• Aucun résultat trouvé

environnement global (années 1950-1980)

A. Forêts et environnement dans la montée du développementalisme, des États coloniaux aux pays du Tiers

1. Les forêts dans la décolonisation : reconfigurations, continuités, renforcements des dynamiques coloniales

Entre espoirs et dépendances, une décolonisation en « trompe-l’œil » ?

La décolonisation n’est pas seulement un fait entériné par la reconnaissance administrative de l’indépendance d’un certain nombre de territoires colonisés. C’est à la fois plus et moins que ça. Plus, parce que c’est avant tout aussi un ensemble d’espoirs, de revendications, ou comme le résume l’historien indien Vijay Prashad : « Le tiers monde n’était pas un lieu. C’était un projet »3. Les populations, objet d’études de la démographie et de l’économie développementalistes, deviennent dans cette perspective des peuples, porteurs de

1 Lors de sa création, cette organisation est appelée l’Union internationale pour la protection de la nature (UIPN).

2

(Adams, 2004, p. 54). 3

113

revendications politiques1 et « qui veulent s’inscrire dans l'Histoire », selon les mots du premier directeur de la revue Tiers Monde, Georges Balandier2. Le nationalisme exacerbé qui en découle et les luttes de pouvoir associées ont pu paradoxalement contribuer à freiner la dynamique de développement économique et l’épanouissement social de ces nations3. Mais dans une certaine mesure, c’est aussi moins que ce qui est habituellement assimilé à l’indépendance des nouvelles nations, en termes d’autonomie. Comme le rappelle Seloua Luste Boulbina : « On a confondu l’indépendance des États (la souveraineté) avec l’indépendance des sujets (la décolonisation). L’objectivité des situations collectives a occulté la subjectivité des personnes »4. Prenant l’exemple de l’Algérie, elle développe : « Le cas algérien est à cet égard exemplaire tant l’institution de l’État algérien s’est calqué sur le modèle français, jacobin et autoritaire ; administratif et rigide. Il a repris de l’État oppresseur l’ensemble des mécanismes qui permettaient précisément l’oppression coloniale »5. En Afrique subsaharienne, les modalités de formation des cadres, orientées vers la gestion administrative coloniale plutôt que vers l’autonomie et imprégnées d’une volonté de transformer les mentalités vers des normes morales européennes ont résolument éloigné les élites de leurs sociétés et sapé l’autorité des institutions traditionnelles6. Or, les indépendances n’ont pas supprimé les effets de ces politiques coloniales. En déléguant stratégiquement une partie du pouvoir à des élites choisies, la France prépare dès le milieu des années 1940 le maintien de prérogatives dans ses colonies africaines en voie de décolonisation7.

Plus encore, les transformations coloniales économiques et structurelles ont impacté à long terme les pays décolonisés et perdurent au-delà de la décolonisation. Ainsi en est-il de l’implantation massive de cultures de rente (huile de palme, coton, cacao, etc.), des migrations forcées associées, de la mise en place de centres urbains tournés vers l’exportation ne correspondant pas aux réseaux internes de commerce, ou encore de la création de nouvelles frontières étatiques aberrantes par rapport aux logiques historiques, culturelles et sociales locales8. L’autonomie économique, politique et militaire reste de fait relativement limitée, notamment dans l’ancien empire français9. Jean-Pierre Dozon parle ainsi d’une « décolonisation en trompe-l’œil » : pour les élites africaines, une décolonisation symbolique avait été amorcée en 1946 avec la fin du système de l’indigénat : les sujets africains devenaient des citoyens de l’empire français. Une certaine autonomie politique et administrative est officialisée en 1956 avec la loi Deferre. Contrairement aux discours

1

(Luste Boulbina, 2012, p. 35). 2

Balandier dans une interview en 2003, cité par (Luste Boulbina, 2012, p. 36). 3 (Igué, 2009, p. 219). 4 (Luste Boulbina, 2012, p. 34). 5 (Luste Boulbina, 2012, p. 39). 6 (Igué, 2009, p. 223 et suiv.). 7 (Bancel, 2002). 8

(Igué, 2009), (Dossa Sotindjo, 2009). 9

114

officiels sur le moment historique que représenterait l’indépendance en termes de rupture et d’émancipation, dans les faits, les liens franco-africains se renforcent : les investissements financiers français n’ont jamais été aussi importants durant la période coloniale, tout comme l’accueil d’étudiants africains et l’immigration vers la France, ou encore l’expatriation de Français en Afrique. La rupture est donc à considérer selon Dozon de façon inversée : le renforcement de la présence et des intérêts français dans ses anciennes colonies, que ce soit par la puissance officielle du ministère de la Coopération ou celles des réseaux d’influence et de trafics communément appelés « Françafrique », constitue plus un regain de puissance et d’indépendance pour la France que pour les nouveaux États1. Et cette dynamique va largement bénéficier de l’évolution de la notion et des pratiques de « développement ».

