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Aller au lycée pour prendre du champ avec sa famille

III. Des espaces et des temps de liberté centraux dans la construction identitaire

1. Fréquenter le lycée : l’ouverture d’un champ des possibles

1.1 Une occasion d’expérimenter la liberté

Le questionnaire conduit auprès des jeunes du lycée de Sens, dans le cadre d’un Master 2 Recherche, fait apparaître que les jeunes ont pleinement conscience des possibilités s’offrant à eux en fréquentant le lycée109. Le relâchement des cadres de surveillance au lycée est central dans la perception qu’ils ont de cet espace scolaire et des possibilités qui s’offrent à eux : « Car les grilles sont toujours ouvertes donc on peut sortir quand on

108 Ibid.

109 Ils sont 88% à estimer que le lycée est un espace de liberté (échantillon : 136).

veut. » (Sarah, 15 ans, Courlon sur Yonne, Yonne) ; « Presque rien n'est interdit. La seule contrainte, c'est d'aller en cours. » (Emy, 17 ans, Saint-Sérotin, Yonne) ; « On peut utiliser nos téléphones ou nos ipod dans la cour alors qu'au collège, on n'a le droit de rien faire. » (Marion, 17 ans, Michery, Yonne) ; « Car on est plus libre que chez nous (en dehors des heures de cours). » (Axelle, 15 ans, Vareilles, Yonne). Le fait de pouvoir sortir est l’argument majeur mis en avant par les élèves estimant le lycée comme un lieu de liberté. Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette appréciation indiquent : « car il ne faut pas oublier que nous sommes là pour étudier » (Leïla, 15 ans, Chaumont, Yonne).

Un item du questionnaire portait sur la perception de cette liberté par les parents. Au-delà du fait que les résultats qui suivent rendent compte de la manière dont les jeunes estiment que leurs parents voient les choses, il apparaît que la plupart des parents sont d’accord avec le fait que leur enfant puisse sortir de l’enceinte du lycée. Un tiers ne semble pas se soucier de ce que font leur enfant pendant sa journée au lycée. Seule une petite part des parents n’autorise pas leur enfant à quitter l’enceinte du lycée. Mais, ce n’est pas parce que l’interdit existe qu’il est respecté comme en témoigne Mélissa (17 ans, Jouy, Yonne). Si ses parents acceptent qu’elle sorte du lycée, c’est uniquement pour se rendre à ses leçons de code. Ils refusent qu’elle aille déjeuner chez Pat à Pain ou chez Mac Do. Toutefois, Mélissa, externe emportant son repas dans son sac tous les jours, se rend malgré tout dans un lieu de restauration rapide. Dans ce cas, elle consomme deux repas (« je vais manger les deux ! ») pour que ses parents ne sachent pas qu’elle est sortie du lycée. Ils agissent ainsi pensant que la fréquentation de ces espaces est dangereuse pour leur fille et estimant ces dépenses alimentaires inutiles. De même, ils ne tolèrent pas que Mélissa ait un petit ami. Par souci de transparence, elle leur a confié qu’elle fréquentait quelqu’un et leur a dit qu’elle allait régulièrement à la ZUP, là où habite le jeune homme : « Ils peuvent pas m’en empêcher ! » La sœur de Mélissa, sa complice, est dans une situation similaire. Majeure, elle vient au lycée en voiture110 quand elle commence plus tard ou finit plus tôt sa journée de cours. Là encore, les parents refusent qu’elle raccompagne son petit ami vivant dans le périurbain de Sens, estimant le coût de ce détour trop élevé. Cet interdit n’empêche pas l’aînée de le faire. Pour expliquer le retard à l’arrivée au domicile familial, elle invente des excuses telles que : « c’est un prof qui m’a retardé ! ».

A travers le cas de Mélissa, il apparaît que le fait d’être ou d’aller quelque part sans les parents est essentiel. Elle vit ces moments comme une véritable expérience de soi. Pour autant, la ville est perçue comme un espace où la sécurité n’est pas garantie et des lieux sont évités.

110 véhicule qu’elle a acheté avec l’argent qu’elle a gagné en travaillant l’été et le week-end.

