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B « Fiat lignum », du bois pour tous 1 Les enjeux forestiers à la FAO

2. Vers une politique forestière internationale ?

En quoi peut-on considérer que la mobilisation de la division Forêts de la FAO institue une réelle politique internationale normative, qui a pour mandat d’édicter des principes communs et d’influer sur les comportements ?

La mobilisation des pays

Dès 1945, la commission provisoire qui préfigure la création de la FAO appelle de ses vœux l’institution prochaine d’une « politique forestière internationale » ; son rapport affirme ainsi que « le moment venu, les gouvernements peuvent souhaiter d'envisager l'adoption d'une

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déclaration officielle qui reconnaîtrait comme un devoir pour leurs propres ressortissants, pour ceux des autres pays, et pour le monde entier, d'atteindre cet objectif fondamental »1. Pour autant, les freins pour mobiliser les États à haut niveau sur ce sujet persistent après le lancement du mandat de la FAO. Le démarrage d’une coordination internationale sur le bois et les forêts est soumis aux mêmes contraintes que d’autres thématiques de coopération, alors que le dernier conflit mondial a affaibli et déstructuré les réseaux et administrations nationales. La priorité est à la reconstruction. Comment générer une certaine solidarité et mobiliser les États dans un tel contexte ? L’une des premières missions de la division Forêts de la FAO pour mobiliser les États sur la problématique de la ressource en bois est donc de promouvoir l’idée d’une interdépendance entre tous les pays, ce qui lui permet, tout en rappelant l’importance du bois et des forêts pour les économies, de légitimer son action. Si une participation élargie aux rencontres internationales semble attestée dès la fin des années 1940, la difficulté à mobiliser des délégations officielles, notamment dans certains pays aux enjeux forestiers majeurs (en Amérique du Sud notamment) est soulignée dans un compte-rendu de la seconde conférence de la FAO2 comme dans celui du congrès forestier mondial de 1949, qui déplore l’ambiguïté quant à la représentativité officielle ou non officielle des participants3. Face à cette limite est même envisagée la possibilité d’aller vers un « Parlement mondial » des forêts4.

Sans que les enjeux forestiers ne soient mis en haut de l’agenda international, un réel intérêt est exprimé par des représentants nationaux officiels, que ce soit à travers la publication d’articles dans la revue de la FAO, ou dans les demandes exprimées lors des diverses rencontres forestières. Ainsi, un cadre du service forestier des États-Unis note en 1950 sa crainte, qu’il juge partagée par d’autres, « que les recommandations émanant des gouvernements au sujet du travail à entreprendre excéd[ent] de beaucoup les possibilités financières de l'organisation ». En bref, les États formulent des attentes envers la FAO, mais les budgets ne sont pas forcément à la hauteur des enjeux. Ce cadre poursuit en se réjouissant des nouveaux budgets octroyés par l’ONU à la FAO dans le cadre du « Programme élargi d'assistance technique »5.

Un indice de l’intérêt porté à la division Forêts par les États est le fait que des experts nationaux y sont mandatés pour s’impliquer dans le développement de ses activités. René G. Fontaine, considéré comme l’un des « pères fondateurs » de la division Forêts, est ainsi

1 (Unasylva, 1952). 2

(Unasylva, 1947d). 3

(FAO - Division des forêts et des produits forestiers, 1949). 4 (Unasylva, 1947d).

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(Kotok, 1950). Il serait utile de compléter ces considérations par l’analyse d’archives pour avoir une idée précise des contributions financières envers la FAO, travail qui ne pouvait être réalisé dans le cadre de cette thèse.

