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3.2 L’ÉTUDE DU SASEC SUR L’ÎLE DE MONTRÉAL : DÉSÉQUILIBRES ET

3.2.2 Les résultats des enquêtes et observations

3.2.2.7 La vie spirituelle : peu ; centrée sur l’individu, son esprit et

congrue du travail quotidien des AVSEC. De plus, le contenu des rares actions que ces derniers situent dans ce volet pose question quant à leur compréhension de la notion de “ vie spirituelle ”.

Lorsqu’il était demandé aux AVSEC de quantifier le travail qu’ils avaient déjà effectué en engagement communautaire par rapport à la vie spirituelle113, ils étaient tout d’abord embarrassés par la question. En général, ils répondaient que ces choses-là ne se chiffrent pas. Après insistance toutefois, la majorité des AVSEC déclaraient que 5 % ou moins des activités qu’ils avaient accomplies visaient spécifiquement la vie spirituelle. Et pour le reste de l’année, ils prévoyaient réaliser 5 à 10 % de projets autour de ce champ. S’il est difficile d’évaluer le travail sur la vie spirituelle, selon les AVSEC, c’est parce que “ c’est inclus dans le communautaire ”114 ou bien qu’il s’agit souvent de discussions informelles dans les couloirs sur des sujets d’apparence banale “ mais qui touchent à tout l’esprit du jeune, à sa spiritualité ”115. Mais de quoi est-il exactement question lorsque les AVSEC disent qu’ils organisent une activité ou qu’ils ont eu une rencontre plus spécifiquement consacrée à la vie spirituelle ?

Cela n’est pas clair, ni pour eux ni pour les directions d’écoles. On peut citer, à titre d’exemple, cet animateur de la CSMB qui est pourtant celui dont le calendrier comporte le plus d’activités de type “ vie spirituelle ” :

Ce qui est le fun avec la spiritualité, c’est que c’est pas trop bien défini, on sent ce que ça veut dire […] en fait, c’est le sens à la vie […] moi je m’occupe que les jeunes ils trouvent toute le sens de leur vie.116

113 Cette question n’a cependant pas été posée à tous les animateurs et animatrices. Elle le fut seulement aux

AVSEC qui déclaraient clairement qu’il y avait deux parties dans leur travail : la vie spirituelle et l’engagement communautaire. De plus, dans un cas (à la CSMB), j’ai oublié de poser cette question…

114 “ A ”, “ B ” et “ E ”, de la CSMB.

115 Nous reviendrons dans le chapitre 4 sur les distinctions entre spiritualité, vie spirituelle et religion

116 “ A ”, de la CSMB. À noter que l’on retrouve ici l’ambiguïté dont il était question dans le chapitre précédent

autour de la question du sens exact de l’expression “ sens à la vie ” par rapport à celle de “ sens de la vie ”

En fait, il semble que ce ne soit pas dans le thème abordé que l’on puisse dire clairement s’il s’agit d’une activité spirituelle ou communautaire. En effet, selon les AVSEC, sont considérés comme faisant partie du volet vie spirituelle les visites de lieux de culte, les discussions avec les élèves sur la vie amoureuse, le soutien aux élèves et au personnel en cas de deuil ou de maladie, les rencontres avec les jeunes pour parler de leurs études et de leur famille. On le voit, ce n’est donc pas le sujet de l’activité qui fait dire à l’AVSEC que son action est plus du domaine de la vie spirituelle que de l’engagement communautaire. Il ne s’agit pas non plus de restreindre la vie spirituelle à l’intériorité comme certains discours le laissent croire au premier abord.

En fait, il semble que l’on puisse classer le travail que les AVSEC considèrent comme étant de la vie spirituelle dans deux grands ensembles : le premier rassemble les aspects spirituels extérieurs : les religions et les prières, soit ce qui touche tout le monde ou qui est visible publiquement. Le point de vue de l’AVSEC sur l’activité est alors bien souvent de type culturel : on va offrir des connaissances au jeune. Le deuxième ensemble est composé des manifestations intérieures de la vie spirituelle : le psyché, le cœur, les soucis (avec généralement un point de vue psychologique).

Les manifestations extérieures de la vie spirituelle

Dans le premier type d’activités, on retrouve les activités destinées à former les jeunes sur les traditions religieuses ainsi que sur la variété des manifestations religieuses aujourd’hui. Le contenu est donc très culturel (art ou histoire), mais comporte également une dimension normative : les manifestations extérieures ne se valent pas toutes, selon les AVSEC.

