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Soutenir l’inclusion sociale des travailleuses du sexe en leur offrant un point d’ancrage

Chapitre 4. Processus transformateurs

4.3 Soutenir l’inclusion sociale des travailleuses du sexe en leur offrant un point d’ancrage

Le troisième processus qui caractérise les pratiques d’empowerment du Projet L.U.N.E. est le processus d’inclusion, par lequel les participantes en viennent à se sentir comme faisant partie prenante de l’organisme,

mais aussi plus largement de la société. Dans le cadre de ses pratiques, le Projet L.U.N.E. s’adapte aux intérêts, aux besoins et à la réalité des TDS pour faciliter leur participation. Ce faisant, l’organisme alimente le processus d’inclusion, en offrant un lieu d’ancrage « non-menaçant » auquel les participantes s’identifient et où elles se sentent acceptées. En prenant part au Projet L.U.N.E., les TDS se voient incluses dans un groupe, contribuant à ce qu’elles aient l’impression de faire partie d’un « projet de société ».

4.3.1 Des pratiques fondées sur l’accueil et l’acceptation inconditionnelle

Un élément transversal qui guide les pratiques du Projet L.U.N.E. est la volonté d’accueil et d’acceptation inconditionnelle à l’égard des TDS. Tel que rapporté par les répondantes, l’organisme fonde ses pratiques sur l’ouverture et le non-jugement. Il s’agit donc d’accepter les participantes telles qu’elles sont, sans chercher à les changer, ainsi que de respecter l’état et le rythme des femmes :

C’est à haut seuil d’acceptation. Première des choses. On va t’accepter comme tu es. Ce n’est pas toutes les femmes qui sont rendues au même niveau dans leurs démarches. [participante 4] C’est d’accepter la femme telle qu’elle est. Dans l’état qu’elle est. Qu’elle aille bien ou pas bien, qu’elle soit à jeun ou pas. Ce qui nous est reconnu chez nous, c’est qu’on prend la femme dans l’état qu’elle est, et on s’en fout, qu’elle sorte de prison, ou ben quoi que ce soit. [participante 9]

Cet accueil inconditionnel se manifeste notamment par le peu de critères d’exclusion qui traduit les pratiques du Projet L.U.N.E. L’ensemble des TDS peut s’impliquer à l’organisme, pour autant qu’elles soient respectueuses les unes à l’endroit des autres et qu’elles soient en mesure de participer lors des rencontres :

C’est de prendre les personnes comme elles sont quand elles arrivent. Il n’y a comme pas de critères d’exclusion, comme dans beaucoup d’organismes. On n’a pas vraiment de critères, sauf le respect… […] Respecter, et participer aux rencontres, et respecter le rythme de chacune, parce que ce n’est pas tout le monde qui est rendu à la même place. [participante 3]

Comme souligne l’une des répondantes, seules les participantes qui auraient un impact négatif sur le groupe ou qui nuiraient à l’atteinte des objectifs collectifs pourraient se voir exclues :

[en parlant des critères d’exclusion] Quelqu’un qui aurait… Tu sais, des gens qui ont beaucoup de caractère, qui ont beaucoup de force de caractère, qui sont capables d’embobiner n’importe qui. […] Dans quelque chose qui va à l’encontre des objectifs qu’on s’est fixés. [participante 4]

Parallèlement, le Projet L.U.N.E. est en faveur de la décriminalisation de l’ensemble des activités reliées au travail du sexe, ce que plusieurs répondantes associent au fait d’être inclusif à l’égard des TDS et de promouvoir une approche de non-jugement :

Notre mission, c’est d’accueillir tout le monde. Fait que c’est sûr que si tu as des préjugés, ça ne va pas bien. […] À quelque part, tu ne peux pas ouvrir à tout le monde, mais mettre un X sur la prostitution. Moi, pour l’organisme qu’on est aujourd’hui, ça ne va pas ensemble. [participante 2]

Ben premièrement, il n’y a rien d’abolitionniste là [au Projet L.U.N.E.]. Tu sais! Ça, je pense que ça aide beaucoup. Je veux dire… Il n’y a pas de jugement. Et ça, c’est… C’est ça que moi, j’aime beaucoup du Projet L.U.N.E. [participante 4]

