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Pratiques d'empowerment auprès des travailleuses du sexe : l'expérience du Projet L.U.N.E.

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Academic year: 2021

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(1)

Pratiques d’empowerment auprès des travailleuses

du sexe

: l’expérience du Projet L.U.N.E.

Mémoire

Audrey Bernard

Maîtrise en service social - avec mémoire

Maître en service social (M. Serv. soc.)

(2)

Pratiques d’empowerment auprès des travailleuses

du sexe : l’expérience du Projet L.U.N.E.

Mémoire

Audrey Bernard

Sous la direction de :

(3)

Résumé

Selon plusieurs, la stigmatisation constitue la principale difficulté vécue par les travailleuses du sexe (TDS). Considérant que les pratiques d’empowerment paraissent prometteuses pour surmonter les obstacles liés à la stigmatisation, les auteurs suggèrent de documenter les mécanismes associés à la réussite de ce type de pratiques auprès des TDS. Alors que les voix des TDS manquent dans les écrits, cette étude explore le point de vue des participantes et des alliées du Projet L.U.N.E., un groupe d’appartenance, de reconnaissance et de défense des droits « par et pour » des TDS. S’appuyant sur une démarche de théorisation ancrée, cette recherche qualitative et exploratoire documente les processus transformateurs par lesquels les pratiques d’empowerment permettent d’engendrer des retombées. En cohérence avec l’orientation pragmatique et interactionniste de la recherche, une attention est portée à « ce qui fonctionne » pour renverser la stigmatisation. À partir d’entretiens semi-dirigés menés auprès de 9 TDS et 5 alliées, cette étude identifie sept processus transformateurs: 1) Valoriser les TDS en redéfinissant leur image ; 2) Offrir un projet structurant qui permet de « faire de l’ordre dans sa vie » ; 3) Soutenir l’inclusion sociale des TDS en leur offrant un point d’ancrage ; 4) Favoriser la collectivisation en rassemblant les TDS; 5 ) Agir sur les rapports de pouvoir pour faciliter la participation ; 6) Intervenir pour améliorer les conditions de vie ; 7) Renforcer les connaissances et les compétences. Ce mémoire relève également quatre zones de tension inhérentes aux pratiques d’empowerment : l’ambivalence entre identification et distanciation par rapport au travail du sexe ; la conjugaison entre norme et marginalité, le passage du je au nous et le partage du pouvoir entre alliées et TDS. Tout en offrant une meilleure compréhension du processus d’empowerment, ce mémoire dégage des pistes pour améliorer l’intervention auprès des TDS.

(4)

Abstract

According to some researchers, stigmatization is the main problem experienced by sex workers (SWs). Considering that empowerment practices seem promising for overcoming barriers related to stigmatization, the authors suggest documenting mechanisms associated with the success of this kind of practice among SWs. Although SWs’ voices are generally absent from the literature, this study explores the perspectives of the participants and allies of Projet L.U.N.E., a group set up to improve belonging, recognition and advocacy for and by SWs. Based on a grounded theory approach, this qualitative, exploratory study documents the transformative processes whereby empowerment practices create benefits. In accordance with the project’s pragmatic, interactive orientation, attention is focused on “what works” to overcome stigmatization. Based on semi-structured interviews with 9 SWs and 5 allies, this study identified seven transformative processes: (1) enhance SWs’ status by redefining their image ; (2) provide a structuring project that allows them to “get their lives on track” ; (3) support SWs’ social inclusion by giving them an anchor point ; (4) support collectivization by bringing SWs together ; (5) act on relationships of power to facilitate participation ; (6) act to improve living conditions ; and (7) upgrade knowledge and skills. This thesis also reveals four areas of tension inherent in empowerment practices: the ambivalence between identification and distancing in relation to sex work; the relationship between norms and marginality; the transition from “I” to “we”; and power sharing between allies and SWs. This thesis provides a better understanding of the empowerment process and also suggests ways to improve interventions with SWs.

(5)

Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux ... vii

Liste des abréviations ... viii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1. Problématique ... 3

1.1 Contexte et objet d’étude ... 3

1.1.1 Définition et conceptualisation de la « prostitution » ... 3

1.1.2 Différentes réalités associées au travail du sexe ... 5

1.1.3 Problématique retenue : la stigmatisation des travailleuses du sexe ... 8

1.2 Recension des écrits ... 9

1.2.1 Empowerment et pratiques sociales ... 9

1.2.2 Pratiques d’empowerment dédiées aux travailleuses du sexe ... 11

1.2.3 Limites des études actuelles ... 19

1.3 Pertinence scientifique, sociale et personnelle ... 20

Chapitre 2. Cadre théorique ... 21

2.1 Orientation épistémologique : pragmatisme ... 21

2.2 Cadre théorique : interactionnisme symbolique ... 21

2.2.1 Fondements théoriques ... 21

2.2.2 Postulats, principes et axes théoriques ... 22

2.2.3 Le stigmate de Goffman ... 25

Chapitre 3. Méthodologie ... 27

3.1 But et objectifs ... 27

3.2 Approche qualitative ... 27

3.3 Recherche exploratoire ... 27

3.4 Type de recherche privilégié : la théorisation ancrée ... 28

3.5 Population à l’étude : le Projet L.U.N.E. ... 29

3.6 Procédures d’échantillonnage et stratégies de recrutement ... 31

3.7 Méthode de collecte de données : l’entrevue semi-dirigée ... 32

(6)

3.9 Aspects éthiques ... 37

3.10 Critères de rigueur scientifique et limites de l’étude ... 39

Chapitre 4. Processus transformateurs ... 42

4.1 Valoriser les travailleuses du sexe en contribuant à redéfinir leur image ... 42

4.1.1 Reconnaître et valoriser l’expertise des travailleuses du sexe ... 42

4.1.2 Promouvoir une vision plus nuancée du travail du sexe ... 44

4.2 Offrir un projet structurant qui permet de « faire de l’ordre dans sa vie » ... 46

4.2.1 Avoir un « but dans la vie », une routine et une structure : développer son sens de l’organisation et des responsabilités ... 46

4.2.2 Le Projet L.U.N.E. : un lieu d’expérimentation pour apprendre à connaître et à respecter ses capacités ... 48

4.3 Soutenir l’inclusion sociale des travailleuses du sexe en leur offrant un point d’ancrage ... 49

4.3.1 Des pratiques fondées sur l’accueil et l’acceptation inconditionnelle ... 50

4.3.2 Un cadre souple et flexible ... 51

4.3.3 Avoir une place « dans la société » ... 52

4.4 Favoriser la collectivisation en rassemblant les travailleuses du sexe ... 53

4.4.1 Créer des lieux de rencontre ... 54

4.4.2 Mettre en commun les expériences des travailleuses du sexe ... 54

4.4.3 Favoriser la création de réseaux de solidarité et d’amitié ... 56

4.5 Agir sur les rapports de pouvoir pour faciliter la participation ... 57

4.5.1 Offrir un soutien aux travailleuses du sexe pour faciliter leur participation ... 57

4.5.2 Donner la parole et laisser la place aux travailleuses du sexe ... 58

4.5.3 Établir des relations égalitaires entre travailleuses du sexe et alliées ... 59

4.6 Intervenir pour améliorer les conditions de vie ... 61

4.6.1 Mieux répondre aux besoins des travailleuses du sexe ... 61

4.6.2 Lutter pour la reconnaissance et la défense des droits ... 63

4.6.3 Favoriser l’accès à des revenus décents ... 65

4.7 Renforcer les connaissances et les compétences ... 66

4.7.1 Offrir des formations variées ... 66

4.7.2 Apprendre par l’expérimentation ... 67

Chapitre 5. Zones de tension ... 70

5.1 S’identifier ou se distancier du travail du sexe ... 70

5.2 Conjuguer norme et marginalité ... 72

(7)

5.4 Partager le pouvoir entre alliées et travailleuses du sexe ... 77

Chapitre 6. Interprétation des résultats ... 80

6.1 Processus transformateurs et zones de tension : quels apprentissages pour les pratiques d’empowerment dédiées aux travailleuses du sexe ... 80

