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Pour défendre des intérêts économiques et professionnels conjoints conjoints

Le couple dans les factums d’avocat : quel rôle pour l’épouse ?

CHAPITRE 2 : LE COUPLE UNI FACE A LA JUSTICE LA JUSTICE

A. Pour défendre des intérêts économiques et professionnels conjoints conjoints

Le couple peut être représenté agissant conjointement lorsqu’il s’agit de défendre sa stabilité financière. André Burguière rappelle, dans sa récente synthèse sur Le Mariage et l’Amour, que les ménages ont été initialement conçus comme des unités de production avant d’être principalement des foyers d’affection70

. Les intérêts économiques du ménage concernent alors les deux membres du couple. Une phrase tirée d’un factum rédigé en 1786 et représentant un couple d’aubergistes illustre bien l’égale implication des époux dans la gestion du ménage : « Il arrive tous les jours, qu’un mari & une femme comptent leur argent ensemble ; & que, pour le faire, ils se dérobent aux yeux de leurs domestiques, & des étrangers. »71. La compétence des femmes en matière économique est admise. Un factum met ainsi en scène une marchande-orfèvre qui refuse de prêter de l’argent à un comte insolvable. L’auteur souligne qu’elle se montre plus perspicace que son mari :

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BURGUIÈRE André, Le Mariage et l’Amourop. cit., p. 13.

71 Blondel, A Nosseigneurs de parlement en la Tournelle. Supplient humblement Jean-Louis Leblanc,... et Marie-Geneviève Jacquet, sa femme, ci-devant aubergistes et tenant l'hôtellerie des Quatre-Fils Aymon à Charenton, près de Paris, accusés,... contre Anne-Marie-Pierrette Champy, veuve de Daniel-Louis-Fidèle-Amand Bosquillon, receveur particulier des impositions du bailliage d'Auxonne, dénonciatrice..., Paris : P.-G. Simon et N.-H. Nyon, 1786, p. 90.

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« Souple & caressant, avec quelle adresse ne cherche-t-il pas à s’insinuer dans l’esprit d’une Marchande Orfèvre, qu’il se propose d’enrôler parmi ses dupes. [..] La femme étoit plus méfiante que le mari. Elle doute de l’exactitude & de la solvabilité du Comte ; elle le lui laisse entrevoir. »72.

Les mémoires judiciaires valorisent la mise en scène de décisions prises en commun par le couple. Des époux sont aussi montrés investissant conjointement pour développer une activité : « Les trois maisons, acquises par Varlet & sa femme, furent destinées à une fabrique de bonneterie, qui exigea des changemens & des augmentations. »73.

1. Une co-responsabilité mise en avant

Cette valorisation du couple comme unité de décision économique est particulièrement claire dans les factums qui concernent des couples de laboureurs ou de fermiers. Mari et femme se défendent contre des baux injustes, essaient de récupérer une dette… Un factum

daté de 1774 relatant une affaire de contestation de bail met ainsi en scène des couples qui possèdent, louent et exploitent des terres en commun. Jean Lalouette et Marie de Bourges « étoient propriétaires de huit pièces de terre », « ils les affermèrent », « vendirent ». Jean-Baptiste Cousard et Marie-Françoise Poitevein « avoient acquis dans l’intention de faire valoir eux-mêmes les objets de leur acquisition »74… Leurs fonctions peuvent être différentes mais toujours complémentaire. Dans ces factums, maris et femmes sont présentés comme également responsables. Il arrive même que la femme soit citée avant le mari. Ainsi dans un

factum daté de 1770, il est question d’un bail contracté par « Marie Jauneau, Charles Jauneau & Abel Pauleau, & Marie Gobin, sa femme. ». Rien ne permet de savoir quels liens unissent Marie et Charles Jauneau. Pourtant la suite du factum suggère qu’ils sont mari et femme :

72 Drou, Requête présentée au roi et à nosseigneurs de son conseil par Geneviève-Françoise Gaillard…, imp. de P.-G. Simon, 1774, p. 8-9.

73 Le Poitevin, Précis pour Etienne Rigolot, maître serrurier à Villers-Cotterets, appelant et demandeur, contre Henri Marsaux, la veuve Picard, sa soeur, Antoine-Louis Hiraux et Magdeleine Lagrange, sa femme, intimés, et encore contre Jean-Joseph-Remy Varlet, défendeur, (Paris) : imp. de P.-M. Delaguette, 1785, p. 2.

