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Les valeurs, quelles qu’elles soient, prennent racine dans un terreau; ici il s'agit du milieu du travail. On peut dire qu’au Québec l’éducation est un bien public ainsi qu’un lieu d’incarnation de valeurs partagées (Tardif et Lessard, 1999). Dans le monde de

l'enseignement, les valeurs sont véhiculées du haut vers le bas (si on pense au ministère qui régit l'éducation), mais aussi du bas vers le haut (les enseignants porteurs de valeurs les transmettent à travers leur rôle de maître de classe). En d’autres termes, malgré le fait que les enseignants intégrés à la structure scolaire ne représentent que le bout de la chaîne d’une bureaucratie imposante (1999), ils ont tout de même une réelle autonomie quant à l’exécution de leur tâche. Cependant, il semble que les valeurs partagées à un niveau global ne régissent pas complètement la profession : « ...si les enseignants reconnaissent la complexité de l’acte éducatif et son caractère professionnel, (...) leur rapport à l’exercice de la profession et leur sentiment d’identité professionnelle s’expriment en effet sur un mode individualiste » (Gohier, Anadón et al., 1999 : 124). Bien qu’il s’agisse d’un métier encadré par l’État dont la tâche est divisée, minutée, standardisée et codifiée (Tardif et Lessard, 1999), l’exercice d’enseigner repose ainsi en grande partie sur l’autonomie professionnelle des agents scolaires qui, on le sait, sont «maîtres» dans leur classe.

2.3.1 Autonomie professionnelle et pratique réflexive

Lorsqu'on parle de valeurs au travail, l’autonomie professionnelle, dont le moteur est la pratique réflexive, représente l'une des valeurs du travail enseignant les plus importantes, en plus d'être farouchement défendue par les syndicats d'enseignants. Il est important de mettre l’accent sur l'autonomie et la pratique réflexive pour comprendre dans quel contexte s'inscrivent les valeurs des nouvelles enseignantes : le modèle du praticien réflexif est compatible avec l'auto détermination de soi postmoderne, en ce sens que la pratique réflexive appelle la personne de l’enseignant à exercer son jugement personnel et professionnel quant au choix de ses actes. Dans le contexte d'une société occidentale d’où sont disparus les grandes vérités universelles et le consensus (Boisvert, 1996 ; Pacom, 1995 ; Lyotard, 1979), les valeurs véhiculées au travail sont désormais la conséquence de choix personnels et l'enseignante est sans arrêt renvoyée à elle-même. Devant une tâche aussi complexe que celle d’enseigner, l’autonomie professionnelle prend plus que jamais appui dans l’univers des valeurs personnelles.

Dans un autre ordre d'idées, il existe aussi une variété de valeurs propre à l’école, par exemple: la culture et sa transmission, le développement de l’enfant, la promotion de l’environnement (de plus en plus d’écoles vertes Brundtland), l’ouverture aux autres cultures et, la coopération et la citoyenneté. Mais ce ne sont pas ces valeurs qui nous intéressent ; ce sont celles de l’école et du projet éducatif, alors que nous sommes plus à la recherche de valeurs personnelles et professionnelles des enseignants.

2.3.2 La flexibilité et l'authenticité : des valeurs personnelles et professionnelles

Les derniers propos soulignent le fait que les valeurs professionnelles prennent racine dans la personnalité, en attendant de pouvoir puiser dans l’expérience professionnelle. L’identité personnelle forme ainsi un alliage avec l’identité professionnelle. Métaphoriquement, l’élément «identité personnelle » serait comparable à ce métal dans un alliage qui permet plus de flexibilité3. Rayou et Van Zanten rapportent

le fait suivant en parlant des nouveaux enseignants : « Prêts à s’adapter aux élèves, à s’ajuster aux situations et à évoluer en fonction des contextes d’enseignement, ils sont en effet acquis à l’idée d’une «flexibilité» professionnelle » (2004 : 258). D’où cette flexibilité professionnelle provient-elle ? Nous soupçonnons qu’il s’agit là d’une disposition personnelle provenant d’une tendance générale postmoderne. Il semblerait que l'idée de flexibilité présente dans notre cadre de référence soit abondamment véhiculée par la société et les médias ; on entend souvent dire (Rayou et Van Zanten, 2004 ; Samson, 2005) que ce serait bien plus qu’une tendance, mais une disposition acquise, plus particulièrement pour cette cohorte de jeunes travailleurs dont la vie quotidienne demanderait ce genre de réflexe pour « survivre » (Rayou et Van Zanten, 2004 ; Amorim, 2007).

