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Valoriser les travailleuses du sexe en contribuant à redéfinir leur image

Chapitre 4. Processus transformateurs

4.1 Valoriser les travailleuses du sexe en contribuant à redéfinir leur image

Le premier processus qui traduit l’expérience des femmes impliquées au Projet L.U.N.E. renvoie à la valorisation de l’image des participantes, alors que l’organisme contribue à transformer les perceptions négatives entretenues à l’égard des TDS. Les participantes rapportent qu’elles développent une meilleure estime et qu’elles vivent une transformation de leur rapport à elles-mêmes au fil de leur implication. Deux moyens mis en œuvre par le Projet L.U.N.E. permettent d’alimenter ce processus : la reconnaissance et la valorisation de l’expertise des TDS, ainsi que la promotion d’une conception plus nuancée du travail du sexe.

4.1.1 Reconnaître et valoriser l’expertise des travailleuses du sexe

La reconnaissance et la valorisation de l’expertise se traduisent par le fait d’accorder de l’importance aux TDS et de tenir compte de leur opinion. Du fait que leur expertise est sollicitée et considérée, les participantes acquièrent une meilleure estime d’elles-mêmes, ayant le sentiment qu’elles sont importantes et qu’elles ont une valeur aux yeux des autres :

On sent qu’on a de la valeur. […] J’ai ben de la misère à m’accorder de l’importance… Mais quand quelqu’un le fait, ben ça devient un peu plus facile de le faire aussi. [participante 1] Le fait de donner son opinion, et qu’elle soit retenue, ben ça aussi, c’était beaucoup... Je n’étais pas juste une fille gelée sur le coin de la rue, une « prostituée », et une fille qui comptait pour rien… Ça m’a donné une motivation personnelle, que je valais de quoi dans la société. [participante 2]

Les pratiques du Projet L.U.N.E. impliquent également de reconnaître les bons coups et de mettre en valeur les compétences des participantes :

Le potentiel, et les qualités et les forces sont mises en valeur plus plus plus. C’est comme si on te donne une absolution de ton passé et on te dit : « C’est parfait, on oublie tout ce qu’il y avait avant, maintenant, on regarde en avant et on mise juste sur le beau. » [alliée 3]

Le fait de miser sur les forces semble participer au processus de valorisation, contribuant à ce que les TDS reconnaissent leur potentiel et qu’elles aient le goût de le mettre à profit :

Une que ça faisait des années qu’elle n’avait pas dessiné, qu’elle se remet à dessiner, et qui est si bonne. Et c’est comme si ça avait… Comme si elle avait oublié les affaires qu’elle était bonne et qu’elle aimait faire. Miser sur les forces, c’est peut-être ça aussi qui fait qu’elles se découvrent d’autres forces. [alliée 1]

En continuité avec la reconnaissance de l’expertise, un statut est attribué aux participantes du Projet L.U.N.E. Ces dernières bénéficient donc d’une carte de paire-aidante et elles sont identifiées comme telles auprès de la communauté dans laquelle elles s’impliquent. Or, ce statut contribue à la reconnaissance de leurs compétences, leur conférant une identité positive à laquelle elles peuvent s’identifier et qui les valorise auprès de leur entourage ou de leur environnement :

Le nouveau statut social qu’elles ont, en étant paires-aidantes… Ça change vraiment la donne, tu sais. Ça les valide dans leur rôle, ça leur donne un statut dont elles sont fières, et elles ont une reconnaissance sociale qui est différente. […] Au lieu de dire : « Je suis sur l’aide sociale, et je suis bénévole », ben tu peux dire : « Je suis paire-aidante au Projet L.U.N.E. ». [alliée 5] Ils disent tous que je suis une travailleuse de rue… Fait que là… Je sais ben que quand le monde astheure parle de moi aux policiers, ce n’est que du positif. Donc ma réputation a crissement changé avec la police. [participante 6]

