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B « Fiat lignum », du bois pour tous 1 Les enjeux forestiers à la FAO

C. De « belles forêts » pour l’industrie mondiale Quel cadrage pour le régime international des forêts à la fin des années 1940 ?

2. La coexistence de perspectives divergentes

Les forêts tropicales, entre extractivisme et aménagement

L’aménagement des forêts tropicales fait l’objet de controverses croissantes pendant la période coloniale. Si l’on retrouve des projets de planification de l’exploitation forestière depuis le milieu du XIXème siècle, qui découlent de l’influence de la foresterie européenne en expansion, c‘est un phénomène loin d’être aussi généralisé que l’aménagement des forêts des métropoles. Dans le cas français1, la mise en place de services forestiers ne se fait que longtemps après la conquête coloniale, en particulier dans les colonies africaines (à l’exception de Madagascar), même lorsque des textes règlementaires avaient été édictés plus tôt2 et des pressions exercées par des naturalistes ou administrateurs coloniaux3. Il faut parfois encore plusieurs années avant que des officiers forestiers arrivent effectivement sur le territoire et leurs moyens restent limités4. La trajectoire de la foresterie coloniale française semble évoluer au gré d’un affrontement entre d’une part, une volonté de mettre à profit rapidement les ressources coloniales en vue d’assurer une autonomie à la France, en exploitant les forêts selon un paradigme minier ou extractiviste (s’appuyant notamment sur le mythe de l’inépuisabilité décrit plus haut), et d’autre part la perspective de forestiers ou naturalistes qui veulent promouvoir une foresterie scientifique et interventionniste, afin d’assurer à long terme le renouvellement de la ressource et des forêts.

1 Dans les colonies britanniques, allemandes, hollandaises, ou belges les services forestiers sont parfois mis en place plus tôt que dans les colonies françaises. Mais comme le résume Guillard (2010), ils connaissent tous plus ou moins « une longue gestation et une jeunesse chaotique. Hésitations dans les structures, les moyens, palinodies dans les politiques ». Les avancées majeures sont plus souvent dues au hasard de la présence conjointe d’administrateurs et de forestiers à la personnalité « à la fois visionnaire et efficace » qu’à une logique impériale centralisée qui porterait ses fruits sur le terrain. Seule l’Inde fait exception, et modèle. Même lorsque des services et des textes forestiers sont mis en place, la sylviculture reste souvent en retrait, c’est surtout une simple régulation des prélèvements qui s’instaure, d’abord pour des motifs économiques, puis parfois conservationnistes. Le manque de moyens des services forestiers, incitant à augmenter les redevances, freine le développement des exportations.

2 Voir notamment (Tourte, 2005, p. 661). 3

On peut ajouter que, d’après (Guillard, 2010), plusieurs initiatives contribuent à faire pression pour faire progresser l’intérêt français pour les bois coloniaux : l’Association Colonies-Science créée en 1925 avec pour objectif de « coordonner les recherches techniques susceptibles de mettre en valeur le sol des colonies françaises » et dont Auguste Chevalier est un contributeur majeur, met en place une Sous-commission des bois tropicaux, qui deviendra plus tard le Comité national des bois coloniaux. Cette initiative travaille en relation avec les instances françaises officielles et l’Institut international d’agriculture et participe à la dynamique de standardisation et de centralisation des données techniques et commerciales pour étendre le secteur forestier industriel dans les colonies. Guillard mentionne aussi dans la dynamique lancée avant la seconde guerre mondiale de valorisation du bois colonial la création de la Société pour le développement de l’utilisation des bois tropicaux ou encore la mise au concours de la thématique « Forêt coloniale » en 1932 par l’Académie des sciences coloniales, remporté par Aubréville pour son travail sur les forêts africaines.