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envoyé par le ministère de l’Agriculture français au Bureau régional pour l'Europe à Genève en 1946, en vue de rassembler et rapatrier les archives du Centre forestier international pour le compte de la FAO1. Alors que la décision d’inclure les forêts dans l’agenda de la FAO vient initialement des États-Unis, le premier directeur de la division Forêts est un français, ancien directeur général des Eaux et forêts françaises, et conseiller d'État, Marcel Leloup2. Dès la création de la FAO, les pays européens s’impliquent dans ses rencontres et sa revue. Des visions et priorités divergentes existent entre les États-Unis et les pays européens, mais tous s’impliquent ainsi dans la FAO, en vue d’influer sur ses orientations3. Une coopération est actée entre la FAO et la CEE pour développer les objectifs de la FAO en Europe malgré le fait que les bureaux principaux de la FAO soient à Washington. De nombreuses nationalités sont représentées au sein du personnel forestier de la FAO à son lancement ; il est constitué principalement d’anciens cadres de services forestiers (étatsuniens, français, danois, canadiens, chinois, birman, australiens, péruviens, etc.4). Autre exemple d’intérêt pour ses activités, la FAO est invitée à participer en juin 1947 à la 5ème Conférence des autorités forestières de l'Empire britannique à Londres5.

Ainsi, l’importance d’une coordination internationale dans le domaine forestier est largement reconnue dès la fin des années 40, quoique cette reconnaissance ne s’affranchisse pas de la compétition économique et politique entre les pays. Un événement semble en particulier avoir été décisif dans cette dynamique : le congrès de 1949 de la FAO. Comme le consigne le rapport officiel de cette rencontre :

« In the first place, the Congress gave recognition to the importance of forests on the international plane, this importance stemming from their protective utility and their productive utility. This is not a mere statement of principle, it is the recognition of a major fact »6.

Cette reconnaissance, poursuit le rapport, n’est plus seulement le fait de techniciens, mais est aussi partagée par les décideurs et le grand public. Enfin, le rapport veut mettre en avant le moment historique que représente ce congrès :

« The importance of such recommendations in what might be termed the forestry history of the world is quite clear. For the first time, the specialists of all nations have unanimously assented to the need for international action in the field of forestry. The 1 (Lanly , 2000). 2 (Unasylva, 1949). 3 (Lanly, 2009). 4 (Unasylva, 1947a). 5 (Unasylva, 1947d). 6

(FAO - Division des forêts et des produits forestiers, 1949). Notons également que la reconnaissance officielle de l’enjeu forestier global lors du congrès de 1949 est mise en avant aussi par la suite pour justifier l’action internationale, par exemple en 1950 : « En raison de l'étroite solidarité - si bien reconnue par le congrès d'Helsinki - qui unit tous les pays du monde sur le plan forestier comme sur tant d'autres plans, le problème est d'ailleurs d'importance mondiale et c'est ainsi que la Division des forêts et des produits forestiers de la FAO a été amenée à l'étudier » (Division des forêts et des produits forestiers, 1950).

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principles underlying such action have been indicated. The international organization charged with the task of codifying and implementing them has been designated ». Ainsi, la FAO est officiellement chargée en 1949 de mettre en œuvre l’action internationale concernant les forêts, ce qui concrétise le souhait formulé en congrès international dès 1900.

Le compte-rendu étant rédigé par la FAO, il est difficile de distinguer ce qui relève d’une description objective du déroulement du Congrès, et ce qui relève de la communication de la FAO pour défendre son agenda. Cependant, l’adhésion des représentants nationaux est officiellement actée par les recommandations qui émanent de ce congrès, et du mandat officiellement accordé par l’assemblée du congrès à la FAO pour assister les pays dans la formulation de leurs politiques forestières1.

Centraliser, diffuser, former, normer. Les activités de la division Forêt de la FAO

La division Forêts de la FAO est-elle réellement normative au moment de son lancement? Suscite-elle une adhésion élargie des pays concernés à sa perspective ? Quelle est concrètement le rôle et l’impact de la FAO quant aux politiques et activités forestières des pays ? Un premier bilan des activités forestières de la FAO, établi à l’occasion d’une conférence de la FAO en 1949 à Washington, donne un bon aperçu des activités déployées2. Sans tout détailler, soulignons quelques exemples significatifs.

