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Favoriser la collectivisation en rassemblant les travailleuses du sexe

Chapitre 4. Processus transformateurs

4.4 Favoriser la collectivisation en rassemblant les travailleuses du sexe

Le quatrième processus propre aux pratiques du Projet L.U.N.E est le processus de collectivisation par lequel les participantes développent une compréhension plus large des expériences vécues par les TDS, en plus d’en venir à tisser des liens de solidarité entre elles. Le Projet L.U.N.E. se traduit comme un lieu de rencontre où les TDS peuvent échanger sur leurs réalités et côtoyer des personnes qui ont des parcours similaires. Or, cette mise en commun favorise une compréhension plus globale des difficultés rencontrées par les TDS, ainsi que des solutions à mettre en œuvre pour y répondre. À travers ce processus de collectivisation, les participantes apprennent également à se faire confiance et à s’entraider.

4.4.1 Créer des lieux de rencontre

Plusieurs répondantes soulignent que le Projet L.U.N.E. constitue un lieu de rencontre pour les TDS. Les pratiques de l’organisme se fondent sur une approche de groupe, alors que les activités et les axes de travail sont mis en œuvre par le biais de divers comités. C’est ainsi que le comité de travail et l’équipe du drop-in se rencontrent de façon hebdomadaire, en plus de se côtoyer à d’autres occasions (activités sociales, projets spéciaux, tables de concertation). La tenue régulière de réunions facilite le partage d’expériences entre TDS :

Elles [les TDS] se sont mises ensemble, elles ont décidé qu’elles voulaient se rassembler, ben on offre un local […], et un lien justement pour mettre en commun leurs expériences, même si ce n’est pas évident pour tout le monde de partager là-dessus, tu sais. [alliée 5]

La façon de faire du travail [du sexe] était toute différente. Tout le monde avait sa façon. Et c’était le fun d’en parler, aussi! D’en parler et de pouvoir en faire des blagues… [en parlant du comité de travail] C’était la place pour ça. De juste se vider le cœur sur ça. [participante 4]

L’organisation d’événements rassembleurs (exemple : journée internationale sur la violence faite aux TDS) se voit également comme un bon moyen de réunir les TDS :

Comme par rapport à la journée internationale contre la violence faite aux TDS. On va aller les rencontrer. On va les inviter, justement, à venir parler avec nous autres, et soit faire un bricolage, ou écrire une pensée. [participante 3]

De même, le Projet L.U.N.E. cherche à créer des ponts avec des organismes qui ont une mission et une approche similaire à la sienne, dans l’optique de favoriser les échanges entre TDS de divers horizons :

C’est un des projets qui est sur la tablette. D’aller passer quelques jours à Montréal. D’aller rencontrer l’organisme Stella et d’aller voir comment ils fonctionnent. [participante 4]

Par la création de lieux de rencontre et de rassemblement, le Projet L.U.N.E. permet aux TDS de s’exprimer entre elles, ce qui alimente le processus de collectivisation.

4.4.2 Mettre en commun les expériences des travailleuses du sexe

Selon les répondantes, la mise en commun des expériences dans le cadre du Projet L.U.N.E. peut initier une prise de conscience à l’effet que certaines participantes partagent des objectifs et des préoccupations. Dès lors, les participantes en viennent à se sentir moins seules et à s’identifier les unes aux autres :

De voir que tout le monde avait les mêmes objectifs, ou presque les mêmes… C’était… Ça me permettait de voir que je n’étais pas toute seule [participante 2]

Juste le sentiment d’appartenance avec les filles, ça c’est très très important. Parce que… Comme j’ai l’habitude d’être beaucoup toute seule, eh bien il y a au moins un groupe où est-ce que je me dis : « Ok, il y a des gens qui sont un peu comme moi. Des parcours qui sont similaires au mien. » [participante 1]

Par la mise en contact, le Projet L.U.N.E. permet aux TDS de s’inspirer et d’être des modèles les unes pour les autres. Lorsque certaines participantes apportent des changements qui contribuent à augmenter leur qualité de vie, d’autres sont encouragées à faire de même. Il semble que le fait d’avoir quelqu’un à qui se rattacher (un modèle TDS) permet de susciter l’espoir chez les participantes :

D’avoir quelqu’un à qui te rattacher, ça permet de susciter l’espoir aussi pour les femmes, tu sais. De se dire : « Hey, elle, elle en a fait de la prostitution. Elle a été dans la rue. Elle a vécu la rue, et elle s’est déjà injectée, et là, elle travaille, elle a une job. » [alliée 4]

Ça donne le goût d’avancer, quand tu vois du monde qui a été capable. Tu as le résultat dans ta face. C’est du réel. C’est quelqu’un que tu as côtoyé… Que tu as vu sur le coin. Et qu’aujourd’hui, elle n’est plus sur le coin. Ou elle y est, mais de passage. Tu sais, à quelque part, moi, je m’accroche plus à ce genre de monde là pour dire : « Ça se peut! » [participante 2] Il y a un processus de conscientisation qui traverse l’expérience des participantes du Projet L.U.N.E. À partir du vécu des autres, les femmes en viennent à faire des prises de conscience sur leur vie, ce qui les amène à s’affirmer et à reprendre du pouvoir en posant des actions à cet effet :