Le Projet L.U.N.E. offre aux TDS un lieu où elles se sentent accueillies. Une répondante exprime cette idée en rapportant qu’elle ne se sent pas jugée au Projet L.U.N.E., ce qui la fait sentir bien et « comme chez elle » :

Mais ces femmes-là, pour moi, ça a été comme une bouée. Tu sais! Elles ne m’ont jamais, je n’ai jamais jamais jamais été jugée. Chaque fois que j’arrivais là et que je montais les trois marches roses, à l’entrée, je me sentais chez nous. Je me sentais bien. [participante 4]

Alors que son profil ne concordait pas avec les critères ou le fonctionnement des autres organismes, une répondante explique qu’elle a trouvé sa place au Projet L.U.N.E., alors qu’elle peut y rester elle-même :

Les autres places ne fittaient pas pour moi. Les trois quarts du monde dans les autres organismes ne m’acceptaient pas du tout comme j’étais. […] Tandis qu’ici, au Projet L.U.N.E., je peux carrément être comme je veux, tout le temps. [participante 6]

Les pratiques fondées sur l’accueil et l’acceptation inconditionnelle permettent donc aux participantes de se sentir acceptées telles qu’elles sont, ce qui contribue au processus d’inclusion sociale.

4.3.2 Un cadre souple et flexible

Plusieurs moyens sont mis en œuvre au Projet L.U.N.E. pour faciliter la participation des TDS, et ce, peu importe leur réalité. À ce sujet, les répondantes mentionnent qu’il importe de respecter le rythme de chacune des participantes. Ainsi, les pratiques du Projet L.U.N.E. s’appuient sur un cadre d’implication flexible et inclusif à l’égard des TDS. Tel que mentionné précédemment, il y a différentes façons de s’impliquer à l’organisme (exemple : drop-in, comité de travail, implication ponctuelle), de sorte que chacune peut trouver sa place et de s’impliquer d’une façon qui lui convient :

On a plusieurs volets, justement… Le comité de travail. Et si tu veux être juste de passage, une fois de temps en temps, ben ils vont faire avec. Sinon, si tu veux faire partir du comité, être rémunéré, ben il faut que tu assistes à toutes les rencontres. [participante 2]

Je pense qu’on est 6 au comité de travail, mais on ne serait pas toutes les 6 à aller parler devant les gens. On ne sera pas toutes les 6 à travailler sur le site web. On ne sera pas les 6 à faire le journal, la mise en page et tout… Je pense qu’il y a différentes façons de s’impliquer et que chacune trouve ce qui lui convient. [participante 1]

De même, il y a une flexibilité à ce que les participantes modulent leur implication, selon l’évolution de leur situation. Lorsque les TDS vivent des difficultés, elles peuvent prendre des pauses d’implication :

La première année a été plus difficile pour moi. Je ne m’étais comme pas préparée. Donc… Je suis allée prendre soin de moi. Faire une thérapie. Et ma motivation pour la thérapie, bien sûr, c’était l’emploi ici. [participante 2]

Aussi, le Projet L.U.N.E. s’assure de prévoir des pauses régulières lors des activités, de sorte que les TDS sont moins fatiguées :

On avait tendance à prendre des pauses, mais ça pouvait varier entre 1 h et 1 h 15. Maintenant, on a décidé, un nouveau règlement, de faire ça aux 45 minutes. Il y a une méchante différence sur comment les rencontres vont, et comment le moral des gens va quand la rencontre avance. Parce qu’avant, on était fatiguées. [participante 1]

Dans la même façon, le Projet L.U.N.E. favorise l’implication des TDS en leur proposant des activités (mandalas, bracelets) afin qu’elles restent concentrées lors des rencontres :

Et il y en a deux autres que c’était des anxieuses dans le tapis! […] Mais ils ont pris des moyens vraiment adaptés à eux autres, pour qu’elles assistent aux réunions pareil, sans toujours vouloir se lever… Et il y en a une que c’était la mode des petits bracelets en élastique. [participante 2]

