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Les échelles du chez-soi périurbain

III. Des espaces domestiques à la rue

2. Les lieux de la commune périurbaine

2.2 Les lieux qui font territoire

Plus qu’une déambulation, au hasard des rues et des chemins, sans but précis, les discours recueillis sur les pratiques de mobilités pédestres dans les villages font apparaître qu’elles sont assimilables à une pérégrination. Contrairement au fait de déambuler, la pérégrination (Wiel et Rollier, 1993) ne laisse que peu de place au hasard, elle a un but, elle permet de faire le lien entre des lieux porteurs de sens (Pinson et Thomann, 2001) et participe à la construction de leur identité. Ce « goût de la pérégrination » (Cailly, 2004, p. 92) est ponctué de haltes plus ou moins longues dans des lieux choisis avec soin (subtile combinaison entre confort, centralité et/ou discrétion selon les usages).

Ainsi, comme dans les espaces ruraux (Renahy, 2006), les arrêts de car constituent un point de rencontre en soi ou des lieux de rendez-vous avant une promenade dans le village. En cela, la pratique de la proximité dans les espaces périurbains se rapproche de celle constatée dans des villages ruraux alors que ces habitudes ne sont pas notées dans les espaces urbains66.

Figure 44 - L'arrêt de car, lieu de rendez-vous des adolescents

Source : photographie de Catherine Didier-Fèvre, Marolles-sur-Seine, 2012

D’autres « micro-lieux » (Henry, 2007) sont également cités comme « spots » : l’entrée du lotissement (où habite le groupe d’amis), la place du village mais aussi des lieux emblématiques (devant le collège, devant le gymnase). L’existence d’un square dans le village peut constituer une autre polarité juvénile au grand dam des adultes. Ainsi, à Houdan, la coulée verte est investie par les jeunes, tandis que les habitants adultes disent éviter cet espace le soir pour ne pas avoir à les croiser. De même, à Domats, le square annexe au monument aux morts est un espace de retrouvailles pour quelques jeunes (couples d’amoureux ou groupe d’amis).

66 Un sondage réalisé auprès de 150 élèves du lycée de Sens, dans le cadre d’une recherche de Master, fait apparaître que les jeunes urbains se rendent à un arrêt de bus uniquement dans le but d’emprunter ce moyen de transport alors que les jeunes ruraux et périurbains font de cet endroit un lieu de rendez-vous en soi.

Figure 45 - Square de Domats (89)

Source : Géoportail

La salle des fêtes est citée comme un autre point de rendez-vous. « C’est calme, y’a de quoi s’asseoir. On y est bien, c’est retiré de la route. » nous dit Amélie (18 ans, Vinneuf, Yonne). Les discussions, qu’elle y tient avec ses amis, peuvent durer tout l’après-midi d’un week-end ou pendant les vacances. Mais, le plus souvent, la salle des fêtes est le point de rassemblement pour entamer une pérégrination dans le village. Amélie a pris, depuis toute petite, l’habitude de ces promenades avec ses parents ou/et les amis de ses parents le soir et le week-end. Dans le cadre de schémas de socialisation manifeste (Mead, 1963), elle reproduit ainsi les pratiques familiales : ici une marche qui avoisine 7 kilomètres.

Figure 46 - La salle des fêtes, lieu de rendez-vous des adolescents

Source : photographie de Catherine Didier-Fèvre, Vinneuf, Yonne, 2011

Figure 47 - Pérégrination d'Amélie et ses amis, Vinneuf (Yonne)

Source : Géoportail

Se dessine, au fil des récits de promenades, une géographie des lieux juvéniles basée sur l’exploitation des ressources de la proximité. La pérégrination permet de faire le lien entre ces lieux, de les agencer (Lévy, 2013). Certains d’entre eux, non seulement investis mais appropriés, sont centraux dans le processus identitaire que vivent les individus à cette période de leur vie. La maison constitue le pivot de ce système spatial. Elle est à la fois le point de départ de la pérégrination ou un point de ralliement quand un autre lieu n’a pas été choisi. Lors de ces promenades ou stations, la convivialité est reine

Conclusion

« Habiter, dit-on, c’est fabriquer des sphères ou des cellules immunitaires (P. Sloterdijk), des bulles (A. Moles), des enveloppes (D. Anzieu), des milieux métaboliques à l’intérieur desquels les habitants façonnent leur intimité » (Besse, 2013, p. 55).

La chambre est la première de ces enveloppes en tant que lieu plébiscité par tous les adolescents, qu’ils habitent une maison individuelle ou pas, qu’ils vivent à la ville, à la campagne ou dans les espaces périurbains. Centrale dans la géographie domestique des

adolescents, elle est à la fois un lieu d’appropriation et de prise d’indépendance, entre intériorité et extériorité.

De même, la maison individuelle permet de mettre à distance les autres, leur présence visuelle comme acoustique. Elle apparaît pour jeunes et moins jeunes comme le siège de l’intimité en réduisant par la distance avec le voisin, « cet inconnu familier » (Paris, 2004), les porosités existantes dans l’habitat collectif ou avec la ville. « Car la maison est notre coin du monde. » (Bachelard, 1978, p. 24), elle tient une place essentielle dans la géographie personnelle des individus. Elle rend compte de notre relation au monde et participe de l’ancrage des populations à un espace.

Percevoir cette relation est difficile car rendre compte du lieu de vie habité mais aussi de ce que la personne y projette et de son intimité, de ce qui fait son « chez-soi » est compliqué. « La maison nous enseigne bien davantage qu’à « sentir » individuellement chaque membre de notre famille : elle nous en montre l’existence collective et tous les rouages du mécanisme clos et immuable qui en règle le déroulement. » (Pezeu-Massabuau, 2000, p. 67). Ce qui fait que l’espace domestique devient foyer et prend un sens particulier tient à la place que chacun des membres de la « maisonnée » occupe dans ce micro espace et comment la vie de chacun s’organise en fonction des uns et des autres, tout en permettant à chaque individu d’exister.

La maison est le point de départ d’une relation que l’habitant entretient à un territoire, une famille, à l’histoire, à la société. C’est aussi un capital social, culturel et économique.

La notion de distance des autres à soi est centrale à la fois au sein du logement comme avec les voisins. « La terreur du voisin, c’est la crainte du hasard, et cette crainte est d’autant plus forte que le hasard est plus grand. » (Raymond, Haumont, Dezès, 2001, p.

89). La maison individuelle apparaît pour tous, quelque soit le type d’espace qu’ils habitent, comme une garantie contre autrui et ses intrusions. Elle permet de limiter les risques.

Si des jeunes vivant dans les espaces périurbains vivent repliés sur le domicile familial, l’échelle du quartier n’est pas à négliger dans ces espaces présentant des espaces intermédiaires qui peuvent être investis par les jeunes sans qu’il soit nécessaire pour eux de disposer de moyens de transport. La morphologie périurbaine et la taille réduite de la commune permettent un investissement de ces échelles. Un compromis entre attachement familial et prise d’indépendance émerge lors de pérégrinations juvéniles qui donnent sens au territoire périurbain. L’Habiter ne se limite pas à se loger mais renvoie au rapport entre habitat (espace) et habiter (spatialité) qui permet de comprendre la dimension spatiale des sociétés.