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environnement global (années 1950-1980)

A. Forêts et environnement dans la montée du développementalisme, des États coloniaux aux pays du Tiers

2. Les enjeux de développement dans les tensions entre « Nord » et « Sud » à l’international

Suite à la mise en perspective de l’idée de développement au sein des relations coloniales, que peut-on dire de la cristallisation institutionnelle de ce concept à l’international ? S’éloignant un moment des enjeux directement forestiers, cette sous-section montrera comment, au sein des Nations unies, les ambitions développementalistes d’abord portées par les États-Unis dans une perspective anticoloniale et anti-communiste, sont réappropriées par les élites des nouveaux États indépendants. Avec l’affirmation de l’environnement comme enjeu majeur global, ancré à la fois dans une crainte d’explosion démographique et dans une stratégie de sécurisation des ressources en temps de guerre froide, les Nations unies deviennent un lieu déterminant où se cristallisent les tensions : à la conception universalisante de l’environnement qui se structure majoritairement dans les pays du Nord (et notamment via leurs ONG environnementalistes) s’opposent les revendications des pays du Sud d’un droit au développement et d’une conception locale des problèmes d’environnement qui ne doivent être résolus que s’’ils entravent leur développement.

La naissance du dispositif international de l’aide au développement et la suprématie étatsunienne

Le Point IV du discours d’investiture de Truman de janvier 1949, souvent identifié comme l’acte de naissance du projet développementaliste global, entérine en quelque sorte, dans une version étatsunienne, la reconfiguration du développement amorcée dans les relations coloniales. Dans son histoire de l’« invention du développement », Rist rend compte du caractère fortuit de l’apparition des enjeux de développement lors de cet événement : le Point IV a été suggéré par un fonctionnaire de l’équipe présidentielle peu de temps avant le discours, plus comme un artifice de communication et de relations publiques que comme un programme politique sciemment désiré et réfléchi. Mais devant le succès dans les médias de l’annonce d’une aide aux nations défavorisées, Truman se retrouve contraint de donner le change sur le sujet et de souligner l’importance de cette mission pour son pays1. La notion de « développement » est déjà présente dans les théories économiques au début du XXème, dans lesquelles sont décrits les divers degrés de développement des pays. Mais en conceptualisant la situation de pays pauvres comme du « sous-développement », le discours de Truman, reconfigure le concept de « développement » : selon les mots de Rist, d’un sens intransitif suggérant un processus spontané, il acquiert un sens transitif. On n’attend plus des pays qu’ils se développent, ils doivent être développés. Les aires sous-développées

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nécessitent donc des politiques spécifiques pour sortir de leur état défavorisé. Plus encore, l’idée d’un « sous-développement » renforce l’évidence du développement comme processus unique et linéaire, en suggérant que les sociétés concernées en sont à un stade embryonnaire dont il faudrait les sortir, selon une métaphore biologique. Cette « innovation terminologique » naturalise aussi l’histoire qui a abouti à cette situation : l’évolution de chaque pays sur l’échelle du développement peut être expliquée par l’histoire de ce pays, sans mettre véritablement ces récits dans une perspective internationale d’influence, de compétition et de domination réciproques. En mettant dans une relation d’égalité symbolique les territoires développés et sous-développés, les États-Unis réussissent un triple coup : ils stigmatisent les relations de domination coloniale, ils rendent évident et naturel un programme universel de développement et se positionnent comme nouvelle puissance mondiale en charge de cette grande mission humaniste, à la fois dans leurs politiques bilatérales et au sein des institutions internationales.

L’annonce étatsunienne va aussi impacter les Nations unies en matière de programme d’aide envers les pays considérés comme « arriérés » : avant l'annonce du « Point quatre» par Truman, l'Assemblée générale des Nations unies avait créé un programme d'assistance technique dont les fonds restaient relativement limités1. Son but était de financer, d’une part des missions d'experts pour conseiller les gouvernements sur leurs programmes de développement économique, et d’autre part, des bourses pour des formations techniques approfondies à l'étranger. Une partie des fonds est attribuée à divers organismes des Nations unies pour qu’ils puissent envoyer leurs propres experts en mission : la FAO, mais aussi l’Unesco, l’Organisation mondiale de la santé et l'Organisation internationale de l'aviation civile. L'initiative du président Truman va redynamiser ce programme : début 1949, le Conseil économique et social des Nations unies demande au secrétaire général et aux chefs des organismes spécialisés d'élaborer un projet plus important et sur cette base, propose une résolution. En juillet 1950, une réunion internationale est organisée à Lake Success pour réunir des financements pour ce nouveau Fonds d'assistance technique ; c’est ainsi que naît le Programme élargi d‘assistance technique (PEAT), qui va notamment appuyer de nombreux travaux de la FAO concernant les forêts des pays « sous-développés ». Le PEAT est destiné à offrir des petits budgets. Devant la nécessité d’élargir les possibilités de financements, un Fonds spécial des Nations unies est créé en parallèle en 1958. Le PEAT et le Fonds spécial fusionnent en 1966 pour créer le Programme des Nations unies pour le développement2.

