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1.3 AUJOURD’HUI : UNE NOUVELLE PLACE POUR UN NOUVEAU

1.3.3 Une nouvelle vision de la Loi 118 : la promotion du religieux non

1.3.3.3 Le Service d’animation spirituelle et d’engagement

Le Service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire représente dans l’école le lieu privilégié du développement spirituel, même s’il n’est officiellement pas le seul. Le ministre de l’Éducation lui donne une grande importance et de fait, il s’agit du seul service complémentaire qui soit enchâssé dans la Loi sur l’instruction publique, ce qui lui confère un statut privilégié144. En effet, cette inscription dans la loi fait en sorte que seule une décision législative pourrait le supprimer, alors que tous les autres services dépendent uniquement, légalement, d’une décision ministérielle.

142 Comité sur les affaires religieuses, Rites et symboles religieux à l’école, p. 26.

143 Il convient tout de même de prendre en considération ici le réalisme politique du ministre qui ne pouvait se

permettre de mettre à pied tous les animateurs et toutes les animatrices de pastorale. À l’opposition des Églises se serait alors ajoutée celle des syndicats, en particulier de la CEQ. Cette dernière ne soutenait d’ailleurs pas le nouveau service pour des raisons idéologiques, mais bien pragmatiques : conserver les postes de ses membres syndiqués parmi les animateurs et animatrices de pastorale. Jocelyn Berthelot, chercheur à la CSQ,

Communication personnelle, Montréal, 29 octobre 2004.

144 « L’élève, autre que celui inscrit à la formation professionnelle ou aux services éducatifs pour les adultes, a

droit à des services complémentaires d’animation spirituelle et d’engagement communautaire ». Loi sur

l’instruction publique, art. 6.

Les visées de ce service représentent, en condensé, l’essentiel des fonctions de la religion qui sont mises de l’avant dans le troisième temps de la place de la religion à l’école :

[…] selon les orientations gouvernementales, les activités du service peuvent être à caractère humanitaire, spirituel, confessionnel ou interconfessionnel axées notamment :

- sur la quête de sens des jeunes ;

- sur le développement de la conscience sociale ; - sur l’humanisation du milieu ;

- sur l’engagement communautaire ; et

- sur les besoins des élèves en fonction de leur appartenance religieuse propre.145 Ainsi, ce nouveau service complémentaire, obligatoire dans chaque école146, cumule les « fonctions éducatives de la religion » – telles que formulées par le Comité catholique – et tend à leur ôter leur ancrage confessionnel, suivant en cela la réinterprétation du spirituel qui est énoncée dans le rapport Proulx. Car pour le ministre de l’Éducation, un service spirituel n’est pas un service religieux :

L’expression animation spirituelle signifie ce qui est relatif au sens à la vie, à l’expérience réfléchie et responsable, aux valeurs. Le « spirituel » se distingue ainsi du « religieux », qui concerne la relation au divin, qui englobe la dimension spirituelle mais en la reliant en la foi en Dieu et à une communauté de foi.147 L’ensemble de ces réinterprétations se trouve conceptualisée dans un nouvel intitulé pour ce service qui remplace l’animation pastorale : « animation de la vie spirituelle et de l’engagement communautaire ». Et l’on retrouve ici, en version laïque, les deux principales fonction de la religion : la socialisation du jeune et sa croissance personnelle.

Le nouveau service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire représente donc la quintessence du troisième temps de la place de la religion à l’école. On y retrouve le

145 Québec, Ministère de l’Éducation, Secrétariat aux affaires religieuses et Direction de l’adaptation scolaire et

des services complémentaires, Pour approfondir sa vie intérieure et changer le monde. Le service d’animation

spirituelle et d’engagement communautaire. Cadre ministériel, Québec, Publications du Québec, 13 mars 2001,

p. 2.

146 Rappelons que le rapport Proulx proposait que ce service soit seulement facultatif. Selon le Groupe de travail

sur la place de la religion à l’école, il devait revenir à chaque milieu de décider, compte tenu des budgets et des besoins du milieu, si ce service était nécessaire.

