison individuelle – et jouent un rôle dans leur construction identitaire.

Conclusion

« La conscience de notre propre identité est une donnée première de notre rapport à l’existence et au monde. Elle résulte d’un processus complexe qui lie étroitement la relation à soi et la relation à autrui. » (Marc, 2009, p. 29). Ce phénomène dynamique qui intervient et évolue tout au long de l’existence est particulièrement actif à l’adolescence.

Basé sur « un double mouvement d’assimilation et de différenciation, d’identification aux autres et de distinction par rapport à eux » (Marc, 2009, p. 30), « l’identité prend support des groupes plus larges : milieu local, groupe d’âge, classe sociale, ... » (Marc, 2009, p. 33).

Aussi, le fait d’habiter dans les espaces périurbains n’est en rien anodin dans le processus identitaire. Les jeunes des espaces périurbains (caractérisés par des difficulté d’accessibilité en dehors de l’automobile, logique de l’écart, logique du monde ségrégé, Cailly, 2004) développent un attachement différencié à ces espaces, qui n’est pas la simple conséquence d’une durée de résidence plus ou moins longue mais le reflet du rapport que les jeunes entretiennent avec la périurbanité de ces espaces. La diversité de leurs points de vue sur les espaces périurbains met à mal l’existence d’une « périurbanité partagée, c’est-à-dire d’un ensemble de valeurs et de qualifications nouvelles que les acteurs mobiliseraient spécifiquement ». (Bonard, Lord, Matthey et Zanghy, 2009, § 10).

Ils ont conscience de l’apparition des formes d’une urbanité liminale, échappant aux catégories ville / campagne et que le périurbain est bien le lieu de la fabrique de la ville.

Ceux qui viennent d’espaces urbains denses développent une grille de lecture peu favorable aux espaces périurbains alors que les natifs ou les plus jeunes ayant grandi dans les communes périurbaines ont un regard plus nuancé sur les espaces qu’ils habitent. Des géosymboles émergent dans les discours juvéniles. Le paysage et le mythe villageois servent à singulariser sa commune de résidence et à montrer que cet espace a

une identité. La maison individuelle symbolise aussi cet imaginaire périurbain, en tant que marqueur social, signe d’un accès à la propriété.

Ces représentations sur ces espaces permettent d’aborder quelques éléments constitutifs d’un capital d’autochtonie (Bozon et Chamboredon, 1980 ; Retière, 1994) des jeunes vivant dans les espaces périurbains. Car, que les espaces périurbains soient appréciés ou pas par les jeunes, ces derniers s’efforcent d’exploiter la proximité, c’est-à-dire « l’ensemble des ressources que procure l'appartenance à des réseaux de relations localisées » (Renahy, 2010) à leur disposition afin de valoriser leur position spatiale. Ils se refusent à les considérer « comme des non-lieux ou des non-paysages, bref des territoires sans légitimité, sans signification (Choay, 1992), sans avenir et sans âme (Lafarge, 2003) ». (Desnoilles, Bédard et Augustin, 2012, p. 5) La maison, la maisonnée ou le « domaine » pour reprendre une expression utilisée par Michel Lussault52 (2007) sont des lieux d’appartenance sur lesquels s’élabore, se renforce l’identité de ces jeunes et se forge un Habiter périurbain.

52 « aire qui s’inscrit dans l’habitat d’une personne ou d’un groupe restreint – une famille, un clan. » p. 123.

Chapitre 3