Le discours de Truman de 1949 proclame également l’augmentation de la production industrielle comme enjeu clé de la prospérité et de la paix mondiale ; cette connexion entre

1 Selon la présentation qui en est faite dans la revue Unasylva, par le secrétaire exécutif de la Commission d'Assistance technique des Nations unies, Perez-Guerrero (1950). Sauf mention contraire, l’essentiel de ce paragraphe se fonde sur ce témoignage.

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liberté, aspiration au confort matériel et productivité industrielle, fondement de la société de consommation en germe dans les pays du Nord, se décline également dans une version spécifique au développement des pays « sous-développés ». Les nouvelles nations indépendantes en Afrique et en Asie aspirent à une industrialisation rapide afin de réduire la pauvreté et d’atteindre rapidement une autonomie économique1.

C’est ainsi qu’au cours de la seconde moitié du XXème siècle, le développement va s’institutionnaliser à la fois comme norme, projet et processus2. Cette dynamique est accompagnée par toute la littérature qui se constitue à partir des années 1960, tant dans le domaine de l’économie – où une « économie du développement » s’affirme progressivement comme champ théorique spécifique3 -, qu’en anthropologie4. L’aide va devenir un « dispositif », avec des institutions, des agences, des théories, des concepts, des expertises dédiés5. En particulier, la théorie des étapes de la croissance économique va nourrir largement la pensée de la modernisation. L’idée est basée sur l’hypothèse d’une diffusion de la science de l’Europe vers des territoires moins développés, permettant, si ceux-ci sont prêts à en recevoir les bénéfices, de les faire progresser dans la dynamique présumée universelle du développement économique. C’est en particulier les travaux de Rostow en 1960 et de Basalla en 1967 qui théorisent cette perspective rapidement controversée ; on lui reproche sa vision simpliste et déconnectée des réalités historiques complexes et politiques, que ce soit à l’intérieur des pays (par exemple l’absence de prise en compte des luttes de classes comme moteur d’évolution), comme entre les pays, notamment la situation très spécifique des pays soumis à plusieurs décennies de colonisation6. Mais comme le note Amin, si « la « théorie des étapes » ne pouvait guère entraîner la conviction d'un esprit scientifique; elle n'en a pas moins été le credo des gouvernements et des faiseurs d'opinion »7.

L’invention de l’environnement global8 et la nécessaire planification du développement

Rapidement, le succès du « développement » comme ambition mondiale va se trouver contrarié par une autre dynamique majeure : celle de l’émergence après la seconde guerre mondiale de l’environnement comme problématique globale, légitime en elle-même comme 1 (Guha, 2000, p. 63 et suiv.). 2 (Hugon, 2004). 3 (Weber, (1978) 1983), (Peemans, 2003). 4

Voir par exemple (Copans & Freud, 2011). 5 Voir chapitre 7 (notamment l’encadré 1). 6

Voir par exemple (Valantin, 1962). 7

(Amin, 1978, p. 52). 8

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champ d’action politique national et international, avec ses propres symboles, pratiques et institutions1. Pour comprendre la puissance du phénomène et les proportions politiques que vont prendre les tensions entre environnement et développement, il est nécessaire de prendre toute la mesure des enjeux liés à l’environnement, tel qu’il est construit à partir du milieu du XXème siècle. Il n’est pas seulement question de la nature comme entité et milieu qu’il faudrait préserver. Les motivations en jeu sont fondamentalement prises dans des préoccupations économiques, démographiques et géopolitiques beaucoup plus larges. Jusqu’alors, dans les discours officiels, conservation et mise en valeur rationnelle semblaient pouvoir se concilier, voire même, la préservation des forêts serait garantie par un aménagement et une exploitation bien-pensée ; ces assertions semblent mises en question après la seconde guerre mondiale, alors que le monde est de plus en plus pensé comme clos, avec des ressources finies et une population en croissance permanente et rapide2.

