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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

Chapitre 4 : DES VEUVES AUTONOMES ?

3. Des veuves urbaines

Parmi les veuves dont nous pouvons avoir une idée plus précise des moyens de subsistance, les veuves urbaines sont plus représentées que les veuves rurales. Seuls cinq

factums évoquent des veuves en lien avec l’exploitation de la terre, mais seuls deux semblent concerner des veuves qui exercent réellement des activités agricoles. Elles mènent alors des procès liés aux baux qu’elles ont contractés11

. Les conflits les opposent aux propriétaires des terres ou des bêtes qu’elles ont en fermage.

Les veuves actives présentées dans les factums exercent presque toutes leurs professions en ville. Les factums les plus riches en informations sont ceux mettant en scène des veuves confrontées à un conflit dans le cadre de leur activité professionnelle. Ils ne permettent cependant pas toujours de se représenter clairement leur travail au quotidien. La présence de ces veuves exerçant des métiers divers est conforme aux recherches entreprises sur le travail féminin. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie signale qu’en ville, les femmes sont concentrées dans le service domestique, le commerce d’alimentation, les activités liées au textile et les tâches non spécialisées payées à la journée12. Ces professions ne sont cependant

contre la dame Lévêque de Gravelle, épouse séparée, quant aux biens, du sieur Lévêque de Gravelle, et encore contre le tuteur à la substitution établie sur partie des biens de Mme de Nicolay. (Succession de Thoinard, alias Thoynard, fermier genéral, et de sa femme, aïeuls de Lévêque de Gravelle et des dames de Nicolay et de La Briffe), imp. de L. Cellot, 1777.

10 DOUSSET Christine, « Fortunes et infortunes familiales des veuves (France. XVIIe –XVIIIe siècle) », op. cit., p. 52-54.

11

Pinault, Mémoire signifié pour dame Louise Tranchand, veuve en premières noces et donataire universelle de

feu sieur Bernard Rampillon, et femme en secondes noces du sieur Charles Guyot,... autorisée par leur contrat de mariage à la poursuite de ses droits,... contre le sieur Moïse Coquillaud, sieur de la Martinière, prenant le fait et cause d'Abel Pauleau, Charles Jauneau et Claude Besly..., P.-G. Simon, 1770 ; Brouet, Précis signifié pour les administrateurs actuels de l'Hôtel-Dieu de Verberie, intervenans et demandeurs, contre François-Martin Cailleux, fermier à Brassoire et Denise-Cécile Choron, sa femme, intimés et demandeurs, en présence de M. le procureur général..., chez P.-G. Simon, 1778 ; Thierry, Précis signifié pour François-Martin Cailleux, fermier à Brassoire et Denise-Cécile Choron, sa femme, intimés, contre M. le procureur général, prenant le fait et cause de son substitut en la prévôté-châtellenie de Verberie, appellant, et les administrateurs de l'Hôtel-Dieu de Verberie, intervenans, de l'imp. de Demonville, 1778.

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presque pas représentées dans les factums. Toutefois, la présence des femmes dans les métiers de la finance, du commerce et de la boutique n’est pas rare13

. Il arrive ainsi que des veuves défendent leurs intérêts commerciaux. C’est le cas de la veuve Hue, négociante à Bordeaux, qui cherche à se faire rembourser une cargaison de poissons endommagée. Elle est associée à un certain Marcadet, mais est présentée en premier dans l’intitulé du factum et mise en avant dans la rédaction14. La dame Laubereau, qui a fait pendant plusieurs années un « commerce de bois et charbonnage, & de laine », plaide aussi pour récupérer une créance15.

On note aussi la présence de veuves entrepreneuses. Un factum est ainsi rédigé pour « la veuve Tessier, Michel et Bernard Tessier, maçons associés ». On ignore les liens qui unissent la veuve aux deux hommes. Sa présence en tête de l’intitulé semble faire d’elle le personnage le plus important de l’entreprise de maçonnerie. Dans quelle mesure exerce-t-elle le même travail que ses associés masculins ? Le rédacteur du factum ne donne aucun indice quant à la spécialisation éventuelle de chacun : « Depuis nombre d’années, les Intimés sont chargés de faire les ouvrages de maçonnerie qui sont nécessaires aux bâtiments dépendans des successions du sieur Louis Leblanc & de Marie-Magdeleine Duru, sa femme »16. Il ne semble pas incongru, pour une femme, de réaliser un travail de ce type17. Un autre factum signale qu’une veuve « avoit entrepris une fabrique de tabac » après la mort de son premier mari.18

Le

factum insiste sur le rôle du fils dans la gestion de ses affaires. Cependant, il est rédigé dans le

13 « De nombreuses descriptions nous montrent les femmes s’affairant dans la finance ou le commerce, tenant boutique, traitant avec des marchands étrangers en leur nom ou pour le compte de leur époux, achetant, vendant. La pratique confirme parfaitement ces observations, comme le montrent les signatures féminines relevées dans la reconnaissance de dettes dans les archives d’Anvers, les procurations, les livres de compte qu’elles remplissent, les passeports délivrés à des femmes mariées au titre de leurs activités de commerçantes. » Ibid., p. 101-102.

