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1.2 DEPUIS LE RAPPORT PARENT : MOINS DE RELIGION(S) À L’ÉCOLE

1.2.2 Les années 1970-1980 : la laïcisation malgré l’Église

1.2.2.3 Les réformes gouvernementales face au juridisme de l’Église

Face à une opposition aussi forte de l’Église, le gouvernement doit se contenter de réaliser des réformes mineures pendant les années 1970-1980. Pourtant, ces réformes semblent souhaitées par une bonne partie de la population50 et deviennent même une nécessité après que la Loi 101 n’oblige les immigrants à fréquenter le réseau scolaire francophone51 et que les Chartes ne contraignent les gouvernements à user de clauses dérogatoires à celles-ci pour conserver un système scolaire confessionnel.

En fait, une partie de l’Église est prête à céder sur certains aspects de la confessionnalité (les commissions scolaires par exemple) pourvu que les autres dimensions religieuses de l’école soient juridiquement garanties (le projet scolaire ou l'enseignement religieux)52. Mais une partie conservatrice de l’épiscopat et des administrateurs scolaires catholiques s’oppose totalement à toute transformation des structures existantes. Et ces conservateurs peuvent compter sur le cadre constitutionnel pour se prémunir de changements structurels majeurs. C’est pour ces raisons que les réformes, notamment les Projets de loi 40 et 3, n’aboutissent pas. Ces réformes poursuivaient toutes les mêmes objectifs : rationaliser le système

49 À partir des années 1970, l’Église utilise des argumentations fort diverses pour défendre le « principe

irréductible de l’école catholique » : la dimension humaine, donc universelle, de l’Évangile et le référent identitaire que constitue le catholicisme au Québec. Lebuis, Faire la vérité sur la confessionnalité scolaire, p. 317.

50 L’affaire Notre-Dame des Neiges a eu un fort retentissement populaire et de plus en plus d’élèves ont recours à

la clause d’exemption des cours d’enseignement religieux. Selon Camille Laurin, ministre de l’Éducation, cette exemption les marginalise et ne leur permet pas de participer pleinement aux projets de l’école. Voir Nadeau, Le

discours de l’État québécois, p. 25. De plus, le Conseil supérieur de l’éducation a senti la nécessité de produire un

avis qui invite le ministre de l’Éducation à prendre en compte le pluralisme religieux. Voir Conseil supérieur de l’éducation, La confessionnalité scolaire, Québec, Éditeur officiel, 1981.

51 Cette loi « a des retombées spectaculaires. En 1989, plus de 70 % des enfants d’immigrants dont la langue

maternelle n’est ni le français ni l’anglais sont inscrits à l’école française » alors que cinq ans plus tôt, et malgré la Loi 63 qui incitait les enfants d’immigrants à opter pour un enseignement en français, seulement 13,7 % des immigrants choisissaient d’envoyer leurs enfants à l’école française. Dufour, Histoire de l’éducation au Québec, p. 96.

52 Ainsi, dans son Projet de loi 3, le ministre Yves Bérubé proposait de supprimer l’administration publique

confessionnelle des écoles tout en permettant à celles-ci de déroger aux chartes en se dotant d’un projet éducatif

d’éducation ; en confier la charge à chaque milieu et enfin donner préséance à la langue plutôt qu’à la religion dans l’organisation du système scolaire.

Il faut attendre 1988 et la Loi 107 pour qu’une législation visant la déconfessionnalisation des structures scolaires soit finalement adoptée. Pilotée par Claude Ryan, la Loi 107 ou Loi sur

l’instruction publique a une grande importance quant à la place du religieux à l’école.

Adoptée en décembre 1988, c’est elle qui gouverne l’école québécoise jusqu’à la fin des années 1990. Elle constitue, de plus, un tournant fondamental vers la déconfessionnalisation effective de l’ensemble du système scolaire. Il s’agit toutefois d’une réforme générale qui ne visait pas particulièrement la place du religieux à l’école.