Les racines historiques de l’aide au développement : de la mise en valeur des colonies au « colonialisme de développement »

Le concept de développement est difficile à caractériser, tant il est protéiforme2. Il est courant de lire que le système d’aide au développement – ainsi que le concept de « développement » qu’il véhicule – trouve son origine dans le discours d’investiture de 1949 du président des États-Unis Truman3 qui, dans la lignée du plan Marshall, inaugurait une aide d’abord à destination des pays européens en reconstruction après la seconde guerre mondiale. Sa déclinaison au bénéfice des pays pauvres serait le résultat du transfert du même principe, lié à la fois au contexte de guerre froide, de crainte du communisme et à une volonté philanthrope d’amélioration des conditions de vie et de rattrapage économique, en particulier suite aux indépendances.

De fait, divers travaux montrent que le développement hérite de structures et de pratiques qui remontent bien avant la fin des années 19404

. Et il est essentiel de prendre en compte cette généalogie longue pour comprendre comment la structuration des économies et le modèle de développement actuel s’enracinent dans cette histoire. Le principe de l’aide internationale s’inscrit de longue date dans les relations diplomatiques et économiques entre territoires. Pour donner un exemple durant l’époque moderne, l’aide étatsunienne envers des pays d’Amérique du Sud remonte au XIXème siècle5. Elle est réaffirmée dans les

1

(Dozon, 2005, pp. 195-199). 2

(Cooper, 2002, p. 179).

3 Voir par exemple la page Wikipédia sur le sujet (Wikipedia, non daté). Voir aussi le Development dictionary (Sachs, 1992) comme nous y invitent (Cowen & Shenton, 1995, p. 27), dans lequel 5 entrées commencent par le discours de Truman, et de nombreux autres le citent.

4 Voir notamment (Goldman, 2005), (Cooper, 2002), (Pacquement, 2013), (Dossa Sotindjo, 2009) . 5

Ainsi, lorsqu’un séisme frappe le Vénézuela en 1812, les États-Unis votent un Act for the Relief of the Citizens of Venezuela, dont l’objectif est à la fois humanitaire et politique, alors que le Vénézuela en en guerre contre l’Espagne (Charnoz & Severino, 2007, p. 4).

115

années 1930-1940 par la « Good neighbor policy » de l’administration Roosevelt1. Comme le soulignent Peter Hjertholm et Howard White, on retrouve dès lors l’ambiguité qui perdurera dans toutes les évolutions de théories et de pratiques de l’aide : celle d’une tension entre assistance bienveillante et intérêts bien-pensés des pays donneurs2. L’aide est « liée », les dons sont conditionnés par le bénéfice que peut en tirer le pays donneur, qu’il se déleste de surplus agricoles ou qu’il promeuve ses produits manufacturés et ses savoir-faire. Côté institutions internationales, le souci du développement est aussi présent avant la fin des années 1940. Après la première guerre mondiale, le système des « mandats » mis en place par la Société des nations pour gérer les anciennes colonies allemandes confie officiellement aux puissances coloniales ces nouveaux territoires, qui héritent dans un même temps d’une mission d’amélioration du bien-être et du développement des populations colonisées3. Plus encore, le projet développementaliste s’enracine dans le projet colonial. Même si les chronologies sont décalées selon les empires, une évolution commune globale se dessine. Après une colonisation marquée par un certain « laissez-faire », le début du XXème voit un regain d’intérêt et d’investissement en faveur du développement des colonies. Du simple pillage des colonies, on passe à une politique de « mise en valeur »4. La Grande- Bretagne voit ainsi dans le développement économique de ses colonies l’ouverture d’un marché, qui culmine avec le Colonial development act de 1929, comme tentative de réponse à la crise économique. Mais progressivement, du fait de la montée des contestations locales5, les dimensions sociales, sanitaires et éducatives prennent de l’ampleur dans les politiques britanniques de développement. Cette tendance aboutit à la signature des Colonial development and welfare acts en 1940 et 19456.

