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Intervenir pour améliorer les conditions de vie

Chapitre 4. Processus transformateurs

4.6 Intervenir pour améliorer les conditions de vie

Le sixième mécanisme transformateur qui traduit les trajectoires des participantes du Projet L.U.N.E. est le processus d’amélioration des conditions de vie des TDS. D’abord, le Projet L.U.N.E. permet de mieux répondre aux besoins des TDS, notamment par l’entremise du drop-in et des trousses d’hygiène. De plus, les pratiques d’empowerment de l’organisme s’inscrivent dans une perspective de lutte pour la reconnaissance et le respect des droits sociaux des TDS. Enfin, le Projet L.U.N.E. favorise l’accès à des revenus décents, en offrant une compensation aux participantes qui s’y impliquent et un salaire à celles qui y travaillent.

4.6.1 Mieux répondre aux besoins des travailleuses du sexe

D’emblée, les pratiques du Projet L.U.N.E. permettent d’améliorer les conditions de vie des TDS en contribuant à mieux répondre à leurs besoins. À cet effet, l’une des particularités propres au Projet L.U.N.E. est de se baser sur l’expérience des participantes pour identifier les besoins des TDS. C’est ainsi que les participantes en sont venues à identifier deux pistes : la distribution de trousses d’hygiène et la mise en place d’une ressource d’hébergement de type drop-in. Deux participantes font le parallèle entre ces services du Projet L.U.N.E. et leurs propres besoins en tant que TDS :

On a eu des trousses d’hygiène. C’est toutes des choses que j’aurais aimé avoir, moi, au moment que j’étais dans la rue. Fait qu’on y allait avec qu’est-ce que nous autres, on aurait voulu avoir… Et ce qu’on voulait encore. [participante 2]

Ce que j’aurais eu besoin dans le temps que j’étais travailleuse du sexe, tu sais, j’aurais eu besoin d’une maison comme ça [le drop-in]. J’aurais aimé ça que ça existe. [participante 9]

Les répondantes évoquent les besoins qui peuvent être répondus par l’entremise des trousses et du drop-in. D’un côté, l’une des participantes précise que les trousses d’hygiène permettent aux TDS de bénéficier de quelques effets personnels, leur donnant « une importance d’être quelqu’un » :

C’est sûr que j’aurais aimé avoir cette petite trousse-là, et avoir mon petit savon, de pouvoir avoir mes petites affaires à moi. Ça donne quand même une importance d’être quelqu’un. De ne pas juste être un objet sur le coin. [participante 2]

D’un autre côté, plusieurs répondantes rapportent que le drop-in permet d’offrir un lieu où les femmes les plus désaffiliées peuvent dormir en sécurité :

L’implantation du drop-in, ça, de façon peut-être plus macro… C’est une retombée assez extraordinaire. […] Je pense qu’on peut avoir la prétention de dire qu’on couvre une partie des besoins, pour les femmes les plus désaffiliées. [alliée 3]

L’autre aide que ça apporte, ben c’est aux filles qui n’ont pas de place à coucher. […] Un moment donné, veut veut pas, tu t’endors. Et tu peux t’endormir à peu près n’importe où. Et quand tu t’endors, tu t’endors vraiment… Tu dors dur. Et il y en a qui profitent de la situation. […] Les filles peuvent s’en venir ici, et elles dorment en sécurité. [participante 5]

De plus, le drop-in permet aux femmes d’avoir accès à certains services connexes, tels que des denrées alimentaires, des vêtements et du matériel d’injection, de même que des casiers pour entreposer leurs effets personnels. Les femmes qui fréquentent le drop-in peuvent également prendre une douche et laver leurs vêtements sur place :

On voyait que c’était un trou de services. Et on le comble. On leur fait de bons déjeuners le matin, pour qu’elles partent. Ça peut être des œufs, des crêpes. On a de tout. Du yogourt, des barres tendres. [participante 9]