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Concrètement, ces deux tendances déterminent conjointement les pratiques sur les territoires coloniaux depuis le début du XXème siècle. Une partie du domaine forestier est mis à disposition d’exploitants privés pour une exploitation (sans aménagement), et une autre partie est mise « en réserve ». Cette seconde catégorie, alors légalement protégée des défrichements par des locaux, peut alors soit rester telle qu’elle, soit être « mise en valeur » par les services forestiers. Pour comprendre la nature de l’aménagement, il est nécessaire de rappeler qu’à cette époque, la définition d’un bon usage des forêts tropicales s’inscrit dans l’héritage direct de la foresterie métropolitaine. Les services coloniaux sont composés de forestiers formés à l’école de Nancy et conçoivent donc ce bon usage comme « une exploitation ‘réglée’ de peuplements homogènes »1. Or, la forêt tropicale est loin d’être homogène. Seules quelques essences de bois sont commercialisables, ce qui aboutit à deux stratégies : la première est basée sur l’enrichissement des forêts en essences commercialisables en éliminant progressivement les espèces sans intérêt2. Elle doit permettre de garantir une meilleure production en bois d’intérêt et d’éviter un appauvrissement des forêts en ces espèces. La seconde, plus radicale, consiste à réaliser des coupes à blanc et à mettre en place des plantations, souvent d’espèces exotiques aux propriétés industrielles mieux maîtrisées.

De fait, le rôle des services forestiers coloniaux reste relativement restreint et l’aménagement limité. Alors que les finances coloniales ont été fortement perturbées par les deux guerres mondiales et la crise des années 1930 et que les besoins en bois grandissent, leur rôle se restreint souvent au contrôle des concessions afin d’assurer des recettes fiscales plus qu’une réelle gestion. Mais les moyens limités rendent difficiles la mise en place d’un contrôle des activités souvent très destructrices dans les concessions privées.

Le contexte des années 1940 conduit également à l’augmentation de la demande en bois, notamment pour la reconstruction, l’intensification de l’industrialisation et la diversification des débouchés industriels des divers matériaux issus des forêts. Les progrès techniques dus aux tâtonnements scientifiques et industriels et à la mécanisation, tout comme le développement d’infrastructures de transports et de transformation facilitent peu à peu le développement du marché pour les bois coloniaux. En vue d’appuyer cette mise en valeur des bois tropicaux, des recherches techniques sont progressivement développées. Reprenant les missions d’un laboratoire créé en 1917 sous l’égide du ministère de l’Armement, le Centre technique forestier tropical (CTFT) est fondé en 19503 en tant que société d’État (et deviendra en 1984 le Département des forêts du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, ou CIRAD). Les intérêts commerciaux se multiplient tout comme les besoins, ce qui renforce le lobbying en faveur de

1 (Mahrane, Bonneuil, & Thomas, 2013). 2

De telles expérimentations sont ainsi mises en place en Guyane jusque dans les années 1980 (chapitre 5, A.1.).

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l’exploitation et de l’exportation des bois coloniaux. Ce n’est pas tant le manque de forêts, dont les surfaces augmentent en France métropolitaine, qui impose d’aller chercher du bois ailleurs. Mais la filière est déstructurée, tant en termes du nombre d’unités de transformation (scieries, usines de pâte à papier ou de placage, etc.), qu’au niveau de la qualité du travail réalisé dans l’exploitation et l’industrialisation des matériaux qui amènent à un important gaspillage de ressources. Pour répondre à ces besoins, le domaine de mise en réserve reste relativement limité et, afin de ne pas entraver la production de bois, ce sont souvent des forêts déjà épuisées en essences commerciales qui sont classées1.

Des voix se sont élevées pour dénoncer ces dérives. Une figure emblématique est Auguste Chevalier. Ses travaux naturalistes sur le terrain l’amène à jouer un rôle de précurseur, par exemple dans la prise en compte des activités pastorales et agricoles des populations rurales dans l’étude phytogéographique des milieux « naturels » et de critique de certaines pratiques coloniales. On peut également évoquer l’ingénieur des Eaux et Forêts Aubréville, dont les écrits alarmistes, dont on a cité un exemple plus haut sur « la mort des forêts tropicales », lui ont forgé une réputation de « précurseur du développement durable »2. Il ne faudrait pas pour autant considérer ces figures comme de tenants d’un environnementalisme fort. Alors qu’ils assument l’un et l’autre des missions centrales pour l’administration française, (Chevalier a ainsi été décrit comme un véritable « mercenaire scientifique de la colonisation »3), leurs alertes sur la disparition des forêts ne remettent pas du tout en question la mise en valeur des territoires et des forêts colonisés. Si elle était rationnellement déployée, l’exploitation forestière industrielle pourrait, selon eux, contribuer à la préservation des forêts.

