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À l’école, nous croyons que la modernité se traduit par la croyance en une bonne façon de faire générale qui transcende les autres, le fait d’ « exercer un métier, pas plus », par le rôle de l’école dans la démocratisation du savoir et la lutte à l’ignorance et, bien entendu, par les notions de compétence professionnelle et de professionnalisation fondée sur la recherche. Au moins deux des enseignantes interrogées sont claires à ce sujet : le savoir est source de progrès, et de compétence professionnelle. En ce sens, l’idée d’un métarécit qui donne sens à tous les discours, la volonté d’universaliser les communautés humaines (Boisvert, 1996) par la science et le progrès, définissent en grande partie la thèse moderne. Lors des entretiens, nous avons cherché les traces des valeurs dans le rapport au métier des enseignants ; c’est pourquoi nous leur avons posé les questions suivantes afin de découvrir quelle part occupent les valeurs modernes dans leur rapport au métier : « Comment définiriez-vous le terme vocation ? » ; « Pourquoi faites-vous ce

métier ? » ; « Croyez-vous à une bonne manière de faire ou à la prise en compte des

contextes et des situations singulières ? » ; « Comment envisagez-vous votre avenir dans

le métier d’enseignante? ». Voyons ce qui ressort des réponses à ces questions.

6.1.1 La profession et la vocation dans une perspective moderne

« Comment définiriez-vous le terme vocation ? ». Bien que certaines enseignantes décrivent la vocation comme quelque chose de spirituel, les autres envisagent la question avec distance. Elles n’ont pas eu d’appel et c’est un travail qu’elles font du mieux qu’elles le peuvent, avec les ressources disponibles et, dans quelques cas, avec une rigueur et un engagement intellectuel hors du commun. Un peu comme une « vocation

édulcorée », la carrière ou la croyance à une profession qui « dirige la vie » peut être envisagée comme moderne, en ce sens qu’elle est fondée sur l'expertise, la connaissance et, dans plusieurs cas, la croyance dans la science ; c'est par ce fondement que la profession, mais aussi l’autonomie professionnelle sont modernes. La carrière est rationnelle et dépourvue de passion ; elle s’oppose à la vocation qui correspond plutôt à l’ « oubli de soi » au profit d’une cause « plus grande que soi ». La passion apparaît ici comme le vocable contemporain qui remplace la vocation d’autrefois. Parmi les enseignantes qui se disent à l’aise dans leur travail, sans pour autant avoir le « feu sacré », l’une d’entre elles explique clairement qu’elle exerce un métier, pas une vocation, un terme sexiste à ses yeux. Elle croit en la professionnalisation des enseignants pour placer des limites rationnelles dans un travail « de bonne soeur » qui n’en a pas. Il semblerait que pour nos enseignantes, la profession s’apparente à la fois à la vocation et à la carrière. Elles se disent prêtes à mettre la vocation de côté si cette dernière ne respecte plus leur authenticité au fil du temps. Et paradoxalement, elles se disent en même temps prêtes à en « faire plus », parce que la flexibilité dont elles se disent les disciples commande de faire ainsi, même s’il ne s’agit « que d’un travail. ». Et c’est là que réside toute la complexité de l’interprétation de la vocation sous l’angle moderne ; il est difficile de tracer une frontière imperméable entre les deux groupes : celles qui sentent qu’elles ont la vocation et celles pour qui ce n’est pas le cas, aussi bien que de comprendre la différence entre profession et vocation qui semblent cousines dans leur définition, mais en même temps en contradiction au niveau du sens profond. Toutefois, nous pouvons affirmer que les valeurs modernes sont bien présentes dans le discours des enseignantes sur le métier, surtout lorsqu’il est question de professionnalisation.

À la question : « Comment envisagez-vous votre avenir dans le métier

d’enseignante? », qu’on se trouve dans une catégorie ou dans l’autre, une chose demeure : toutes, sans exception, envisagent le changement de carrière comme une possibilité, au cas où la passion pour l’enseignement et les enfants s’éteindrait. Cela dit, la vocation au sens fort du terme, soit la passion et le don de soi, est nuancée et freinée par cette finalité incertaine et ça c’est postmoderne, ce désir d’être avant tout authentique qui prend une grande place au sein de la profession. Cette dernière, plutôt gouvernée par

la raison, replace les choses dans un contexte où la professionnalisation veut aussi dire qu’une enseignante doit être assez professionnelle pour partir lorsqu’elle ne se sent plus à sa place.

6.1.2 La bonne manière de faire ou la croyance en l’objectivité

À la question « Croyez-vous à « une bonne manière de faire générale » ou à la

prise en compte constante des contextes et des situations singulières et pourquoi ? » la moitié des enseignantes a répondu qu’elle croyait à une bonne manière de faire et à la prise en compte des contextes singuliers. L’autre moitié croit seulement à la prise en compte des contextes singuliers7. Nous croyons que les enseignantes pour qui une bonne

manière de faire est indispensable expriment par là une valeur qui se rapproche beaucoup de l’idée de métarécit moderne s’adressant au « nous » dans sa volonté de donner sens à tous les discours (Lyotard, 1979). Le métarécit, dans ce cas-ci professionnel, représente ici la bonne manière de faire les choses, l’approche rationnelle et objective qui porte en elle la raison universelle, le « il y a des bonnes manières de faire incontournables dans ce métier », la « recette » qui fonctionne et qui vient légitimer l’action de l’enseignante qui l’utilise, d’où la comparaison avec le métarécit qui légitime l’action. Ici encore, les enseignantes démontrent dans leur réponse à cette question qu’il y a bel et bien un fond de modernité dans leurs valeurs pratiques du métier.

6.1.3 La Raison et l’entrée dans la profession

« Pourquoi faites-vous ce métier ? ». Parmi les nombreuses raisons d’entrer dans le métier évoquées par nos enseignantes, l’aspect rationnel est souvent présent. Le désir de transmission du savoir, le sentiment de valorisation quant à la possibilité d’amener les élèves à bon port dans leurs apprentissages, l’intérêt pour les méthodes d’enseignement, que ce soit la pédagogie différenciée ou les techniques d’apprentissage de la lecture, sont autant d’éléments qui se rapportent à la science de la pédagogie, à la démocratisation du savoir, à l’émancipation et au progrès. La foi dans le progrès par la connaissance résume bien l’idée de modernité dans le système scolaire ; elle représente l’adaptation de l’école

au contexte social moderne nouveau (Boisvert, 1996). La certitude consensuelle que les enseignants peuvent discuter raisonnablement sur un projet éducatif (Boisvert, 1996) nous permet d’affirmer qu’il s’agit bien là d’une attitude moderne dont les enseignantes interrogées font preuve. Pour preuve, dans la première partie de l’analyse on peut lire que les enseignantes interrogées aiment le travail d’équipe. Le travail d’équipe, de concertation, est un mode de travail pour la plupart d’entre elles. De plus, la part intellectuelle du travail est aussi un élément qui revient à quelques reprises dans les réponses à la question « Pourquoi faites-vous ce métier ? ». Camille et Marie-France, mais aussi Mélynda et plusieurs autres pour qui partager leurs connaissances est primordial, le démontrent concrètement en affirmant que le côté scientifique lié à l’enseignement est certainement leur plus grande motivation dans le métier. Il semble donc que la modernité fait encore ses marques au cœur du travail enseignant en maintenant l’idée que la Raison et la Science en sont le moteur.