Visites de lieux de culte et discernement sectaire

En ce qui concerne les actions portant sur la vie spirituelle “ extérieure ”, il s’agit en majeure partie des visites de temples, d’églises ou de monastères que les AVSEC organisent avec un groupe d’élèves parfois choisis pour leur bonne conduite. Il est à noter toutefois que ces

visites sont rares ; cinq AVSEC en organisent plus ou moins régulièrement117. De plus, une nette préférence pour le christianisme est remarquable : nous revenons plus loin sur ce point. Cette différence de traitement entre les religions est expliquée par les AVSEC concernés par la prise en compte du fait que la majorité des élèves sont, selon eux, des catholiques…

Quelques AVSEC organisent également des activités qui visent à présenter les nouvelles formes religieuses qui sont présentes dans le paysage québécois contemporain : les sectes, la sorcellerie et l’ésotérisme. Le but est d’“ informer pour mieux protéger ”118 les jeunes élèves. Donc, en général lorsque des activités de vie spirituelle de type “ extérieur ” sont organisées, cela touche un grand nombre d’élèves et la finalité est le plus souvent culturelle. Il s’agit de mieux connaître l’histoire des religions de ses camarades ou de ses voisins mais il peut aussi être question parfois de “ discerner le bon grain de l’ivraie ”119. Ces visites et ces activités en classe sont très rares au secondaire120

117 “ A ”, “ C ”, “ E ” et “ G ” (de la CSMB) et “ N ” (de la CSDM). 118 Selon le titre de cette section dans le calendrier de “ M ” (de la CSPI).

119 Selon “ N ” (de la CSDM). Des sessions d’information ont ainsi déjà été données sur les sectes et le paranormal

par quelques AVSEC (dont “ A ”, de la CSMB, “ L ” et “ M ”, de la CSPI, et enfin “ N ”, de la CSDM). Il semble que seulement “ M ” organise encore cette activité.

120 Au primaire, au contraire, il semble que l’AVSEC soit confondu avec un professeur de culture religieuse et

doive présenter aux classes les différentes traditions religieuses du monde contemporain. C’est particulièrement vrai à la CSDM.

La transmission de valeurs

Il peut s’agir également d’animations en classe visant à transmettre des valeurs aux jeunes (le partage, le don)121. En fait, la notion de “ valeurs ” permet aux AVSEC de dire que n’importe quelle activité qu’ils proposent participe du volet “ vie spirituelle ” puisque des valeurs sont toujours mises de l’avant et proposées aux élèves. Les AVSEC considèrent donc tous que la transmission de valeurs relève de la “ vie spirituelle ”. Le caractère commun et oral de ces animations nous permet de les placer parmi les activités extérieures de ce volet de leur travail. Toutefois, étant souvent basées sur les réflexions personnelles de chaque jeune, ces activités permettent de faire le lien avec le volet plus intérieur de la vie spirituelle.

Les manifestations intérieures de la vie spirituelle

Les activités spirituelles plus intérieures, elles, touchent l’esprit du jeune, son cœur et ses pensées. Avec ce type de vie spirituelle, les AVSEC se déclarent plus à l’aise qu’avec le premier, en particulier sur les questions de religions.

La méditation

Dans cette dimension intérieure du volet “ vie spirituelle ”, nous plaçons les activités de méditation122, de connaissance de soi, mais aussi de leadership, même si les AVSEC les situent eux-mêmes dans l’engagement communautaire. En fait, elles se situent à la fois dans ces deux volets puisque en plus des dimensions sociales de ces objectifs123, le but poursuivi par l’AVSEC en organisant ces activités est la croissance personnelle de l’élève.

121 La notion de “ valeur ” est très importante pour les AVSEC et elle est présentée de manière plus précise dans le

chapitre 4.

122 Trois AVSEC déclarent organiser ou avoir organisé dans le passé des séances de méditation. Sur une musique

douce, l’AVSEC lit par exemple des textes d’Anthony de Mello et le jeune est invité à méditer sur ce que cela lui inspire.

123 On peut même dire, avec “ A ” (de la CSMB), que la méditation peut être d’une utilité certaine “ pour calmer

les jeunes plus turbulents pendant le temps de midi ”

On peut également placer dans cette section l’initiative d’un AVSEC de la CSMB qui a instauré dans son école un local de “ prière, méditation et réflexion ”, ouvert à tous les jeunes qui désirent se recueillir individuellement, intérieurement et silencieusement. On voit ici combien la dimension intérieure est importante. Elle permet d’inclure tout le monde dans un même local, sans distinction de croyances ou de rituels. Nous revenons dans le chapitre 4 sur cette initiative qui nous en apprend beaucoup sur le religieux socialement acceptable…