Quand on écoute les autres, ben ça nous fait réfléchir sur nous-mêmes. Les retombées… En tout cas, moi, ça m’a donné de la force pour confronter. Pas confronter, mais être plus fonceuse en dehors de L.U.N.E. Certains aspects de ma vie. M’affirmer plus envers mes enfants, envers mon chum. [participante 3]

À travers ce processus de collectivisation, les répondantes soulignent l’importance d’assurer une mixité au sein du groupe, afin de nuancer le discours du Projet L.U.N.E. et de faire valoir la diversité des réalités :

Il faut aller chercher une mixité. […] Parce que si tout le monde a vécu la même chose, ben on n’est plus représentatifs de la communauté. Ou si tout le monde a vécu la même chose, ben c’est parce que sûrement que ça fait grandement partie d’un groupe, fait qu’on va adresser cette question-là. [alliée 5]

Parallèlement, même si le Projet L.U.N.E. se dote d’une position collective (exemple : en faveur de la décriminalisation du travail du sexe), l’importance de rappeler les points de vue individuels qui peuvent diverger de la posture dominante est soulevée :

En tant que groupe, on est pour la décriminalisation… Mais en même temps, il y en a dans le groupe qui sont gardiennes de dire : « Oui, c’est vrai qu’il y en a qui sont exploitées, et on n’est pas toutes : “Yahoo, c’est le fun être TDS!“ » Il faut se dire aussi que ce n’est pas toutes les femmes qui font ça par choix. Et qu’il faut qu’elles aussi se sentent incluses. [participante 3]

À la lumière des propos des répondantes, il semble que la mise en commun des expériences des TDS constitue un levier pour l’empowerment, alors que ces dernières en viennent à faire des prises de conscience et à reprendre du pouvoir sur leur vie, en s’inspirant des autres.

4.4.3 Favoriser la création de réseaux de solidarité et d’amitié

Enfin, le Projet L.U.N.E. alimente le processus de collectivisation par la création de réseaux de solidarité et d’entraide, en permettant aux TDS de se soutenir dans ce qu’elles vivent :

Je pense que c’est vraiment de se réunir, de se supporter, tu sais, d’avoir un lien d’appartenance entre eux. […] Tu sais, faire de la prostitution, ce n’est pas quelque chose qui est facile […] C’est comme une petite famille qui a besoin de se supporter et de se serrer les coudes par rapport à ce qu’ils vivent, parce que c’est une réalité qui n’est quand même pas facile. [alliée 4]

On fait comme partie toutes de la famille, genre. Qui ont un gros vécu, ou des grosses épreuves dans leur vie et qui se retrouvent ensemble. Qui sont prêtes à s’entraider. [participante 7]

Selon les répondantes, certaines pratiques mises en œuvre par le Projet L.U.N.E. contribuent de façon particulière à l’établissement de liens d’amitié entre les participantes, notamment les activités sociales (restaurant, quilles) et le fait de débuter les rencontres hebdomadaires avec un « comment ça va? » :

Le mercredi, on commence toujours la réunion par un « comment ça va? ». Donc on apprend un peu à connaître les gens. On a aussi… Quand j’ai dit qu’on allait au musée vendredi [en faisant référence à une sortie du comité de travail], c’est aussi qu’on a des activités à l’extérieur des réunions, et de L.U.N.E. en général. [participante 1]

À travers leur implication au Projet L.U.N.E., les participantes brisent l’isolement et elles développent leur réseau d’amitiés. Plusieurs femmes s’expriment à ce sujet :

C’était vraiment genre de décrocher de l’escorte, et la drogue, et l’alcool… Je voulais décrocher de ça. C’était mon but. Et j’essayais de me trouver des nouvelles passions. Finalement, je me suis trouvé des amies, je ne m’attendais pas à ça. [participante 7]

Moi, je suis une fille qui est pratiquement antisociale. Je suis tout le temps toute seule, ça fait des années que je suis comme ça. Je travaille à la maison, de toute façon, sur le téléphone, sur appel. […] Fait que ça me fait sortir un peu de ma coquille. [participante 8]

De même, il y a des liens d’amitié qui se reproduisent en dehors du Projet L.U.N.E. :

Je suis contente d’être un peu… Pas la marraine, mais… D’être à l’écoute des filles de L.U.N.E., même en dehors de L.U.N.E. Elles peuvent me rejoindre n’importe quand sur facebook […] Un petit mot d’encouragement quand je sais qu’elles sont dans une passe difficile… [participante 3] Dans le même ordre d’idée, l’une des répondantes précise que le fait de créer des liens avec des femmes du Projet L.U.N.E l’a amenée à avoir plus confiance en d’autres personnes à l’extérieur de l’organisme :

On était juste des connaissances. Mais l’amitié s’est développée. Et ça a créé vraiment des liens forts. Très forts. Que je ne connaissais pas, là. Et ça m’a ouvert… Ça m’a fait des ouvertures d’esprit que… Tu sais, ça m’a permis d’avoir un petit peu plus confiance en la vie. En la société. Et en d’autres personnes. [participante 5]

Au final, les résultats de ce mémoire nous éclairent sur l’importance des réseaux de solidarités et des relations d’amitié dans un processus de collectivisation, alors que la création de liens permet aux TDS d’agrandir leur cercle social et de bénéficier du soutien de leurs paires, contribuant du même coup à leur empowerment.