6.1.1

Valoriser les travailleuses du sexe en contribuant à redéfinir leur image ... 80

6.1.2 Offrir un projet structurant qui permet de « faire de l’ordre dans sa vie » ... 82

6.1.3 Soutenir l’inclusion des travailleuses du sexe en leur offrant un point d’ancrage ... 82

6.1.4

Favoriser la collectivisation en rassemblant les travailleuses du sexe ... 84

6.1.5

Agir sur les rapports de pouvoir pour faciliter la participation ... 85

6.1.6

Intervenir pour améliorer les conditions de vie ... 87

6.1.7 Renforcer les connaissances et les compétences ... 88

6.2 Interactionnisme symbolique : redéfinition de l’identité stigmatisée des travailleuses du sexe ... 89

6.2.1 Attribuer une connotation plus positive au travail du sexe et aux travailleuses du sexe à travers les interactions sociales ... 89

6.2.2 Le Projet L.U.N.E. comme groupe d’appartenance et communauté de référence ... 91

6.3

Perspectives pour la recherche et la pratique ... 93

Conclusion ... 97

Bibliographie ... 99

Annexe A. Tableau synthèse des pratiques d’empowerment ... 109

Annexe B. Courriel de correspondance avec le Projet L.U.N.E. ... 114

Annexe C. Plan de présentation verbale ... 115

Annexe D. Feuillet d'information ... 117

Annexe E. Schéma d’entrevue (version 1) ... 118

Annexe F. Schéma d’entrevue (version 2) ... 120

Annexe G. Schéma d’entrevue (version 3) ... 122

Annexe H. Schéma d’entrevue (version 4) ... 124

(8)

Liste des tableaux

Tableau 1 : Caractéristiques des phases de collecte et d’analyse de données ... 35 Tableau 2: Catégories conceptuelles, propriétés et concepts répertoriés ... 36 Tableau 3. Pratiques d'empowerment dédiées aux travailleuses du sexe et retombées associées ... 109

(9)

Liste des abréviations

ASP Association for the Safety of Prostitutes BEAVER Better End All Vicious Erotic Repression

CLES Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle CORP Canadian Organisation for the Rights of Prostitutes COYOTE Call Off Your Old Tired Ethics

CPHA Canadian Public Health Association CSF Conseil du statut de la femme DPA Développement du pouvoir d’agir

ICRSWE International Committee on the Rights of Sex Workers in Europe L.U.N.E. Libres, Unies, Nuancées, Ensemble

NSWP Global Network of Sex Work Projects ONU Organisation des Nations Unies

OTSTCFQ Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec TDS Travailleuses du sexe

TSR Travailleuses du sexe de rue UDI Utilisatrices de drogues par injection VIH Virus de l’immunodéficience humaine WHO World Health Organization

(10)

À toutes les femmes, parce que vous méritez d’être reconnues comme citoyennes à part entière.

(11)

Remerciements

Maintenant que la rédaction de ce mémoire tire à sa fin, il convient de remercier plusieurs personnes qui ont contribué à la réalisation de ce projet.

Avant tout, je tiens à remercier les participantes et les alliées du Projet L.U.N.E. qui ont pris part à la recherche. Merci pour votre temps, votre richesse, votre profondeur. Merci pour le partage de vos parcours inspirants. Votre rencontre aura été un privilège.

Mon parcours à la maîtrise n’aurait pas été le même sans le soutien de ma directrice de recherche, Émilie Raymond. Émilie, merci pour tes judicieux conseils et ton sens de l’analyse consistant. Ton accompagnement aura été continu, et ce, malgré les changements à l’échéancier. Ça aura été un plaisir (intellectuel et personnel) de pouvoir échanger et réfléchir avec toi.

Au fil de mes implications, j’ai également eu l’occasion de côtoyer des collègues inspirantes. J’aimerais remercier Michèle Clément, Annie Lévesque et Marie-Hélène Morin du Groupe de recherche sur l’inclusion sociale, l’organisation des services et l’évaluation en santé mentale (GRIOSE-SM). Votre confiance m’aura amenée à relever plusieurs défis, ainsi qu’à enrichir mes connaissances en recherche. Merci aussi à l’équipe organisatrice des Midis-RAP, qui réunit des passionnées de la recherche-action participative. Mon implication à vos côtés m’aura permis de m’enrichir de vos savoirs collectifs.

J’aimerais souligner la contribution financière du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH), du fonds Georgette-Béliveau, du fonds Francine Ouellet et du fonds de recherche et d’enseignement de l’École de travail social – Micheline Massé.

Sur une note plus personnelle, je tiens à remercier quelques personnes qui me sont précieuses et qui m’ont soutenue de façon plus particulière au long de mon parcours. Merci à FX, Eugénie, Oli, Alex-Ann, Marie et Jeanne. Sachez que votre présence au quotidien fait une différence dans ma vie. Enfin, le dernier, mais non le moindre… Jo, merci pour ton appui inconditionnel et ta patience infinie. J’aimerais te témoigner toute ma reconnaissance pour ta présence et ton soutien continus, qui m’ont permis de me dépasser et de m’accomplir, à la fois sur le plan professionnel et personnel.

En guise de conclusion, je voudrais simplement faire un clin d’œil aux sympathiques employées de la brûlerie Vieux-Limoilou, qui font de cet endroit un espace chaleureux et réconfortant. Merci d’avoir égayé mes (nombreuses) journées de travail.

(12)

Introduction

Inscrit dans la discipline du travail social, ce projet de maîtrise s’intéresse aux pratiques sociales fondées sur l’empowerment qui s’adressent aux travailleuses du sexe1 (TDS), en explorant plus spécifiquement les

processus transformateurs par lesquels ces pratiques permettent d’engendrer des retombées. Si certains auteurs soulignent que la stigmatisation constitue la principale difficulté et l’expérience la plus négative vécue par les TDS (Foundation for Women, 1995 et Sloan, 1997, cités dans Sloan et Wahab, 2000 ; Mensah, 2010), d’autres précisent que cette stigmatisation émerge des représentations sociales négatives associées à la « prostitution » et aux femmes qui l’exercent (Bédard, 2012 ; Desyllas, 2013 ; Hallgrimsdottir, Philips et Benoit, 2006 ; Mensah, 2010 ; Pheterson, 2001 ; Wahab, 2002). Or, il semble que ces représentations soient produites et perpétrées par divers acteurs sociaux : législateurs, chercheurs (Pheterson, 2001), acteurs gouvernementaux (Majic, 2014), milieu féministe, grand public (Mensah, 2010), médias (Hallgrimsdottir et al., 2006), policiers, médecins, et mêmes travailleurs sociaux (Bédard, 2012 ; Desyllas, 2013 ; Wahab, 2002). En plus d’entraîner de la méfiance à l’égard de la parole et du vécu des TDS (Poulin, 2008), la stigmatisation discrédite l’image de ces dernières (Mensah, 2010) et affecte le développement de leur pouvoir d’agir (Majic, 2014 ; Mathieu, 2003 ; Mensah, 2006a ; Wahab, 2002). En réponse à ces enjeux, certains auteurs soulignent l’importance de renouveler les pratiques auprès des femmes qui exercent le travail du sexe, proposant de privilégier des approches fondées sur l’empowerment (Bédard, 2012 ; Wahab, 2004).

Considérant que les pratiques d’empowerment sont susceptibles de transformer les rapports sociaux entretenus à l’égard des TDS (Lemay, 2007) et d’amener ces dernières à franchir les obstacles reliés à la stigmatisation (Ninacs, 2008), il convient de documenter les conditions propres à la réussite de ce type de pratiques (O’Brien, 2009). Dans la mesure où les voix des TDS manquent largement dans les écrits empiriques sur les pratiques d’empowerment (Bédard, 2012 ; Hwang, 2007), la présente étude s’attarde plus spécifiquement au point de vue des participantes et des alliées du Projet L.U.N.E. (Libres, Unies, Nuancées, Ensemble), un groupe d’appartenance, de reconnaissance et de défense des droits sociaux « par et pour » des TDS. Située dans le paradigme épistémologique pragmatique, cette étude s’articule autour de la question suivante : quels sont les processus transformateurs par lesquels les pratiques d’empowerment dédiées aux TDS permettent d’engendrer des retombées?

