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4.2 Marlène : Le partage et l’échange avant tout

4.2.2 Un moment décisif dans sa carrière

« L’année passée, j’étais entre deux chaises, je me disais que j’allais abandonner l’enseignement pour chanter. J’étais complètement désillusionnée. Puis je suis arrivée à l’école ici et je suis tombée sur des profs qui étaient passionnées de pédagogie, qui s’amusaient vraiment, qui s’investissaient dans les projets et dans le milieu-école avec les enfants… je suis retombée en amour avec le métier ». Ce moment décisif dans sa carrière est d’ailleurs lié à cette double vie que mène Marlène, qui m’explique ensuite qu’il faut comprendre qu’en tant qu’être humain, nous n’avons pas qu’une corde à notre arc, mais plusieurs. Elle croit aussi à la prise en considération des contextes singuliers. Selon elle il n’y a pas « une bonne recette », étant donné qu’une bonne enseignante dans un milieu x ne va pas nécessairement, avec les mêmes qualités, être compétente dans un tout autre milieu. « Il faut que tu t’adaptes, que tu te resitues, il faut que tu connaisses ton contexte », dit-elle.

4.2.3 Les valeurs au travail

Pour Marlène, c’est le fait d’avoir été d’école en école qui l’a rendue flexible. Sa définition de la flexibilité est la suivante : « C’est le fait d’accepter que ce qu’on planifie ne va pas nécessairement être ce que tu as prévu. Faut pas être perfectionniste quand on entre dans l’enseignement… on est toutes perfectionnistes à quelque part, premières de classe…mais il faut laisser de côté ce désir-là pour trouver plus de flexibilité ». Puis elle ajoute encore que par rapport à ses élèves, la flexibilité veut aussi surtout dire accepter qu’ils ne soient pas nécessairement comme elle les imagine. « J’ai une image, un idéal d’une classe ou d’élèves, j’ai un idéal de journée aussi que je veux passer, mais c’est pas

nécessairement ce qui va arriver. Je dois être ouverte à ça, pour moi ça représente des deuils parfois. Par exemple quand j’ai un produit fini en tête et que ça donne pas ça, je veux être capable de me dire : « o.k., c’est correct ». Marlène est flexible dans sa planification ; elle se dit capable de s’ajuster tant dans le travail en classe que par rapport aux demandes de la direction ou des collègues, tant en ce qui a trait au temps dont elle dispose, qu’au travail à effectuer.

Aborder le métier avec tout ce qu’elle est, son bagage de vie, ses forces et ses faiblesses, telle est sa devise. Elle affirme qu’en acceptant d’être authentique, elle accepte de se sentir vulnérable. « Dans le métier qu’on fait, y a des trucs au niveau personnel qui se passent. Il faut que tu sois prête à être blessée, à être remuée, à être attristée, on passe par toute une gamme d’émotions. L’authenticité ça donne ça ». Marlène décrit les avantages liés à l’authenticité comme suit : avoir des rapports plus réels avec les collègues et les élèves permet qu’ils nous voient tel que nous sommes. Elle imagine aussi qu’en étant vraie et à l’écoute, elle sera plus à même de comprendre et apprécier ceux qui l’entourent à leur juste valeur. « Ça c’est ma personne, je suis comme ça dans la vie aussi. Je sors dans la rue, je salue les gens, à l’école c’est la même chose. On est comme une microsociété. Des rapports plus réels, plus vrais c’est essentiel. Passer 8 heures à être une autre personne, ça doit pas être le fun ».

Marlène accepte le fait de ne pas être parfaite et reconnaît sans gêne avoir parfois besoin d’aide dans le domaine pédagogique ou avec un élève particulier. Mais c’est aussi surtout son besoin d’être authentique face à elle-même, à sa personnalité propre, qu’elle veut souligner : « Au début de ma carrière, il y avait tout mon côté musical, artiste, « stagé », que je mettais de côté. Quand j’arrivais à l’école j’étais plus calme, mais quand j’en sortais, c’était différent. Mais je me suis rendu compte que je pouvais arriver dans ma classe pis être en spectacle aussi ». Elle insiste en lançant que ça fait réagir les enfants, qu’elle a l’impression que ça les stimule, alors qu’elle-même a du plaisir à enseigner de cette manière, ainsi qu’à être de plus en plus la même Marlène que dans sa vie personnelle. Selon elle, « c’est le métier qui entre ».

Et la vocation dans tout ça. Aux dires de Marlène, pour enseigner il faut avoir cet appel ressenti intrinsèquement, profondément. « Pour être prof, il faut que tu aies la vocation. Je ne dis pas que les jeunes profs qui abandonnent n’avaient pas la vocation. Elles manquaient de soutient peut-être. On n’est pas toujours soutenues quand on arrive à quelque part ». Dans le même souffle, elle ajoute que la vocation est plus profonde que l’amour du métier, qu’elle est ce qui tient « groundé » lorsque le milieu est plus difficile, indépendamment des évènements. Malgré le fait qu’elle croit avoir la vocation, elle se remet aussi parfois en question, surtout lorsqu’elle n’a pas le sentiment d’être fidèle à elle-même, ce qui est très important à ses yeux. Pour elle, le fait d’être fidèle à elle-même se traduit d’abord dans les valeurs qu’elle transmet aux enfants. Par exemple, elle ne donne pas de copie aux enfants, puisqu’à ses yeux, il n’est pas significatif de le faire.

