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des « Espèces d’Espaces »

I. Méthodes multiples pour public juvénile diversifié

2. Jeunes des villes, jeunes des champs

Ces différentes méthodes ont été mises en œuvre auprès d’un public juvénile dont la présentation suit.

2.1 Des lycéen(ne)s, des étudiant(e)s

Les jeunes, objets de cette recherche, sont des lycéens ou des étudiants, anciens élèves des lycées retenus. Les quatre-vingt cinq jeunes rencontrés ont tous la particularité d’avoir été volontaires pour accorder un entretien dont la durée a pu varier entre 45 minutes et une heure et demie. En fonction des lycées, les échantillons révèlent quelques différences (annexe 2) tant au niveau de la moyenne d’âge que du sex-ratio, sans que des écarts importants n’aient été relevés25. Les entretiens individuels ont été menés, dans les locaux des différents lycées, selon un planning établi par les enseignants d’histoire-géographie ou de BTS. Ces derniers, contactés par le biais de notre réseau professionnel, ont recruté des volontaires résidant dans des communes périurbaines listées par nos soins. Très peu d’indications sur le contenu de l’entretien ont été données : la grille d’entretien (annexe 3) n’a pas été communiquée aux enseignants, ces derniers avaient seulement connaissance du thème des recherches : « une enquête sur les mobilités des jeunes qui vivent dans les espaces périurbains ». Le peu d’informations sur l’entretien a fait dire à Guillaume (17 ans, Montigny-Lencoup, Seine-et-Marne) : « Je m’attendais pas à des questions aussi réflexionnelles (sic) ! » à propos de l’exercice d’imagination de sa commune dans dix ans.

Alors que la composition du panel des jeunes ayant participé aux entretiens comme à l’enquête menée par les élèves est globalement équilibrée, un déséquilibre important du sex-ratio est à noter pour les sondages en ligne. De même, ceux sondés en ligne ne sont pas seulement issus des communes de recrutement des trois lycées, mais se répartissent sur l’ensemble de l’hexagone. Aussi, ces réponses, hors terrains, ne seront utilisées qu’en complément : les contextes périurbains n’étant pas tous identiques et comparables.

2.2 Des profils sociologiques variés

De même, le profil sociologique des enquêtés mérite d’être pris en compte. C’est d’ailleurs l’une des lacunes majeures du sondage en ligne sur la maison, les données sociologiques ayant été « oubliées » lors de l’établissement du questionnaire. Cela limite l’exploitation de la base de données puisqu’il n’est pas possible de croiser la situation socio-professionnelle des parents avec le ressenti des jeunes sur leur domicile. Ce

25 La moyenne d’âge plus élevée de l’échantillon issu du lycée de Sens s’explique par la présence d’un nombre plus important d’étudiants, anciens élèves du lycée que nous avons suivis.

manquement a été corrigé lors de la mise en place d’une enquête en ligne sur le dix-huitième anniversaire.

Les jeunes ayant participé aux entretiens présentent un profil sociologique similaire à la situation des lycées dans lesquels ils sont inscrits (figure 8 et annexe 1). Un net différentiel est à noter entre les deux établissements situés sur le terrain Est et celui de l’Ouest francilien où la part des cadres et professions intellectuelles supérieures y est très forte. Bien que ces trois établissements aient été choisis pour leur offre scolaire identique, le profil sociologique des élèves y est très nettement différencié. Cette spécification sociale doit rester présente à l’esprit tout au long de l’analyse, d’autant que les contextes périurbains dans lesquels se situent les établissements scolaires ne sont pas identiques.

Figure 8 - Profil sociologique des parents des élèves inscrits dans les trois lycées

source : base élève des trois lycées

Le tableau récapitulatif des situations propres à chaque jeune (annexe 4 et annexe