Ce mémoire comprend six chapitres. Le chapitre 1 présente la problématique, soit la description de l’objet d’étude et la recension des écrits, à la suite de laquelle la pertinence de la recherche est démontrée. Le deuxième chapitre décrit l’orientation épistémologique et le cadre théorique utilisés pour cette recherche, respectivement le pragmatisme et l’interactionnisme symbolique. Le troisième chapitre traite de la

(13)

méthodologie du projet de recherche dans ses différentes dimensions : le but et les objectifs, l’approche privilégiée, le type de recherche, la population à l’étude, les procédures d’échantillonnage, les méthodes de collecte et d’analyse des données, les aspects éthiques, ainsi que les critères de rigueur scientifique et les limites de l’étude. Les chapitres 4 et 5 sont consacrés aux résultats de recherche. Le quatrième chapitre présente les processus transformateurs caractérisant l’expérience des participantes du Projet L.U.N.E., alors que le chapitre 5 rend compte des zones de tension qui ponctuent l’actualisation des pratiques d’empowerment. Quant au sixième chapitre, il inclut une interprétation des résultats de recherche en fonction de la recension des écrits et du cadre théorique.

(14)

Chapitre 1. Problématique

Ce chapitre aborde la problématique à l’étude. D’abord, le contexte et l’objet d’étude sont détaillés, afin de dresser un portrait de la « prostitution » et de la problématique retenue dans le cadre de ce mémoire, soit la stigmatisation des TDS. Considérant que les pratiques fondées sur l’empowerment sont proposées en réponse à la stigmatisation des TDS (Bédard, 2012 ; Wahab, 2004), ce chapitre présente par la suite une recension des écrits sur les pratiques d’empowerment dédiées aux TDS. Enfin, ce chapitre précise la question de recherche et la pertinence de s’y attarder sur les plans scientifique, social et personnel.

1.1 Contexte et objet d’étude

Dans cette section, nous abordons la définition de la « prostitution », les différentes réalités qui y sont associées, ainsi que la stigmatisation des TDS, problématique ciblée pour cette recherche.

1.1.1 Définition et conceptualisation de la « prostitution »

Bien qu’il n’y ait pas de définition consensuelle de la « prostitution » (Desyllas, 2013 ; Hallgrimsdottir et al., 2006), celle-ci se traduit généralement par un échange de services sexuels contre une compensation financière ou matérielle (Pheterson, 2001), ou encore par un rapport marchand de la sexualité (Bédard, 2012). Il semble néanmoins essentiel de souligner que la « prostitution » est, selon plusieurs, un concept érigé socialement, empreint d’une série de représentations sociales (Bédard, 2012 ; Damant et al., 2006 ; Poulin, 2008). Ainsi, certains définissent la « prostitution » comme une forme de violence, alors que d’autres la reconnaissent comme une forme de travail (Pheterson, 2001). Les féministes sont profondément divisées sur la question, tout comme les chercheurs, les politiciens et la population en général (Bédard, 2012 ; Poulin, 2008). Considérant l’ampleur et la complexité des débats qui circonscrivent la « prostitution » comme objet d’étude, il apparaît pertinent d’explorer plus spécifiquement les deux principales positions en la matière. 1.1.1.1 La « prostitution » comme forme de violence

Les fondements du courant néo-abolitionniste2, institués par Kathleen Barry au cours des années 1980,

s’appuient sur divers postulats (Toupin, 2006). Les tenants de cette position considèrent la « prostitution » comme une institution d’oppression résultant des inégalités structurelles entre les sexes (Poulin, 2008). Envisageant la « prostitution » comme une forme de violence qui porte atteinte aux droits et à la dignité des femmes, les néo-abolitionnistes évoquent les notions d’exploitation et d’esclavagisme pour la définir (Conseil du statut de la femme [CSF], 2012 ; Legardinier, 2002 ; Poulin, 2004), spécifiant qu’elle ne peut d’aucune façon être considérée comme un acte volontaire (Barry, 1984). C’est ainsi que Geadah désigne la

2 Alors que l'abolitionnisme préconise l'abolition de toute forme de réglementation relative à la « prostitution », le néo-abolitionnisme

vise plutôt à réprimer l'achat de services sexuels par la criminalisation des clients et des entremetteurs (proxénètes, tierces parties), sans toutefois criminaliser les femmes qui vendent des services sexuels (Poulin, 2008).

(15)

« prostitution » comme « une violation de l’intégrité physique et mentale des personnes prostituées, indépendamment du fait qu’elles soient ou non “consentantes” » (2002, p. 151). Sur le plan légal, le néo-abolitionnisme prône la criminalisation des clients et des proxénètes, sans toutefois criminaliser les TDS, qui sont considérées comme des victimes (CSF, 2012 ; Poulin, 2008). Soulignons que la majorité des écrits féministes francophones adopte une posture néo-abolitionniste, examinant la « prostitution » à partir du présupposé de l’exploitation, en la tenant pour acquise (Toupin, 2006). Or, selon certains, cette conception alimente la stigmatisation, créant une image négative de la « prostitution », en plus d’invalider la légitimité des TDS en tant que sujets sociaux (Kerrigan et al., 2015 ; Mensah, 2010 ; Toupin, 2009).

1.1.1.2 La « prostitution » comme travail du sexe

Depuis les années 1970, on assiste à la montée d’un mouvement de défense de droits qui milite pour la reconnaissance de la « prostitution » comme travail (Bédard, 2012). Dans ce contexte, les termes « travail du sexe » et « travailleuses du sexe » sont de plus en plus utilisés (Gendron et Hankins, 1995), visant à lutter contre le stigmate associé à la « prostitution » (CSF, 2012), ainsi qu’à situer les personnes qui la pratiquent comme travailleuses (Gendron et Hankins, 1995). Cette posture implique de reconnaître les TDS comme des actrices sociales en mesure d’effectuer des choix, d’organiser elles-mêmes leurs conditions de pratique et de militer pour la reconnaissance de leurs droits (Bédard, 2012 ; Thiboutot, 2001). S’appuyant sur l’argument que les initiatives pour criminaliser la « prostitution » ont conduit à l’isolement, à la stigmatisation et à l’exploitation des TDS (Sloan et Wahab, 2000), les partisans de cette position militent en faveur de la décriminalisation de l’ensemble des activités qui y sont associées (CSF, 2012). De leur point de vue, la reconnaissance de la légitimité du travail du sexe permettrait l’application de moyens concrets pour lutter contre les abus, la violence et l’exploitation des TDS (Mensah, 2010 ; Thiboutot, 2001).

1.1.1.3 Position personnelle

Considérant la nature litigieuse de l’objet d’étude, il convient de préciser notre position à ce sujet, dans une optique de transparence par rapport au discours véhiculé. À travers de ce mémoire, nous employons le terme travail du sexe et nous privilégions l’usage des guillemets lorsque nous faisons référence à la « prostitution », considérant que ce mot est affecté d’un stigmate et que nous désirons nous dissocier de toute représentation stigmatisant le travail du sexe ou les TDS. Nous entretenons la perception que le travail du sexe peut être associé à une diversité de vécus, et nous considérons que la définition de la « prostitution » devrait avant tout se fonder sur le discours et l’expérience subjective des principales concernées.

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1.1.2 Différentes réalités associées au travail du sexe

Cette section aborde différentes réalités propres au travail du sexe, c’est-à-dire l’ampleur du phénomène, les divers types de « prostitution » et les conséquences qui y sont reliées.

1.1.2.1 Ampleur du phénomène

Il apparaît difficile de dresser un portrait clair du travail du sexe, car ce phénomène est analysé différemment selon le point de vue adopté (CSF, 2012 ; Toupin, 2006). En effet, les données divergent de façon importante d’une recherche à l’autre (Parent et Bruckert, 2010), d’autant plus qu’aucune enquête officielle ne recense, comme pour d’autres secteurs d’activités, le nombre de travailleurs, de consommateurs ou le chiffre d’affaires (CSF, 2012 ; Damant et al., 2006). La nature clandestine de la « prostitution » rend difficile la quantification de ce phénomène et la validité des données disponibles est remise en question (CSF, 2012). Néanmoins, l’exploration des études conduites permet d’éclairer divers aspects de la « prostitution ».