On leur offre un confort. On peut les habiller. [nom d’une intervenante], elle achète des petites bobettes, et des bas neufs. [participante 9]

Contrairement à d’autres ressources d’hébergement, le drop-in du Projet L.U.N.E. est caractérisé par un haut seuil d’acceptation, soit par des critères d’admission et des procédures d’intervention souples (accueil de personnes en état de consommation, absence de couvre-feu, intervention informelle). Du point de vue des répondantes, le haut seuil d’acceptation permet aux femmes de se sentir mieux accueillies :

De ne pas être jugée. […] Ce n’est pas la faute à ces organismes-là, mais eux-autres, ils sont à plus grande échelle, ils sont plus gros, ce n’est pas la formule drop-in. C’est une autre formule. Il y a plus de règlements. Fait que souvent, elles ne sentent pas bien accueillies là-bas. [alliée 4]

Au drop-in, l’intervention est faite en dyade, avec une intervenante et une intervenante-paire-aidante. Selon certaines répondantes, l’intervention par les paires est un moyen de mieux répondre aux besoins des femmes désaffiliées, puisque les intervenantes-paires-aidantes ont une empathie toute particulière, contribuant à offrir un accueil différent :

Les femmes, elles le ressentent quand elles se font héberger à l’hébergement. Elles se font accueillir différemment. La façon que les femmes parlent, c’est différent. Les échanges qu’elles ont ensemble… L’empathie que les femmes peuvent avoir, aussi. Est différente. Parce qu’elles sont vraiment… Elles peuvent se dire qu’elles ont déjà été à leur place. [alliée 5]

De même, certaines femmes peuvent se sentir plus à l’aise de discuter de leur vécu avec des intervenantes- paires-aidantes, se sentant davantage comprises par ces dernières :

Et les femmes, elles disent souvent, aussi : « C’est plate, les intervenantes, parce qu’elles n’ont pas vécu dans la rue. Elles n’ont pas vécu la drogue. Elles n’ont pas vécu ci, ça… Elles ont juste la théorie, tu sais. » Donc souvent, quand elles veulent parler, ben elles viennent nous voir, au lieu de l’intervenante, tu sais. [participante 9]

L’une des répondantes souligne que les TDS apportent une couleur assez différente à l’intervention. Cette répondante utilise l’exemple du « caring » pour illustrer l’approche des intervenantes-paires-aidantes, puisque ces dernières interviennent au drop-in en prenant soin des femmes, en leur apportant de petites attentions :

Je pense qu’eux autres sont beaucoup dans le caring, et ça leur fait du bien, et ça fait du bien aux femmes aussi. Tu sais, elles vont mettre un petit napperon, avec des ustensiles, un verre d’eau. Faire le café. Vraiment de venir s’occuper des femmes. Et c’est sûrement dans… Je parle à travers mon chapeau, mais moi, je pense que c’est à cause de ce qu’elles ont vécu. Et eux autres, si elles étaient arrivées dans un hébergement comme ça, c’est la façon qu’elles auraient aimé se faire traiter… [alliée 4]

Selon une répondante, le fait que le Projet L.U.N.E. questionne l’offre de services des différentes ressources d’hébergement d’urgence de la ville de Québec a pu influencer les partenaires. Depuis l’ouverture du drop-in, certaines ressources d’hébergement d’urgence ont en effet révisé leurs critères d’inclusion et d’accueil :

Avec les partenaires aussi, de ramener toujours : « Est-ce qu’on répond bien, réellement, aux besoins des gens? » […] On teinte quand même le travail des partenaires. […] Depuis que l’hébergement d’urgence a ouvert, ben les autres hébergements d’urgence ont révisé leurs critères d’inclusion, et d’accueil. Donc ça, c’est parlant! [alliée 5]

En somme, le Projet L.U.N.E. contribue à améliorer les conditions de vie des TDS en se basant sur l’expérience des participantes dans la mise en œuvre de l’offre de services. Cette préoccupation quant au fait de consulter les TDS s’inscrit dans une perspective d’empowerment, alors que les participantes du Projet L.U.N.E. ont l’occasion de se prononcer sur les pistes d’intervention qui paraissent appropriées en regard de leurs réalités, ce qui contribue de surcroît à mieux répondre à leurs besoins.