147 Ministère de l’Éducation, Dans les écoles publiques du Québec, p. 14.

« spirituel », conçu comme un religieux aconfessionnel dont la fonction éducative se situe dans le mandat de l’école (instruire, socialiser, qualifier) et qui ne constitue pourtant pas une rupture brutale avec le passé. En effet, ce sont les anciens animateurs et animatrices de pastorale qui prennent en charge ce service.

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Ainsi, plutôt que d’affirmer simplement que le principe « qui guide l’élaboration de la loi 118 consiste à avoir moins de religion à l’école148 », faudrait-il conclure que cette loi change le

type de religieux qui est présent dans les écoles. Si la religion institutionnalisée disparaît (ou

est reléguée à un espace et à un horaire bien circonscrits), le religieux laïque, lui, apparaît (en particulier dans le SASEC), et cette évolution se situe dans la lignée de la prise en compte du pluralisme religieux au Québec. Ce religieux laïque réunit les fonctions que l’État juge pertinentes pour l’école, soit la signification (l’élève doit donner un sens à sa vie), l’appartenance (l’élève doit se sentir membre de l’école et de la société) et le guide moral (œuvrer pour le bien commun). Il s’agit clairement d’une nouvelle naturalisation de la religion, celle-ci quittant ses aspects transcendants (la fonction de contact avec Dieu) et irrationnelles (comme l’acceptation de la souffrance) pour devenir un religieux intérieur (voire immanent), citoyen et moralement fortement orienté vers le bien-être collectif. C’est dans ce contexte que l’on voit apparaître la « dimension spirituelle » qui fait son entrée dans la législation par la grande porte, si l’on peut dire. Cette dimension semble transcender les religions, les valeurs, les normes et la formation personnelle ou sociale.

Et c’est cette dimension que les animateurs et animatrices de vie spirituelle et d’engagement communautaire doivent développer chez les élèves. Il importe donc de savoir de quelles manières et avec quelles stratégies ces animateurs et animatrices peuvent concrètement déployer cette dimension, l’encourager et l’accompagner, tout en demeurant neutres religieusement. C’est le travail de ces acteurs du milieu scolaire que nous allons voir à

148 Micheline Milot, Laïcité dans le nouveau monde. Le cas du Québec, Turnhout, Brepols, Coll. « Bibliothèque

de l’école des hautes études, Section Sciences religieuses », vol. 115, 2002 ; cité dans Jean-Marc Larouche, « La religion dans l’espace public. Retour sur le rapport Proulx », Religiologiques, 28, Montréal, Université du Québec à Montréal, Département des sciences religieuses, automne 2003, p. 87.

présent, en commençant par l’histoire de leur profession, puis en nous intéressant à la réalité de leurs tâches sur le terrain des écoles.

DE LA PASTORALE À L’ANIMATION SPIRITUELLE ET COMMUNAUTAIRE : VERS UN SPIRITUEL SANS CONTENU

Le service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire constitue le lieu central, privilégié, de la présence dans les écoles publiques de ce que le gouvernement a décidé d’y promouvoir : la dimension spirituelle de l’être humain. Pour comprendre ce que les agents du milieu scolaire entendent par cette notion, il convient d’étudier le service aujourd’hui, c’est- à-dire le travail effectué par ces animateurs et animatrices, mais également de connaître leur histoire.

Aujourd’hui perçu comme le dernier lieu d’humanisation dans l’école, le service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire (SASEC) est l’héritier de l’animation pastorale et constitue, en quelque sorte, son prolongement laïque. Loin de constituer une rupture, le passage de la pastorale au SASEC était dans une large mesure désiré et avait débuté dans les faits dès le début des années 1990. Pourquoi les animateurs et animatrices de pastorale ont-ils opéré ce passage ? Pourquoi l’ont-ils même dans une certaine mesure encouragé ? Et qu’est- ce qui a officiellement changé par rapport à l’ancien modèle d’animation ? C’est ce qu’il s’agit de savoir ici avant de s’intéresser, dans le chapitre suivant, à la réalité des transformations observables sur le terrain des écoles.