Depuis une trentaine d’années, la « prostitution » se développe très rapidement sur le plan mondial (CSF, 2012). En 2013, la Fondation Scelles publiait un rapport mondial sur l’exploitation sexuelle3 qui,

sans être exhaustif, offre un portrait des tendances observées à travers une soixantaine de pays, y compris le Canada. Ce rapport révèle que parmi les 40 à 42 millions de personnes qui exercent la « prostitution » au niveau mondial, 80 % sont des femmes et 75 % sont âgées de 13 à 25 ans.

Quant aux tentatives de mesurer l’industrie du sexe au Canada, elles ont seulement permis de fournir des chiffres approximatifs (Canadian Public Health Association [CPHA], 2014). Les données de Statistique Canada, bien qu’elles ne permettent pas d’évaluer l’étendue de la « prostitution », nous informent sur le nombre d’arrestations policières qui y sont relatives. En 2001, ce nombre s’élevait à 5 087. En 2006, il se chiffrait à 5 679. En 2011, il correspondait à 2 459 (Statistique Canada, 2013). Certains estiment l’âge moyen d’entrée dans la « prostitution » entre 14 et 15 ans (Sexually Exploited Youth Committee of the Capital Regional District, 1997). D’autres études soulèvent que dans l’ensemble des grandes villes canadiennes, les services sexuels sont offerts par des femmes dans une proportion qui varie entre 67 % et 90 % (Shaver, 1993). Selon Bungay et ses collaborateurs (2013), approximativement 20 % des TDS sollicitent les clients dans la rue, alors que les autres travaillent plutôt en établissement (bars érotiques, salons de massage). Enfin, certains chercheurs précisent que les femmes des Premières Nations, Inuites et Métisses sont surreprésentées dans l’industrie du sexe (CPHA, 2014).

3Notons l'utilisation de la terminologie employée qui rejoint la conceptualisation de la « prostitution » comme forme de violence. Bien

que nous ne définissons pas a priori la « prostitution » comme une forme d'exploitation sexuelle, nous n'avons pas trouvé d'autres sources d'information pour les données sur le plan international.

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Concernant la situation au Québec, soulignons que les quelques recherches réalisées datent de plusieurs années et qu’elles ont principalement porté sur les réalités des villes de Montréal ou de Québec (Gendron et Hankins, 1995). En 1993, Gemme et Payment ont eu recours à une analyse systématique effectuée par Potterat et ses collaborateurs (Potterat, Woodhouse, Muth et Muth, 1990) pour tenter de calculer le nombre de TDS adultes en équivalent temps plein4 dans la province de Québec. Potterat et al. (1990) avaient calculé

pour l’ensemble des États-Unis un taux de prévalence de 23 TDS par 100 000 personnes. Appliqué au Québec en 1995, ce taux situait le nombre de TDS majeures à 1 700. Or, Gendron et Hankins (1995) indiquent que cette estimation paraît plutôt conservatrice, alors que certains informateurs suggèrent que le nombre de TDS est au moins cinq fois plus élevé. Une estimation plus récente fixait à plus de 2 600 000 le nombre de transactions effectuées relativement à la « prostitution » au cours d’une année au Québec (Ouimet, 2005). Enfin, la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) dénombrait en 2014 un total de 1 510 lieux de l’industrie du sexe au Québec, incluant 638 lieux avec adresse connue, 45 lieux avec adresse inconnue, 205 agences d’escortes virtuelles et 622 escortes indépendantes.

1.1.2.2 Types de « prostitution »

Au Québec comme ailleurs, la « prostitution » s’exerce sous diverses formes (CSF, 2012). En 1995, Gendron et Hankins présentaient une typologie des formes de travail du sexe au Québec selon les lieux de pratique. Nous présentons ici les principaux types de « prostitution » impliquant des femmes. La « prostitution » de rue est exercée à partir des trottoirs et des coins de rue. La « prostitution » sur le pouce réfère aux services sexuels offerts dans les automobiles, les stationnements ou encore les aires de repos en bordure des autoroutes. La « prostitution » de bars, de clubs et d’hôtels non spécialisés correspond aux services sexuels dispensés par l’entremise d’un établissement non érotique. La « prostitution » dans les bars et les clubs spécialisés se rapporte aux bars érotiques de danseuses nues. Les agences d’escortes, d’hôtesses et de rencontre regroupent les services sexuels dont les modalités de vente sont déterminées à partir d’agences qui embauchent les TDS. Les studios de massage offrent des services à caractère sexuel (massage, douche, masturbation, fellation) directement sur place. Enfin, les annonces classées et autres types de sollicitation via les médias font référence aux annonces de services sexuels publiées dans les journaux. Gendron et Hankins incluent également les bordels et maisons closes et les autres catégories moins répandues (sadomasochisme, escortes de luxe) dans leur typologie, sans toutefois présenter une description détaillée de ces types de « prostitution ». Soulignons que la plupart des femmes sont engagées dans plus d’un type de « prostitution » à travers le temps (CSF, 2012). Précisons qu’une certaine hiérarchie existe entre les différentes formes de « prostitution » (CSF, 2012 ; Poulin, 2008), notamment attribuable à la stigmatisation (Mensah, 2010). Il est

4 On fait ici référence au nombre total d'heures travaillées, divisé par la moyenne d'heures réalisées pour une personne qui a un

horaire à temps plein. Par exemple, un nombre total de 280 heures réalisées par 15 TDS, divisé par 35 heures, (horaire temps plein d'un travailleur régulier) équivaut à 8 équivalent temps plein (Organisation for Economic Co-operation and Development, 2003).

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ainsi généralement admis que la « prostitution » de rue se situe au bas de l’échelle, alors que les services d’escortes se trouvent au haut (Poulin, 2008).

1.1.2.3 Conséquences associées

Cette section aborde les principales conséquences qui découlent de la « prostitution », soit la violence, les problèmes de santé, ainsi que la stigmatisation. La stigmatisation est abordée de façon distincte dans la section 1.1.3, considérant qu’elle est retenue comme problématique de la présente étude.

Une étude menée par Farley et al. (2003) auprès de 854 TDS dans neuf pays — incluant le Canada — rapporte que les TDS sont susceptibles de vivre des expériences violentes. Dans cette étude, les chercheurs observent que 71 % des répondantes ont fait l’objet d’agressions physiques au cours de leurs activités « prostitutionnelles », alors que 63 % ont été victimes de viol et que 68 % ont subi des symptômes liés au stress post-traumatique. De la même façon, Lowman (2000) souligne que les TDS sont de 60 à 120 fois plus souvent agressées physiquement et victimes d’assassinat que tout autre groupe social. Certains auteurs s’intéressent aux facteurs pouvant accroître la violence commise envers les TDS. Il est ainsi observé que la criminalisation et la surveillance policière portent préjudice à la sécurité des TDS, les disposant à des rapports plus hâtifs avec les clients, et dans des endroits plus isolés (Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, 2014 ; Shannon et al., 2008). Certains auteurs constatent que bon nombre de TDS ne signalent pas la violence qu’elles subissent, par peur d’être arrêtées, d’autant plus que leurs plaintes pour viol et agression sont rarement considérées, étant minimisées et interprétées comme des « risques du métier » (Deering et al., 2014 ; Poulin, 2008). En continuité, Ngo et ses collaborateurs (2007) rapportent que les TDS qui entretiennent une image positive d’elles-mêmes sont plus à même de résister aux clients abusifs. Ces éléments apparaissent particulièrement pertinents pour comprendre que la stigmatisation associée à la « prostitution » peut accroître la violence vécue par les TDS.

