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Des qualités communes et quelques différences sexuées

Le couple dans les factums d’avocat : quel rôle pour l’épouse ?

CHAPITRE 2 : LE COUPLE UNI FACE A LA JUSTICE LA JUSTICE

A. Des qualités communes et quelques différences sexuées

Quelles que soient les stratégies employées par les avocats, les factums soulignent que mari et femme se doivent protection. La douceur entre époux est valorisée. Le caractère des membres du couple se doit d’être compatible pour éviter les conflits. Cela peut être souligné dans des factums évoquant des séparations : « Elle convient que son caractère vif & enjoué ne s’accordoit pas avec celui de gravité, de douceur & de délicatesse, qui mérite à M. de Saint-Vincent l’estime & la vénération publiques. »31. Au contraire, la copie d’une lettre de la dame de Marigny met en avant l’harmonie qui doit régner dans le couple :

« il n’est pas de mari plus tendre, plus doux, ni plus complaisant ; je vous le confesse : je ne devrois pas m’y attendre ; car l’état de souffrance dans lequel je suis, me rend vraiment méchante, capricieuse, très-souvent ennuyeuse : hé bien ! je ne le vois que pénétré de ma situation ; il me tient fidèle compagnie ; il me plaint, me caresse dans des momens où je sens que je devrois lui déplaire ; il est avec moi comme

avant de m’épouser… »32

.

31 Vence de Saint-Vincent, A Nosseigneurs de parlement en la Tournelle criminelle. (Requête de Julie de Villeneuve de Vence, femme de M. de Fauris de Saint-Vincent, président à mortier au parlement d'Aix, demandant la nullité des procédures "tyranniques et redoublées" ourdies contre elle par les gens d'affaires du maréchal de Richelieu, imp. de L. Cellot, 1775, p. 3.

32Mémoire à consulter et consultations, pour les sieur & dame de Lalouette [Texte imprimé]; contre le sieur Taitbout de Marigny. Question sur l'article 283 de la Coutume de Paris : si une donation, faite par une femme aux enfans du premier lit de son mari, est valable ?, A Paris, de l'imprimerie de Demonville, imprimeur-libraire de l'Académie françoise, rue Christine. M. DCC. LXXXIV, p. 18.

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1. Des exigences parallèles

Les deux époux doivent également veiller à la bonne santé financière du ménage. Ils se doivent fidélité. Le droit canonique prône l’égalité entre hommes et femmes en matière d’adultère même si dans la pratique l’adultère féminin a été plus condamné33

. Jousse définit l’adultère comme « le violement de la foi conjugale de la part du mari, ou d’une femme mariée »34. Le dictionnaire de Ferrière, s’il condamne plus fermement l’adultère féminin, considère également l’adultère masculin comme moralement reprochable35

. La figure de la bonne épouse et du bon mari sont parallèles.

Cet idéal, s’il trouve ses racines dans les discours des clercs médiévaux, est dynamisé par l’affirmation de l’idée même du couple au XVIIe

siècle. Claire Chatelain souligne ainsi que le couple est une idée neuve, ignorée par le Dictionnaire de Nicot en 1606 qui emploie seulement le féminin de couple qui désigne « deux choses de même espèce qu’on met ensemble ». Le terme « couple » n’est employé au sens contemporain que dans le

Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « Se dit aussi de deux personnes unies ensemble par amour ou par mariage. »36. On trouve ici l’aboutissement d’un processus qui a conduit à donner une place de plus en plus importante à l’acceptation mutuelle du lien conjugal lors de la cérémonie de mariage37.

La soumission de la femme au mari par la persuasion et la discussion telle qu’elle figure dans des récits littéraires de l’époque et qu’a mis en valeur Anne Verjus dans Le Bon mari n’apparaît pas dans les factums étudiés38. Le couple est défini par des relations et exigences parallèles plus que complémentaires. Cette idée que la fonction du mari et de la femme peuvent se superposer voire entrer en concurrence est bien représentée par la culture

33 GAUVARD Claude, STELLA Alessandro (dir.), Couples en justice… op. cit., p. 215. Sur l’évolution de la répression de l’adultère féminin à l’époque moderne, on peut lire NASSIET Michel, Laviolence, une histoire sociale, Paris, 2011, p. 168-177. Sur l’évolution des mentalités au XVIIIe siècle, voir GARNOT Benoît, On n’est point pendu pour être amoureux… La liberté amoureuse au XVIIIe siècle, Paris, Belin, 2008, p. 81-93.

