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2.3 UN SERVICE COMMUN D’ANIMATION SPIRITUELLE ET

2.3.4 Analyse globale du Cadre

Une analyse générale du Cadre montre clairement deux ensembles de valeurs qui doivent guider le travail des animateurs et animatrices. En effet et contrairement à Étienne Rouleau qui voyait trois types de valeurs présents dans le document du MEQ86, il semble bien que celles-ci puissent être ramenées à deux ensembles que les animateurs doivent mettre en relation : les autres et le soi. Par rapport au modèle de l’animation pastorale, il est donc clair que le Tout Autre (Dieu) a disparu. En fait, toute forme d’altérité forte semble mise de côté parmi les valeurs promues par le nouveau service. Ainsi, si l’on reprend les valeurs nommées dans le Cadre ministériel telles que relevées par Étienne Rouleau, on obtient le tableau à la page suivante :

85 SAR-DASSC, Pour approfondir sa vie intérieure et changer le monde, p. 17.

86 Reprenant la typologie de Richard Bergeron (Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002), Étienne Rouleau

présentait les valeurs nommées dans le Cadre ministériel selon « les trois pôles de la spiritualité » : Cosmos, Autre et Soi. Étienne Rouleau, « Précision des valeurs du cadre ministériel du SASEC », dans Breault, Favoriser

l’ouverture à la liberté, Annexe 3, p. 68. Nous avons volontairement ôté la catégorie « Cosmos » de la typologie

puisqu’aucune des valeurs relevées par Rouleau ne nous semble réellement correspondre à ce type particulier.

AUTRES SOI

CITOYENNETÉ

- Contribuer à la vie collective - Sens des responsabilités - Bien commun

- Environnement

- Décentration de soi et centration sur les autres - Participation démocratique - Égalité - Dialogue - Prendre la parole - Sentiment d’appartenance - Laïcité - Honnêteté - Justice - Loyauté SOLIDARITÉ - Amitié - Paix - Respect - Collaboration - Engagement

- Reconnaître la dignité des personnes surtout des exclus

- Service

- Reconnaissance de la valeur et de la dignité des personnes

- Amour de l’autre comme règle d’or - Harmonie sociale - Compassion - Convivialité BÉNÉVOLAT - Partage - Dévouement - Entraide - Équité - Fraternité - Solidarité CROISSANCE - Apprentissage

- Croissance humaine et spirituelle - Persévérance - Réussite - Progrès spirituel - Santé AUTONOMIE - Leadership - Liberté - Faire du sens - Cohérence - Éducation - Effort - Enracinement - Esprit critique - Prendre la parole EXPÉRIMENTATION - Créer - Découverte - Introspection

- Recherche, quête, cheminement - Réflexion

- Remise en question - Transformation

Tableau 2.3 : Synthèse des « valeurs » présentées dans le Cadre ministériel des AVSEC (d’après Étienne Rouleau87)

Globalement donc, le Cadre ministériel propose une vision bicéphale du Service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire.

87 Dans Breault, Favoriser l’ouverture à la liberté, Annexe 3, p. 68.

Le service apparaît dès lors tiraillé entre des objectifs à caractères sociaux (l’engagement communautaire) et des objectifs individuels (la vie spirituelle). Les dimensions communautaires (entre l’individu et l’ensemble de la société) sont réduites à l’école et son quartier. Quant aux dimensions transcendantales (ce qui est au-delà de la société), elles n’ont plus de place dans ce nouveau service, au moins théoriquement. L’élève est donc fondamentalement individualisé dans le Cadre ministériel : il est réduit au statut de membre d’une société. On va donc dynamiser chez lui son intériorité, pour le renforcer en tant qu’individu, mais aussi sa socialité, pour que sa force personnelle profite à tout le monde et non à une partie restreinte de la société. Cette tension entre l’action pour les autres et la

réflexion spirituelle pour soi est conçue, dans le Cadre ministériel, comme un aller-retour

perpétuel, mais nous verrons que les AVSEC ont beaucoup de difficultés à réaliser, dans la pratique, les liens entre ces deux dimensions du service.

Finalement, pour comprendre la disparition des activités touchant la transcendance et la communauté d’appartenance autre que scolaire, sans doute faut-il prendre en considération le nouveau cadre normatif qui prévaut à l’élaboration du service. En effet, dans l’animation pastorale, la norme venait de l’Église catholique alors que le SASEC, lui, se situe dans ce que nous avons appelé le troisième temps de la place de la religion à l’école. Ce temps donne une place dans l’école au religieux universel, situé dans l’individu, et qui se caractérise par le civisme et la croissance personnelle. Ceci fait en sorte que ce sont les individus, les élèves, qui sont la base du service, c’est autour d’eux que s’élaborent les activités et c’est chacun qui doit en bénéficier, de manière égalitaire. On remarque toutefois que le service, comme la loi, présuppose une dimension spirituelle chez les élèves, qu’ils soient ou non membres d’une religion.