Divers problèmes de santé sont reliés à la « prostitution » : dépression, tentatives de suicide, attaques de panique, problèmes de sommeil (Benoit et Millar, 2001) et consommation abusive d’alcool ou de drogues (CSF, 2012 ; Gendron et Hankins, 1995). Les TDS sont également plus à risque de contracter le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ou d’autres infections transmises sexuellement (CPHA, 2014), en raison d’une utilisation moindre des services de santé (Rapid Response Service, 2012). Certains auteurs expliquent cet usage réduit des services par les TDS par le manque d’accessibilité des ressources, les heures d’ouverture restrictives, l’absence de services dédiés spécifiquement aux TDS, la stigmatisation, ainsi que les enjeux relatifs au dévoilement (Lawless, Kippax et Crawford, 1996 ; Poulin, 2008 ; Shannon, Bright, Duddy et Tyndall, 2005). Parallèlement, des chercheurs constatent que plusieurs TDS choisissent de ne pas révéler leur implication dans l’industrie du sexe aux professionnels du milieu médical, pour diverses raisons : expériences

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antérieures négatives avec les professionnels de la santé, honte ou encore crainte de la discrimination (Bungay et al., 2013 ; Neal et al., 2014). Un nombre croissant d’études émet l’hypothèse que la stigmatisation agit comme barrière à l’accès aux soins de santé pour les TDS (CPHA, 2014 ; Lazarus et al., 2012). D’autres auteurs indiquent que les stigmates associés au travail du sexe augmentent la vulnérabilité des TDS au stress et aux maladies (Benoit, Jansson, Millar et Phillips, 2005).

En somme, le travail du sexe dans ses diverses dimensions est traversé par une constante : la stigmatisation. Non seulement l’une des principales conceptions de la « prostitution » renvoie à une représentation stigmatisant les TDS, mais les types de « prostitution » sont hiérarchisés en fonction des stigmates qui y sont attribués et la stigmatisation constitue l’une des principales conséquences de la « prostitution ».

1.1.3 Problématique retenue : la stigmatisation des travailleuses du sexe

De nombreux auteurs s’intéressent à la stigmatisation des TDS (Bédard, 2012 ; Cornish, 2006 ; CPHA, 2014 ; Damant et al., 2006 ; Mensah, 2010 ; Pheterson, 2001), soulignant qu’elle constitue la principale difficulté (Foundation for Women, 1995 et Sloan, 1997, cités dans Sloan et Wahab, 2000) et l’expérience la plus négative vécue par ces dernières (Mensah, 2010). Goffman (1975) définit le stigmate comme l’écart entre l’identité sociale réelle d’un individu — ce qu’il est — et son identité sociale virtuelle — ce que les autres attendent de lui. La stigmatisation entourant la « prostitution » et les TDS émerge donc des représentations sociales négatives qui y sont associées (Bédard, 2012 ; Desyllas, 2013 ; Hallgrimsdottir et al., 2006 ; Mensah, 2010 ; Pheterson, 2001 ; Wahab, 2002). Représentées comme « dépendantes, passives, dénuées de toute aptitude à l’initiative ou au discernement » (Mathieu, 2001, p. 286), les TDS voient leur parole constamment remise en question (Monnet, 2006a). Ces représentations sociales les montrent comme un groupe incapable de s’autoreprésenter et de s’autodéfinir sur le plan politique, et qui, conséquemment, ne possède pas de potentiel de changement (Mathieu, 2001). Or, il semble que ces représentations soient produites et perpétrées par divers acteurs sociaux : législateurs, chercheurs (Pheterson, 2001), acteurs gouvernementaux (Majic, 2014), milieu féministe, grand public (Mensah, 2010), médias (Hallgrimsdottir et al., 2006), policiers, médecins et mêmes travailleurs sociaux (Bédard, 2012 ; Desyllas, 2013 ; Wahab, 2002). Une étude qualitative menée par Wahab (2004) révèle que les travailleurs sociaux continuent d’encourager systématiquement les TDS à quitter l’industrie du sexe, renforçant l’idée qu’elles doivent être prises en charge pour leur propre bien. En concevant les TDS comme des victimes, les travailleurs sociaux font obstacle à leur empowerment, ainsi qu’à la reconnaissance de leurs expériences et de leur potentiel de changement. En plus d’entraîner de la méfiance envers la parole des TDS (Poulin, 2008), la stigmatisation discrédite l’image (Mensah, 2010) et affecte le développement du pouvoir d’agir de ces dernière (Majic, 2014 ; Mathieu, 2003 ; Mensah, 2006a ; Wahab, 2002). Créant une hiérarchie parmi les formes de « prostitution », la stigmatisation contribue par ailleurs à alimenter les tensions entre les différents groupes de TDS (Participantes au

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forum XXX, 2006). Ancrée dans le paradigme « prostitutionnel » dominant, soit le néo-abolitionnisme, la stigmatisation expose également les TDS à la violence et aux abus, en les amenant à exercer le travail du sexe dans la clandestinité, en dehors de la protection des lois (Toupin, 2009). En réponse à ces enjeux, certains auteurs soulignent l’importance de renouveler l’intervention auprès des TDS, proposant de privilégier des approches fondées sur l’empowerment (Bédard, 2012 ; Wahab, 2004). Du point de vue de ces auteurs, les pratiques d’empowerment sont susceptibles de transformer les rapports sociaux entretenus à l’égard des TDS (Lemay, 2007) et d’amener ces dernières à franchir les barrières associées à la stigmatisation (Ninacs, 2008). De plus, les pratiques d’empowerment apparaissent prometteuses pour donner la parole aux TDS, pour favoriser leur reconnaissance sociale, ainsi que pour accroître leur autonomie d’action individuelle et collective (Bédard, 2012 ; Ninacs, 2008). Il apparaît donc judicieux de s’intéresser aux pratiques d’empowerment, dans une perspective de renversement de la stigmatisation vécue par les TDS.

1.2 Recension des écrits

Cette section comprend une recension des écrits sur les pratiques d’empowerment dédiées aux TDS. D’abord, la notion d’empowerment dans le champ des pratiques sociales est circonscrite. Par la suite, les pratiques d’empowerment s’adressant spécifiquement aux TDS sont présentées dans leurs différentes spécificités. Enfin, les enjeux qui entravent la mise en œuvre des pratiques d’empowerment auprès des TDS sont abordés, ainsi que les limites des études actuelles sur le sujet.

1.2.1 Empowerment et pratiques sociales

Dans l’optique de répertorier les pratiques d’empowerment qui s’adressent aux TDS, il convient d’abord de définir l’empowerment, de situer l’origine de cette notion dans le champ des pratiques sociales, ainsi que de préciser les particularités d’intervention qui y sont associées.

Selon Ninacs, l’empowerment désigne « le processus par lequel un individu ou une collectivité s’approprie le pouvoir, ainsi que sa capacité de l’exercer » (2008, p. 21). Dans le même sens, Rappaport (1987) définit l’empowerment comme le mécanisme par lequel les personnes, les organismes et les communautés exercent un plus grand contrôle sur les événements qui les concernent. Le Bossé (2003) propose quant à lui d’utiliser l’expression « développement du pouvoir d’agir » (DPA) pour traduire le processus d’empowerment, précisant que le DPA consiste essentiellement à créer des conditions favorables pour permettre d’agir individuellement ou collectivement sur ce qui est important pour soi ou sa collectivité. Ninacs (2003) identifie trois types d’empowerment. L’empowerment individuel désigne le processus d’appropriation du pouvoir par une personne ou par un groupe. L’empowerment communautaire réfère à la démarche par laquelle des communautés augmentent leur pouvoir collectif, à travers un cheminement vécu simultanément par la communauté et par les individus qui en sont membres. Enfin, l’empowerment organisationnel correspond à l’appropriation du pouvoir

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d’agir par une organisation, à l’intérieur d’une communauté au sein de laquelle une personne ou un groupe reprend du pouvoir.

Le concept d’empowerment dans le champ des pratiques sociales apparaît en réponse à certaines critiques adressées à l’endroit des modèles d’intervention dits « experts » (Damant, Paquet et Bélanger, 2001), qui maintiennent les personnes en difficulté dans un statut intérieur à celui des intervenants (Breton, 1994), en plus de responsabiliser ces personnes en regard de la situation qui les affecte (Ryan, 1971). S’opposant à la nature paternaliste des approches traditionnelles, l’empowerment suppose de redéfinir la relation d’intervention, soit de revoir le partage des ressources et du pouvoir entre l’intervenant et l’usager, en tenant compte à la fois de l’expertise professionnelle et expérientielle (Clark, 1989, cité dans Le Bossé, 1996). Soulignons que le développement de champs d’intervention tels que l’organisation communautaire (Doucet et Favreau, 1991) et le travail social de groupe (Lee, 1994) a également contribué à l’émergence de pratiques fondées sur l’empowerment. Appliqué à des domaines très diversifiés, l’empowerment rassemble à l’heure actuelle des théoriciens et des praticiens de tous horizons (Lemay, 2007).