Si le contexte de guerre froide stimule l’aide au développement comme dispositif de ralliement des nouveaux pays indépendants, il génère surtout des angoisses quant à l’accès aux ressources. Alors que la société de consommation émerge comme idéal aux États-Unis et dans les pays européens, l’appât de l’abondance nécessite de garantir l’approvisionnement régulier des économies occidentales en matières premières et sources d’énergie. Renouvelant une préoccupation grandissante au cours de la première moitié du XXème siècle, le contrôle des ressources mondiales est réaffirmé comme enjeu de sécurité nationale et d’endiguement du communisme. Depuis la fin des années 1940, toute une littérature et des débats se sont développés sur les risques de surpopulation mondiale3. Reprenant le concept de « population bomb », la publication des Ehrlich4 en 1968 va contribuer à diffuser cette idée d’une crise imminente du fait des tensions entre ressources disponibles et pression démographique. Développement et néomalthusianisme sont donc les deux faces d’une même pièce, celle de la peur de la pénurie et des révoltes à cause d’un Tiers Monde affamé et de plus en plus peuplé. Dès son émergence, le champ de l’environnement est donc intrinsèquement pris dans les enjeux de développement et de compétition pour les ressources.

Trois publications contribuent à rendre crédible l’alerte environnementale comme problème spécifique réclamant des mesures particulières : le rapport Limits to growth 1972 (Meadows, club de Rome), Blueprint for survival (the Ecologist 1972), et finalement Small is beautiful (Schumacher 1973)5. S’adressant à des audiences différentes suivant des approches variables, ces publications contribuent selon Hajer à promouvoir une perspective partagée par les experts technocratiques et les mouvements sociaux radicaux : l’environnement

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(Selin & Linnér, 2005, p. 4). 2 (Adams, 2004).

3

(Locher, 2013), (Mahrane & Bonneuil, 2014). 4

Paul Ehrlich [et Anne Ehrlich, non créditée], 1968, cité par (Locher, 2013). 5

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devient une question de survie de l’humanité, qui appelle au développement d’une science écologique cybernétique et pour laquelle l’approche étatique est conçue d’emblée comme inadéquate et insuffisante1.

Un conservationnisme anthropocentré s’affirme d’autant plus, revendiquant une gestion rationnelle des ressources et des populations – et en particulier des populations pauvres - grâce à la science et aux experts2. La transformation de l’organisation intergouvernementale Union internationale pour la préservation de la nature en Union internationale pour la conservation de la nature illustre cette reconfiguration de certaines perspectives préservationnistes privilégiant la protection de la nature pour elle-même, vers des approches plus conservationnistes visant à assurer l’approvisionnement des sociétés humaines en ressources et bénéfices naturels3. Plus que la nature, c’est la survie de l’humanité qui semble désormais en jeu. Les préoccupations environnementales, précédemment localisées et souvent centrées sur la préservation d'espaces naturels récréatifs pour naturalistes, se diffusent plus largement en interrogeant les conditions de survie de l'humanité. L'« environnement » apparaît dans les discours et les institutions, en tant que catégorie synthétisant l'ensemble des thématiques de protection et de gestion de ressources naturelles4. Et comme le résume Amin selon une perspective marxiste : « l'Homme en question est ici un Homme abstrait qui se substitue aux hommes concrets qui appartiennent à des classes sociales et à des nations organisées dans un système très précis »5. Les relations entre humanité et environnement ainsi décrites, quoique se présentant comme universelles, cadrent donc les imaginaires de façon très spécifique. Ces discours, dont certains renouent avec des courants environnementalistes réactionnaires, voire eugénistes du début du XXème siècle6, sont diffusés par des environnementalistes, des scientifiques ou des politiciens et sont souvent controversés. La science, et en particulier l’écologie, prend une place majeure dans ces argumentations. Des modélisations de la démographie ou de la production agricole sont invoquées pour rendre crédibles ces alertes. Sensible à ces enjeux, le gouvernement étatsunien commence à financer des recherches sur la planification des ressources à l’échelle globale. Cette planification contribue de fait plus à renforcer l’exploitation des ressources qu’à la limiter, mais elle transforme le paysage de l’expertise environnementale en développant des savoirs et des spécialistes de ces approches7. L’écologie s’en trouve progressivement et durablement modifiée, en premier lieu aux États-Unis : le paradigme organiciste laisse la 1 Idem, p. 86. 2 (Linnér, 2003). 3 (Mahrane, 2010). 4 (Charvolin, 2007). 5 (Amin, 1978, p. 52). 6 (Locher, 2013), (Pessis, 2014). 7 (Robertson , 2008).