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Ainsi, l’étude des débats et des normes qui entourent le Service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire a permis de dégager un premier modèle de ce qui constitue le religieux socialement acceptable au Québec. Ce modèle, présenté dans le Cadre ministériel, constitue une norme à laquelle sont invités à se rallier les différents acteurs québécois, mais

dont les Églises se méfient, saisissant le risque que la promotion de ce type de religieux fait courir à leurs communautés.

Globalement, on peut dire que ce religieux mis de l’avant par l’État est présent en chaque individu ; il est en constante évolution et il ne doit pas se cristalliser sous une forme particulière ; il offre à chacun d’organiser son rapport au monde (il lui permet ainsi de vivre en société) ; il est universellement partagé et utile tant à l’individu (croissance personnelle) qu’à la société (actions civiques guidées par les valeurs humanistes). On peut également dire que ce religieux n’a pas de mémoire : il est basé sur les expériences et le raisonnement, ainsi que les émotions que celles-ci occasionnent. Avec ce religieux, on évite les replis communautaires et on crée, au contraire, des citoyens accomplis, en quête perpétuelle et donc actifs pour améliorer la société. Face à ce portrait théorique, comment dans la pratique gérer ce religieux sans contenu ?

Autrement dit, sous les concepts d’humanisme et de spiritualité universelle ou laïque que l’on retrouve dans le Cadre, il importe à présent de savoir ce que les AVSEC pensent devoir placer et ce qu’ils font concrètement avec le mandat qui leur a été confié. En effet, placés au carrefour des influences sociales, ils constituent un lieu particulièrement actif de construction sociale du religieusement acceptable. Les représentations sociales du religieux qu’ils pensent acceptable et les activités qu’ils réalisent sur le terrain nous permettront, une fois confrontées au cadre normatif qui guide leur profession, de déterminer dans quelle mesure l’ébauche de définition du religieusement acceptable que nous venons de présenter peut être complétée. Avant de dévoiler précisément le résultat de notre enquête de terrain auprès des animateurs et animatrices des écoles secondaires de l’île de Montréal, il est utile de dresser un portrait général de l’installation concrète du service à l’échelle du Québec. Ainsi, on pourra s’apercevoir que les remarques que nous faisions plus haut sur les problèmes posés par le Cadre ministériel conduisent sur le terrain à des situations extrêmement douloureuses pour les animateurs et animatrices. Cette situation est notamment due à l’incompréhension, par le milieu et par les animateurs et animatrices eux-mêmes, de la nature des activités qu’il est possible d’organiser autour d’un spirituel universel…

LE SERVICE D’ANIMATION À LA VIE SPIRITUELLE ET À L’ENGAGEMENT COMMUNAUTAIRE SUR LE TERRAIN

“ Quand le service a été inauguré par le ministère de l’Éducation, le service avait, bon : vie spirituelle et engagement communautaire et en sous-titre, c’était euh : pour changer le monde ! Un service pour changer le monde ! J’me dis : si on rit pas de nous autres ! [rire] Un service pour changer le monde, rien de moins. Alors un service pour changer le monde en une demi- journée par semaine ! ”

Un AVSEC de la Commission Scolaire Pointe-de-l’Île Nous venons de présenter le contexte historique qui a conduit au remplacement de l’animation pastorale par le service d’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire (SASEC) dans les écoles primaires et secondaires publiques du Québec. Tout au long de cette histoire, nous avons pu observer le jeu variable de facteurs sociaux, culturels, politiques et proprement religieux qui ont conduit les acteurs du milieu scolaire à négocier une nouvelle place dans les écoles publiques pour le religieux et pour les animateurs et animatrices de pastorale. Nous avons également vu en quoi consistaient théoriquement – selon les textes ministériels – cette nouvelle place et ce nouveau rôle qui sont aujourd’hui accordés au service d’animation. Il convient à présent d’analyser l’implantation concrète de ce service.

Il s’agit de voir comment, dans les écoles, s’instaure et s’organise le travail des animateurs et animatrices à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire (AVSEC), quelles réactions ce nouveau service suscite chez les acteurs de l’école, quelle place on lui accorde et quels aménagements sont réalisés par les animateurs et animatrices sur le terrain. Autant de questions auxquelles ce chapitre tente de répondre de manière à mettre en évidence les

accommodements qui ont suivi la mise en place du nouveau service ; accommodements qui mettent en lumière les lieux de tensions et de négociations sur les types de religieux et d’engagement communautaire qui sont souhaités dans les écoles.

Afin de connaître la réalité du travail des AVSEC, deux types de sources sont utilisés ici. Il s’agit tout d’abord d’enquêtes nationales menées par le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ), par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et par l’association professionnelle des AVSEC. Ensuite une large place est accordée à notre propre étude réalisée sur l’île de Montréal, ce qui permet d’approfondir les résultats de ces grandes enquêtes provinciales.