14 Moreau de Vorme, Mémoire pour Pierre Nottebaert, Pierre-Joseph Piquet et Marie-Thérèse Vandembrouk, sa

femme, négocians à Dunkerque, et armateurs à la pêche du hareng, contre la veuve Hue Cassaigne et Jean Marcadet, négocians à Bordeaux, et encore contre Armand Peischers, marchand commissionnaire à Dunkerque, P.-G. Simon, 1773.

15 Bocquet des Tournelles, Mémoire pour Jean-Mathurin Huette, maître perruquier à Montargis, et Marie-Madeleine Marchand, son épouse, légataire universelle de la feue dame veuve Laubereau,... contre Jean David, marchand de vin à Paris, et Marie Plessis, sa femme..., imp. de Prault, 1779.

16 Berchet, Précis sur délibéré pour la veuve Tessier, Michel et Bernard Tessier, maçons associés, intimés, contre Etienne-Denis Chalot, charpentier à Villiers-le-Bel, appelant, P.-G. Simon, 1774.

17 Un recensement des activités professionnelles à Genève en 1798 montre des femmes employées comme ouvrières portant le sable et le mortier sur les chantiers de construction. Voir BEAUVALET BOUTOUYRIE Scarlett, Les Femmes…, op. cit., p. 114.

18Mémoire et consultation pour le sieur Jean-Baptiste Danel, bourgeois de Saint-Omer, et Marie-Aldegonde de Larre, sa femme, agissant pour Anne-Thérèse Danel, leur fille,... et poursuivant la réhabilitation de la mémoire de François-Joseph Monbailli, leur gendre. (10 janvier 1771.), imp. de A. Boudet, 1771. « Avant ce dernier mariage, elle avoit entrepris une fabrique de tabac. Depuis son nouveau veuvage, elle avoit continué son négoce ».

181 but de réhabiliter la mémoire de ce dernier, accusé de parricide. Le factum ne permet donc pas d’avoir une idée du partage réel des pouvoirs et des responsabilités entre la mère et le fils.

Un autre groupe représente des veuves exerçant une profession en rapport avec l’argent19. On dénombre deux prêteuses sur gages et une veuve que l’on peut qualifier d’usurière. Toutes parisiennes, elles sont impliquées dans des affaires troubles. La veuve Duplat a prêté sur gages 1 200 livres contre une marchandise volée20. La marchandise a été confisquée et elle cherche à récupérer son argent, en mettant en avant sa bonne foi et l’impossibilité dans laquelle elle était de douter de l’honnêteté de ses clients. Une autre prêteuse sur gages intervient dans un factum en tant que témoin pour innocenter une famille accusée d’avoir produit des faux billets. Il s’agit de la veuve Tourtera, « revendeuse à la toilette et prêteuse sur gages, rue de la Boucherie » à Paris21. Elle semble à la tête d’une affaire prospère puisqu’un commis, le sieur Petit, est à son service. Le même factum met en scène une veuve de Banquier qui fait valoir ses fonds par un notaire « sur le pied de 6% » de 1740 à 1760. Elle cherche ensuite à prêter son argent et son petit-fils fait faire des billets à son nom. La réalité de la fortune de la famille Véron est cependant mise en doute par leur adversaire qui nie la réalité de ses dettes22.

Sans surprise, les veuves représentées dans les factums, appartiennent plutôt aux couches supérieures de la société. Ce sont des nobles, des bourgeoises ou des femmes qui disposent d’une activité et d’un revenu leur permettant une certaine indépendance. Les veuves peuvent exercer une activité économique hors du foyer. On admet souvent qu’elles reprennent l’activité de leurs maris. Elles retrouvent aussi la capacité de se représenter en justice par elles-mêmes. Elles ne sont plus sous puissance maritale. La moralité de certaines veuves mises en scène peut parfois apparaître comme douteuse ou dénoncée par les adversaires, surtout dans les milieux urbains liés à l’argent et au commerce. Néanmoins, elles exercent leur autorité en se représentant elles-mêmes devant la justice

19 En ce qui concerne l’Angleterre, C. W. Chalkin a noté le poids des femmes (qui ne peuvent être que des veuves ou des spinsters) parmi les créancières des hypothèques. Entre 1701 et 1800, elles représentent entre 17 et 28% du total dans les villes de Birmingham, Liverpool et Manchester. Voir CHALKLIN Christopher William,

The Provincial Towns of Georgian England. A Study of the Building Process 1740-1820, Londres, Edward Arnold, Appendix V: Mortgage capital, 1974, p. 332-335.

20 de Vaucresson, Dardenne, Mémoire pour la veuve Duplat,... contre Hubert Amiot,... et sa femme..., impr. de d'Houry, 1772.

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Drou, Requête présentée au roi et à nosseigneurs de son conseil par Geneviève-Françoise Gaillard, op.cit.

22Ibid. Le factum cherche à insister sur l’aisance de la famille en détaillant leurs biens et achats en bijouteries et modes, vaisselles, meubles, or et diamants.

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