« volante ») fait apparaître le métier des parents mais aussi la situation familiale. Les ménages bi-actifs sont très nombreux, la mono-activité ne concernant qu’un peu plus d’un couple sur dix, à la fois sur le terrain Est et Ouest. Dans la quasi-totalité de ces cas (à une exception près), c’est l’épouse qui n’exerce pas d’activité professionnelle. Ce constat correspond à la situation décrite dans les études sur les actifs périurbains (Bouleau et Mettetal, 2013 ; Bouleau et Mettetal, 2014 ; Berger, Jaillet, Bonnin-Oliveira, Rougé, Aragau et Desponds, 2012) et va de pair avec des emplois féminins localisés plus fréquemment à proximité du domicile par rapport à celui des hommes. Ces derniers sont plus nombreux à exercer une activité professionnelle localisée dans le centre de Paris ou en banlieue et à réaliser des mobilités quotidiennes plus longues, qu’elles soient effectuées en voiture individuelle ou en transports en commun. Ces détails nous ont été donnés spontanément par les jeunes quand ils ont évoqué leur trajectoire résidentielle.

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2.3 Des trajectoires résidentielles multiples

Au terme « parcours résidentiel » a été préféré à celui de trajectoire, très utilisé par les démographes (AIDELF, 2014). L’évocation par les jeunes des différentes adresses qu’ils ont occupées par le passé et leur mise en relation avec des évènements très précis au cours de leur histoire familiale nous ont amenée à considérer que ces mobilités résidentielles s’inscrivaient davantage dans une perspective de trajectoire, résultat d’un ordre intelligible et non du fruit du hasard. (Grafmeyer, Authier, 2008). Les jeunes du terrain Est (annexe 4) ont occupé en moyenne 2,37 adresses depuis leur naissance contre 2,7 pour ceux habitant sur le terrain Ouest. Pour autant, la durée de résidence dans le logement actuel, très proche sur les deux terrains26, est forte au regard de l’âge des jeunes interviewés.

La proportion de jeunes n’ayant jamais déménagé est plus importante à l’Est (1 sur 3) qu’à l’Ouest (1 sur 5) alors que ceux interrogés dans le cadre de l’enquête menée par les élèves de 1ère STMG étaient proportionnellement plus nombreux à avoir changé d’adresses. Des élèves ayant sollicité leurs frères et sœurs élèves au lycée pour remplir les questionnaires, un effet de mimétisme apparaît et gonfle certains profils au détriment d’autres. Toutefois, il nous semble intéressant de communiquer ces résultats, à partir desquels quelques traitements statistiques peuvent être réalisés. Comme il existe des biais dans le recrutement d’élèves volontaires pour des entretiens, il en existe aussi dans le cadre de ce travail pédagogique sur lequel nous nous appuyons.

Figure 9 - L'importance des déménagements

Source : base de données Enquête élèves 1ère STMG, dont 90 jeunes habitant les espaces périurbains (sur 151 enquêtés)

Figure 10 - Nombre de déménagement par jeune

Source : base de données Enquête élèves 1ère STMG, dont 90 jeunes habitant les espaces périurbains (sur 151 enquêtés)

Plusieurs motifs de déménagement sont convoqués par les jeunes interviewés.

L’acquisition d’une maison en propriété (Cartier, Coutant, Masclet et Siblot, 2008 ; Lambert, 2015) tient une place majeure dans les raisons qui poussent à changer de logement : un jeune sur deux évoque ce motif sur le terrain Est alors que ceux du terrain Ouest sont encore plus nombreux à donner cette raison (six sur dix). L’accession à la propriété apparaît très souvent à la suite de l’occupation d’un appartement à titre de locataire. Les jeunes interviewés ou enquêtés (par les élèves de 1ère STMG) signalent fréquemment que leur ancienne localisation résidentielle se trouvait dans le parc HLM.

De même, l’histoire familiale dicte les déménagements (divorce, logement pour famille recomposée, naissances). La proportion de jeunes expliquant leur mobilité résidentielle par le divorce de leurs parents est deux fois plus importante sur le terrain Ouest (deux sur dix) par rapport au terrain Est (un sur dix). Chez les jeunes interrogés par leurs camarades de 1ère STMG se retrouve un plus fort motif lié aux mutations connues par la famille, que ce soit lié à l’agrandissement de la famille (naissance ou famille recomposée) ou à son éclatement dans le cadre d’une séparation. Dans ce cas, la trajectoire résidentielle ayant conduit la famille à accéder à la propriété s’accompagne d’une perte (au moins temporaire) de ce statut (Authier, Bidet, Collet, Gilbert et