Les rencontres individuelles

Toutefois, ce qui vient tout de suite en tête aux animateurs lorsqu’il est question de vie spirituelle, ce sont les rencontres individuelles qu’ils effectuent avec les élèves et parfois le personnel, pour parler le plus souvent sur le mode informel de vie conjugale, de relations amoureuses ou de déceptions.124 Lors de ces rencontres, les AVSEC disent pratiquer l’écoute active, n’imposant pas de modèles ni de réponses aux questionnements de leur interlocuteur. Toutefois, les observations que j’ai effectuées montrent que l’AVSEC a souvent tendance à “ jouer au psychologue amateur ” lors de telles rencontres, proposant une analyse du cas après cinq minutes d’entretien et encourageant la personne à agir de telle manière plutôt que de telle autre. Ce rôle de psychologue, je l’ai observé de manière claire chez six AVSEC125 et même d’une façon officialisée dans deux cas précis126. Si ces cas sont extrêmes, ils paraissent indiquer une réelle lacune dans la possibilité pour les AVSEC de faire autre chose que de

124 Pour les AVSEC, la vie spirituelle c’est “ la recherche de soi et l’enrichissement de la vie personnelle et inter-

personnelle ” (“ F ”, de la CSMB), c’est “ amener le jeune à avoir une intériorité […] le spirituel, c’est la dimension intérieure ” (“ M ”, de la CSPI). “ Moi je fais plus du spirituel quand j’accompagne individuellement ” (“ O ”, de la CSDM). Sept AVSEC rencontrés font le rapprochement entre “ spirituel ” et esprit : tout ce qui touche l’esprit, “ ce qui n’est pas matériel ” (“ J ”) peut donc les concerner.

125 Chez “ M ” (de la CSPI), pour qui “ [l]e spirituel c’est éveiller la conscience du jeune, par la psychologie, par

les arts… ”. Mais également pour “ A ”, “ D ” et “ F ” ( de la CSMB), “ K ” (de la CSPI) et “ O ” (de la CSDM). C’est le cas notamment dans les milieux où il n’y a pas de budget suffisant pour embaucher un psychologue à temps complet : l’AVSEC agit alors comme remplaçant temporaire… C’est également vrai lorsque les AVSEC font partie des équipes d’intervention en cas de crise (suicide ou mort violente) et qu’ils sont face à des jeunes sans religion ou d’une religion qu’ils ne connaissent pas suffisamment. Mais la majeure partie des cas, ceux qui ont été observés directement ou racontés par l’AVSEC, concerne les conseils donnés aux jeunes venus se plaindre de leurs parents ou de leur petit copain ou petite copine…

126 Dans le cas de “ O ” et de “ F ” en effet, le directeur réfère les cas problématiques (drogue, prostitution,

violence) à l’AVSEC lorsque la psychologue n’est pas disponible. Il est même permis à ce dernier de former les travailleuses sociales et les psycho-éducateurs qui viennent effectuer leurs stages dans l’établissement.

“ jouer au psychologue ” lorsqu’ils sont confrontés aux problèmes existentiels des adolescents, étant donné qu’ils ne sont plus des directeurs de conscience… Nous y revenons dans le chapitre suivant.

La relecture

La relecture par chaque élève des diverses activités effectuées avec l’AVSEC constitue, comme le Cadre ministériel l’indique, une part importante du développement spirituel du jeune. Dans la pratique, en quoi consiste cette relecture ? Le plus souvent, il s’agit d’une réflexion effectuée par le jeune sur les gestes qu’il vient de poser. Cette réflexion peut être écrite, orale ou demeurer personnelle et intérieure. L’AVSEC peut donc écouter ou lire ces réflexions (cinq le font), mais il peut également ne pas s’en préoccuper127. Comment le jeune qui relit oralement et par écrit l’activité qu’il vient d’effectuer procède-t-il ? En fait, concrètement, ce qui est demandé par l’AVSEC, c’est que l’élève effectue rationnellement une réflexion sur ce qu’il vient de vivre et qu’il en dégage logiquement une nouvelle manière d’agir dans le monde. Prenons cet exemple entendu en classe suite à une présentation sur la mondialisation : il y a des enfants exploités dans les pays du Sud pour que je ne paye pas mes vêtements trop cher ; c’est injuste ; je dois donc changer mes habitudes de consommation. Pour l’AVSEC, cette relecture fait partie de la vie spirituelle du jeune car c’est son esprit qui lui a montré une valeur, soit que le matériel n’était pas le plus important. Donc, il s’agit d’une activité spirituelle, même si “ y a aucune croyance là […et que c]’est juste le bon sens qui fait que mon jeune, il va changer ”128.