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CHAPITRE INTRODUCTIF : Présentation des sources et de la méthode

A. Les factums conservés à la BnF

3. Une définition problématique

judiciaires. Même si la quantité disponible pour l’analyse est moins importante, une étude et une exploitation de ces factums révolutionnaires et de leurs évolutions dans la forme et dans le fond peut s’avérer riche d’enseignements et permettre de mieux comprendre les mutations de ce type de document au XIXe siècle qu’a mises en avant Geoffrey Fleuriaud41. Ce n’est pas le propos de ce travail de thèse qui s’attache aux factums produits pendant les 20 années qui ont précédé la révolution française, poursuivant et approfondissant le travail mené par Sarah Maza en complétant les problématiques proposées dans son étude fondatrice sur les causes célèbres42.

3. Une définition problématique

Le fond des factums de la BnF a la particularité d’inclure des documents ne correspondant pas strictement à la définition donnée. Les catalogueurs ont adopté une définition plus large correspondant à des documents rédigés en lien avec la médiatisation d’un procès43. La question se pose de l’utilisation de tous ces documents dans le cadre d’une étude sur les factums. La prise en compte des documents assimilés aux factums peut permettre de confronter les différentes manières de diffuser les informations relatives à un procès et de représenter les parties. En ce qui concerne la période révolutionnaire, Hervé Leuwers souligne ainsi que, dans le cadre de l’affaire Favras datée de 1790, l’avocat Thilorier fait imprimer des

factums tandis que paraissent des brochures sur les forfaits supposés du condamné et des estampes relatant son exécution44. Le recours aux factums et aux documents liés aux pratiques de médiatisation de la justice permet de réfléchir au lien entre pratiques judiciaires, réformes de la justice et histoire de la presse45. L’usage de l’écrit comme élément de popularisation et de diffusion des enjeux d’un procès auprès du public continue à se développer au XIXe

siècle, sans que tous les documents concernés correspondent strictement à la définition du factum du XVIIIe siècle. Geoffrey Fleuriaud a analysé les rapports qu’entretiennent factums et canards dans la diffusion et la représentation des faits divers judiciaires au XIXe siècle. Si les canards

41 FLEURIAUD Geoffrey, « Le factum et la recherche historique contemporaine. La fin d’un malentendu ? »,

Revue de la BnF, n° 2011-1, p. 49-53. La BnF conserve un fond de plus de 50 000 pièces pour la période postérieure à 1790. Voir aussi FLEURIAUD Geoffrey, « Le factum : une source inédite pour l’histoire contemporaine française. », La Revue du Centre Michel de l’Hospital, n°3, p. 11-20.

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fournissent un discours moral général sur la société et les mœurs en présentant une affaire criminelle, les factums, qui tendent à convaincre de l’innocence d’un individu, centrent leur analyse sur ce dernier et ses rapports à son environnement46.

Les réflexions sur l’évolution de la presse et des factums doivent donc être liées. Ainsi la confrontation de factums et de canards relatifs à des infanticides permet d’approfondir les questions liées à la perception de ce crime47. Les canards du début du XIXe siècle dénonçant des infanticides donnent peu de détails sur les accusées, ne cherchent pas à les excuser et insistent plutôt sur la noirceur des actes et la justice de la condamnation. Au contraire, les

factums de la fin du XVIIIe siècle cherchent à mettre en avant les circonstances atténuantes. Ils insistent sur le contexte économique, social et psychologique dans lequel se trouve l’accusée. Ils remettent en cause la réalité du crime. Ils insistent sur les circonstances du drame et permettent de réfléchir aux rôles des divers membres de la famille et de la communauté confrontés à une accusation publique d’infanticide. Les factums permettent de mettre en avant et de traiter des problématiques d’histoire sociale différentes de celles qu’engendre l’étude des canards48

. Les canards de la période pré-révolutionnaire, identifiés au fonds des factums, ne doivent pas être systématiquement écartés de l’analyse et des problématiques liées à ce travail de thèse car c’est par la confrontation et la mise en avant des différences entre ces documents qu’il est possible d’affiner les questionnements et de réfléchir