De son côté, la France est longtemps réticente à investir dans ses territoires coloniaux, malgré une mise à l’agenda régulière de cette question. Les plans votés en 1921 et 1934 en faveur du développement des transports et de programmes sanitaires et sociaux impulsent un changement de perspective mais ils tardent à être effectivement mis en place7. La « mise en valeur » des colonies consiste alors principalement à exploiter les ressources coloniales au profit de la métropole ; les autres missions coloniales, notamment civilisatrices et modernisatrices, restent de fait restreintes par le manque d’intérêt et d’investissement pécuniaire. C’est surtout pendant la seconde guerre mondiale que des financements et prêts se mettent en place avec, d’un côté le régime de Vichy qui commence à investir dans les territoires coloniaux qui le reconnaissent, et de l’autre la mise en place par de Gaulle de la

1 (Kanbur, 2003, p. 3), citant Mikesell 1968 ; (Hjertholm & White, 2000). 2

(Hjertholm & White, 2000, p. 59). 3 (Rist, 2001, p. 99 et suiv.). 4 (Coquery-Vidrovitch, 2009, p. 54). 5 (Hodge, 2011). 6

(Kanbur, 2003, p. 3) citant Little et Clifford, 1965. 7

116

Caisse centrale de la France libre, suivie de l’affirmation d’une volonté de développer l’Outremer français lors de la conférence de Brazzaville en 19441

.

La contribution déterminante des colonies à la libération de la France lors de la seconde guerre mondiale modifie complètement les rapports de force. La France n’est pas seulement redevable envers ses populations coloniales : l’image de sa puissance est fortement altérée et l’horreur nazie rend nauséabond tout discours aux relents raciaux. Le projet colonial n’a d’autre option que de se réformer. Alors que la Grande-Bretagne, soumise à des contraintes similaires, opte pour la mise en place d’une autonomie relative au sein du Commonwealth, la France choisit de valoriser son statut d’empire en renforçant les relations avec ses colonies, à la fois pour redorer son blason en affirmant sa puissance mondiale et pour incorporer les revendications d’élites coloniales en leur promettant un statut de citoyens à part entière, quoique progressivement et lentement acquis2. Ce « passage du colonial à l’impérial »3 est également assorti de l’affirmation d’une nouvelle idéologie, un « colonialisme de développement », basé sur un « impérialisme du savoir »4. Afin de répondre à « l’affaiblissement des arguments légitimant l’exercice du pouvoir sur des peuples qui étaient « différents » », l’apport de capitaux et de savoirs doit permettre d’améliorer le niveau de vie des populations colonisées. L’économie de cette époque, et en particulier l’économie du développement qui émerge, insiste sur le rôle de l’État dans la stimulation et la régulation de la croissance5. Il y a donc au milieu des années 1940 une rupture qui reconfigure de façon profonde les pratiques et imaginaires coloniaux.

Initialement, les efforts de l’État français doivent surtout se limiter à l’éducation, la santé, le développement de services sociaux et globalement le développement de la production agricole. Mais très vite, les élites, notamment d’anciens étudiants africains formés en métropole, affichent des revendications politiques (de participation aux institutions de l’État colonial) et sociales (d’égalité entre les citoyens africains et métropolitains), jusqu’à la volonté, au sein d’une seconde génération, d’accession à l’indépendance de leur pays. Ces revendications politiques vont pénétrer rapidement l’idée même de développement. Elles semblent aussi progressivement imprégner les mentalités et valeurs des français métropolitains : un sondage réalisé en 1946 montrerait que plus d’un quart des français pensent que l’administration des colonies devrait surtout profiter aux populations indigènes, un autre quart qu’elle devrait bénéficier à la fois aux indigènes et à la France, contre 31% favorables à une exploitation au profit principal de la métropole6. On est donc

1

(Charnoz & Severino, 2007, p. 5). 2

(Cooper, 2002, pp. 79 et suiv.). 3 Bancel dans (Sciardet, 2002). 4 (Cooper, 2002, p. 73 et suiv.). 5 (Cooper, 2002, p. 181). 6 (Guillard, 2010, I.9. p. 12).

117

alors loin d’une volonté partagée d’exploitation pure et simple des colonies au profit de l’empire.

