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Agir sur les rapports de pouvoir pour faciliter la participation

Chapitre 4. Processus transformateurs

4.5 Agir sur les rapports de pouvoir pour faciliter la participation

Le cinquième processus qui traverse les pratiques d’empowerment du Projet L.U.N.E. est le processus de participation, alors que les TDS en viennent à prendre plus de place et à reprendre du pouvoir au fil du temps, et ce, à la fois au sein de l’organisme et dans leur vie personnelle. Différentes pratiques permettent d’alimenter ce processus. D’abord, le Projet L.U.N.E offre plusieurs types de soutien aux TDS, afin de faciliter leur implication. De même, l’organisme attribue une place prépondérante aux participantes, de façon à ce qu’elles soient majoritaires pour prendre les décisions, pour mettre en œuvre les activités, ainsi que pour occuper l’espace public. Enfin, le Projet L.U.N.E. préconise l’établissement d’une relation d’intervention non hiérarchique entre les participantes et les alliées.

4.5.1 Offrir un soutien aux travailleuses du sexe pour faciliter leur participation

D’entrée de jeu, les répondantes soulignent l’importance d’offrir un soutien aux TDS afin de faciliter leur participation, considérant que certaines ont des besoins non répondus et qu’elles peuvent vivre des difficultés personnelles parallèlement à leur implication. Ainsi, un soutien matériel et financier est offert, sous forme de transport, de nourriture et de compensation financière, ce qui encourage les participantes à prendre part aux rencontres et aux activités :

On donnait de la bouffe, on donnait une petite compensation financière… Être attentif à ça, que c’est des gens qui ont des besoins de base non répondus. Sérieux, ça fait une bonne différence. [alliée 3]

Si c’est le matin, d’avoir le déjeuner… Ben il me semble… Je ne commencerai pas à faire des œufs, mais qu’il y ait des muffins, tout ça. Parce que… Probablement qu’elles n’ont pas déjeuné. Tu sais… Tous les… Le transport, la bouffe, c’est tout le temps aidant. [alliée 1]

Les participantes peuvent également bénéficier du soutien psychosocial des intervenantes du Projet L.U.N.E., au besoin. Cet accompagnement des intervenantes apparaît essentiel à la participation des TDS :

Le Projet L.U.N.E., ça nous permet de grandir, de voir ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas… De nous sentir importantes aussi. Et de faire quelque chose d’utile. Mais à travers tout ça, on a aussi la vie en général, qui se poursuit. Et ce n’est pas toujours facile. […] Souvent, on a besoin d’un support, on a besoin de quelqu’un. Et les intervenantes sont là. [participante 1]

[en parlant des participantes] C’est des femmes qui ont un bagage. Elles vivent encore des choses, aussi. Elles ne sont pas complètement… Elles ne sont pas à 1000 lieues de ce qu’elles ont vécu, ou de ce qu’elles vivent, ou… Fait que… Oui, en intervention, elles ont besoin de support. Mais dans leur vie personnelle aussi. [alliée 4]

À la lumière des propos des répondantes, il semble que le fait d’offrir un soutien s’inscrit dans une perspective d’empowerment, permettant d’agir sur les rapports de pouvoir exercés à l’endroit des TDS, en atténuant les obstacles à la participation.

4.5.2 Donner la parole et laisser la place aux travailleuses du sexe

Dans un autre ordre d’idées, le processus de participation est également actualisé par le fait d’attribuer une place prépondérante aux TDS dans le cadre du Projet L.U.N.E., notamment à travers le processus décisionnel, la mise en œuvre des activités et l’occupation de l’espace public. Il s’agit donc de rétablir le rapport de force en donnant la parole aux TDS et en leur permettant d’être reconnues comme citoyennes :

Ben c’est un traitement égalitaire. C’est de donner la parole à des gens qui, par définition, n’ont pas souvent voix au chapitre. C’est de leur laisser prendre des décisions au même titre que n’importe qui. […] C’est juste de rétablir le rapport de force. Le pouvoir, il n’est plus hiérarchisé, il n’est plus top down, il n’est pas bottom up, il est juste linéaire, tu sais! [alliée 3]

Pour redonner le pouvoir aux participantes, les répondantes soulèvent l’importance que ces dernières soient au cœur du processus décisionnel du Projet L.U.N.E. :