En ce qui concerne plus spécifiquement le drop-in, les répondantes précisent que les conditions de travail sont adaptées pour faciliter l’intégration des intervenantes-paires-aidantes. Par exemple, leur horaire est allégé par rapport à celui des intervenantes (25 heures par semaine, plutôt que 35 heures). De même, les intervenantes- paires-aidantes bénéficient de journées de congé ou de ressourcement. Elles peuvent donc s’absenter quelques fois par année lorsqu’elles ne sont pas en mesure de travailler, et ce, sans pénalités sur leur rémunération :

Quand elles ne rentrent pas, elles ne rentrent pas, et ce n’est pas plus grave. Elles ont leur même paie. Si elles n’avaient pas ces belles conditions de travail là, […] elles auraient trouvé ça vraiment très rough que je n’aurais pas accepté qu’elles rentrent, dans des conditions où elles n’étaient pas en mesure de rentrer. [alliée 1]

Par l’établissement d’un cadre souple, le Projet L.U.N.E. contribue au processus d’inclusion, puisque les participantes peuvent s’impliquer à la mesure de leurs capacités, ce qui les amène à se sentir intégrées.

4.3.3 Avoir une place « dans la société »

Parallèlement, en privilégiant des pratiques inclusives, le Projet L.U.N.E. offre aux participantes un lieu d’ancrage auquel elles peuvent se rattacher, ce qui leur permet d’avoir une place « dans la société » :

Avant, j’avais beau chercher, et je ne trouvais pas d’endroits, ou de lieux… Je ne parle pas physiquement, mais je n’avais pas d’attache nulle part […]. Là, j’en ai trouvé une. Je sais qu’il y a au moins cette place-là où est-ce que chaque fois où je vais y aller, je vais faire quelque chose de ma vie. [participante 1]

Il n’y a pas d’âge, il n’y a pas de catégorie. C’est vraiment tout le monde, au moment où ils sont prêts […]. Fait que je trouve que c’est vraiment pour ceux qui ont des difficultés dans la vie, à différents degrés, qu’ils ont une place dans la société pareil. [participante 2]

Comme l’explique une alliée, en créant un groupe d’appartenance auquel les TDS peuvent prendre part, le Projet L.U.N.E. contribue en quelque sorte à renverser le processus de désaffiliation vécu par certaines femmes :

C’est de créer un groupe d’appartenance où les femmes vont pouvoir stopper peut-être le processus de désaffiliation. […] Avoir pour une fois une porte qui ouvre, tu sais… Et de dire : « On va t’offrir un ancrage pendant un certain nombre de temps. » [alliée 5]

Certaines participantes s’expriment dans le même sens, en rapportant le Projet L.U.N.E. est un point d’attache qui les « maintient les deux pieds sur terre » et qui les empêche de « tout abandonner » :

Quand il t’arrive un défi quelconque, ça t’aide à rester les deux pieds sur terre… Ben quand tu as un projet auquel tu tiens… Tu ne peux pas te permettre de tout foutre en l’air. Tu sais! Fait que ça te maintient… [participante 2]

En privilégiant des conditions de travail flexibles, le Projet L.U.N.E. offre également un accès au marché de l’emploi aux intervenantes-paires-aidantes qui sont embauchées au drop-in. Plusieurs TDS sont d’avis qu’elles n’auraient pas pu obtenir un emploi auprès d’un employeur « régulier », dans un contexte où le cadre et les règles sont plus rigides :

Le Projet L.U.N.E., c’est merveilleux. C’est vraiment un début dans la société. […] Avoir été ailleurs, avoir été aussi ouverte que j’étais, pour moi, je n’aurais plus mon emploi aujourd’hui… Fait que… Ça me montre aussi les failles que j’ai à travailler pour être dans la société dite normale. Avec d’autres employeurs plus restreints. [participante 2]

Je pense que ça peut être un tremplin. Un tremplin pour pouvoir aller sur le marché du travail dans la société. Parce que… En passant par ici, je vois ça comme un genre de portage. […] Et ici, quand ils te prennent comme employée, ils te prennent comme tu es. [participante 5]

Alors qu’avant, les TDS se considéraient comme étant à la marge de la société, elles ont maintenant le sentiment d’appartenir à un groupe, de faire partie d’un projet « de société ».

4.4 Favoriser la collectivisation en rassemblant les travailleuses