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place à des approches écosystémiques, qui s’inspirent du raisonnement cybernétique1. Tout un champ académique se développe aussi autour de l’économie des ressources « combinant formalisme microéconomique et modélisation de l’état physique des ressources (forêts, pêcheries, champs d’hydrocarbures, etc.), pour en analyser l’économie extractive »2. Les premières images de la Terre vue de l’espace à partir de la fin des années 1960 vont devenir des icônes de l’idée d’une petite bille bleue finie, vulnérable et contrôlable3. La globalisation économique nourrit ce nouvel imaginaire d’un monde clos et limité, tout comme la menace nucléaire. Paradoxalement avec les tensions liées à la guerre froide et à la course aux ressources, le champ de l’environnement, de son suivi technoscientifique comme de sa régulation, est un domaine privilégié de construction de confiance et de coopération entre les deux blocs4.

Par ailleurs, cette période voit aussi l’émergence de mouvements citoyens, scientifiques et associatifs de protection de la nature en marge des divers sujets de contestation sociale et politique. Si la perception d’une crise environnementale et la contestation d’une approche technocratique de la modernité ne sont pas en tant que telles nouvelles5, elles se médiatisent à partir des années 1960-70 au sein d’une plus large audience. La publication d’ouvrages au retentissement majeur y contribuent, tels que Silent spring de Rachel Carson (1962) sur l’impact des pesticides à large échelle6 ou encore The closing circle de Barry Commoner (1971) qui traite notamment des menaces liées à l’industrie pétrochimique7. Selon Ramachandra Guha, l’environnementalisme des années 60-70 voit aussi l’émergence de nouvelles formes d’action par rapport à l’engagement plus ancien d’intellectuels cherchant à convaincre à travers des publications ; dans la dynamique des contestations sociales plus générales, un véritable activisme se met en place via des manifestations, des blocages ou des actions en justice8. Pour McCormick (1989, p. x), c’est la mobilisation populaire massive qui est le principal moteur pour que les enjeux environnementaux, de préoccupation privée, deviennent un problème public.

Du côté institutionnel, l’environnement devient donc un sujet légitime. À l’échelle nationale, de nombreux partis écologistes apparaissent à partir des années 19709. Un élément significatif de la globalisation environnementale est la pénétration de ces enjeux au sein des Nations unies. Alors que ces questions sont totalement absentes dans la charte de 1945, elles deviennent progressivement un agenda majeur de cette organisation. La crise 1 (Locher, 2013). 2 Idem. 3 (Grevsmühl, 2014). 4 (Selin & Linnér, 2005). 5

(McCormick, 1989) (Guha, 2000), (Pessis, Topçu, & Bonneuil, 2013) 6

(Guha, 2000, p. 69 et suiv.). Sur les réactions vives contre cet ouvrage, lors de sa publication et plus récemment, voir (Oreskes & Conway, 2012).

7 (Pessis, 2014). 8 (Guha, 2000, p. 79 et suiv. ). 9 (McCormick, 1989, p. viii).

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écologique est même décrite en 1970 comme le sujet le plus pertinent de toute l’existence de l’organisation1. Après la Conférence des Nations unies sur la conservation et l’utilisation des ressources dès 19492, deux moments forts de cette évolution sont : à l’initiative de l’Unesco en 1968 à Paris la conférence Biosphère (Intergovernmental conference of experts

on a scientific basis for a rational use and conservation of the resources of the biosphere), qui

débouche en 1971 sur le programme « Man and the biosphere »3 ; et la conférence sur l’Environnement humain en 1972 à Stockholm. Aujourd’hui considérée comme le premier « sommet de la Terre », cette dernière joue un rôle déterminant dans la structuration de l’agenda environnemental global. Elle donne naissance au Programme des Nations unies sur l’environnement en 1972. En rassemblant massivement des ONG, elle contribue à leur coordination et à la naissance de nombreuses nouvelles initiatives4.