L’ingrédient secret, parce qu’on parle beaucoup d’empowerment, c’est que ce soit sur le modèle d’un comité communautaire où tu as le droit de parole, où tu lèves la main, où on fait un tour de table, où tout le monde vote. […] Ce qui était vraiment beau, aussi, c’est que les décisions reposaient sur nous. [participante 4]

On est vraiment dans le processus décisionnel nous aussi, et c’est vraiment ce qu’on a envie de faire qu’on va faire. Ce n’est pas quelqu’un d’autre qui décide à notre place. [participante 1]

L’une des intervenantes évoque les moyens utilisés pour octroyer le pouvoir décisionnel aux TDS, mentionnant que les décisions sont prises en groupe, à partir de tours de table où chacune prend la peine de s’exprimer. L’intervenante précise qu’elle donne son avis seulement à l’occasion, après les TDS :

On prend les décisions tout le monde ensemble. On fait des tours de table. Moi, je ne vote pas. À l’occasion, je donne mon avis, pas tout le temps. Ou je donne mon avis en dernier. [alliée 5]

Pour s’assurer que les décisions reposent réellement sur les TDS, les répondantes proposent que les participantes soient majoritaires par rapport aux alliées lors des prises de décision. C’est ainsi que le conseil d’administration du Projet L.U.N.E. est composé de quatre TDS et de trois alliées :

Le C.A. est majoritairement composé de personnes qui font le travail du sexe ou qui ont fait du travail du sexe. Ça, pour moi, c’est la démonstration ultime que c’est un véritable « par et pour ». […] Ben c’est la preuve ultime de… Est-ce qu’on est à l’aise, ou est-ce qu’on leur remet la balance décisionnelle entre les mains. Avec tout ce que ça comporte! [alliée 3]

La pertinence que les TDS soient impliquées dans la mise en œuvre des activités (animation des rencontres, conception des outils de travail) est également soulignée. Les participantes bénéficient du soutien des intervenantes, mais elles pilotent elles-mêmes les projets, comme l’exprime l’une des répondantes :

Eh bien je pense que la chose essentielle, pour moi, c’est que les femmes soient vraiment au centre de… Que les femmes soient impliquées un peu partout. […] Les femmes ont de l’aide d’intervenantes, mais c’est eux autres qui montent la plupart des activités. [participante 1]

Dans le même sens, les répondantes soulèvent l’importance que ce soit les TDS qui prennent la parole publiquement pour s’exprimer en lien avec le travail du sexe. L’extrait suivant illustre cette idée :

La représentation aussi dans les groupes. Je pense que ça, ça fait partie des rôles et responsabilités des paires-aidantes. De prendre parole publiquement. Que ce soit dans des écoles ou des événements publics… [alliée 5]

Dans ce contexte, les alliées ont la responsabilité de ne pas prendre trop de place par rapport aux participantes, et d’occuper un rôle de soutien plutôt que de leadership :

Il faut faire attention. On a une responsabilité comme alliées de ne pas prendre trop de place, et de ne pas utiliser cette place-là qu’elles nous donnent trop souvent, trop grosse. Je pense que… Moi, je trouve que je devrais prendre moins de place au comité de travail. [alliée 5]

Une bonne intervenante de « par et pour », c’est une intervenante qui va nous demander notre opinion. Qui va respecter aussi l’opinion de chaque personne. Qui va être capable de nous aider à montrer les activités ou les ateliers qu’on veut, sans tout prendre en charge. [participante 1]

Ainsi, le Projet L.U.N.E. permet aux TDS d’avoir un espace de prise de parole et d’être reconnues comme citoyennes, ce qui les amène à prendre confiance et à reprendre du pouvoir dans leur vie personnelle :

Moi, ça m’a donné de la force de passer au travers plein de choses, et de faire valoir mon point. Ben… Je sens que mon point est valable, maintenant, ce que je ne sentais pas avant… C’est ça que ça m’a apporté. Que j’ai du pouvoir dans ma propre vie pour m’en sortir. [participante 3]

L’attribution d’une place prépondérante aux TDS (plutôt qu’aux alliées) s’inscrit donc dans une perspective de reconnaissance et de modifications des rapports de pouvoir, favorisant la participation de ces dernières.