4.6.2 Lutter pour la reconnaissance et la défense des droits

Le processus d’amélioration des conditions de vie se rapporte également à la reconnaissance et à la défense de droits des TDS. À ce sujet, certaines répondantes soulignent que l’organisme été fondé par des TDS qui aspiraient à mieux défendre leurs droits par rapport au travail du sexe :

À la base, ça a été fondé par des travailleuses du sexe qui avaient envie de se réunir pour se supporter dans ce qu’elles vivaient. Un peu faire de la défense de droits par rapport à la prostitution. [alliée 4]

[en parlant des motifs qui l’ont amenée à s’impliquer au Projet L.U.N.E.] C’était surtout pour… Pour la cause des prostituées. C’était plus pour ça. Pour que les lois avancent. Pour que ça change. Pour que ça devienne légal. C’était ça que j’avais dans la tête. [participante 8]

Le Projet L.U.N.E. lutte en vue de décriminaliser le travail du sexe, ce que plusieurs répondantes associent au fait de militer pour la reconnaissance et la défense des droits des TDS. Une répondante précise que de son point de vue, la criminalisation porte atteinte aux droits les plus fondamentaux des TDS :

On pourrait ne pas avoir de position [légale], peut-être, parce que toutes les femmes qui sont assises autour de la table ont des positions différentes, mais ce serait leur manquer de respect. Parce que la criminalisation leur enlève des droits… Là, c’est peut-être moi qui est biaisé, mais pour moi, c’est porter atteinte à leurs droits plus fondamentaux. [alliée 3]

Selon cette répondante, la décriminalisation du travail du sexe s’inscrit en continuité avec le fait de « redonner une dignité » et de « reconnaître la citoyenneté » des TDS :

Pour moi, la décriminalisation, la reconnaissance que c’est un travail à part entière, c’est redonner… Pour moi, ça égale redonner une dignité à la personne. Reconnaître que c’est une personne à part entière. Un citoyen. [alliée 3]

Pour faire « avancer les choses », les participantes du Projet L.U.N.E. prennent la parole publiquement et font des représentations (cégeps, université) en lien avec le travail du sexe ou la décriminalisation. De même, les participantes organisent ou prennent part à des activités ou événements thématiques (manifestations, marches), notamment dans le cadre de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux TDS.

On peut faire avancer les choses. […] Moi, ça fait des années que je me bats pour que ça avance. C’est sûr que s’il y a des manifs, ou des choses comme ça, je serai là. [participante 8]

Dans le même ordre d’idée, le Projet L.U.N.E. prend position publiquement en termes de réforme des lois, et l’organisme entretient différents partenariats sur le plan canadien ou international :

De faire de la représentation, ou de réfléchir aux positions que le Projet L.U.N.E. prend, et dans quel regroupement on est. Et comment concrètement ça se vit, eh bien… On est membre de l’Alliance sur la réforme des lois sur le travail du sexe. Et là, ils vont sortir un document. On a participé légèrement à l’élaboration de ce document-là. [alliée 5]

Enfin, la défense de droits renvoie également au fait d’informer les participantes du Projet L.U.N.E. de leurs droits et des lois régissant le travail du sexe, et de les éclairer sur les conséquences judiciaires associées au fait d’exercer le travail du sexe :

Informer les personnes sur leurs droits, et qu’elles connaissent la loi, et qu’elles puissent parler de c’est quoi les conséquences judiciaires qui peuvent être associées au travail du sexe, dans leur communauté. Ça, je pense que c’est extrêmement important. Donc d’informer les gens sur leurs droits, et sur les lois, et sur comment ça peut être appliqué. [alliée 5]

L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans une perspective d’amélioration des conditions de vie, alors que les pratiques du Projet L.U.N.E. impliquent de reconnaître les inégalités sociales et de remettre le pouvoir aux TDS afin qu’elles soient en mesure de revendiquer et de défendre leurs droits.