Dans son milieu de travail, tout comme en classe, elle agit selon ses valeurs, sans tenter de les imposer. Elle explique que c’est plutôt dans sa façon d’être que ses valeurs sont apparentes, surtout après quelques années d’expérience et après avoir pris un peu plus d’assurance. En référence au temps, Marlène sent que pour être fidèle à elle-même, elle a besoin de changement : « … quand je suis trop pantouflarde, confortable, je veux en sortir. Je veux aussi que l’enseignement m’amène à sortir de mes zones de confort, je ne veux pas toujours être confortable. Quand je vais être trop confortable, je vais bouger. C’est une manière d’être fidèle à moi-même de faire ça ». Malgré son sentiment d’être fidèle à elle-même, Marlène déplore le fait d’avoir à se soumettre aux réalités des programmes scolaires ; elle sait s’ajuster à certaines règles, ce qu’elle dit comprendre étant donnée la nature du métier, mais conclue tout de même d’un air un peu révolté : « Des fois je me sens plus comme une gardienne que comme une professionnelle qui peut donner ses opinions. Oui, on va être consulté par moment, mais ce n’est pas assez je trouve ».

À son sens, être flexible a plusieurs avantages sans avoir de réels inconvénients. En étant flexible, Marlène sent qu’elle développe une plus grande ouverture aux autres et à elle-même ainsi qu’à ce qui peut arriver à l’improviste, tout en donnant lieu à de bonnes surprises. « Être flexible ça m’amène à être plus à l’écoute des besoins de mes élèves, à

l’écoute de mes besoins et à l’écoute des besoins de mon milieu. Ça nous amène à lâcher prise, ça fait que je suis moins stressée. Par exemple, cet élève est pas rendu là, ben c’est correct, ça ne m’appartient pas ». Être flexible dans l’univers de Marlène signifie aussi qu’elle peut faire la part des choses. Lorsqu’elle quitte l’école, elle apprécie le fait de pouvoir se détacher en partie des problèmes de l’école en acceptant sa part de responsabilité mais en étant aussi consciente des limites de cette responsabilité : « Ça c’est à lui, à eux, ça c’est à moi. Ça ça relève de l’école, ça ça relève de moi ». Le seul petit inconvénient à la flexibilité serait à son avis la déception, qu’elle qualifie tout de même de bonne déception puisqu’elle n’y perd rien. « C’est comme être dans une relation amoureuse, tu as toute cette image de ce que devrait être un couple, finalement tu te rends compte que c’est pas ça. Ça te ramène à quelque chose de plus réel ». Il faut ajouter que hormis l’authenticité et la flexibilité, la passion, la curiosité intellectuelle et le désir d’apprendre sont des caractéristiques professionnelles auxquelles Marlène accorde une grande importance.

4.2.4 Son rapport avec les élèves

Au fil des années d’expérience, le rapport entre Marlène et ses élèves devient de plus en plus naturel. Ce qu’elle appelle « son côté maternel », fait de plus en plus surface en même temps que le côté maître-élèves demeure présent. Elle ajoute encore ceci au sujet de son rapport avec les élèves : « D’avoir fait l’école alternative amène que je me vois moins maintenant au niveau du rôle magistral. Autrement dit, j’apprends en même temps que mes élèves, je ne me sens pas obligée, si je fais une leçon, de tout savoir. Je me laisse cette marge ». Dans son rapport à l’autorité, Marlène tient à ce que ses élèves se sentent en sécurité. Elle se dit non punitive dans ses interventions, mais trouve qu’il est important que l’enfant sache où est la limite « parce que lui aussi a besoin de sentir qu’il est dans un cadre… que oui on va avoir du plaisir ensemble, mais que je suis aussi capable de prendre soin de lui, de l’encadrer puis de l’arrêter quand il va trop loin ».

Un élément que Marlène aimerait améliorer dans sa relation avec les élèves est la capacité de déceler plus rapidement certaines faiblesses ou certaines qualités chez eux.

« J’aimerais être capable de les « sizer » plus rapidement, dit-elle. J’aimerais avoir moins de préjugés aussi, donc être capable de faire la dissociation entre moi en tant qu’enseignante et moi en tant que Marlène personnelle ». Aller plus loin dans sa perception des élèves pour pouvoir mieux les connaître et intervenir plus efficacement, être plus professionnelle dans le cas où la personnalité d’un élève cadre moins avec la sienne, afin de l’amener où elle doit l’amener, tels sont les défis que Marlène se lance quotidiennement face à ce qu’elle aimerait voir changer dans sa pratique avec les élèves. Selon elle, plus l’enseignante fait un travail sur elle-même, plus elle est à même de s’affirmer. Elle précise cependant que cette façon de s’affirmer, de mettre son pied à terre, est surtout nécessaire avec les élèves du troisième cycle qui sont, selon elle, capables de déceler les faiblesses et de confronter l’enseignante directement à ces niveaux. « Mais si toi t’as déjà fait un travail sur toi, renchérit-elle, et que tu connais tes limites, tes forces, ben c’est plus facile d’évoluer, c’est une affaire de confiance j’imagine, professionnelle et personnelle aussi ».