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La périurbanité au cœur de la construction identitaire

III. La périurbanité et les « entre-deux »

3. Les géosymboles de la périurbanité

3.2 Le mythe villageois pour chercher à se distinguer

La mythologie du village renvoie « à la figure idéalisée d’un territoire « autonome » et

« naturel » où règnerait un certain art de vivre ensemble, issu d’une coïncidence magique entre un contenant et un contenu. » (Baudin, 2007, p. 123). Cette appropriation de l’espace du village joue en retour sur l’identité du jeune. À la proximité spatiale s’ajoute une proximité sociale.

Ainsi, une partie des jeunes rencontrés met en avant la sociabilité qui caractérise le village habité.

« Tout le monde se connaît. On a de très bons vieux amis. On se croise facilement. Y’a des petites associations sportives comme le tennis de table, le badminton. Mais, pour l’athlétisme, l’entraînement est à Garancières. » Kévin, 19 ans, Tacoignères (Yvelines), 18 ans de résidence

« Toutes les générations s’entendent. On se parle tous, on va chez les uns et les autres boire un coup. C’est convivial. » Noémie, 17 ans, Sergines (Yonne), 17 ans de résidence)

Noémie comme Kévin font référence à la convivialité régnant dans leur village et dont les associations sont le support. Ainsi, Noémie met en scène une harmonie villageoise basée sur la préparation de Carnaval et sur l’existence d’un orchestre municipal,

50 Ce couple travaille à la mairie de Paris.

moment et structure fédérateurs pour elle. Elle y participe en tant que clarinettiste et s’investit dans la préparation des chars en roses de papier. Cette année, elle a même été élue la reine du carnaval, après avoir été à deux reprises, par le passé, demoiselle d’honneur. D’ailleurs, elle n’envisage pas de faire des études nécessitant qu’elle réside la semaine en dehors de Sergines : « Je pourrais ! Mais, ça me dit rien de partir. Si je pars, je perds le contact avec mes amis, ma famille. Je pourrais plus faire Carnaval ! »

Figure 31 - Noémie, reine du Carnaval de Sergines (Yonne)

Source : http://carnaval-sergines.fr/carnaval.html

Pour ces jeunes, s’identifier à l’imaginaire du village leur paraît une bonne chose. Ils affichent leur ruralité (Morel-Brochet, 2006), en font un signe de distinction par rapport aux autres. Ils sont surtout ceux qui n’ont pas connu d’autres types d’espace, se satisfaisant de celui à leur disposition. Ils reproduisent des modèles de sociabilité mis en œuvre par leurs parents. Ils ont été initiés dès leur enfance à des circuits de promenade dans la commune périurbaine. Ils mettent à profit les ressources de la proximité. Même s’ils ne nient pas qu’il soit difficile de se déplacer, quand on est mineur, ils trouvent leur compte dans l’environnement qu’ils fréquentent. C’est là que se trouve leur réseau amical, constitué depuis la fréquentation de l’école primaire ou maternelle.

Le village apparaît comme le lieu idéal pour créer et mobiliser du lien social, symbolisé par les marchés, fêtes locales (vide-grenier) ou même la fête des voisins sur lesquelles se bâtissent des pratiques d’entraide et des solidarités collectives, en réaction à l’individualisme. Ces phénomènes sont basés sur l’illusion d’une harmonie sociale qui oublie que la proximité est aussi et surtout basée sur l’altérité. Toutefois, le degré d’investissement à l’échelle locale, dans les associations, peut être très variable (Dodier, 2009). « Le mythe de la convivialité villageoise est un puissant moteur du désir de vivre ensemble dans les espaces périurbains même si les désillusions liées au contrôle social et à l’atonie des rapports humains côtoient des postures volontaristes de participation à la vie sociale, que ce soit à l’échelle étroite de la commune comme à l’échelle très large de la ville » (Fourny, Cailly, Dodier, 2012, p. 6)