4.6.3 Favoriser l’accès à des revenus décents

La dernière dimension du processus d’amélioration des conditions de vie renvoie au fait de favoriser l’accès à des revenus décents pour les TDS. Le Projet L.U.N.E. offre une compensation financière de 100 $ par mois aux paires-aidantes du comité de travail, et un salaire de 15 $ de l’heure pour les intervenantes-paires- aidantes du drop-in. Les répondantes s’expriment sur les conditions de travail du Projet L.U.N.E. :

Il y a des intervenantes qui n’ont pas notre paie à nous autres. […] Par mois, on a une maladie, et on a une journée ressourcement. [participante 9]

Quand tu vois 15 $, tu te dis… « Avec tous les avantages qu’on a, en plus de l’argent… C’est quand même beaucoup. » [participante 2]

D’un côté, l’allocation de 100 $ permet aux participantes de bénéficier d’un montant supplémentaire qu’elles peuvent utiliser à leur guise, pour s’acheter des vêtements, de la nourriture ou encore un laissez-passer mensuel d’autobus, ce qui constitue une source de stress de moins dans leur vie personnelle :

On est quelques-unes qui ont besoin de se déplacer. Au moins, juste le 100 $, ça nous permet de nous acheter notre passe de bus pour le mois. C’est quand même un stresseur de moins. [participante 1]

D’avoir ce petit bonus-là, de dire : « Ben ça, je le fais pour moi. Je prends ces sous-là. Je vais manger de façon variée, des affaires que j’aime, qui me plaisent. Je vais avoir des vêtements dans lesquels je vais me sentir belle. » [alliée 5]

D’un autre côté, le salaire offert aux intervenantes-paires-aidantes leur permet d’arriver à économiser pour décorer leur appartement ou s’acheter des vêtements :

En travaillant, j’ai réussi à meubler le loyer. Il y a des choses qui sont usagées, mais la plupart des choses sont neuves. […] De ramasser mon argent, au lieu de me droguer, ben ça me donnait la chance de me meubler, de me gâter, de m’acheter des bijoux. M’acheter du linge. [participante 9]

Grâce au salaire offert par le Projet L.U.N.E., les participantes peuvent réaliser des projets personnels, tels qu’avoir un chien, s’acheter une voiture, ou encore retrouver leur permis de conduire :

Quelqu’un qui a travaillé tout l’hiver à l’hébergement, et que toute sa vie, elle voulait avoir un petit chien. […] Et elle a eu un petit chien qu’elle a réussi à se payer, se ramasser 1000 $, se l’acheter, son petit chien. Ce n’est pas rien. Tu sais! Une qui a réussi à ravoir son permis de conduire et sa voiture. Fait que tu sais… Elle a donc bien retrouvé de l’autonomie! [alliée 1]

Je pense à [nom d’une participante] ou à [nom d’une participante] qui se sont acheté des chars. Ça leur a permis d’économiser quand même des bons montants. C’est quelque chose qu’elles, elles désiraient. Ben ça améliore ta vie. C’est comme de réaliser des petits rêves. [alliée 4]

Au final, il semble que les pratiques du Projet L.U.N.E. permettent aux TDS non seulement de bénéficier d’un revenu supplémentaire, mais également de gagner de l’autonomie et de réaliser des rêves, ce qui explique que l’accès à un revenu décent soit intrinsèquement lié à l’amélioration des conditions de vie et au processus d’empowerment vécu par les participantes de l’organisme.