43 Ce caractère disparate du fond des factums de la BnF est mis en avant dans l’introduction du catalogue d’Augustin Corda : « La collection connue à la Bibliothèque nationale sous le nom de Collection des factums, et dont la partie antérieure à 1790 fait seule l’objet du présent catalogue, forme un ensemble d’environ 57,000 articles, comprenant des documents assez divers, mémoires, consultations, plaidoyers, requêtes, jugements, arrêts, lettres, etc., mais qui présentent tous ce caractère d’avoir été rédigés ou publiés en vue d’établir ou de réfuter les prétentions des plaideurs, de se rattacher par un lien quelconque à une affaire litigieuse. » CORDA Augustin, Catalogue des factums et d’autres documents judiciaires antérieurs à 1790, tome premier, Paris, Plon, 1890, p. VII.

44 LEUWERS Hervé, “Defence in writing”, op. cit., p. 735-736. Voir aussi MAZEAU Guillaume, « Le procès

révolutionnaire : naissance d’une justice médiatique (Paris, 1789-1799) », Le temps des médias, 2010-2, p. 112-114.

45 LEUWERS Hervé, « Defence in writing”, op. cit., p. 739.

46 FLEURIAUD Geoffrey, « Le factum et la recherche historique contemporaine», op. cit., p. 53.

47 THER Géraldine, Factums et histoire de la famille 1770-1804. La représentation des affaires d’infanticide dans les mémoires d’avocats, mémoire de Master 2 rédigé sous la direction de Benoît GARNOT, Université de Bourgogne, 2009, 134 pages. Sur l’infanticide au XIXe

siècle, voir TILLIER Anick, Des criminelles au village. Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865), Rennes, PUR, 2001.

48 Sur l’identification des canards au fond des factums à la BnF, on peut lire TILLIER Annick (dir.), Des sources pour l’histoire des femmes… op. cit., p. 43 : « Ils sont compris dans le fonds des Factums puisqu’ils relatent des faits criminels souvent spectaculaires, mais ils en diffèrent par un style plus journalistique que juridique et sont très souvent suivis du jugement et d’une complainte moralisatrice. ».

35 aux spécificités des usages des factums par l’historien49. Arlette Farge souligne la porosité entre le style narratif des canards et l’écriture de pièces destinées à la justice. À propos d’un cahier manuscrit trouvé dans les archives de la police parisienne relatant une plainte en séparation et ressemblant beaucoup à certains factums étudiés dans notre corpus, elle déclare qu’il « se situe dans la lignée de ces canards qui forgent la mémoire de la rue, rendant le crime à la fois familier et inouï, mettant la monotonie des incidents humains à la hauteur de l’histoire elle-même. »50

.

Ces « canards » du XVIIIe siècle sont à lier à la pratique des arrêts placardés. Ils témoignent de la richesse des modes de communication et de diffusion des décisions judiciaires. Bien que ne répondant pas à la définition du factum, ce type de document est classé avec les factums et désigné comme factum dans le fonds de la BnF. Il permet de réfléchir aux modalités de l’acculturation judiciaire, dans une perspective de mise en valeur de la capacité des populations à s’emparer de l’appareil judiciaire pour l’exploiter selon des stratégies bien définies51. Factums, publications des arrêts, canards ne sont que des exemples de mise à disposition de l’information judiciaire auprès du public, alors que la censure réelle est faible et que la critique d’une décision de justice n’est pas considérée comme un délit52

. Les choix de catalogage et de conservation faits à la BnF à la fin du XIXe siècle stimulent ainsi les questionnements de l’historien du XXIe siècle et peuvent s’avérer utiles à une réflexion sur les rapports entre la population et le système judiciaire.

49 Pour la période étudiée, on peut citer l’exemple de la Relation véritable tirée du procès criminel extraordinairement instruit par le procureur du roi et le lieutenant criminel du parlement de la ville de Dijon, qui condamne Sébastienne L'Olivier, Marguerite Lamarche, Marie-Anne David, Claudine Lafeullie, Marcorand, sa femme, sa soeur, Boceque et sa femme, à être fouettées par l'exécuteur de la haute justice, et ensuite conduites à la place de Morimon pour y être attachées à un poteau, marquées et bannies à perpétuité de la ville et de la province de Bourgogne, pour avoir commis des actions, danses et chants infâmes avec huit garçons..., Châlons, 14 mai 1772.