Il convient maintenant de préciser les fondements des pratiques fondées sur l’empowerment, soit les postulats et les stratégies d’intervention qui s’y rapportent. Selon Ninacs, l’intervention axée sur l’empowerment vise à « soutenir les individus et les collectivités dans leurs démarches pour se procurer le pouvoir dont ils ont besoin » (2003, p. 15), s’appuyant sur le constat que certaines personnes ou communautés ne possèdent pas l’emprise sur les ressources qu’elles requièrent pour assurer leur bien-être

.

Ninacs (2003) note que les pratiques d’empowerment reposent sur cinq postulats : 1) une collaboration partenariale avec les personnes, les intervenants et les acteurs impliqués ; 2) une intervention misant sur les forces et les ressources ; 3) une cible double (l’individu et son environnement) ; 4) une conception des personnes comme des sujets actifs plutôt que comme des bénéficiaires ; et 5) une intervention orientée vers les individus et les groupes opprimés. D’autres auteurs explorent les stratégies d’intervention propres aux pratiques d’empowerment. Simon (1994) observe que les pratiques d’empowerment traduisent un rôle d’accompagnement des personnes dans la définition de la situation souhaitée, ainsi que dans la réalisation des étapes pour y arriver. Lemay (2007) indique pour sa part que la relation égalitaire est une notion clé pour orienter les échanges entre acteurs dans une perspective d’empowerment. L’auteure recommande par ailleurs certaines stratégies d’intervention. Dans un premier temps, Lemay souligne l’importance de soutenir la conscientisation individuelle et collective. Lemay note que l’une des premières pratiques associées à la conscientisation consiste à transformer l’image négative que les individus ont d’eux-mêmes. Pour ce faire, l’auteure propose d’accueillir les expériences des personnes comme étant vraies, de légitimer leurs connaissances et leurs compétences, ainsi que de contribuer à ce qu’elles « acquièrent une voix ». Il s’agit donc d’appuyer les personnes dans la définition de leur réalité et de

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les guider dans la reconnaissance que certains problèmes relèvent d’obstacles structurels, plutôt que de déficits individuels. En travail social, plusieurs entrevoient les inégalités structurelles et l’absence de pouvoir qui en découle comme une conséquence de l’appartenance à un groupe social donné (Breton, 1994 ; Staples, 1990). Dans ce contexte, l’accès à un groupe de référence et la construction d’un dialogue avec les personnes qui en font partie favorisent le processus de conscientisation (Freire, 1997, cité dans Lemay, 2007). Dans un deuxième temps, Lemay (2007) traite des stratégies d’intervention relatives au soutien à la prise de décision et à l’action. Plutôt que de prescrire des actions, l’intervenant doit fournir toutes les informations nécessaires afin que les personnes prennent elles-mêmes leurs décisions. L’intervention consiste notamment à créer, consolider ou rétablir les ponts entre les personnes et les ressources requises dans leur situation. Dans un troisième temps, Lemay examine les stratégies reliées à l’évaluation des résultats. Cette étape implique d’accompagner les personnes afin qu’elles se perçoivent comme des sujets actifs dans la production de résultats et qu’elles en viennent à attribuer le changement observé à leurs propres actions (Staples, 1990). L’exploration des postulats et des stratégies d’intervention pose les fondements de la prochaine section, qui porte sur les pratiques d’empowerment dédiées aux TDS.

1.2.2 Pratiques d’empowerment dédiées aux travailleuses du sexe

Afin de rédiger cette section, nous avons répertorié, parmi l’ensemble des pratiques s’adressant aux TDS, celles s’inscrivant dans une perspective d’empowerment, en cohérence avec les postulats et les stratégies d’intervention mentionnées précédemment. Pour ce faire, une recherche documentaire a été menée à partir des bases de données suivantes : Cairn, Canadian Research Index, Criminal Justice Abstracts (with full text), Érudit, International Bibliography of the Social Sciences (IBSS), National Criminal Justice Reference Service Abstracts, PsycInfo, Social Services Abstracts, SocIndex et Sociological Abstracts. Les thèmes empowerment et travailleuses du sexe ont fait l’objet d’une recherche croisée, à partir de mots-clés identifiés à l’aide des thesaurus des bases de données :

• Empowerment : activisme, aide de soi, autodétermination, autoréalisation, empowerment, engagement communautaire, engagement des citoyens, habilitation, participation des citoyens, participation sociale, prise de décisions participative [français], activism, assertiveness, citizen participation, community development, community participation, empowerment, participative decision making, self actualization, self determination, self helpsocial, social participation [anglais].

• Travail du sexe/travailleuses du sexe : « prostitution », travailleurs sexuels, sex workers, sex work. Cette démarche a permis d’identifier différentes spécificités des pratiques d’empowerment dédiées aux TDS, incluant les origines, les types de pratiques, les retombées et les enjeux s’y rapportant. Cette section aborde chacune de ces dimensions.

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1.2.2.1 Les origines : essor du mouvement de défense de droits des travailleuses du sexe Afin de situer l’origine des pratiques d’empowerment qui s’adressent aux TDS, il convient d’aborder la montée du mouvement de défense de droits qui a conduit au renouvellement des pratiques.

Divers facteurs ont mené à l’émergence et au déploiement d’un mouvement de défense de droits des TDS. Parmi ces facteurs, notons les luttes féministes pour la reconnaissance du travail invisible (Mensah, 2010) et pour le respect des droits des femmes en matière de travail (Mathieu, 2003). De la même façon, l’arrivée de l’épidémie du VIH/Sida a été un moment clé pour la mobilisation, alors que les TDS sont devenues actrices de la prévention dans leur communauté (Thibouthot, 2006). Enfin, l’essor du mouvement de défense de droits des TDS coïncide avec la troisième vague féministe vers la fin du XXe siècle, qui se traduit par un rejet de la

conception traditionnelle de la sexualité féminine, ainsi que par une opposition au contrôle des activités sexuelles entre adultes consentants (Bédard, 2012).

La première action collective notoire menée par des TDS a eu lieu à Verdun en 1826, à l’occasion d’une marche de protestation contre la répression et la stigmatisation (Merrimann, 1994, cité dans Mensah, 2010). Toutefois, ce n’est qu’à partir des années 1970 que la mobilisation des TDS prend de l’ampleur. Deux événements sont généralement considérés comme marquant le début du mouvement international des TDS : d’une part, la fondation du groupe pionnier de défense de droits COYOTE (Call Off Your Old Tired Ethics) par Margo St James à San Francisco en 1973 ; d’autre part, l’occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon en 1975 par des TDS pour dénoncer la répression (Mensah, 2006b ; Pheterson, 1989 ; Schaffauser, 2014). Au milieu des années 1970, des organisations de TDS sont formées dans différents pays5 (Pheterson, 1989).

Parallèlement, le concept de sex work (travail du sexe) est introduit par l’activiste Carol Leigh en 1978. Comme souligné par Schaffauser (2014), la popularisation de l’expression « travail du sexe » met en évidence l’organisation politique des TDS dans le cadre de luttes autour du travail. En 1984, le Comité international pour les droits des prostituées est créé. Les premiers congrès internationaux de TDS ont lieu aux Pays-Bas en 1985 (Mensah, 2006b ; Poulin, 2008) et en Belgique en 1986 (Toupin, 2009), à la suite desquels la Charte mondiale des droits des personnes prostituées est adoptée, précisant les changements requis pour garantir les droits des TDS (International Committee for Prostitutes' Rights, cité dans Hwang, 2007). Plusieurs nouvelles organisations de TDS arrivent sur la scène publique en réponse à la pandémie du VIH/Sida, à la fin du XXe siècle. Refusant d’être étiquetées comme responsables dans la transmission de la maladie, les TDS

se sont alors regroupées afin d’être au cœur de l’organisation des programmes conçus à leur intention (Toupin, 2009), assumant le leadership de la prévention dans leur communauté (Thibouthot, 2006).

