• Aucun résultat trouvé

Des stratégies permettant la valorisation de l’épouse

Le couple dans les factums d’avocat : quel rôle pour l’épouse ?

CHAPITRE 2 : LE COUPLE UNI FACE A LA JUSTICE LA JUSTICE

C. Des stratégies permettant la valorisation de l’épouse

L’épouse qui cherche à récupérer un héritage peut être mise en avant dans le récit du

factum. Dans ces cas-là, les avocats insistent sur les liens affectifs et naturels qui l’unissent à l’homme dont elle souhaite hériter. La dame Francez écrit ainsi à son père « la lettre la plus respectueuse et la plus tendre »21. Ce dernier « la reçoit avec ces transports de joie qu’on ne sçauroit exprimer, qu’on ne peut que sentir ». Cela explique qu’elle obtienne des lettres de légitimation pour pouvoir hériter alors qu’elle est née en dehors des liens du mariage :

« mais ma fille ne m’en est pas moins chère (dit-il) elle n’aura rien à me reprocher ; si je n’ai pu la légitimer par le Mariage, elle le sera par rescrit du Prince ; la vertu le commande, la probité l’exige, je le dois à la nature […] soyez persuadée, d’ailleurs, qu’il n’y a pas de père qui ait une plus véritable amitié pour sa fille que moi, ma chère fille, vous l’éprouverez par la suite »22.

L’affection du frère pour ses sœurs est également mise en avant dans le factum rédigé pour Claudine Berold en 1770 :

« Dès le lendemain matin, le bruit se répandit dans la Ville de Belley que le sieur Berold avoit en mourant trompé ceux qui avoient capté sa succession ; que pour annuler lui-même une disposition qui étoit contraire à sa volonté, à la justice, & à sa tendresse pour ses sœurs, il n’avoit, pour toute signature, tracé que quelques lettres de son nom, sur lesquelles il avoit encore passé quelques traits de plume pour les effacer. »23.

C’est au nom de cette affection qu’elle réclame la succession de son frère. Bien que mariée à Pierre Grand, Bourgeois de Lyon, c’est la femme qui est mise en avant dans le factum en tant que légitime héritière apte à revendiquer ses biens. Les femmes revendiquent donc leur proximité avec le détenteur des biens pour asseoir leurs prétentions. Françoise d’Auxion montre tout l’intérêt que son oncle a prêté à son mariage :

21 Moreau de Vormes, Mémoire pour le sieur Francez et dame Marguerite Demanse, sa femme… op. cit., p. 12.

22Ibid., p. 12 à 15. 23

Drou, Au Roi et à Nosseigneurs de son conseil. (Requête de Claudine Berold, femme de Pierre Grand, en cassation de trois arrêts du parlement de Dijon, des 1er et 19 juillet 1769, et 5 avril 1770, qui la dépouillent de la succession de son frère au profit du sieur Vuillerod, imp. de M. Lambert, 1770, p. 5.

79

« Aussi fut-il prouvé que le Marquis de Bonnas fut occupé de ce mariage pendant trois mois, qu’il vint même à Toulouse avec la Suppliante, son père, & le sieur Laurent de Melet futur époux, pour acheter les bijoux & les étoffes dont il fit présent à sa nièce. »24.

Ce lien particulier lui permet de plaider en son nom mais aussi celui de son mari et ses enfants pour récupérer l’héritage de cet oncle :

« SUR LA REQUÊTE présentée au ROI en son Conseil, par Françoise d’Auxion de Vivent, épouse de Laurent de Melet, Ecuyer, Seigneur de Sarran & de Sainte-Livrade, contenant que ce qu’elle doit à elle-même, à son mari & à ses enfans, l’oblige de réclamer l’autorité de Sa Majesté contre un Arrêt du Parlement de Toulouse du 20 Mars de la présente année 1771, dans lequel on a voulu en vain déguiser l’attentat qu’il renferme à l’autorité de Sa Majesté, mais dont l’injustice est telle qu’on n’a pu trouver aucune couleur pour l’excuser. »25

.

Dans certains cas, les époux disparaissent complètement de l’intitulé. Ainsi la comtesse de Juliac et la baronne de Castelnau contestent-elles la portion d’héritage de leur père accordée à leur demi-sœur, la femme Darmana. Toutes trois sont mariées mais leurs époux ne semblent jouer aucun rôle dans le conflit. Le factum insiste sur les initiatives féminines :

« C’est à cette époque que la femme Darmana s’est entièrement emparée du Sr de Cazenave, qu’elle l’a retirée de son Château de Gaujac pour le loger chez elle, où il est mort. Si l’on permettoit d’examiner l’information,[…] on verroit jusqu’à quel point la nature étoit affoiblie chez le sieur de Cazenave & les moyens employés par la femme Darmana pour envahir a fortune de son bienfaiteur, ou pour mieux dire, celle des dames de Juliac & de Castelnau »26.