En premier lieu, la dynamique de conférences intergouvernementales est poursuivie, et élargie avec la programmation de rencontres régionales, et sur des thématiques spécifiques3. La FAO devient également un interlocuteur privilégié des pays dans la mise au point de programmes forestiers nationaux, en rassemblant les informations sur les forêts et le bois et en promouvant leur circulation à l’international, ainsi qu’en mobilisant sur place des experts de son administration. Dans certains pays, des sous-commissions Forêts sont créées au sein des Commissions nationales de liaison avec la FAO, afin de faciliter la coordination4. La FAO considère leur existence comme indispensable aux travaux de la Division, ces sous-commissions constituant le meilleur moyen d'organiser des relations suivies et d'assurer la collaboration nécessaire. Afin d’étendre le champ d’action de la FAO

1

(Unasylva, 1947b). 2

(Unasylva, 1950b).

3 On peut citer notamment la conférence européenne sur le bois de construction (Marianske-Lazne, Tchécoslovaquie, 1947, 27 pays représentés) ; la conférence latino-américaine des forêts et produits forestiers (Térésopolis, Brésil, 1948, 18 pays représentés) ; la conférence des forêts et de l'utilisation du bois en Asie et Pacifique (Mysore, Inde, 1949) ; la Conférence sur l'utilisation des terres dans les régions tropicales (Ceylan, Inde, 1950).

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(Unasylva, 1947a). La FAO regrette cependant en 1947 qu’il n’y ait pas plus de pays qui créent une telle sous- commission.

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au-delà des États-Unis et des pays européens, des commissions régionales sont rapidement mises en place : l’une pour l’Asie-Pacifique en 1950, une pour l’Amérique Latine en 1952 et enfin une à destination du Proche-Orient en 19551.

La division Forêts de la FAO joue également un rôle important dans la formation et la mise à disposition d’experts ; elle édite par exemple des annuaires d’experts réfugiés dont les compétences pourraient intéresser certains pays en manque de personnel formé (notamment en Amérique du Sud). Dans la même dynamique d’implantation régionale, des bureaux sont progressivement mis en place dans les principales régions forestières du monde. La FAO appuie aussi la création de « Corps civiques de conservation » pour mettre en œuvre des programmes de boisement et de reboisement. La FAO, en partenariat avec le comité Bois de la CEE et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement, va contribuer à la mise à disposition de prêts aux pays et à la signature d’accords bilatéraux entre gouvernements européens concernant le commerce du bois ou du matériel forestier.

La division Forêts a également un important rôle dans le dialogue et la normalisation des pratiques forestières à l’international, à travers tout un travail d’homogénéisation des pratiques, de la terminologie, des unités de calcul, etc. Sont ainsi mis en place un système d’homologation des semis forestier, une normalisation des pratiques de sciage, de classification du matériel. En 1949, lors du Congrès forestier mondial d’Helsinki est exprimé le vœu qu'un dictionnaire forestier soit réalisé pour les principales langues mondiales, permettant de stabiliser définitions et traductions2. Une collaboration entre la FAO et l’Iufro permet à ce projet d’être réalisé3.

Des règles pour réaliser des inventaires, règlementer le statut de la FAO par rapport à d’autres organisations comme l’Iufro4, ainsi que son fonctionnement et l’organisation de congrès mondiaux, sont mises en place et validées par les représentants officiels des États dès les premières années d’existence de la FAO. Il est clair que la pénurie de bois ne semble pas être une priorité pour les pouvoirs nationaux, mais les accords impliquent quand même des représentations officielles et toutes ces rencontres et activités nécessitent des financements. Le fonctionnement et l’orientation générale de la division forestière de la FAO se basent sur la consultation d’un comité statutaire composé de hauts-fonctionnaires et de forestiers nommés par les gouvernements membres de la FAO5.

Le rôle de la FAO est reconnu en dehors de ses cercles comme l’illustre cet extrait d’un article de la Revue forestière française de 1955 :

1

(Dargavel, 2011, p. 139). 2

(FAO - Division des forêts et des produits forestiers, 1949).

3 La première langue du dictionnaire est l’anglais, suivie ensuite du français, de l’italien, du japonais et de l’espagnol (Morandini, 1986).

4

(Morandini, 1986). 5

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« Sous l'impulsion de la FAO, l'attention d'abord, un intérêt croissant ensuite, se sont portés sur ces questions qui, il y a peu d'années restaient l'apanage des spécialistes et que la forêt prend progressivement la place qu'elle doit avoir dans l'économie du monde » 1.