4.5.3 Établir des relations égalitaires entre travailleuses du sexe et alliées

Les pratiques d’empowerment du Projet L.U.N.E. impliquent également de redonner du pouvoir aux TDS à travers la relation d’intervention. Il s’agit donc de transformer la relation traditionnelle (aidant/aidé) et de construire des rapports non hiérarchiques entre TDS et alliées :

Au-delà de juste : « On redonne du pouvoir à des gens qui n’en ont plus. Ils ont accès à plus de sphères de décisions, ça devient des citoyens, pis ci, pis ça. » Oui, mais c’est dans la relation humaine aussi que ça se passe. [alliée 3]

Pour établir des rapports plus égalitaires, le Projet L.U.N.E. privilégie une approche de croisement des savoirs, selon laquelle chaque type de savoir (expérientiel, clinique, universitaire) apparaît légitime et important :

Il n’y avait pas de hiérarchie. C’était le modèle de croisement des savoirs. […] Le savoir universitaire, les femmes ont le savoir de la rue, [nom d’une intervenante] a le savoir plus clinique, de terrain, d’intervenante. Et on part de tous nos bagages de connaissances, et on met tout ça ensemble, et on développe un nouveau savoir bonifié. [alliée 3]

Selon cette approche, les expertises des TDS et des alliées sont égales et complémentaires :

C’est égal. On est toutes égales. […] On fait toutes la même job… Sauf que des fois l’intervenante, elle a des ressources que nous autres, on n’a pas. Autant que l’intervenante n’a pas la ressource que nous autres, on a. Fait qu’on se complète. [participante 9]

De même, l’établissement de rapports égalitaires implique de dégager la relation d’intervention de son cadre plus formel. Ainsi, au Projet L.U.N.E., les TDS et les alliées se voient dans des contextes plus informels, à l’occasion d’activités sociales (café, dîner, quilles) :

Je pense qu’elles aiment ça quand on se voit à l’extérieur. Quand on va prendre un café. […] Les activités sociales, c’est SUPER important. De se voir dans des contextes qui ne sont pas des contextes de travail. Qu’on aille manger au resto, jouer aux quilles. Tu sais, qu’on se voit dans d’autres contextes. Elles voient d’autres aspects de ma personnalité. [alliée 5]

Dans le même ordre d’idée, les intervenantes et les participantes du Projet L.U.N.E. développent une relation plus réciproque en terme de dévoilement. Ainsi, les alliées se permettent de partager leur vécu avec les TDS :

Que ma partenaire vienne à une levée de fond, admettons, et qu’elles puissent la voir, et que ça ne soit pas dans une petite boîte. […] Et que je sois ouverte aussi par rapport à ma santé mentale à moi. [alliée 5]

Selon plusieurs répondantes, cette réciprocité dans le partage de vécu contribue de façon particulière à l’établissement de rapports non hiérarchiques :

Elle ne nous fait pas sentir que c’est un boss, et tu sais… Elle nous parle d’elle, elle nous parle de sa famille, et tout ça… Et c’est vraiment une amie! [participante 5]

Tu te livres. Tu sais! Et peut-être que c’est à cause de la dynamique… […] Ou du type de femmes avec lesquelles on a travaillé… Qui, elles-mêmes, se livrent et se donnent dans une relation de confiance totale. Tu sens que si elles te donnent, tu dois redonner en retour. [alliée 3] Cette relation d’aide non traditionnelle transforme les rapports de pouvoir. En effet, plusieurs participantes entretiennent la perception que les TDS et les alliées se situent sur un même pied d’égalité :

Vraiment, c’est comme une autre collègue… Pour moi, c’est comme… Si on peut parler de pied d’égalité, tu sais, je ne me sens pas supérieure à elle, même si je peux lui donner des petits cues, des fois. [alliée 4]

Ça leur arrive de faire des interventions, des fois, plus individuelles, mais j’ai plus l’impression que… Justement, on est au même niveau. Ce n’est pas des intervenantes qui sont nécessairement plus hautes que nous. On… C’est sûr qu’elles ont des tâches qui ne sont pas pareilles, mais on a chacune nos tâches et on est à égalité. [participante 1]

Au final, il semble que le fait de redonner du pouvoir et de faciliter la participation des TDS s’effectue non seulement à travers la structure de l’organisme, mais également à travers les rapports sociaux entre alliées et participantes.