Pour comprendre leur posture, il faut souligner que l’administration forestière est dans une situation ambiguë par rapport au reste de l’entreprise coloniale. D’un côté, alors que la colonisation s’inscrit symboliquement comme une lutte pour dompter une nature sauvage, dans laquelle apporter la civilisation et le progrès revient à accroître la productivité générale, et en particulier agricole, « la simple existence de la forêt est antagoniste du développement ». Les propos d’Aubréville en 1947 résume bien la situation des forestiers : « Théorie dangereuse pour les forestiers qui veulent bâtir pour l’avenir, selon laquelle l’exploitation des forêts coloniales ne serait qu’un stade temporaire dans l’évolution de l’économie coloniale : les forêts sont destinées à être défrichées pour être remplacées par des cultures qui seules permettent l’utilisation maximum du sol et enrichissent véritablement le pays. S’il devait en être ainsi, il est certain qu’il serait […] tout à fait déraisonnable d’y entreprendre des travaux coûteux pour l’aménager et l’améliorer,

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(Mahrane, Bonneuil, & Thomas, 2013). 2

(Lexa-Chomard, 2008). 3

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apportant ainsi inopportunément des entraves au développement de l’agriculture […] »1. C’est donc avant tout la hiérarchie coloniale que ces forestiers coloniaux doivent convaincre d’investir à long terme dans le secteur forestier et l’aménagement. Leur posture, en plus d’affirmer un certain conservationnisme (voir sous-section suivante), correspond donc également à une promotion de la mission et des savoirs des forestiers tropicalistes dans les politiques coloniales.

La tension entre les enjeux de productivité et la volonté d’aménagement forestier reflète la coexistence de plusieurs groupes d’acteurs qui, de fait, coopèrent au sein de l’espace qui s’ouvre entre recherche et planification coloniale dans la première moitié du XXème siècle, mais avec des motivations et des stratégies variables ; Christophe Bonneuil en distingue quatre concernant l’agronomie, entre (1) les scientifiques partisans d’une vraie science utile aux colonies d’un point de vue économique mais aussi culturel, (2) des naturalistes et universitaires qui cherchent à profiter du nouvel intérêt étatique pour inventorier les milieux coloniaux et développer une réelle écologie tropicale, (3) les agronomes du ministère des colonies visant avant tout une augmentation de la productivité par une planification centralisée et enfin (4) des administrateurs coloniaux locaux favorables au focus sur la productivité mais hostiles à toute centralisation impériale2. Dans ce contexte, les uns et les autres coopèrent et font avancer conjointement leurs agendas, et une planification de la recherche et de la production coloniale est amorcée. Mais en ce qui concerne le secteur forestier, recherche et exploitation semblent rester relativement séparées. La faiblesse des services forestiers tant bien que mal mis en place dans les colonies évitent aux intérêts associés à une exploitation sans gestion d’être menacés, malgré la montée en puissance d’une alerte dans les milieux forestiers et naturalistes tropicalistes3.

La volonté d’accélérer le développement à l’international du marché du bois tropical est illustrée par la création en 1951 de l’Association technique international du bois tropical (ATIBT), dont le secrétariat est confié au CTFT français. Selon le peu de littérature trouvée sur le sujet, la création de cette association aurait été impulsée par la FAO et l’Organisation européenne de coopération économique. De fait, la définition des mandats de l’ATIBT par rapport au travail de ces organisations multilatérales dans le secteur forestier n’est très

1 (Guillard, 2010, p. I.2. p.2). 2

(Bonneuil, 1991, pp. 95-97). 3

(Guillard, 2010, I.3. p.33). Voir aussi par exemple l’article d’Aubréville de 1950 sur la surexploitation de certaines espèces forestières : « Il est important de l'enrayer dans toute la mesure possible. C'est un problème qui se présente dans chaque pays, très difficile, parce qu'il touche aux usages de populations. On est conduit à réglementer ces usages, ce qui entraîne toujours des complications d'ordre social et politique. Cependant il s'agit d'une question en rapport avec la vie future des pays et de leurs populations. Il conviendrait, même s'il était impossible d'empêcher immédiatement le déboisement par des mesures d'autorité et de répression, d'ouvrir les yeux de tous les habitants, et surtout de leurs élites, sur les dangers présents et futurs que court leur pays. »