Cette organisation se trouve en fait à cette époque dans une certaine position de monopole quant aux questions forestières internationales. Et si cela dénote d’un intérêt limité de la part des États, cette situation laisse à la division Forêts de la FAO les coudées franches pour développer avec vigueur « son » régime forestier. Comme le souligne Vandergeest et Peluso :

« By promoting a standard model of forestry-for-development, encouraging exclusionary forestry laws, strengthening the bureaucracies of professional foresters, and institutionalising the very concept of state forestry, the FAO became an empire in its own right »2.

Les premiers « Principes de la politique forestière » à l’échelle internationale (1951)

Un important élément en faveur de l’émergence d’un régime forestier international, même faible, est celui de l’officialisation sous l’égide de la FAO de principes internationaux pour les forêts. Rappelons que les débats récents sur le régime forestier international incluent généralement de vastes discussions sur la tentative de mise en place d’une convention internationale des Forêts en 1992, qui n’aboutit qu’à des « Forest principles » « faisant autorité mais non légalement contraignants » ; or, dès 1951, des « principes de politiques forestières » sont adoptés à l’unanimité par l’assemblée des États membres de la FAO, soit 66 pays. Alors que la FAO est une agence des Nations unies, il est surprenant que la résolution de 1992 affirme en préambule que « these principles reflect a first global consensus on forests »3. On peut discuter de la globalité de l’accord de 1951, alors que de nombreuses forêts sont encore soumises au régime colonial, et qu’un pays forestier majeur, l’U.R.S.S., n’est pas signataire. Pour autant, il s’agit bien des premiers principes internationaux validés sous l’égide des Nations unies. Cette résolution prise à l’occasion de la sixième session de la Conférence de la FAO est, comme celle de 1992, sans engagement légal mais veut faire autorité de par son statut institutionnel :

« Elle ne contient rien qui implique un engagement légal pour aucun pays, - mais seulement un engagement moral envers une idée, et la force d'une opinion éclairée.[…] La déclaration porte en elle l'autorité reconnue et le poids des

1

(Jolain, 1955). 2

(Vandergeest & Peluso, 2006, p. 370). 3

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résolutions formulées par une assemblée internationale de l'envergure de la Conférence de la FAO »1.

Tout comme de nombreux accords, notamment au sein de la convention climatique, les Principes forestiers de 1951 nuancent leur influence en reconnaissant une nécessaire interprétation « en fonction des conditions sociales et économiques particulières à chaque pays »2.

Sept principes sont édictés concernant la nécessité :

- de la réalisation d’inventaires et de la mise en réserve de forêts de production ; - d’une sylviculture visant à en « tirer pour un temps illimité et pour le plus grand

nombre possible de ses nationaux, les bénéfices maxima qu'elles peuvent fournir en tant qu'éléments de protection, sources de production et origines d'autres avantages accessoires » ;

- le développement des connaissances par la recherche et la dissémination de ses résultats ;

- le développement de la « conscience publique de l'importance de la forêt » ; - la mise en place de législations forestières nationales adaptées ;

- le déploiement d’un service forestier avec des moyens suffisants ; - la formation des gestionnaires de forêts et industriels du bois3.

Quel que fut l’impact de cette résolution, on a donc indéniablement, dès les années 1940-50 la mise en place d’un régime, non seulement programmatique, mais aussi selon une perspective formaliste, puisque des règles et des principes communs sont édictés face à une préoccupation commune. Soit, les recommandations visent à ce moment-là à encourager les pays à instaurer des politiques nationales forestières, qui n’existent pas dans la plupart des pays. Cette dynamique se poursuivra après les décolonisations dans les nouveaux États indépendants. Mais il ne s’agit pas moins de recommandations prescrites par une instance internationale et validées par les pays membres – donc une politique internationale afin de stimuler des politiques nationales ; et celles-ci ont pour objectif ultime de répondre au problème global de pénurie en ressource forestières. Il s’agit donc bien d’influencer les comportements étatiques en réponse à une préoccupation commune.

1 (Unasylva, 1952). 2 (Unasylva, 1952). 3 (Unaslyva, 1952).

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C. De « belles forêts » pour l’industrie mondiale. Quel cadrage pour le