L’affirmation du Tiers Monde et des revendications développementalistes aux Nations unies

Afin de comprendre comment les tensions entre environnement et développement se structurent au sein des Nations unies et en particulier lors de la conférence de Stockholm de 1972, un bref retour sur l’affirmation du Tiers Monde comme coalition politique à l’international est utile. À partir des années 1950, la vague de décolonisation, en Asie d’abord, puis en Afrique modifie profondément et durablement les relations internationales. De nombreux États nouvellement indépendants deviennent membres des Nations unies. De 51 membres en 1945 (dont 4 africains5), l’organisation en regroupe 83 en 1959, et 132 en 19726. Ainsi, rien qu’en 1960, 16 États africains deviennent membres de l’ONU7

. Au-delà de la représentation dans les instances multilatérales, dans un contexte de crispations et de compétition économique, militaire et politique dues à la guerre froide, les nouveaux pays à peine indépendants font l’objet des fortes convoitises de la part des puissances en opposition.

De plus, à une échelle plus globale, une coalition d’intérêts se forme entre ces nouveaux États en création et les leaders indépendantistes de certaines colonies. Dix ans après que 50 États se soient déclarés « Nous, peuples des Nations unies », 29 nations se réunissent pour proclamer : « Nous, peuples d’Asie et d’Afrique »8, revendiquant ainsi un point de vue

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Ses propos sont ceux du secrétaire général des NU en 1970 (Selin & Linnér, 2005, p. 1) citant Cordier et Harrelson 1977.

2 Chapitre 1 (C.2). 3

(Selin et Linnér 2005 p. 12 et suiv). 4

(McCormick, 1989, pp. 100-101).

5 Il s’agit de l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, et le Liberia (Lewin, 2006). 6

(Selin & Linnér, 2005). On compte aujourd’hui 53 pays africains sur 191 membres de l’ONU. 7

(Urban, 2005, p. 16). 8

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alternatif sur les relations internationales et les rapports de force en présence. La conférence de Bandung (Indonésie) qui se déroule en 1955 représente un moment symbolique majeur dans l’affirmation des pays du « Tiers Monde »1 : à l’initiative de cinq pays asiatiques nouvellement indépendants (l’Inde, le Pakistan, Ceylan, la Birmanie et l’Indonésie), un appel est lancé pour une solidarité économique, politique et culturelle afro- asiatique. Héritant de mouvements nationalistes transnationaux d’avant-guerre, pan- asiatiques et anti-impérialistes2, cette rencontre regroupe un panel d’objectifs : faire front commun face au colonialisme encore présent, notamment en Afrique, affirmer le nationalisme des nouveaux pays indépendants face à la domination des puissances étatsuniennes, soviétiques et européennes dans les relations internationales, favoriser le développement économique de ces pays majoritairement pauvres, inciter au maintien de la paix malgré la guerre froide… Alors que c’est surtout l’agenda des grandes puissances qui domine les relations internationales, notamment au sein des Nations unies, ce mouvement va à contre-courant et cherche à rétablir des relations horizontales entre pays autrefois isolés les uns des autres par le carcan colonial (qui centralisait les échanges entre centre métropolitain et périphérie coloniale)3. Pour autant, les pays du Tiers Monde ne cherchent pas à promouvoir une organisation alternative à l’ONU ou à s’affranchir de ses politiques, ils réaffirment au contraire son importance et veulent inscrire leurs revendications au sein même de cette organisation, alors même qu’un certain nombre des pays présents n’en sont pas (encore) membres.

La dynamique formalisée autour de la conférence de Bandung, si elle est entravée par les tensions qui apparaissent inévitablement entre les pays concernés, contribue sans conteste à initier une volonté d’union qui se perpétuera hors des Nations unies dans le Mouvement

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L’expression est reprise d’un article du français Alfred Sauvy (1952) dans la revue L’observateur, sous le titre « Trois mondes, une planète ». Dans celui-ci, le démographe définit le Tiers Monde ainsi : « nous parlons volontiers des deux mondes en présence, de leur guerre possible, de leur coexistence, etc., oubliant trop