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claire, hormis le statut d’association privée qui l’en distingue. L’ATIBT aurait en effet été lancée à l’initiative d’experts (dont le Belge Ferdinand Jassogne, futur président de l’ATIBT), réunis tout d’abord à l’occasion d’une rencontre de la FAO en 1946 en vue de l’établissement d’un inventaire international des ressources forestières agricoles et halieutiques, puis en 1951 lors d’un congrès de l’OEDE ; les missions que se donne alors l’ATIBT semblent calquées sur celles de la division Forêts et Produits forestiers de la FAO, et celles du Comité Bois de l’OECE : regroupement de statistiques techniques et commerciales, propagande en faveur des bois tropicaux, codifications en vue de l’homogénéisation des pratiques commerciales et techniques, etc. Il serait intéressant, quoique hors du champ de ce travail, d’étudier la trajectoire d’une initiative telle que l’ATIBT lors des décolonisations, et son rôle dans la confrontation entre les intérêts des pays producteurs et ceux des pays consommateurs, alors que ce n’est qu’en 1974 qu’a lieu la première rencontre de cette association dans un pays producteur, en Côte d’Ivoire. L’article d’Unasylva qui fait mention de cet événement présente d’ailleurs l’association comme étant « composée en grande partie de représentants de l'industrie et du commerce européens des bois tropicaux »1. Implantée à Nogent sur Marne, cette association existe encore aujourd’hui, bien que son action semble relativement marginale, puisqu’elle ne concerne majoritairement que le bois d’Afrique centrale et les relations d’acteurs de cette région avec des partenaires européens. Il semble que la tension entre l’exploitation de type extractrice des forêts et l’aménagement forestier reposant sur la perception d’une forêt qui, « soigneusement manipulée et compte tenu des limitations apportées par la végétation, le sol et le climat, peut fournir de façon continue les biens et les services demandés par la société »2 se poursuivent longtemps après les décolonisations. Dans un article de 1986, René Fontaine, un ancien cadre de la Division forestière de la FAO, continue de vouloir dénoncer les arguments contre l’aménagement des forêts tropicales. Dans ce débat, les conceptions technico-scientifiques qui sont invoquées, en faveur ou en défaveur de l’aménagement, sont empreintes d’intérêts économiques et institutionnels majeurs et ne doivent donc pas être réduites aux critères de connaissances techniques et théoriques suffisantes sur les forêts. Et ces intérêts vont reprendre de plus belle, quoique sous des contraintes différentes, avec les décolonisations. Comme le résume Valeix en 1999 :

« force est de constater que la très grande majorité des itinéraires techniques, certes jugés pertinents à l’échelle expérimentale, n’ont finalement pas pu être généralisés, soit par manque de moyens humains et financiers, soit parce que les motivations profondes des acteurs locaux étaient d’une toute autre nature, soit encore parce que les contextes institutionnels et législatifs des pays concernés n’y étaient pas favorables »3. 1 (Unasylva, 1974). 2 (Fontaine, 1986). 3 (Valeix, 1999, p. 333).

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Notons pour finir sur cette focale française qu’une dynamique de création de réserves naturelles à des fins de préservation émerge au cours de la première moitié du siècle, notamment à Madagascar. Quoique parfois porté par des naturalistes attribuant une valeur intrinsèque à la nature, le préservationnisme colonial à l’œuvre n’est pas incompatible avec la mise en valeur de forêts puisqu’il est déterminé par une conception orientaliste de la forêt vierge. Contrairement aux réserves créées en métropole visant à conserver des espaces pour leur valeur esthétique ou patrimoniale liée à l’histoire des activités humaines, les réserves coloniales sont justifiées par des objectifs naturalistes et se fondent sur l’idée que les populations autochtones n’auraient pas transformé les paysages ; dans un même temps, les pratiques de ces populations sont mises en cause dans la dégradation des forêts et des sols, aboutissant à leur exclusion des réserves1. Leur impact reste relativement minoritaire par rapport aux politiques d’exploitation et de mise en valeur.