Pour autant, la réalité de l’effort envers les populations et les territoires coloniaux reste plus que nuancé. Des investissements significatifs sont réalisés mais ces investissements sont structurés par la tension récurrente entre d’une part, la volonté affichée d’amélioration du niveau de vie et au développement économique des colonies, et d’autre part, les intérêts bien-pensés de la métropole. Les pouvoirs publics français se laissent influencer par des lobbyings nationalistes :

« qui freinent un certain nombre de modernisations, y compris agricoles, par crainte de la concurrence. […] On va donc mettre l’accent sur des produits de base, comme le riz, le cacao ou le café, sur lesquels la concurrence n’est pas à craindre. On reste quand même dans une économie de traite […] Il y a un discours sur l’industrialisation, mais il n’y a pas grand-chose sur le plan concret. On laisse faire le secteur privé, mais un secteur privé qui est largement tributaire d’inerties créées pendant l’entre-deux-guerres, où l’Afrique est un marché protégé. Finalement, le premier tournant, au début des années 1950, est celui des monocultures d’exportation et des industries de base, pas des industries de transformation qui sont à forte valeur ajoutée »1.

L’aide au développement des colonies consiste donc avant tout à fournir la France en produits exotiques, qui ne concurrencent pas l’agriculture et l’industrie métropolitaine, plutôt qu’à répondre aux besoins locaux en matières premières ou à développer des filières industrielles sur place ; cette dynamique va déterminer de façon durable l’économie des territoires concernés.

Que ce soit dans les discours ou dans des politiques effectives, le développement colonial constitue donc une première formulation d’une aide internationale vers les territoires non industrialisés ; des investissements sont lancés en vue du développement d’infrastructures ou de la production agricole, et ces investissements sont accompagnés de discours sur la volonté de faire bénéficier les territoires concernés d’un appui en leur faveur. Mais cette aide va définir un modèle de développement qui confine les pays concernés dans une place bien définie de l’économie mondiale : celle de fournisseurs de matières premières agricoles, forestières et minières.

Dans l’empire française comme britannique, des évolutions similaires s’opèrent lors des décolonisations2. Les initiatives de développement colonial restent globalement inefficaces, ce qui renforce les contestations indépendantistes puis, une fois les États indépendants, la volonté de rupture avec les politiques coloniales. Mais certaines orientations structurelles et idéologiques engagées perdurent, voire se renforcent, longtemps après les décolonisations. Les quelques mesures de conservation des milieux sont ainsi démantelées au profit d’un

1

Bancel dans (Sciardet, 2002). 2

118

renforcement de la dynamique coloniale de grands projets extensifs, notamment infrastructurels et agricoles. Selon Hodge (2011), un important « biais agraire » continue de cadrer le modèle de développement envisagé ; celui-ci focalise le développement sur une meilleure organisation des communautés rurales, afin leur apporter prospérité et stabilité et ainsi limiter leurs impacts environnementaux et leur migration. En définissant les problèmes sociaux et écologiques des nouveaux États comme des problèmes techniques dus à un déficit de compétences et de moyens, le projet développementaliste reproduit, après les décolonisations, une dépolitisation des causes de la pauvreté qui verrouille dans une certaine mesure les futurs possibles. Surtout, cette planification du développement prolonge l’expansion du pouvoir bureaucratique et centralisé de l’État, ainsi qu’elle renforce l’influence des experts en développement (qui sont souvent d’anciens experts coloniaux recrutés au sein des institutions internationales ou des ministères de coopération) auprès des administrations.

La persistance d’une exploitation forestière extractiviste sous la r esponsabilité d’États « garde-barrières »

Le secteur du bois est l’un des premiers concernés par ces continuités entre pratiques coloniales et postcoloniales1. On retrouve dans ce contexte la prolongation des deux tendances de la foresterie française tropicaliste : d’une part une industrie qui se développe à la faveur d’investissements pour la mécanisation, pour le développement d’infrastructures de transport et pour la connaissance technique nécessaire à l’industrialisation des bois tropicaux ; et d’autre part, des investissements techniques et scientifiques pour améliorer la connaissance de l’écologie forestière tropicale, en vue de politiques d’aménagement. Mais ces deux tendances restent relativement déconnectées. Le mode d’exploitation du bois dominant reste celui de l’extractivisme minier et les expériences d’aménagement en forêts tropicales restent confinées à des sites expérimentaux localisés.