Le processus de valorisation implique non seulement de reconnaître l’expertise des TDS, mais également de mettre en œuvre des projets à travers lesquels leurs compétences spécifiques ont un apport singulier, que les alliées ne peuvent avoir. L’implantation d’une ressource de type drop-in est un bon exemple de ce type de pratique, puisque l’apport des TDS y est essentiel. Les TDS peuvent alors s’appuyer sur leur savoir expérientiel (médication, drogues, santé mentale, ressources), et ce, dans l’optique de mieux intervenir auprès des femmes désaffiliées :

Là [au drop-in], on a vraiment mis le haut-parleur ou le spot sur ces compétences-là. […] C’est à la fois des personnes qui sont capables de gérer des crises. Qui connaissent la médication en santé mentale. Qui connaissent les drogues, et qui sont capables d’intervenir sans être nécessairement un maximum stressées par la consommation. [alliée 5]

Somme toute, le Projet L.U.N.E. offre une tribune qui permet aux participantes d’utiliser leur vécu pour aider d’autres TDS. Or, le fait de se positionner comme paires-aidantes engendre des retombées considérables pour les participantes, qui se sentent valorisées et qui ont l’impression de faire une différence :

Les femmes à l’hébergement, je le vois, le matin. Quand elles créent un mini lien avec quelqu’un. Quand il y a une femme qui, au lieu d’être à l’hôpital, elle s’est ramassée ici… Elles sont fières d’elles, tu sais! [alliée 1]

Ça me fait monter mon estime de moi. Qui était peut-être ben basse il y a quelques années. Là, je suis capable d’aider d’autres personnes. Et v’la admettons 10 ans, je n’étais pas capable de m’aider. [participante 9]

Dans le même sens, l’une des répondantes mentionne que son implication au Projet L.U.N.E. lui apporte « le sentiment d’être utile », ce qu’elle n’arrivait pas à ressentir auparavant, n’étant ni à l’école ni en emploi :

Ce que ça m’apporte avant tout, c’est le sentiment d’être utile. Parce que c’est vraiment quelque chose qui me manquait et qui me manque encore des fois dans les dernières années, parce que je ne suis pas à l’école, je ne travaille pas, et il n’y a rien vraiment dans ma vie. Et je me sentais comme inutile à la terre entière. Il fallait que je trouve quelque chose, où est-ce que je pouvais dire : « Ben… Oui, là, j’apporte quelque chose. » [participante 1]

Selon les répondantes, les pratiques du Projet L.U.N.E. ont un impact sur les perceptions rattachées aux TDS, alors que ces dernières sont montrées comme des modèles positifs :

On arrive à leur montrer qu’on est autre chose que des TDS. Qu’on a une tête, et qu’on est capable de réfléchir, et qu’on est capable de faire plein de belles affaires… […] Oui, on a eu des mauvaises passes, on a fait des mauvais choix, mais maintenant, on est rendues là et on réussit à faire briller un projet tout le monde en commun. [participante 3]

À la lumière des résultats de cette étude, il semble que le processus de valorisation passe notamment par une redéfinition de l’expertise des TDS, c’est-à-dire qu’il importe de miser sur le bagage spécifique des TDS et de mettre en lumière leur apport singulier dans une optique de transformation de leur image.

4.1.2 Promouvoir une vision plus nuancée du travail du sexe

Parallèlement, le processus de valorisation s’actualise également par le fait de promouvoir une vision plus nuancée du travail du sexe, c’est-à-dire d’entretenir un discours non péjoratif à cet effet. Selon les répondantes, les témoignages et les prises de parole dans l’espace public sont susceptibles de diminuer les préjugés entourant le travail du sexe, donnant accès à une meilleure connaissance de la situation des TDS :

Ça revient à enlever les préjugés sur le travail du sexe. […] Le Projet L.U.N.E. permet une meilleure compréhension auprès des gens qui ne connaissent pas le travail du sexe. […] En tant qu’actrice là-dedans, ça me permettait d’en parler, et peut-être des fois de faire changer d’idée aux gens. [participante 4]

Les intervenantes du Projet L.U.N.E. semblent partager cet avis, soulignant les nombreux apprentissages réalisés en côtoyant les participantes de façon régulière à l’organisme. Une intervenante rapporte que le fait de passer de longs moments avec des TDS lui a permis une compréhension plus fine de leurs réalités, lui apportant un bagage à la fois personnel et clinique :