74 Lhoier de Frêne, Précis pour Jean-Baptiste Cousard, laboureur à Angiviller, et Marie-Françoise Poitevin, sa femme, appellans ; contre Denis Queste, fermier de la ferme d'Eloge, intimé, chez P.-G. Simon, 1774, p. 2 et 4. Voir aussi « il sera libre aux acquéreurs d’entretenir le bail aux sieur & dame Queste, ou de les expulser en indemnisant » (p. 4) ; « « Le nommé Dupont & sa femme, avoient vendu à Jean-Baptiste Parmentier, un droit de douaire viager, sur plusieurs pièces de terres » (p. 16) ; « En ce qui touche le bail fait à défunt Jean-Jacques Benoît, par Pierre Dupont, & Cressence Boitelet, sa femme, en 1758, il est & demeure résilié par la vente faite au Demandeur. » (p. 17).

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« Le 29 Octobre suivant, sur-veille de l’expiration de son bail, il fit faire une pareille estimation des bestiaux qui étoient en la métairie & borderie de la Davière, & qu’il avoit aussi donnés à Cheptel, à moitié, ceux nommés Jauneau & Pauleau, & leurs femmes »75.

Le factum n’explique pas pourquoi Marie Jauneau est mise en avant à la page 4 tandis que c’est son mari qui est valorisé page 8. Ce renversement de la hiérarchie sans raison particulière laisse entendre que derrière la norme généralement respectée qui consiste à citer le mari avant l’épouse, on admet que les deux membres du couple soient d’égale importance.

Des factums insistent aussi sur le fait qu’un acte concernant un couple doit être ratifié à la fois par le mari et la femme76. De même les prêts sont accordés par le mari et la femme, même ceux qui sont conclus de manière informelle. Ainsi, dans un factum daté de 1770, on peut lire :

« Guillotte dit qu’il a vu plusieurs fois la femme Nicard manquer de tout, n’ayant pas même de quoi avoir du tabac ; ensorte que lui & sa femme lui ont avancé en différentes fois 15 liv. pour subvenir à ses besoins, & par pure compassion »77.

Il est intéressant de noter que dans le reste du factum, le personnage de Guillotte est bien développé alors que celui de sa femme est quasiment absent. On ne cite même pas son identité exacte. Pourtant il est spécifié que le prêt est accordé par le mari et la femme.

Bien que l’époux soit garant des biens de sa femme en tant que détenteur de l’autorité maritale, les biens de l’épouse peuvent être mis à contribution quand le couple ne peut plus rembourser ses dettes. C’est ce qui arrive à Catherine Phelypeaux, mariée à Claude Roque, agent de change. Claude Bérard, leur créancier, récupère son argent sur la vente des

75 Pinault, Mémoire signifié pour dame Louise Tranchand, veuve en premières noces et donataire universelle de feu sieur Bernard Rampillon, et femme en secondes noces du sieur Charles Guyot,... autorisée par leur contrat de mariage à la poursuite de ses droits,... contre le sieur Moïse Coquillaud, sieur de la Martinière, prenant le fait et cause d'Abel Pauleau, Charles Jauneau et Claude Besly..., P.-G. Simon, 1770, p. 8.

76 Thierry, Précis signifié pour Jean Sanglier, fermier-laboureur à Chelles, et Marie-Anne Delamare, sa femme, appelants, accusateurs et demandeurs, contre Me Nicolas Huppin, conseiller du roi, assesseur en l'élection de Paris, intimé, accusé et défendeur, imp. de Demonville, 1778, p. 8, 11, 25 et 26.

95 immeubles appartenant à la dame Roque78. Cette solidarité financière des époux, qui peut impliquer fortement les épouses est présente dans un autre factum rédigé en 1774 où un couple est condamné à verser une pension alimentaire à la fille du premier lit du mari. La demoiselle Ménager a porté plainte à la Chancellerie du palais de Paris qui « a condamné le sieur Menager & la demoiselle Thomeret solidairement à payer à la demoiselle Menager la somme de 500 liv. de provision alimentaire. »79.

2. Des rôles différents lors des conflits

Cette responsabilité conjointe ne pèse cependant pas de la même façon sur le mari et la femme devant la justice. L’époux est responsable des activités de sa femme. Si elle enfreint la loi, il peut être condamné avec elle. Dans un factum daté de 1774, Laurence Begue, femme d’un cuisinier de Saint-Quentin, entreprend de vendre une toile sans avoir de permission car elle n’est pas une négociante officielle. Un fabricant lui confie cependant une pièce de toile. Alors que la mari est cuisinier et n’est pas directement impliqué dans l’affaire, il est condamné au même titre que sa femme, son nom est même parfois cité avant le sien :

« ledit Blondeau & sa femme & ledit Vatin fussent en outre condamnés solidairement chacun en vingt livres d’amende ; savoir ladite femme Blondeau, pour avoir promené & exposé en vente ladite pièce de Toile, & ledit Vatin pour avoir remis ladite Toile ès mains de ladite femme Blondeau. »80.