34 JOUSSE Daniel, Traité de la justice criminelle, Paris, 1771, t. 3, p. 212.

35 FERRIÈRE Claude-Joseph de, Dictionnaire de droit et de pratiques, Paris, 1679, t. 1, article « Adultère ». 36

Voir CHATELAIN Claire, « Procédure civile de séparation en haute robe parisienne à la fin du règne de Louis XIV », in GAUVARD Claude, STELLA Alessandro (dir.), Couples en justice… op. cit., p. 167-184, note 21.

Voir aussi WALCH Agnès, Histoire du couple en France, de la Renaissance à nos jours, Rennes, Ouest-France,

2003, p. 8-9.

37 Voir BURGUIÈRE André, Le Mariage et l’Amour, Paris, Seuil, 2011, p. 292. 38 VERJUS Anne, Le bon mari, Paris, Fayard, 2010.

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populaire qui met en scène à travers récits et dictons « la lutte pour la culotte »39. Dans le couple, si le mari détient l’autorité, les rôles des deux membres du couple ne sont pas figés ni clairement définis.

2. Quelques rôles spécifiques

On note toutefois quelques nuances. Le mari est plus souvent présenté comme chargé de famille, voire chargé de famille nombreuse ou élargie. Cela permet d’insister sur sa responsabilité et respectabilité. Un accusé va donc être décrit comme remplissant parfaitement ses devoirs d’entretien de sa famille afin d’attester de son honneur. Il s’agit d’un discours normé stéréotypé qui ne permet pas de réfléchir à la réalité et à l’application de cette fonction au quotidien40. Dans un factum daté de 1779, on souligne ainsi que Godefroy

« exerce ses fonctions, & les a toujours remplies avec honneur & probité, & a une entière confiance du public, & la sienne en particulier ; qu’il est de bonne vie & mœurs, est honnête, a eu de l’éducation ; a une femme & plusieurs enfans, qui sont très-bien élevés, suivant son état »41.

La fonction de protection exercée par le mari ne s’applique pas spécifiquement envers l’épouse mais à l’ensemble de la famille. Dans un factum rédigé en 1773, une femme insiste sur la prise en charge de sa belle-mère par son mari :

« On y verra enfin, un Fils respectueux & tendre, sans fortune, sans autre ressource que ses modiques appointements & 312 liv. de rente, nourrir en secret une Mère respectable, à qui son Mari avoit laissé plus de gloire que de moyens. Voilà quel est l’homme dont je me glorifie d’être l’épouse. »42

.

39 Pour une comparaison entre autorité maritale et autorité paternelle, voir DAUMAS Maurice, La tendresse amoureuse, Paris, Perrin, Pluriel, 1996, p. 187. Pour une réflexion sur la lutte pour le pouvoir dans le foyer, voir

REGINA Christophe, « L'intrusion de la Justice au sein du foyer », Annales de démographie historique 2/2009

(n° 118), p. 53-75.

40 On trouve déjà cette idée dans les lettres de rémission de la fin du Moyen Âge. Voir Claude GAUVARD, « De

Grace Especial »… op. cit., p. 875-876 : « Toute atteinte portée au père risque de provoquer un déséquilibre parce que sur lui se doit de reposer l’avenir de la famille. La reconnaissance de la cellule conjugale s’accompagne de celle d’un chef responsable. Son rôle est clairement défini : il assure la nourriture des siens. »

41 Godefroy, Me Lerouge de Virloup, Mémoire pour… Jacques-François Godefroy…, chez P.-G. Simon, 1779,

p. 48.