À une seule reprise la Comtesse et la Baronne précisent qu’elles agissent avec l’autorisation de leurs maris27. Cette particulière mise en avant des femmes dans ces cas précis est-elle due

24 Mariette, Requête de Françoise d'Auxion, femme de Laurent de Melet, sieur de Sainte-Livrade, au sujet d'un arrêt du parlement de Toulouse, du 20 mars 1771, qui la déclare déchue de la succession du marquis de Bonnas, son oncle, au profit du sieur d'Aspe, son neveu, imp. de Le Breton, 1771, p. 2.

25Ibid., p. 1.

26 Moreau de Vorme, Mémoire pour les dames comtesse de Juliac et baronne de Castelnau, contre la femme Darmana, Knapen, 1777, p. 4.

27Ibid., p. 5 : « il fut passé une transaction, le 31 Mai 1767, entre le sieur de Cazenave & ses filles, autorisées par leurs époux. »

80

au caractère féminin des affaires ? Les deux adversaires de la dame Francez sont également des femmes : ses tantes. Le fait que des femmes soient les principales concernées des deux côtés facilite-t-il la mise en valeur des rôles féminins par Moreau de Vormes, le rédacteur des deux factums évoqués ? La deuxième affaire se déroulant en pays toulousain, est-il plus facile de mettre en avant des épouses car on considère qu’elles conservent la maîtrise de leurs biens propres 28?

L’époux peut aussi être relégué au second plan lorsque sa femme défend les intérêts de son frère. Dans un factum rédigé en 1776, Perrine-Catherine de Toustain, femme de Nicolas de Milly, major de la ville de Stenay, est montrée comme agissant de sa propre autorité. Elle a été désignée légataire universelle et exécutrice testamentaire de son frère. Si la dame de Milly est bel et bien présentée comme une femme mariée dans l’intitulé du factum, on ne mentionne pas qu’elle soit autorisée par son mari et ce dernier ne joue aucun rôle particulier dans le récit du factum. L’épouse est bien désignée comme unique responsable des intérêts de son frère décédé : « Par son testament, il a chargé la dame de Milly, sa sœur, de venger sa mémoire. »29. La place des membres du couple peut évoluer en fonction de stratégies particulières mises en œuvre dans des contextes précis.

Cette ambiguïté quant à la place de la femme devant la justice, surtout lorsqu’il s’agit de recueillir un héritage qui provient de sa famille, permet aux parties de changer de stratégies en fonction de leurs intérêts. Le sieur Faure reproche ainsi au sieur Laulaigne de changer d’avis quant à la place que doit occuper sa femme dans le contrôle de la régularité des comptes qui déterminent sa part d’héritage :

« Le sieur Laulaigne oppose enfin que sa femme n’a point été Partie dans la transaction dont il s’agit, quoiqu’il fût question de droits qui venoient de son chef. Mais d’un côté il n’étoit question que de mobilier, dont le sieur Laulaigne comme mari & chef de la communauté, avoit la libre disposition ; d’un

28 Voir CASTAN Nicole, « La condition féminine dans la France méridionale du XVIIIe siècle », La Femme à

l’époque moderne, XVIe

-XVIIIe, Association des Historiens Modernistes des universités, Actes du colloque de 1984, Paris, Presses de l’université de Paris Sorbonne, 1985, p. 67.

29 Martineau, Mémoire pour Perrine-Catherine de Toustain, femme de Nicolas de Milly, major de la ville de Stenay, légataire universelle et exécutrice testamentaire de François-Emmanuel de Toustain de la Tufferie, ancien officier d’infanterie, son frère, contre Jean-Pierre Petoureau, bourgeois de Paris, P.-G. Simon, 1776, p. 5.

81

autre côté, il s’est expressément fait & porté fort pour sa femme, de manière qu’agissant conjointement avec elle, il seroit garant de sa propre action, & il y seroit par conséquent non-recevable. »30.

On insiste sur la place de l’épouse, son consentement, son accord, son autorité quand cela permet au couple d’élaborer une stratégie pour gagner un procès. Cette mise en avant de l’épouse peut varier au cours d’une même affaire.

30 Thomazon, Sommaire pour Guillaume Faure, défendeur, contre Jacques Laulaigne, et sa femme, demandeurs,

82

II. Mari, femme, couple : le discours consensuel des factums

De nombreux factums mettent en scène des couples dans le cadre de procès. Il convient donc de s’intéresser plus particulièrement aux récits qui présentent les relations dans le couple pour bien comprendre la norme sociale valorisée par les factums. C’est l’exigence de mutualité qui domine dans la représentation des rôles et des devoirs des époux et des épouses.