Pour établir un lien entre la flexibilité au travail, la pratique réflexive et l'authenticité, Yves Clot (1999) propose une analyse tout à fait intéressante dans son ouvrage sur la psychologie au travail. Pour l’auteur, il est question de dimension

3 Ce concept est important pour la thèse postmoderne qui décrit l’individu comme étant polymorphe

personnelle et impersonnelle : l’impersonnalité de la règle (ou de la norme au travail) et les aspirations de la personne. Il nomme « genre » ce qui désigne l’impersonnel, le lieu commun, le métier dans son ensemble, et « style » cette manière toute personnelle d’investir le « genre ». Il appartiendrait ainsi à chaque enseignant d’aller vers du « transpersonnel » en s’appropriant les règles du métier par la réflexion, la remise en question et l’action. Cette flexibilité dans l'investissement personnel et professionnel prend racine dans la quête de l'authenticité du sujet, qui renvoie ici à la notion de « style » et d’investissement de soi dans le travail dont parle Clot dans son ouvrage (1999).

Par ailleurs, l'authenticité est justement l’une des valeurs « postmodernes » et représente une manière d’investir un genre. En suivant cette logique, l’enseignante qui dans un souci d'authenticité adapte sa pratique à ses valeurs, pour ainsi fabriquer son propre style, fait preuve de flexibilité. On peut s’interroger sur les valeurs qui soutiennent ce souci de développer une manière personnelle d’exercer son métier ou sa profession (Rayou et Van Zanten, 2004 ; Tardif et Lessard, 1999). L'authenticité et la flexibilité sont-elles de ces valeurs qui nourrissent le style personnel des jeunes enseignants ?

2.3.3 La construction identitaire

Selon Dubar, l’identité n’est autre que « le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions » (Dubar, 1991 : 111). Afin de connaître les valeurs des nouvelles enseignantes, il est d'abord nécessaire d'explorer plus en profondeur le processus de construction identitaire de l'enseignant. Le modèle proposé par Gohier, Anadón et al. (2001) nous semble à cet égard très pertinent puisqu'il intègre les aspects personnel et professionnel du processus de construction identitaire. De plus, le modèle révèle la dynamique des étapes cruciales que franchit l'enseignant soit : lors de son insertion dans le métier et lors de la remise en cause d'un état identitaire temporaire ou encore d'une crise identitaire.

Le processus de construction identitaire se présente sous l’angle de deux processus actifs : l’identification et l’identisation (2001). D’une part, se trouvent les

enseignants et la profession et, d'autre part, l'enseignant comme personne avec ses valeurs, ses aspirations, ses buts, etc. Le processus d’identisation va de la personne vers l’identité collective, aidé des compromis nécessaires. Cependant, si survient une rupture lors du processus d’identisation, le sentiment d’autonomie s'en trouve renforcé. L’identification, quant à elle, va de l’identité collective et de la profession vers la personne. S’il y a continuité dans le processus d’identification, les enseignantes font des compromis et travaillent en coopération. Cependant, si le processus d’identification est interrompu, le sentiment d’appartenance au groupe est amoindri, laissant ainsi moins d'espace aux valeurs collectives de la profession. Le «nous» et le «je» cherchent ainsi leur équilibre à travers la dynamique du processus; la représentation de «soi» comme «enseignant» dépend de cet équilibre (Gohier, Anadon et al., 2001).

2.3.4 En crise identitaire

Dans le contexte d'une crise identitaire, il semble que les nouvelles enseignantes (surtout celles pour qui l'insertion et la rétention dans le métier présentent des difficultés)

pourraient vivre un malaise au niveau de l’équilibre dans la représentation de soi face à la représentation des enseignants et de la profession. La disposition au changement dont font preuve les nouvelles enseignantes (Fournier, 2006; Rayou et Van Zanten, 2004; Gohier, Anadón et al., 2001) complique le défi d’intégration de l’identité professionnelle à l’identité globale de la personne (2001). Ceci dit, la personne qu’est l’enseignante porte en elle des valeurs personnelles qui, selon le modèle de construction identitaire (2001), doivent être intégrées à l’ensemble de la profession et aux valeurs que véhicule cette dernière. Ce n’est pas sans rappeler le concept de style et de genre professionnel défendu par Clot (1999).

Il est d'ailleurs intéressant de faire le rapprochement entre ce modèle de construction identitaire et le concept de « temporaire » et de non définitif ou d’impermanence présent dans la thèse postmoderne. L'état identitaire dont il est question dans le modèle de construction identitaire n'est pas définitif et peu être amené à se renouveler au fil des étapes de la vie professionnelle et, il est important de le souligner, personnelle. À cet égard, le modèle de construction identitaire proposé par Gohier, Anadón et al. (2001) présente l'état identitaire de l'enseignante en deux processus actifs distincts : l'identification et l'identisation. Cette dualité conforte notre position quant à l'importance de tenir compte des valeurs tant professionnelles que personnelles.