La conservation, un constituant intrinsèque du « développement forestier » de la FAO ?

Dans quelle mesure et selon quelle perspective les enjeux de conservation s’affirment-ils au sein de la FAO ? Si cette institution ne s’immisce pas directement dans les politiques forestières des empires coloniaux, diverses postures sur ce que doit être la sylviculture moderne et sa relation à la conservation des forêts s’expriment en son sein.

A la fin des années 1940, le contexte international est relativement favorable à la diffusion d’idées conservationnistes. Tout comme cela est le cas pour les réserves de faune, l’instauration de forêts protégées vise d’abord des fins utilitaristes de préservation des ressources à destination de l’exploitation par les colons, en particulier dans les colonies africaines françaises, selon un modèle marqué par l’autorité du corps d’État des Eaux et forêts2. Les forêts classées, déjà existantes à la fin du XIXème siècle mais officialisées principalement durant la première moitié du XXème siècle, sont donc situées à proximité des voies de transport et doivent garantir que les pratiques locales catégorisées d’irrationnelles ne vont pas restreindre la modernisation des territoires par leur valorisation sur les marchés internationaux. Dans un même temps, le principe des réserves de protection, initié en Afrique à partir des années 1920, est internationalement promu à partir de 1933 lors de la Convention pour la protection de la faune et de la flore en Afrique à Londres et les parcs naturels se multiplient progressivement dans les colonies africaines des différents empires3. Les usages au titre des loisirs des Européens restent omniprésents dans le modèle des parcs

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(Mahrane, Bonneuil, & Thomas, 2013). 2

(Giraut, Guyot, & Houssay-Holzschuch, 2004). 3

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naturels, au même titre qu’ils l’étaient dans les réserves de chasse, à travers la promotion du tourisme de safari.

Deux ouvrages publiés en 1948, mettant en lumière les connexions entre écologie, malthusianisme et sécurité nationale, ont un impact retentissant, aux États-Unis et à l’étranger 1 : Road to Survival de William Vogt et Our Plundered Planet de Fairfield Osborn. En 1949 ont lieu en parallèle deux conférences majeures pour l’histoire de l’institutionnalisation environnementale globale à Lake Success (États-Unis), représentant deux courants opposés : la Conférence scientifique des Nations unies sur la conservation des ressources naturelles (sous l’égide des Nations unies et des États-Unis), qui s’inscrit dans une approche conservationniste, et la Conférence technique internationale sur la protection de la nature (organisée par l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, ou Unesco, et l’UIPN), qui défend l’approche préservationniste propre à l’IUPN à cette période2. Dans le champ des forêts coloniales, la mise en œuvre de services forestiers, conjugués au travail de naturalistes, contribue, malgré une certaine tension entre ces deux catégories d’acteurs, à ce qu’un message d’alerte commence à atteindre l’opinion publique métropolitaine. Leur alerte est relayée dans les congrès internationaux à partir des années 19303.

La FAO n’est pas isolée de ces évolutions. Ainsi, un article d’Unasylva de 19484, signé du directeur général de la FAO, fait mention dans son introduction à l’ouvrage Road to Survival de Vogt. Si la FAO mentionne dans ses textes régulièrement les enjeux de conservation associés aux forêts, c’est avant tout pour répondre à son mandat prioritaire, celui de l’alimentation : « La pleine utilisation et la conservation de sols agricoles qui fournissent le pain quotidien de millions d'êtres humains dépend, en effet, de la protection et de la sage exploitation, peut-être à cent lieues de là, de massifs boisés »5. Le positionnement de la FAO – « conserver la nature et ses ressources pour l’homme » - rejoint clairement l’optique conservationniste, et l’oppose au cadrage préservationniste de l’UIPN qui préfèrerait, selon l’organisation onusienne, « protéger la nature contre l’homme »6. On verra dans le chapitre suivant que la perspective conservationniste prendra progressivement de l’ampleur à