1.2 L’exploration d’un nouveau territoire : entre spots et zones d’ombre

Si l’essentiel des élèves déclare qu’ils n’évitent aucun lieu lorsqu’ils sortent du lycée, le chiffre de 60% est biaisé par le fait que, parmi les élèves qui déclarent n’éviter aucun lieu, nombreux (20% d’entre eux) sont ceux qui ne sortent pas de l’enceinte du lycée dans les faits. Ils n’ont donc pas besoin d’éviter un lieu puisqu’ils ne pratiquent pas l’espace urbain.

Figure 67 - Lieux évités par les élèves de l'échantillon

Source : base de données de l’échantillon

Ceux ayant déclaré n’éviter aucun lieu n’ont pas justifié leurs réponses, à l’inverse de ceux qui ont cité la ZUP et le centre-ville.

La ZUP est nommée comme étant un lieu évité par des élèves sortant de l’enceinte du lycée et même par quelques uns n’en sortant pas. Parmi les motifs convoqués pour expliquer cet évitement, de nombreux commentaires évoquent la population y habitant :

« Car à la ZUP, il y a des gens pas commodes » (Tracy, 17 ans, Pont sur Yonne, Yonne) ;

« car je m'y fais insulter en général » (Sarah, 17 ans, Evry, Yonne) ; « car on se fait trop interpeller par certains habitants. » (Amélie, 17 ans, Vinneuf, Yonne) ; « Les quartiers

« chauds » comme la ZUP. » (Emilie, 18 ans, Gron, Yonne).

L’entretien avec Mélissa (17 ans, Jouy, Yonne) a révélé à quel point les représentations sur ce lieu sont importantes dans la volonté d’éviter ce quartier. Dans son questionnaire, elle indique qu’elle évite : « la zup, car je sais pas trop où ça se situe. J’évite aussi les autres endroits que je ne connais pas parce que c’est bête de se perdre, sans moyen de communication (portable) ». Lui ayant fait remarquer lors de l’entretien semi-directif que son petit ami habite à la ZUP, lieu qu’elle dit éviter, elle explique que si elle a écrit ça, c’est parce que, pour elle : « la ZUP, c’est les poubelles cramées et les voitures incendiées ».

Quand elle se rend chez son petit ami, pour elle, ce n’est pas la ZUP car elle n’a rien vu de cela. Elle ne s’est pas aventurée ailleurs dans la ZUP.

60%

4%

36%

Aucun Centre ville ZUP

Le centre-ville est aussi évoqué par quelques individus comme étant un lieu évité. Les motifs convoqués sont très différents de ceux donnés à propos de la ZUP : « Je vais rarement dans la ZUP. J’évite aussi d’aller en ville à cause de la distance. » (Antoine, 16 ans, Vaudeurs, Yonne) ; « Car c'est assez loin et il faut beaucoup de temps pour y aller » (Erika, 15 ans, Armeau, Yonne). Une autre élève dit éviter le centre-ville car sa mère y travaillant, elle ne veut pas risquer qu’elle la voie.

Si ces remarques sont surtout le fait de filles111, les garçons interrogés, pour les trois quarts d’entre eux, déclarent eux aussi éviter le quartier de la ZUP. Ils estiment que c’est un lieu dangereux, de délinquance où ont lieu des vols. Il est donc difficile de parler de

« murs invisibles » comme le fait Guy Di Méo (2011). Dans la lignée des travaux de Jacqueline Coutras (1996), il désigne ainsi les barrières mentales qui demeurent au sein de l’espace urbain et sont le fait d’un groupe sexué : les femmes. Dans le cadre de l’échantillon étudié, ce constat ne peut être fait, même si les justifications avancées par les garçons mettent davantage en avant la présence de la délinquance alors que les filles posent la question du regard qu’elles subissent, surtout quand (comme c’est le cas de celles qui sont citées) elles affichent leur féminité (port de jupes, maquillage).

Si des lieux commerciaux ou l’entrée du lycée peuvent être considérés comme des lieux attractifs de la ville ou des alentours du lycée, il apparaît que la ville recèle aussi des espaces évités par les jeunes considérés comme des angles morts ou estimés dangereux.

La particularité de la fréquentation des lieux en dehors du lycée est que leur exploration se fait par le biais du groupe de pairs.