Concrètement, les aspects qui touchent au religieux dans la Loi 107 concernent l’établissement de deux réseaux de commissions scolaires linguistiques (francophone et anglophone) tout en conservant des commissions scolaires confessionnelles et dissidentes :

Les droits des minorités protestantes et catholiques sont préservés. Elles ont droit à la dissidence, c’est-à-dire qu’elles peuvent, si elles sont minoritaires sur le territoire d’une commission scolaire linguistique donnée, exiger la création de leur propre commission scolaire confessionnelle.

Par exemple, si une commission scolaire francophone est créée sur le territoire de Longueuil, où la majorité de la population est catholique, la minorité franco- protestante pourra exiger la création d’une commission scolaire confessionnelle protestante qui se superposera à la commission scolaire linguistique.53

En outre, chaque école a la possibilité de choisir entre un statut confessionnel, multiconfessionnel ou non confessionnel, selon les demandes des parents. Néanmoins, quel que soit le statut choisi, les élèves catholiques et protestants de l’école conservent leurs privilèges (droit à un enseignement religieux catholique ou protestant et au service de pastorale)54 et les commissions scolaires protégées par la Constitution ne sont pas menacées. catholique, si elles le désiraient. Dès lors que ces garanties étaient fixées, les évêques ne s’opposaient plus à la réforme. Voir Nadeau, Le discours de l’État québécois, p. 28-29.

53 Michèle Ouimet et André Pratte, « Oui aux commissions scolaires linguistiques », La Presse, Montréal, 18 juin

1993, p. A1.

54 Nadeau, Le discours de l’État québécois, p. 36.

Toutes ces concessions à l’Église catholique rendent plus que complexe l’application de la Loi 10755.

La constitutionnalité de cette loi n’est reconnue qu’en 1993 et les différents ministres de l’Éducation qui se succèdent alors jusqu’en 1995 préfèrent ne pas établir tout de suite les commissions scolaires linguistiques56. Les principales raisons qui expliquent le report de la création de ces commissions scolaires sont de différentes natures. Il semble qu’il s’agisse surtout de la prise en compte de la complexité qui découlerait de cette déconfessionnalisation pour les villes protégées par l’acte de 186757. De plus, l’opposition virulente d’une partie très conservatrice de l’Église fait en sorte que rien ne semble pouvoir bouger sans une modification constitutionnelle58.

55 Les quatre commissions scolaires confessionnelles de Montréal et de Québec sont en effet protégées par l’article

93 de la Constitution et la Loi 107 ne prévoit pas demander un amendement sur cette question. Cela signifie que si la loi était appliquée, en plus des commissions scolaires confessionnelles, une commission scolaire linguistique devrait s’ajouter à Montréal et une autre à Québec. La Commission des écoles protestantes du Grand Montréal perdrait par contre les 5/6 de ses effectifs, ceux-ci ne se déclarant pas protestants. Ouimet et Pratte, « Oui aux commissions scolaires linguistiques ».

56 « Le jugement de la Cour suprême – Rectificatif », Le Devoir, 18 juin 1993, p. A8.

57 Le Comité Kenniff a bien proposé une solution permettant de conserver des comités confessionnels à l’intérieur

de commissions scolaires linguistiques pour les villes protégées par la Constitution de 1867. Mais la solution amène des problèmes de gestion que le gouvernement et les commissions scolaires souhaitent éviter.

58 Les parents catholiques conservateurs qui dirigent la CECM s’opposent dans tous les cas à la disparition du

statut confessionnel de leur commission scolaire.

1.2.3 1990-2000 : la déconfessionnalisation du système scolaire

Face à ce blocage juridique, la situation du système scolaire apparaît de plus en plus anachronique pour bon nombre d’acteurs du milieu. Dès lors, ils vont s’associer aux groupes de pression laïcistes afin de forcer le gouvernement à accélérer le processus de laïcisation des écoles publiques. On assiste ainsi, au début des années 1990, à une modification dans l’équilibre des forces : les syndicats remplacent Églises et associations de parents catholiques comme groupes de pression majeurs auprès du gouvernement59. Parmi ces syndicats, la CEQ joue un rôle considérable dans la pression qui est exercée auprès des différents partis politiques pour mener une vaste réforme éducative au Québec, réforme incluant une déconfessionnalisation du système scolaire. Le gouvernement est ainsi poussé de toutes parts à se pencher sur la source du problème, soit l’article 93 de la Constitution canadienne.