50 FARGE Arlette, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, Points, 1986, p. 105.

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GARNOT Benoît, Justice et société en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Ophrys, 2000, p. 17 : « Pour se faire entendre, la « voix publique » bénéficie de l’imprimerie depuis la fin du XVe siècle, avec les livres, bien sûr, notamment au XVIIIe siècle les œuvres de la « littérature de la potence », un genre populaire déjà ancien qui s’épanouit alors, ainsi que les canards, les libelles, les placards, sans parler des factums. » 52 On peut citer aussi le rôle des spectacles mis en avant par GARNOT Benoît, Questions de Justice 1667-1789… op. cit., p. 7 et 118 : « L’acculturation juridique se fait non seulement par l’impression et la diffusion des jugements, ainsi que par les factums, comme nous le savons depuis longtemps, mais aussi, et nous ne le savions guère jusqu’à maintenant, par le biais de spectacles ambulants qui mettent en scène les méfaits de criminels, avec des acteurs portant des masques à leur image, ce qui permet de toucher toute la population, y compris les analphabètes ». Voir aussi GARNOT Benoît, Vivre en prison au XVIIIe siècle. Lettres de Pantaléon Gougis, vigneron chartrain (1758-1762), Paris, Publisud, p. 43-47.

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Certains documents apparentés aux factums révèlent d’autres caractères originaux. Il s’agit des rapports d’experts, en particulier de médecins et chirurgiens qui peuvent constituer des annexes aux factums mais aussi des factums à part entière inscrits dans une série publiée à l’occasion d’un procès. Un médecin peut occuper une place très importante dans la défense d’un accusé. Pendant la Révolution certains prennent le rôle d’un avocat53

. La pratique de ces chirurgiens-avocats n’est pas surprenante tant la double activité est traditionnellement courante chez les avocats même si elle tend à être restreinte dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, où les emplois jugés subalternes sont déclarés incompatibles avec l’exercice de la fonction d’avocat54. Tout licencié de droit peut porter le titre d’avocat sans être membre d’un barreau. Ces rapports d’experts permettent de réfléchir aux modes d’écriture des factums

car ils fournissent des modèles et des types d’argumentation différents qui complètent l’éventail des stratégies de défense possibles.

Si la réflexion menée dans cette thèse s’appuie avant tout sur des factums répondant à la définition classique du factum d’Ancien Régime, on ne s’interdira pas d’intégrer à notre analyse des documents « apparentés » au factum quand cela permet d’enrichir l’étude. Cela semble d’autant plus pertinent que le terme lui-même de « factum » tombe en désuétude à l’époque étudiée. Dans le corpus étudié, environ la moitié des factums sont désignés comme « mémoire », le quart de « précis », les autres portent des dénominations diverses : mémoire pour, sommaire pour, précis pour, plaidoyer pour, pièces justificatives pour, défense de, consultation pour, réplique, réponse au précis, réflexions pour, observations pour, dénonciation, réponses aux réflexions imprimées, faits de la cause pour... Une étude de cette première évolution de la nature des factums à la fin du XVIIIe siècle permet d’enrichir les réflexions sur le devenir de la source au XIXe siècle et de tenir compte d’un paradoxe : les documents étudiés dans le cadre de cette étude prenant les factums pour source privilégiée ne portent pas le nom de « factum ».

53 On peut citer l’exemple suivant : BOURGEOIS Nicolas, Plaidoyer pour Marie-Rosalie Clément ; accusée d’infanticide, prononcé le 15 avril 1791, devant le tribunal de Châteaudun, en première instance, et en second lieu devant le tribunal de Vendôme… le 27 mai 1791, par Nicolas Bourgeois,… son défenseur, s.l.n.d.

54 Voir LEUWERS Hervé, L’invention du Barreau Français, 1660-1830… op. cit., p. 34-39. Il cite l’exemple de

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