42 Mille, de La Morandière, Bailleux, Mémoire à consulter et consultation pour madame de Montieu, femme du

85 Cependant, les épouses peuvent aussi être présentées comme nourricières et responsables de famille. Le portrait n’est donc pas exclusivement masculin. En revanche, le soin spécifique des personnes âgées semble attendu de l’épouse, y compris de ses beaux-parents qui la qualifient de « fille ». Dans un factum rédigé en 1775, on insiste ainsi sur l’origine d’un héritage contesté qui revient à un couple car l’épouse s’est occupée de la personne âgée. Ce rôle spécifique de l’épouse, bien que l’héritage revienne aux deux membres du couple, est souligné :

« Il s’agit d’une donation entre-vifs ; vous savez, MESSIEURS, quels en ont été les motifs : la Dame de Gracieux y avoit attaché le prix de la reconnoissance, des soins & des égards qu’elle exigeoit que mon épouse & moi donnassions à sa vieillesse ; & je puis vous protester que son fils n’en voudroit point à ce prix-là. »43.

Dans un autre factum, rédigé en 1777, on insiste sur le fait que la femme qui reçoit un don pour s’être occupée d’une personne âgée malade doit le partager avec son mari :

« Quelques années après que la dame de Cazenave fut en France, elle y mourut d’une maladie de langueur, elle reçut des soins de la femme Darmana, elle les paya de la récompense ordinaire qu’on donne à un domestique, par une somme de 1000 livres à partager avec le sieur Darmana son mari. »44.

Là encore la fonction spécifique de l’épouse est soulignée bien que le partage des biens obligatoires semble renforcer sa soumission et la fusion du couple sous l’autorité du mari.

Quelques factums présentent l’épouse comme une parfaite maîtresse de maison, s’occupant de l’intérieur tandis que son mari s’affaire à l’extérieur. Un tel discours est cependant marginal. On ne le trouve guère, dans sa version la plus caricaturale, que dans l’affaire Véron45. Il est produit pour défendre une famille accusée d’avoir produit des faux

43 de Gracieux de La Coste, Guyton de Morveau, Louis-Bernard, Derepas, Réplique prononcée à l'audience publique de la Tournelle criminelle de Dijon, le 31 Juillet 1782, par Monsieur de Gracieux de La Coste, Seigneur de Maupinard, ancien officier de cavalerie, parlant dans sa propre cause ; contre le sieur Henri-Camille Colmont, Chevalier de Saint-Louis, intimé et accusateur en rapt et en duel, Dijon, impr. Causse, 1782, p. 35.

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Moreau de Vorme, Mémoire pour les dames comtesse de Juliac et baronne de Castelnau… op. cit., p. 4. 45 Cette cause célèbre a aussi été analysée par Sarah Maza. Voir MAZA Sarah, Vies privées, affaires publiques, Paris, Fayard, 1997, p. 33-35.

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billets. La fille et le petit-fils de la veuve Véron sont alors en prison. L’honorabilité est en cause et est défendue par des discours qui doivent faire rentrer la famille dans le cliché de la famille idéale (cliché qui coïncide bien peu avec la réalité…). Le factum insiste sur les avantages que le sieur Véron a retirés de son mariage :

« En épousant la veuve Gaillard, il s’étoit donné une compagne qui, portée naturellement à l’économie, sans cependant gêner les goûts de son mari pour une dépense honnête, veilloit continuellement sur l’intérieur de sa maison, ensorte que dégagé des soins domestiques, il pouvoit se livrer tout entier à son commerce. »46.

La valorisation de la parfaite femme d’intérieur existe donc et répond à un certain idéal social. Une telle image est loin d’être répandue dans tous les factums. Elle est employée en cas d’accusations graves pour défendre une famille à l’honneur particulièrement écorné par une affaire scandaleuse. Face à un adversaire noble, il s’agit de s’éloigner le plus possible de l’image du foyer populaire.

Ainsi les différences sexuées les plus nettes correspondent à des clichés caricaturaux employés par des avocats pour attester de l’honorabilité des clients. Ils renseignent davantage sur la popularité d’une certaine norme visible dans les textes des intellectuels de l’époque que sur la réalité des relations au sein du couple47. Ces discours sur le couple sont en outre loin d’être majoritaires dans les factums.