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2.1 ÉVOLUTION HISTORIQUE DE LA PASTORALE SCOLAIRE : D’UNE

2.1.4 Les années 1980-1990 : un nouveau service pour une nouvelle clientèle

Pendant les années 1980, l’animation pastorale suit globalement le modèle présenté par le Comité catholique. Il continue, au moins au secondaire, son évolution vers la valorisation des expériences au détriment du discours. Mais le mandat épiscopal et le caractère catholique du service continuent de déranger les animateurs qui ne se sentent pas à l’aise pour réaliser des activités avec les jeunes, surtout en contexte de pluralisme religieux. L’identité catholique des animateurs les empêcherait d’être réellement au service de toute l’école et de tous les élèves, ce qui n’est pas sans poser problème aux directions d’établissements et qui questionne l’animation pastorale elle-même.

La même problématique se retrouve au primaire mais avec moins d’ampleur vue la faible proportion d’élèves qui ne suivent pas l’enseignement religieux et surtout l’absence d’un réel service d’animation indépendant de la paroisse23.

Au milieu des années 1980 et face aux pressions exercées par les animateurs24, les directions d’établissement et le MEQ, l’épiscopat revoit les orientations de l’enseignement religieux et du service de pastorale dans les écoles en leur ôtant l’objectif de préparation aux sacrements. Ce geste enlève un poids énorme des épaules des animateurs qui peuvent dès lors se consacrer davantage à la dimension sociale de leur travail. Au primaire, les animateurs et animatrices continuent leur évolution sur le modèle du secondaire. Tout en continuant de relever des paroisses jusqu’en 2002, ils mettent en place des activités plus collées à l’école et aux besoins particuliers du milieu, ce que les directions apprécient grandement25.

23 « À cette époque, seules quelques « paroisses du diocèse de Montréal, en collaboration avec les services

diocésains et plusieurs commissions scolaires, prenaient en charge des services d’animation pastorale dans quelques écoles primaires publiques du diocèse de Montréal. La démarche catéchétique était alors assumée par des prêtres de paroisse. Après quelques années d’expérimentation, Mgr Grégoire, alors archevêque de Montréal, proposait des orientations précises concernant le domaine de la pastorale. Depuis, des animatrices et des animateurs laïques sillonnent les écoles primaires procurant des services de pastorale ». Marie-Andrée Amiot, « L’école compte sur les “elles” de la pastorale », Le Devoir, Montréal, « Cahier spécial », 8 avril 1993, p. C5.

24 Lavoie, Du monolithisme au pluralisme, p. 20-21. 25 Leblanc, Entrevue.

Mais au secondaire, les animateurs ne sont pas pleinement satisfaits du geste des évêques, surtout dans les régions où au pluralisme religieux interne (catholiques-laïques) s’ajoute une diversité liée à l’immigration et qui rend de plus en plus problématique l’identité catholique de l’animateur26. C’est pourquoi, au cours des années 1990, le Forum de la pastorale dans le secteur public (qui inclut les domaines de la santé, de l’éducation et des prisons) rédige un certain nombre de mémoires et de rapports qui vont dans le sens d’un changement de nature du service. Ils souhaitent remplacer le modèle confessionnel existant par un « service commun d’animation spirituelle et communautaire »27 semblable d’ailleurs au modèle alors proposé par le Comité catholique. Cette nouvelle appellation viserait notamment à mieux représenter le travail réellement effectué dans les écoles et à distancer les animateurs du catholicisme aux yeux des parents28.

Ainsi, à la fin des années 1990, les animateurs de pastorale au secondaire sont en majorité très loin de l’institution ecclésiale notamment parce qu’ils doivent, pour rejoindre les jeunes, laisser de côté le message traditionnel de l’Église. La pastorale s’est donc singulièrement sécularisée et a acquis « comme traits essentiels la présence et l’accompagnement auprès des jeunes non présumés appartenir à la communauté chrétienne »29. Basant leur intervention sur « l’agir », les animateurs espèrent ainsi rejoindre tous les élèves, tout en contestant en pratique le modèle pastoral « ecclésial ».

26 Marc Thibodeau, « Les animateurs de pastorale veulent se distancer de l’archevêché », La Presse, Montréal, 16

février 2000, p. A13.

27 Forum de la pastorale dans le secteur public, La place du spirituel dans les institutions publiques, Mémoire

présenté à la commission permanente sur l’Éducation du Gouvernement du Québec, octobre 1999, p. 13.

28 Selon Lucie Lafrance, animatrice à l’école secondaire Édouard-Montpetit de la CSDM : « La tâche décrite dans

la fonction de l’animation de pastorale ne correspondait plus à ce que nous faisions dans les écoles au quotidien. Le titre était très restrictif, la population à laquelle nous nous adressions était beaucoup plus large que les seuls catholiques ». Luc Allaire, « L’animation de pastorale se modernise », Nouvelles CSQ, septembre-octobre 2001, p. 8.