Figure 11 - Motif de déménagement

Source : base de données Enquête élèves 1ère STMG, dont 90 jeunes habitant les espaces périurbains (sur 151 enquêtés)

Dans tous les cas, les jeunes sont nombreux à pouvoir mettre en récit ces déménagements, faisant fonction de repères dans leur trajectoire personnelle. Ainsi, Julia (15 ans, 8 ans de résidence) raconte qu’elle a été partie prenante de l’installation à Rosoy. Elle a choisi la maison actuelle avec ses frères et sœurs, à partir d’une sélection faite par leurs parents. Ils habitaient alors le centre-ville de Corbeil-Essonnes depuis 5 ans quand son papa a été muté à l’hôpital de Sens. Ils avaient besoin d’une grande maison puisqu’ils étaient six : « Je voulais choisir ! (…) Je voulais une piscine, mais y en avait pas ! » Elle se félicite du choix réalisé car la localisation de la maison est très pratique pour son père (10 minutes en voiture de l’hôpital).

D’autres jeunes mettent en récit une mobilité résidentielle moins bien vécue. Informée par ses parents du projet d’achat d’une maison (« Chouette, on va acheter une maison ! »), Jessica (15 ans, Champigny, Yonne, 2 ans de résidence) s’est renseignée auprès de ses copines vivant dans un lotissement à Savigny-le-Temple. Toutefois, elle estime avoir été mise devant le fait accompli lorsque ses parents lui ont annoncé avoir acheté une maison à Champigny (Yonne). Elle n’avait pas d’a priori sur le lieu mais s’est vite rendu compte qu’il était très différent de la cité27 où elle habitait. « C’était complètement différent. Le paysage n’est pas le même : Ça ressemble à des paysages de livres d’histoire-géo ! J’avais jamais vu autant de champs. Je savais pas que c’était possible ! »

Le moment où s’opère le déménagement joue aussi un rôle dans la manière dont les jeunes vivent cet événement. Ainsi, Thomas (15 ans, Étigny, Yonne, 4 ans de résidence) comme Laetitia (18 ans, Montigny-Lencoup, Seine-et-Marne, 7 ans de résidence) font le

récit d’un déménagement mal vécu. Si le premier n’a opéré qu’un déplacement de 13 km au sein de l’aire urbaine, il en garde un mauvais souvenir : « Je voulais pas ! (…) Sur le coup, j’ai pensé, ma vie va s’arrêter ! » Ce changement de domicile s’est accompagné d’un changement d’école, forte source de stress (Desjeux, Monjaret, Taponier, 1998), Thomas n’ayant pas eu le temps de se refaire des amis avant la fin de l’année scolaire. Laetitia raconte un épisode similaire lors de son arrivée à Montigny-Lencoup (Seine-et-Marne) :

« Je connaissais personne ! En plus, si je venais d’un collège privé avec un bon niveau, j’avais jamais fait d’anglais. Car là-bas, j’ai fait LV1 Allemand et LV2 Espagnol. J’ai dû attendre la rentrée scolaire pour me faire des amies ». De même, Jessica avoue avoir eu une grosse déprime, quand elle est arrivée en fin d’année de 4ème : « J’étais la seule noire de la classe », même si elle n’a pas été victime de racisme. Elle estime avoir eu davantage de problèmes d’adaptation à son arrivée dans l’Yonne qu’en France (migration en provenance du Congo-Brazzaville dans le cadre du regroupement familial).

Le relevé des anciennes communes de résidence fait apparaître trois types de mobilités résidentielles : à l’échelle nationale, à l’échelle régionale et au sein de l’aire urbaine sénonaise. À l’échelle nationale, les mutations professionnelles tiennent une place centrale dans les motifs de déménagement. En revanche, les migrations banlieue / nord de l’Yonne comme celles entre le pôle urbain de Sens et les communes périurbaines avoisinantes s’expliquent le plus souvent par une accession à la propriété.

Les déménagements sont le résultat de la conjonction de contraintes liées au travail, à la famille ou à la recherche d’un cadre de vie plus agréable. À ce titre, l’équipement et les densités de population des espaces périurbains ne sont pas négligeables dans la perception que les jeunes peuvent avoir des communes où ils résident.

II. La diversité des contextes vient brouiller les