Ça m’apportait plein de cues d’avoir passé des longs moments avec des travailleuses du sexe, et tu sais… Elles m’en ont compté, des affaires, et des expériences, qu’elles ont vécues! […] Ça m’apportait vraiment un bagage personnel. Et ça m’aide aussi en intervention. [alliée 4]

Selon les répondantes, les témoignages peuvent d’ailleurs influencer le regard des futurs intervenants, puisque les participantes du Projet L.U.N.E. font des présentations dans les cégeps et les universités :

Je pense que les femmes parlent de leur histoire, et qu’elles donnent un visage qui humanise ce que c’est, le travail du sexe. Ce que c’est, la marginalité, et la consommation, et je pense que ça, ça a vraiment des retombées dans la santé et les services sociaux, en général. [alliée 5]

Or, la promotion d’une vision plus nuancée du travail du sexe permet également de modifier les perceptions des TDS à l’égard de leur parcours. Plusieurs participantes expriment que les témoignages ont contribué à ce qu’elles changent leur opinion sur elles-mêmes, notamment lorsque l’auditoire était ouvert et ne portait pas de jugement :

[en évoquant une expérience de témoignage] Quand j’ai vu combien de personnes étaient là, combien de personnes avaient des questions aussi. Et les gens avaient l’air vraiment intéressés. Ben je me suis dit […] : « Pourquoi j’en aurais honte, dans le fond? Mon parcours de vie fait ce que je suis aujourd’hui! » [participante 1]

Selon les répondantes, le dévoilement attribue une fonction positive à certaines expériences, en mettant à profit le vécu des TDS dans une visée d’éducation ou de sensibilisation auprès des autres :

De faire des dévoilements comme ça… […] Ça permet de changer les perceptions qu’elles ont des épreuves qu’elles ont vécues. […] Tu dis : « Ok, je vais avoir contracté l’hépatite C, mais il y a peut-être des gens qui ne le contracteront pas, parce que j’ai fait un témoignage. » [alliée 5]

De même, le fait de s’attarder aux expériences positives associées au travail du sexe et d’y accorder de la valeur est considéré par les répondantes comme une façon de nuancer le vécu des TDS, contribuant à un rapport différent des participantes à l’égard d’elles-mêmes :

Si tu t’es fait dire toute ta vie que c’était de la violence, et que tu étais une victime, et que c’était terrible, ce que tu as vécu… Mais ce fameux client-là, avec qui tu te sentais tellement bien… […] D’être capable d’aller nuancer ces expériences-là, et d’aller retravailler un peu par elles- mêmes, sur des expériences, justement, qui étaient plus négatives, mais qui des fois, étaient positives. Et de donner de la valeur à ces expériences-là… [alliée 5]

En effet, il semble qu’au fil de leur implication au Projet L.U.N.E., les TDS apprennent à accepter leur histoire personnelle, ainsi qu’à en retirer quelque chose de plus positif :

Au début, je m’en voulais. D’avoir été escorte. Et d’avoir fait le travail du sexe. Je trouvais que c’était dégueulasse, pis ci, pis ça… J’avais full de jugement envers moi. Genre plus le temps avance, plus j’apprends à accepter ce que j’ai fait. Les choix que j’ai faits, et pourquoi je l’ai fait. […] J’ai de moins en moins honte de ce qui s’est passé. Parce que ça m’a fait grandir. [participante 7]

Plusieurs participantes expliquent qu’elles ont éliminé leurs tabous par rapport au travail du sexe. Une répondante souligne qu’elle a même été jusqu’à évoquer son passé à des proches, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant :

Je n’ai pas honte de ça. Tu sais… L.U.N.E a évacué tous les tabous par rapport à ça […] C’est comme je te dis… J’ai été jusqu’à, entre les lignes, en parler à papa et maman… Tu sais! Les gens proches… Ça m’arrive de parler de ça. Que je ne faisais pas nécessairement avant… [participante 4]

Au final, la promotion d’une vision plus nuancée du travail du sexe permet de redéfinir les expériences passées des TDS, ce qui participe à la valorisation de leur image.

4.2 Offrir un projet structurant qui permet de « faire de l’ordre