5Au Canada, les premières organisations de défense des droits des TDS sont Better End All Vicious Erotic Repression (BEAVER), the

Canadian Organisation for the Rights of Prostitutes (CORP) et the Association for the Safety of Prostitutes (ASP), fondées à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Gall, 2006).

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En 1995, le concept de « prostitution forcée » fait son apparition lors de la quatrième conférence mondiale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur les femmes, sous-entendant que seule la « prostitution » non consentante doit être réprouvée (Poulin, 2008). Par la suite, une première conférence nationale composée exclusivement de TDS est organisée en Inde, menant à la publication de réflexions communes dans le cadre du Manifeste des travailleuses du sexe de Calcutta (Durbar Mahila Samanwaya Committee, cité dans Mensah, 2010). Tenue en 2005, la Conférence Européenne du Travail Sexuel, des Droits de l’Homme, du Travail et de l’Immigration a mené à la ratification de la Déclaration des droits des travailleuses du sexe en Europe. Signé par 200 TDS et alliées en provenance d’une trentaine de pays différents, ce document explore les inégalités et les injustices vécues par les TDS, en plus de proposer des moyens d’y faire face (International Committee on the Rights of Sex Workers in Europe [ICRSWE], 2005). Précisons qu’à l’heure actuelle, le mouvement des TDS est conduit par le Comité international pour les droits des prostituées, le Global Network of Sex Work Projects (NSWP), ainsi que les organisations nationales de plusieurs pays, dont le Canada. 1.2.2.2 Types de pratiques d’empowerment dédiées aux travailleuses du sexe

Cette section expose, sous forme de classification, les différents types de pratiques d’empowerment qui s’adressent aux TDS. D’abord, cette section traite du processus de catégorisation privilégié, puis elle présente la classification.

Bien que les écrits consultés ne proposent pas de typologie des pratiques d’empowerment dédiées aux TDS, certains auteurs fournissent des éléments pertinents dans une optique de classification. Effectuant une distinction entre les organisations militantes (défense de droits) et celles offrant des services directs aux TDS, Oselin et Weitzer (2013) s’intéressent plus spécifiquement aux organisations qui fournissent des services, suggérant de les catégoriser selon le paradigme dominant par rapport au travail du sexe. Ce faisant, les auteurs identifient quatre types d’organisations : 1) les organisations féministes radicales (paradigme de l’oppression), 2) les organisations « travail du sexe » (paradigme d’empowerment), 3) les organisations qui s’adressent aux jeunes (paradigme polymorphe), ainsi que 4) les organisations neutres (paradigme polymorphe). Quoique cette typologie soit éclairante, elle ne permet pas de classer les pratiques s’inscrivant dans un seul paradigme (empowerment). De plus, nos lectures nous ont permis de constater que les pratiques d’empowerment dédiées aux TDS variaient principalement en fonction de l’objectif poursuivi, et non selon le type d’organisation qui y était associé. De ce fait, nous proposons une classification qui s’articule à partir des objectifs de ces pratiques. Cette section présente les cinq objectifs sur lesquels s’appuie la classification, en abordant les pratiques et les retombées propres à chacun d’entre eux.

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Garantir la reconnaissance et le respect des droits des travailleuses du sexe

Le premier objectif des pratiques d’empowerment6 consiste à garantir la reconnaissance et le respect des

droits des TDS, soit de lutter pour l'amélioration de leurs conditions de vie et de militer pour faire valoir leurs droits. D’une part, cet objectif inclut les pratiques de promotion et de défense des droits dans la sphère publique (Bates et Berg, 2014 ; Jayasree, 2004 ; Kerrigan et al., 2015 ; Mensah, 2010). Ces pratiques consistent à sensibiliser les autorités aux situations d’injustice vécues par les TDS, ainsi qu’à exercer une pression politique pour provoquer un changement social en ce sens. Il peut s’agir de dénoncer la violence subie par les TDS, de faire entendre diverses revendications, ou encore de lutter pour la décriminalisation des activités associées au travail du sexe (Bates et Berg, 2014 ; Jayasree, 2004 ; Kerrigan et al., 2015 ; Mathieu, 2003 ; Mensah, 2010 ; Schaffauser, 2014). D’autre part, cet objectif comprend les pratiques de services directs de défense de droits, notamment le développement d’outils d’autodéfense ou les démarches d’accompagnement à la Cour, à la Régie du logement, ou encore à la Direction de la protection de la jeunesse (Cornish, 2006 ; Hwang, 2007 ; Mensah, 2010 ; Monnet, 2006b ; Schaffauser, 2014). Les retombées observées relativement à cet objectif sont de trois ordres : réduction de la violence envers les TDS, augmentation des revendications et des dénonciations en matière de droits des TDS, ainsi qu’adoption d’une position en faveur de la décriminalisation de la « prostitution » par différentes organisations influentes (Argento, 2004 ; Bates et Berg, 2014 ; Begum, 2006 ; Biradavolu, Burris, Georges, Jena et Blankenship, 2009 ; Debnath, 2006 ; Hwang, 2007 ; NSWP, 2013 ; UNAIDS, 2012 ; World Health Organization [WHO] et al., 2013)

Lutter contre la stigmatisation associée aux travailleuses du sexe

Les pratiques d’empowerment poursuivent également un objectif de lutte contre la stigmatisation des TDS (Hwang, 2007 ; Monnet, 2006b), qui se traduit par une remise en question du discours dominant qui construit une image négative des TDS (Begum, 2006), ainsi que par une confrontation des préjugés qui y sont reliés (Thiboutot, 2006). La diffusion des expressions « travail du sexe » et « TDS » s’inscrit d’ailleurs dans une perspective de lutte à la stigmatisation (Begum, 2006). D’un côté, cet objectif inclut les pratiques de prise de parole et de témoignage, c’est-à-dire l’organisation d’événements (manifestation, forum, conférence) où les TDS sont amenées à s’exprimer ou à partager leurs expériences, visant à offrir un portrait plus juste et nuancé de leurs réalités (Begum, 2006 ; Hwang, 2007 ; Mensah, 2010 ; Thiboutot, 2006). D’un autre côté, cet objectif comprend les pratiques de reconnaissance et de valorisation des capacités (Jana et Banerjee, 1999 ; Mensah, 2010), qui supposent de souligner et de mettre en valeur les compétences de TDS. Les retombées répertoriées quant à cet objectif se rapportent principalement à la transformation de l’image négative des

6Dans cette section, nous utilisons le terme « pratiques d’empowerment » pour désigner les « pratiques d’empowerment dédiées aux

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TDS : déconstruction des préjugés, augmentation de l’estime de soi, accès à une forme de reconnaissance sociale (Begum, 2006 ; Debnath, 2006 ; Hwang, 2007 ; Labbé et al., 2013 ; Mathieu, 2003 ; Mensah, 2010 ; O'Brien, 2009 ; Pheterson, 2001 ; Toupin, 2009).

Promouvoir la santé des travailleuses du sexe

Le troisième objectif propre aux pratiques d’empowerment consiste à promouvoir la santé des TDS (Bates et Berg, 2014 ; Kerrigan et al., 2015), soit d’agir pour améliorer leurs conditions de santé, en créant un milieu sain et en favorisant l’adoption de stratégies de prévention. Cet objectif inclut les pratiques liées à l’adaptation de l’offre de soins, qui impliquent de faciliter l’accès aux services de santé et aux services sociaux, ou d’ajuster ceux-ci afin qu’ils répondent mieux aux besoins des TDS (Hwang, 2007). Il peut s’agir de mettre sur pied des cliniques mobiles, de dispenser des soins à même les organisations de TDS, ou encore de privilégier des interventions à caractère plus informel (Mathieu, 2003 ; Thiboutot, 2006). De même, cet objectif renvoie aux pratiques de prévention en termes de santé (Mensah, 2010), soit la distribution de matériel (préservatifs, seringues) ou la diffusion d’information par rapport à la prévention du VIH et des autres infections transmissibles sexuellement et par le sang (Chattopadhyay et McKaig, 2004 ; Mathieu, 2003, Mensah, 2010). Les retombées identifiées dans les écrits se rapportent à la réduction du risque de VIH chez les TDS (Jenkins, 2000 ; Kerrigan et al., 2013) et à l’emploi de techniques plus sécuritaires (port du condom) dans le cadre du travail du sexe (Donovan et Harcourt, 1996 ; O'Brien, 2009).