Qu’il s’agisse de l’agriculture ou de l’industrie du bois, le développement colonial confine les administrations coloniales au rôle d’États « garde-barrières »2 (gatekeepers states), selon l’expression de Cooper. Comme on l’a mentionné, la mise en valeur des colonies est tournée vers l’extérieur, et les pouvoirs publics locaux sont restreints à une mission de contrôle et de régulation des matières premières sortantes. Cette tendance se poursuit après les Indépendances, car la vulnérabilité des nouvelles autorités les conduit à mettre à profit les revenus et intérêts générés par cette régulation, et la dépendance économique des nouveaux États vis-à-vis de l’extérieur maintient l’économie de rente comme horizon privilégié. Dans le domaine forestier, ce contexte n’incitera pas les jeunes États à mettre en

1

Sur le cas britannique, voir notamment (Vandergeest & Peluso, 2006). 2

119

place une politique forestière interventionniste1, mais plutôt à bénéficier des revenus – officiels ou officieux – du commerce de bois. Cette continuité s’explique aussi par le maintien de structures administratives similaires avant et après les décolonisations, ainsi que par la perpétuation des mêmes savoirs et formations forestières2. La revendication d’un droit au développement vient donc justifier le maintien d’un système qui garantit des rentrées financières significatives par rapport au reste du budget étatique.

Dans le domaine forestier, le modèle dominant d’exploitation après la décolonisation reste, du fait de ces éléments, celui de la concession : ce mode minimaliste d’organisation de la filière, où une surface est attribuée à une entreprise forestière pendant un certain nombre d’année sans réelle contrainte en termes de gestion, permet de mobiliser rapidement le capital économique que représentent les forêts. Ce capital peut ensuite être remobilisé pour promouvoir le développement dans d’autres secteurs3. En découle une importante dépendance de nombreux États tropicaux forestiers au secteur du bois qui assure une partie importante des revenus étatiques, des exportations et des emplois. La dépendance n’est pas seulement économique, mais aussi politique : une forte proximité entre élites institutionnelles et leaders de l’industrie forestière se développe4. Le capital forestier ainsi mis en valeur devient aussi une ressource privilégiée de nombre d’élites pour assurer leur carrière politique en mettant à disposition de potentiels alliés des revenus issus des forêts5. Le marché international du bois tropical va donc rapidement et durablement se structurer dans une logique de capitalisme extractiviste global, du fait de facteurs propres aux pays exportateurs mais aussi de par le fonctionnement des industries du bois dans les pays importateurs6 : l’« or vert » est exploité dans des forêts avant d’être exporté puis transformé et enfin utilisé loin des territoires forestiers d’origine. Tout un marché avec des caractéristiques spécifiques se met en place, mêlant forte compétition, dépendance à d’importants réseaux de crédits et enjeux majeurs liés à l’information en temps réel sur l’évolution des prix et de la demande. Ce contexte crée finalement les conditions idéales pour que l’exploitation des forêts tropicales réponde à des priorités de bénéfices à court terme quelles qu’en soit les conséquences dans un horizon plus lointain7.

Cette continuité est également présente dans les modes de gestion à visée de conservation. Réaffirmant la « vision centralisée, autoritaire et bureaucratique de la mise en valeur planifiée des ressources » héritée des États coloniaux8, les États nouvellement indépendants

1

(Puyo, 2001, p. 492). 2

(Fairhead & Leach, 1998, p. 173) (Dargavel, 2011). 3 (Gale, 1998b, p. 72).

4

(Gale, 1998b, p. 98 et suiv.). 5

Voir par exemple (Topa, Karsenty, Mégévand, & Debroux, 2010) pour le cas du Cameroun, (Gale, 1998b, p. 66 et suiv.) pour les pays d’Asie.

6

(Gale, 1998b, p. 72 et suiv.). 7

Idem. 8

120

se saisissent des parcs et des préconisations internationales conversationnistes comme instruments géopolitiques pour élargir les superficies domaniales, légitimer des déplacements de populations et affirmer un interventionnisme foncier fort.

Finalement, le chamboulement de l’emprise coloniale suite aux événements de la seconde guerre mondiale contribue de façon déterminante à réifier le développement comme concept. Le développement devient le seul horizon pour sortir des tensions coloniales et appréhender les futures relations entre pays riches et pays pauvres, sans que les inerties à long terme du développement colonial ne soient vraiment mesurées. En particulier, la « division internationale du travail »1 mise en place par les anciennes puissances coloniales