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Le couple dans les factums d’avocat : quel rôle pour l’épouse ?

CHAPITRE 2 : LE COUPLE UNI FACE A LA JUSTICE LA JUSTICE

C. Pour défendre un honneur conjoint

La solidarité du couple est aussi importante lorsqu’il s’agit de défendre un honneur conjoint. Dans les catégories sociales supérieures, le couple peut être présenté agissant de concert pour réclamer le respect de droits et de privilèges. C’est le cas d’un couple de notable qui demande des privilèges dans le cadre du déroulement de la messe en 1774. Il rencontre l’hostilité de la population et du marguillier :

« Cependant le sieur Dumesnil & Anne Leclerc sa femme, ont eu la vanité de vouloir exiger dans cette Eglise, dont ils ne sont pas paroissiens, les droits honorifiques ; ils ont débuté par demander la présentation du pain béni par distinction. […] les sieur & dame Dumesnil présentèrent une Requête au Siège du Comté-Pairie de Laval par laquelle ils demandèrent que le sieur David, Procureur-Marguillier de la Paroisse d’Antenaise, fût condamné à leur présenter le pain béni par distinction & immédiatement après le Clergé,

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Cité par BEAUVALET-BOUTOUYRIE Scarlett, Être veuve sous l’Ancien Régime… op. cit…, p. 206. Cujas,

Opera omnia, édit. De Paris, 1658, t. I, p. 784-797.

99 Voir LEMAIGNAN Marion, « Les factums : une écriture sans modèle ?... op.cit…, p. 310-313. 100

Voir DAUMAS Maurice, La tendresse amoureuse… op. cit…, BURGUIÈRE André, Le Mariage et

l’Amour… op. cit…, GARNOT Benoît, On n’est point pendu pour être amoureux…op. cit…

102

lorsque le Seigneur de ladite Paroisse & sa famille ne se trouveroient pas à l’Eglise ; & que pour avoir refusé de la faire, il fût condamné en tels dommages-intérêts qu’il plairoit au Siège fixer. »102.

Si l’honneur se défend à deux, le déshonneur qui touche un des membres du couple rejaillit sur l’autre. Le mari est chargé de défendre l’honneur de sa femme. Le sieur Guy apparaît ainsi seul dans l’intitulé du factum qui l’oppose au sieur Boyer en 1770. Il fait rédiger un factum de 22 pages dans lequel il met en avant l’entreprise de diffamation menée par le sieur Boyer qui accuse le couple d’avoir tué son chat. Pourtant le récit insiste sur la diffamation dont sa femme est l’objet :

« il n’avoit congédié les sieur et dame Guy que parce qu’ils avoient tué son chat ; qu’il ne pouvoit demeurer avec de pareilles gens ; que sa vie n’étoit point en sûreté, et que la dame Guy étoit une méchante femme et capable de tout »103.

La dame Guy est donc touchée par la diffamation. L’honneur du sieur Guy est d’autant plus lié à celui de sa femme que les insultes faites à l’épouse sont présentées comme les plus graves dans les passages suivants : « mais ce qui est le comble de l’indignité, il a insulté sa femme par des propos violents et brusques »104, ou :

« qu’il a cherché à ternir la réputation de la Dame Guy, en disant que c’étoit une méchante femme et qu’elle étoit capable de tout. La noirceur de cette dernière injure est de la part du sieur BOYER une mal-adresse de premier ordre »105.

L’accusation porte atteinte à l’honneur du couple et l’empêche de trouver à se reloger alors que le sieur Guy les met à la porte. Les personnages habitent le même immeuble parisien et l’ensemble des voisins et du quartier est témoin de l’ampleur croissante que prend le conflit. Le couple demande alors des dommages et intérêts. Ils exigent :

102 Moreau de Vorme, Au Roi et à nosseigneurs de son Conseil. (Requête de Pierre David, marguillier de la paroisse de la Chapelle d'Antenaise, du curé et des habitants de ladite paroisse, pour servir de réponse aux prétentions de Jean-Martin Dumesnil et Anne Leclerc, sa femme, habitant Avenière près Laval, P.-G. Simon, 1774, p. 3.

103

Foulon de Doué, Précis pour le sieur Guy… op. cit., p. 12. 104Ibid., p. 16

103

« des défenses de récidiver contre le Docteur, une déclaration devant dix personnes, qu’il les reconnoît pour gens d’honneur et de probité, dont il laissera un acte au Greffe, l’affiche et l’impression de la Sentence, et dix mille livres de dommages et intérêts. »106.

L’honneur du couple est un tout indivisible. On note cependant que l’honneur de la femme n’est pas toujours ramené à une dimension sexuelle. Les injures dont la dame Guy fait l’objet insistent seulement sur sa violence et sa dangerosité. La définition de l’honneur masculin et féminin tendrait en partie à se rapprocher. Benoît Garnot a déjà mis en avant qu’à la fin du XVIIIe siècle, l’honneur des jeunes filles est défendu de manière moins ferme devant la justice. Les crimes d’honneur sont déguisés car les juges ne se montrent pas indulgents. De même, les filles séduites ont plus de difficultés à obtenir des réparations devant la justice107. L’honneur féminin perd sa caractéristique exclusivement sexuelle et se complexifie.

Les factums ne montrent pas seulement des maris défendant l’honneur de leurs épouses. Des femmes sont associées aux procès en diffamation de leurs maris alors qu’elles ne sont pas directement touchées par les insultes et les plaintes. Là encore, montrer le couple uni est un gage d’honorabilité. Dans plusieurs cas, une femme est accusée conjointement de diffamation avec son mari alors que dans le récit on ne l’accuse pas d’avoir diffamé personnellement l’adversaire. Elle peut être citée par son nom, comme Marie-Marguerite Rouault de Chauseaux, femme du sieur de Charlieu108. Elle peut simplement apparaître comme « femme de » sans que son nom propre soit jamais cité109. Dans ces cas qui impliquent l’honneur du couple, la femme est présentée comme agissant avec son mari et n’en est pas distinguée.

106Ibid., p. 17.

107 GARNOT Benoît, Questions de Justice 1667-1789, Paris, Belin, 2006, p. 31-51. Voir aussi NASSIET Michel, Laviolence… op. cit…, p. 317-348.

108 Martin de Mariveaux, Précis pour la dame Guillemont contre François Drouault, soi-disant sieur de Charlieu, et Marie-Marguerite Rouaults de Chauseaux, sa femme, imp. de Valleyre l’aîné, 1776.

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On peut citer les exemples de « la femme dudit Lambert » et « Brisset et sa femme » dans les factums

suivants : Lombard, Précis pour le sieur Brisset… op. cit. ; Godefroy, Me Lerouge de Virloup, Mémoire pour…

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