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des « Espèces d’Espaces »

III. Les entre-deux comme clé de lecture

1. Le choix des entre-deux

3.3 Tout est une question de point de vue

Ceux qui ont des éléments de comparaison (en terme d’espace rural) ont davantage tendance à assimiler les espaces dans lesquels ils vivent à de l’entre-deux. Le référentiel du jeune en terme d’espace l’amène à nuancer l’aspect rural de la commune habitée. Son appréciation se base sur une comparaison faite avec un village habité par des amis ou se trouvant à proximité de sa commune de résidence.

« C’est un entre-deux aux vues de là où habitent mes amies ! Havelu, Hauteville, Autouillet. » Julia, 17 ans, Galluis (Yvelines), 13 ans de résidence.

« C’est un entre-deux. Si ça se développe encore plus, ça pourrait devenir une ville.

Franchement, y’a pas mal de choses par rapport à Béhoust, Osmoy ou Saint-Martin-des-Champs. » Victor 17 ans, Orgerus (Yvelines), 7 ans de résidence.

« Vernoy. C’est la campagne ! (Rires) A cause de l’activité agricole : des tracteurs tout le temps. Alors que Domats, c’est un entre-deux. Y’a plus de choses qu’une boulangerie ! Y’a des commerces et même un marché ! » Amandine, 18 ans, Vernoy (Yonne), 16 ans de résidence.

Quelques jeunes ayant pratiqué les espaces ruraux pendant leurs vacances estiment que leur commune de résidence ne mérite pas le statut de « campagne ».

« C’est un village. C’est pas la campagne comme dans les films. Oui, dans les films français, quand y’a juste une route, 4 maisons, des champs autour et des personnes âgées et pas de réseau. Ici, y’a des routes, des trottoirs. C’est un village de Seine-et-Marne, quoi ! Pas de Creuse avec des vieux aigris racistes et un vieux chien. » Julia, 15 ans, Pamfou (Seine-et-Marne), 15 ans de résidence.

L’expérience résidentielle passée permet aussi au jeune de relativiser sa localisation résidentielle actuelle.

« C’est la campagne mais une petite ville par rapport aux autres villages. Un peu plus d’habitants. Et surtout par rapport à La Haye35. (…) La Haye, c’est le trou du monde, surtout quand il neige ! » Léna, 17 ans, Houdan (Yvelines), 9 ans de résidence.

En revanche, pour ceux ayant vécu en ville pendant l’essentiel de leur vie, leur appréciation sur leur commune périurbaine est plus sévère :

« Ça fait deux ans. Je m’y fais toujours pas. (…) Là où j’habitais avant36, y’avaient une maison pour les jeunes, des parcs, des transports et des magasins ! » Jessica, 16 ans, Champigny-sur-Yonne (Yonne), 2 ans de résidence.

Le rapprochement opéré par les jeunes avec d’autres espaces fréquentés leur permet de relativiser l’absence de services dans la commune périurbaine où ils habitent. Toutefois, cette comparaison ne se fait pas au bénéfice des communes périurbaines lorsque les jeunes ont longtemps vécu dans un pôle urbain ou comme Marie dans une commune périurbaine bien équipée. Leur référentiel urbain les amène à porter une appréciation négative sur leur commune périurbaine et son paysage, leur nouvelle localisation résidentielle étant considérée comme une régression. Ils se construisent en opposition avec le choix résidentiel que leurs parents ont fait pour eux. Ils ont beaucoup de mal à s’en accommoder. Le stigmatiser, le rejeter est une manière de s’en différencier et ne pas être assimilé à ces espaces.

Conclusion

Approcher les jeunes et les amener à parler des « espèces d’espaces » dans lesquels ils habitent nécessite de mettre en œuvre un panel de méthodes que nous n’avons pas

35 Sa mère habite à La Haye, c’est à dire Saint-Lubin de la Haye (Eure-et-Loir). Léna y séjourne la moitié de l’année dans le cadre d’une garde alternée.

36 Brunoy (Essonne)

hésité à tester. Le public juvénile auquel nous nous adressons constitue un échantillon particulier jusque là peu enquêté et il a fallu inventer des moyens pour les amener à s’exprimer sur leur espace de résidence. Notre démarche consistant à demander aux jeunes de décrire leur commune de résidence a pu les surprendre, comme cela a été le cas d’une partie des adultes rencontrés37. Il est difficile de mettre des mots sur les lieux qu’ils habitent, d’autant plus que cette demande peut sembler incongrue, l’enquêté estimant étrange que l’on puisse s’intéresser à l’endroit où il habite alors que ce lieu se caractérise, pour lui, par la banalité du paysage et son absence de lieux emblématiques.

La diversité de la jeunesse à laquelle nous nous sommes adressée doit rester présente à l’esprit tout au long de cette recherche. Les bassins de recrutement des trois lycées ont des caractéristiques sociologiques comme géographiques propres, malgré notre souci d’avoir choisi des établissements présentant une offre scolaire proche. Les contextes périurbains sont très marqués entre l’Ouest et l’Est à la fois par le maillage urbain, les densités de population et l’offre de services qu’ils portent. Autant une offre inégale en transports peut être palliée par des adultes titulaires du permis de conduire et ayant à leur disposition une automobile, autant les caractéristiques des espaces marquent le quotidien de jeunes non autonomes.

C’est pourquoi l’approche des mobilités juvéniles par le biais des entre-deux nous a semblé une bonne façon de rendre compte de ce qui se trame dans ces espaces à l’âge de nos enquêtés. Ils vivent un âge intermédiaire situé entre l’enfance et l’âge adulte, n’étant plus vraiment l’un et pas encore l’autre et ont besoin, pour s’affirmer en tant qu’individu, de fréquenter leurs pairs, de se rendre dans des espaces où ils estiment qu’il se passe quelque chose, tout cela sans disposer de moyens autonomes de déplacement. L’entre-deux spatial dans lequel ils résident, ce paysage ressemblant à de la campagne mais habité par des personnes ayant un mode de vie urbain, les questionne et ils ont bien du mal à l’identifier comme du périurbain. Soit le paysage rural l’emporte dans leur appréciation et ils restent convaincus qu’ils habitent la campagne, soit ils perçoivent des signaux indiquant que cet espace est autre chose. Leur expérience résidentielle comme le fait d’avoir fréquenté pendant leurs vacances des communes rurales les amènent à nuancer le regard qu’ils portent sur leur commune de résidence. Ils ont conscience qu’elle appartient à un entre-deux, est dans un état mouvant, en transition comme eux le sont aussi entre l’enfance et l’adolescence. Aussi, nous voulons croire que « les paysages de la quotidienneté peuvent être des médiations symboliques et identitaires et contribuent de ce fait à l’appropriation territoriale » (Bertrand et Beringuier, 2006, p. 4). L’état de transition des uns trouve un écho dans celui de ces « espèces d’espaces ».

37 À l’exception des quelques élus interrogés ayant souvent eu à cœur de mettre en valeur leur commune dans leur discours par le biais des actions qu’ils ont pu engagées, les mères de famille rencontrées tiennent un propos plus proche des jeunes que des élus. Les adultes impliqués dans les politiques jeunesse se positionnent, quant à eux, entre le discours des élus et des parents justifiant leurs actions par les carences des espaces.

Chapitre 2

La périurbanité au cœur de la