L’activité de l’épouse est donc mise étroitement sous la responsabilité du mari même quand les deux époux exercent des activités professionnelles distinctes. Cette indifférenciation est également présente dans un factum daté de 1784. Toussaint Raoult et Catherine Callac

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Berard. Me Turpin, Précis pour le sieur Berard, avocat en parlement, contre le sieur Marchal de Saincy, économe général du clergé, nommé... pour faire la régie des bénéfices unis aux collèges, maisons et autres établissements des ci-devant soi disans jésuites, de l'imp. de L. Cellot, 1779.

79 Me Oyon, Mémoire... pour Charlotte-Françoise Menager, appellante comme d'abus du prétendu mariage célébré... entre, 1 ° le sieur Claude Menager, valet de chambre de M. le duc d'Orléans, et mari de la dlle Françoise Bailly, ses père et mère ; 2 ° la dlle Marie-Geneviève Thomeret, femme de chambre de Mme la duchesse de Chartres ; ladite dlle Menager, encore mineure, et procédante sous l'autorité de Me Joseph Oyon, avocat du Parlement..., de l'imp. de Knapen, 1774, p. 10.

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Extrait des registres du parlement. Du sept juin 1777. (Confirmation d'une sentence rendue, le 27 avril 1774, contre les marchands de toiles de Saint-Quentin, au profit de Denis Blondeau et de Laurente Bègue, sa femme.), P.-G. Simon, 1777, p. 2.

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plaident contre le régisseur général des droits réunis sur les cuirs et peaux. Dans l’intitulé, le mari est présenté comme maître de la poste aux chevaux à Châtelaudren. Rien n’est dit sur la profession de l’épouse. Or le procès n’a rien à voir avec la profession déclarée du mari. Les époux sont impliqués dans le commerce des peaux :

« Raoult et sa femme n’en vendent pas au regrat : ils achètent en détail pour revendre en gros, comme on l’a expliqué ; & si ce commerce leur étoit interdit par la Cour, ce qu’on ne peut craindre de sa justice, ce seroit enlever une ressource à tous les petits Bouchers de Campagne, dont les Appellans achetoient

les peaux, pour les revendre en gros aux Marchands Fabricans de la Province, tels que ceux de Dinan,

Jugon, Lamballe & Vitré, qui vont aux foires, & sont, par ces achats, dans le cas de soutenir leurs Fabriques presque anéanties par les entraves de toute espèce que le commerce des cuirs éprouve depuis près de trente ans…. »81.

Le rôle respectif des époux dans le commerce de peaux n’est cependant pas détaillé. On ignore si l’un des deux membres est davantage concerné et comment ils se répartissent concrètement cette activité et ces revenus.

Les récits des factums peuvent aussi révéler les différences de rôles qu’occupent les époux pour gérer et résoudre les conflits. Dans le conflit qui les oppose à leur propriétaire, le couple Sanglier/Delamare intervient à des moments différents. Marie-Anne, l’épouse, est chargée d’une tentative d’arrangement infra-judiciaire par l’intermédiaire de la femme du propriétaire :

« Huppin ayant manqué à sa parole, Sanglier en instruisit sa femme, qui demanda le lendemain ces deux écrits à la dame son épouse. Elle répondit que son mari les rendroit : ce qui n’ayant point été fait, Sanglier les réclama le Lundi 22. »82.

C’est aussi la femme Sanglier qui reçoit l’adversaire lorsqu’il veut constater l’état de la ferme : « Huppin ayant demandé au commencement de Novembre suivant à voir les granges à

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Besné de la Hauteville, Précis pour Toussaint Raoult, maître de la poste aux chevaux à Châtelaudren, et Catherine Callac, sa femme, appelants de sentence rendue en la juridiction des traites à Saint-Brieuc, le 22 novembre 1784,... contre Henri Clavel, régisseur général des droits réunis sur les cuirs et peaux, suite et diligence de Jean-Jacques Degennes, son directeur... à Morlaix..., Rennes : veuve F. Vatar et de Bruté de Remur, 1786, p. 10.

97 foin dépendantes de la ferme, qui en sont séparées, la dame Sanglier l’y conduisit »83. Dès que l’affaire devient sérieuse et est présentée devant la justice, ce sont les hommes qui sont mis en avant dans les intitulés et les récits du factum. Les récits des mémoires judiciaires insistent ainsi à la fois sur l’interdépendance des deux membres du couple en matière économique mais aussi sur leurs actions différenciées pour protéger leurs biens.

L’étroite collaboration du couple en matière économique est donc valorisée dans les

factums. Elle reflète des pratiques qui semblent bien ancrées dans la société de l’époque. Il n’est pas surprenant de retrouver lors de la Révolution des propositions pour remplacer la puissance maritale par l’ « administration commune »84

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