Créer une communauté de travailleuses du sexe

Le quatrième objectif poursuivi par les pratiques d’empowerment est de créer une communauté de TDS (Begum, 2006), soit d’œuvrer à la collectivisation des expériences (Hwang, 2007), de renforcer la cohésion interne, de consolider le sentiment identitaire et de favoriser le développement de solidarités au sein de la collectivité (Kerrigan et al., 2015 ; Mathieu, 2003). Cet objectif suppose de porter une attention particulière à la diversité des réalités des TDS en termes de contextes législatifs (criminalisation, légalisation), de formes d’exercice (rue, escorte, web), de niveaux de précarité, de violence vécue ou de questions culturelles (contextes autochtones ou ethnoculturels) (Mensah, 2006c). D’une part, cet objectif comprend les pratiques relatives à la création d’espaces pour la mise en commun des savoirs et des expériences, soit la formation d’organisations ou de groupes de TDS, ainsi que l’élaboration d’actions ou d’événements rassembleurs (Hwang, 2007 ; Laliberté et Saint-Jean, 2006 ; Mensah, 2010 ; Thiboutot, 2006). D’autre part, cet objectif inclut les pratiques de réseautage entre organisations de TDS (Kerrigan et al., 2015), c’est-à-dire les alliances ou les regroupements sur les plans régional, national ou international. En ce qui a trait aux retombées de cet objectif, elles se rapportent à la mise sur pied d’un lieu d’appartenance pour les TDS, à l’identification de préoccupations communes, et au développement de solidarités (Hwang, 2007 ; Jana, Basu,

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Rotheram-Borus et Newman, 2004 ; Labbé et al., 2013 ; Laliberté et Saint-Jean, 2006 ; Mensah, 2010 ; O'Brien, 2009 ; Thiboutot, 2006).

Favoriser le développement du pouvoir d’agir des travailleuses du sexe

Le cinquième objectif consiste à favoriser le développement du pouvoir d’agir des TDS. Cet objectif implique de centrer les pratiques sur les besoins identifiés par les TDS elles-mêmes (Bates et Berg, 2014 ; Mensah, 2006c). Il s’agit donc de donner la parole aux TDS, de sorte qu’elles exercent un leadership et qu’elles prennent les décisions quant aux stratégies à prioriser en ce qui les concerne (Cornish et Gosh, 2007 ; Jana et al., 2004). Dans ce contexte, la conception du travail du sexe se fonde sur le discours et les expériences des TDS, qui sont considérés comme légitimes (UNAIDS, 2012). Cet objectif suppose également une attitude de non-jugement (Labbé et al., 2013) et un respect de la décision d’exercer ou non le travail du sexe (Schaffauser, 2014). D’abord, cet objectif comprend les pratiques qui accordent une place prépondérante aux TDS, assurant la participation active des TDS dans la vie associative ou la structure décisionnelle des organisations (Hwang, 2007 ; Mensah, 2010). De même, cet objectif regroupe les pratiques de renforcement des capacités (O’Brien, 2009), c’est-à-dire les démarches visant à augmenter les connaissances et les compétences des TDS, incluant la mise en œuvre de formations (Labbé et al., 2013 ; Mathieu, 2003). Enfin, cet objectif inclut l’entretien de rapports égalitaires, soit l’élaboration de dispositifs destinés à établir des relations égalitaires ou à équilibrer les inégalités de ressources entre TDS et non-TDS (Mathieu, 2003). Les TDS se voient ainsi attribuer un statut équivalent à celui des autres professionnels impliqués (Mathieu, 2003 ; Schaffauser, 2014). Les retombées relatives à cet objectif sont liées au développement du pouvoir d’agir des TDS : augmentation des capacités, leadership et remise en question des inégalités de pouvoir (Cornish et Gosh, 2007 ; Debnath, 2006 ; Dixon et al., 2012 ; Hwang, 2007 ; Jana et al., 2004 ; Labbé et al., 2013). Les pratiques et les retombées associées à chacun des objectifs sont présentées en détail dans un tableau synthèse en annexe (voir annexe A).

1.2.2.3 Enjeux associés aux pratiques d’empowerment dédiées aux travailleuses du sexe Les écrits consultés nous permettent de constater que certains enjeux se posent quant à la mise en œuvre des pratiques d’empowerment dédiées aux TDS. Dans l’optique de présenter une recension des écrits complète sur le sujet, cette section aborde quatre enjeux qui y sont reliés.

Légitimité accordée au discours visant à définir la « prostitution » comme un travail du sexe

En opposition à la conception dominante qui campe les TDS dans un statut de victime, les pratiques d’empowerment proposent d’entrevoir la « prostitution » comme un travail, dans l’espoir que cela contribue à renverser le stigmate qui y est associé, à favoriser l’inclusion sociale des TDS, ainsi qu’à permettre à ces

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dernières de bénéficier de droits propres aux activités professionnelles reconnues (Mathieu, 2003). Toutefois, comme le souligne Parent, même si le mouvement des TDS a permis d'introduire un discours alternatif entourant la définition de la « prostitution », « il n’a pas réussi à orchestrer des changements concrets sur le plan de l’exclusion juridique de ses activités, ni de renversement significatif au niveau de la condamnation morale dominante qui l’accompagne. » (2001, p. 170). Selon Mathieu (2003), la reconnaissance du travail du sexe constitue l'un des objectifs les plus difficiles à atteindre, puisqu'elle se confronte aux représentations essentialistes qui font de la « prostitution » une activité en soi moralement inacceptable. Or, cette ambivalence en regard de la légitimité du travail du sexe teinte les pratiques d’empowerment et entrave les actions collectives initiées par les TDS. Bien qu’ils oeuvrent dans une organisation qui considère le travail du sexe comme valide, certains professionnels ressentent un malaise à l'égard de cette posture (Hwang, 2007). De même, certaines TDS ne veulent pas s’identifier comme telles ou ont tendance à se distancier du mouvement dès qu’elles en ont occasion. Selon Mathieu (2003), l'action collective paraît condamnée à l'échec tant et aussi longtemps que la majorité des TDS ne sera pas « véritablement convaincue que ce statut et cette pratique possèdent une dimension pleinement positive et honorable, et donc valant la peine que l'on paie les coûts de la mobilisation pour en affirmer et en défendre la dignité » (p. 292). Cet enjeu apparaît particulièrement pertinent dans le contexte juridique actuel, considérant la nouvelle loi canadienne qui reconnaît la « prostitution » comme une forme d’exploitation sexuelle, s’inscrivant dans un paradigme « prostitutionnel » différent que celui privilégié par les pratiques d’empowerment (Cour suprême du Canada, 2013).

Cohésion sociale et construction d’une identité collective au sein de la communauté

La communauté est un point d’ancrage important pour les pratiques d’empowerment (Mensah, 2010). S’identifier mutuellement comme femmes TDS, suffisamment semblables pour justifier de conduire une action commune, permet de s’ancrer dans une identité collective pour construire un espace propice à la mobilisation (Labbé et al., 2013). Or, il y a des enjeux reliés à la cohésion sociale et à l’identité collective au sein de la communauté des TDS. Selon Mathieu (2003), le caractère concurrentiel de l’industrie du sexe fragilise la cohésion sociale en accentuant les divisions entre les catégories de TDS (femmes VS transgenres, « locales » ou « étrangères »). Poel (1995) note quant à elle que la solidarité entre TDS peut se retourner contre la communauté. L’auteure observe que l’inclusion de certaines catégories de TDS dans le mouvement de défense de droits a conduit à augmenter la stigmatisation à leur égard. Enfin, Mensah (2010) souligne que la communauté des TDS inclut des réalités très variées (services proposés, clientèles desservies, ethnicité, classe sociale, préférence sexuelle, âge, expérience de la violence), ce qui pose obstacle à la construction d’une identité collective (Participantes au Forum XXX, 2006).

Figure

Tableau 1 : Caractéristiques des phases de collecte et d’analyse de données  Collecte
Tableau 2: Catégories conceptuelles, propriétés et concepts répertoriés  Catégories

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