29 Gilles Lavoie, L’animation pastorale au secondaire ou l’Évangile sans Église, Thèse de doctorat, Montréal,

Université du Québec à Montréal, Département de sociologie, juin 1999, p. vii. Cette thèse portait sur la polyvalente de Chambly et les constats dressés par l’auteur sur la pastorale au Québec ne sont pas issus d’une enquête sociologique à la grandeur de la province. Il s’agit plutôt d’une perception par cet observateur attentif des modifications qu’il pense être majeures dans le travail d’animation pastorale au cours des 30 dernières années. Cette vision de l’évolution de la pastorale recoupe celle de tous les autres interlocuteurs rencontrés (les AVSEC, trois professeurs de morale et religion de l’île de Montréal, Richard Leblanc et les Conseillers en éducation spirituelle, religieuse et morale).

Toutefois, ce changement d’approche est problématique à plusieurs égards. Tout d’abord, le modèle de pastorale séculière ôte aux animateurs leur référence religieuse sans lui substituer une nouvelle base, religieuse, laïque ou autre. Ensuite, l’Église « ne pouvait plus se reconnaître dans une conception de cette animation pastorale de plus en plus séculière, c’est- à-dire dans le siècle et de moins en moins “reproductrice” de ses aspects institutionnels »30. Elle est donc prête à réviser largement l’exercice de ce service. De plus, l’animation pastorale pose problème du point de vue de l’école. En effet, il devient de plus en plus malaisé pour les acteurs de cette institution de comprendre et d’intégrer réellement ce service dont la gestion lui échappe en grande partie et dont l’utilité de cohésion basée sur la religion ne lui apparaît pas, ou plus, d’emblée31. Enfin, on peut se rendre compte que l’État aussi s’interroge sur le maintien ou non de l’animation pastorale car, au-delà de « cette controverse, se profile la question de la légitimité de ce type de service à l’école et, dans une perspective égalitaire, d’un service de même type pour les autres confessions »32.

Les principaux acteurs concernés par l’animation pastorale sont donc d’accord pour opérer des changements majeurs à la fonction de ce service et il est à noter qu’aucun ne semble disposé à le supprimer totalement ; son utilité apparaissant indubitable aux côtés des enseignements magistraux.

30 Lavoie, L’animation pastorale au secondaire, p. v. 31 Ibid., p. 94-97.

32 Québec, Ministère de l’Éducation, Groupe de travail sur la place de la religion à l’école, Laïcité et religions.

Perspective nouvelle pour l’école québécoise, Québec, Publications du Québec, 1999, p. 71.

2.2 L’animation pastorale : un enjeu mineur de la réforme des années

1990

On peut s’étonner que, tout au long des années 1990 et alors que le débat autour de la remise en question de la confessionnalité scolaire bat son plein au Québec, le service de pastorale n’attire que très peu l’attention des acteurs. Le service est presque toujours traité comme un objet de second ordre, on pourrait même dire de moindre importance que la confessionnalité du système scolaire ou l’enseignement religieux. Cela est sans doute dû au fait que ces derniers touchent tous les élèves alors que le service, lui, est « entièrement libre [… et qu’] il ne s’adresse en principe qu’aux catholiques ou aux protestants »33. Mais également, il existe un relatif consensus implicite concernant l’animation pastorale, consensus qui voit ce service comme nécessaire dans l’école, mais avec des modifications importantes à apporter concernant son identité catholique. Ces modifications viendraient confirmer l’évolution qui s’est produite de facto au sein de ce service et viseraient à le rapprocher de l’école et de ses besoins particuliers.

Toutefois, une tension est présente entre les acteurs concernant les objectifs du nouveau service qui devrait, selon eux, remplacer la pastorale. D’un côté, les Églises et les coalitions confessionnalistes souhaitent que ce service demeure confessionnel, quitte à évoluer vers une approche multiconfessionnelle, alors que de l’autre, les groupes de pression laïcistes préfèrent l’idée d’un service commun d’animation de la vie civique et/ou spirituelle des jeunes. Au sein de cette dialectique, étonnamment, le rapport Proulx est fort proche du communautarisme : le service qu’il propose donne plus de place aux confessions religieuses qu’il ne le fait pour l’enseignement ou pour l’ensemble du système.

On a vu que l’une des principales contributions de ce rapport a surtout été de poser les termes du débat sur la place de la religion à l’école ; les différents acteurs du milieu pouvant ensuite se positionner pour faire valoir leurs idées par rapport à celles énoncées par le Groupe de travail. Il en est de même pour les aménagements que les différents acteurs et groupes de

33 Ibid., p. 217.

pression ont proposé d’apporter au service d’animation pastorale. Après avoir présenté le nouveau modèle de service mis de l’avant dans le Rapport, nous verrons quelles ont été les réactions des différents groupes de pression à ce modèle et quel type de service le Ministère a finalement choisi en composant une solution médiane.