Tous les jeunes rencontrés ne portent pas une appréciation positive sur leur commune et sur les habitants de ces espaces qu’ils qualifient de campagne. Parmi les reproches qui leur sont faits revient régulièrement le sentiment pour les jeunes d’être surveillés par les habitants : « Beaucoup de rumeurs. » (Guillaume, 17 ans, Montigny-Lencoup, Seine-et-Marne, 16 ans de résidence) ; « Je m’entends très bien avec des jeunes comme des personnes âgées de la commune mais y’a ceux que je n’aime pas. (…) Ils sont un peu balance ! Ils rapportent à mes parents tout ce que je fais. Si j’ai fait du scooter sans casque, par exemple, ils disent qu’ils m’ont vu. » (Cédric, 17 ans, Saligny, Yonne, 13 ans de résidence).

Les jeunes n’aiment pas se sentir épiés. Ils réagissent comme des citadins. Ils recherchent l’anonymat qu’apporte la ville ainsi que la sociabilité de celle-ci ou qu’ils supposent qu’elle apporte.

« Les gens de Champigny sont pas spécialement agréables. Je les trouve froids. Ils se connaissent entre eux. (…) Je connais pas spécialement les gens, sauf mes voisins de droite. (…) Y’a personne dans les rues. Les gens à Champigny viennent d’Ile-de-France. On ne les croise qu’à la gare. (…) La gare, c’est l’endroit où on croise le plus de gens. (…) C’est bien de voir des gens. Ça embellit la ville. Mais ici, c’est mort. » Jessica, 16 ans, Champigny, Yonne, 2 ans de résidence.

D’autres, comme Henri (17 ans, Méré, Yvelines, 4 ans de résidence), ont intégré l’échelle de valeurs appliquée aux espaces périurbains et en tirent bénéfice ou du moins une sorte de reconnaissance au lycée :

« Quand on me demande où j’habite. Je dis proche de Versailles pour quelqu’un de Paris. Pour les gens du lycée, je dis Montfort alors qu’en fait j’habite à Méré. C’est plus prestigieux de dire qu’on est de Montfort. C’est une ville un peu mondaine, depuis les années 60-70. Avec des personnalités comme Florent Pagny, Starck ou Thierry Rolland. C’est plus valorisant et puis y’a pas de rupture entre les deux villages. »

Ce différentiel entre les deux communes est résumé par Laurianne (17 ans, Méré, Yvelines, 11 ans de résidence) présentant en riant la boutade qui a cours au lycée :

« Montfort, c’est la ville. Méré, c’est la campagne. » Elle explique ce différentiel par le fait

« qu’à Monfort les rues sont pavées alors qu’à Méré, il y a des fermes ». L’imaginaire urbain demeure la clé de lecture des espaces périurbains. Ce n’est pas tant le paysage qui est mis en valeur par Henri que la notoriété dont bénéficie Montfort. Il reprend ici un point évoqué plus haut à propos de l’adresse. Il légitime sa position par le fait que dans le paysage, la limite entre les deux communes n’est pas visible. Il joue sur ce flou pour se revendiquer de Montfort.

Se retrouvent dans l’exploitation du mythe villageois les différentes figures d’attachement aux espaces périurbains ayant émergé de l’analyse des images photographiques réalisées par des jeunes de classe de seconde. C’est un géosymbole ambivalent. Pour les uns, la commune symbolise l’harmonie y régnant alors que d’autres dénoncent les défauts de l’interconnaissance. Enfin, le village peut aussi permettre de se distinguer des autres par la notoriété portée par le lieu, qu’elle soit liée, comme ici dans le témoignage d’Henri, à la présence de « people » ou à l’existence d’un patrimoine historique ou naturel. Ces attitudes sont bien des actes d’identification où émergent des processus de territorialisation. Le village comme la maison permet de se distinguer, de construire un discours valorisant sur l’espace habité.