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De valeurs et métiers en valeurs de métier : quête de congruence et indices représentationnels

1.4 …Au modèle des valeurs universelles de Schwartz (1992)

1.5 De valeurs et métiers en valeurs de métier : quête de congruence et indices représentationnels

Grands principes directeurs, véritables critères pour les comportements tant intellectuels que pratiques, « les valeurs servent à régir diverses activités de la vie humaine […] [et] leur organisation sous forme de système les rend utiles à la solution de conflits et à la prise de décision » (Perron, 1981, p. 13). En effet, l’importance relative attribuée à chacune des valeurs oriente et détermine les choix qui confrontent notamment plusieurs valeurs, si bien qu’« entre un emploi très bien rémunéré mais à haut risque et un emploi plus modeste, avec moins de

responsabilités, un salaire moindre mais la sécurité de l’emploi »72 (Wach, 2005, p. 124), la priorisation de la stimulation ou de la sécurité conditionnera la décision finalement engagée. Mais au-delà de cette influence manifeste lors de la résolution d’un dilemme ou d’un conflit impliquant deux valeurs proches ou opposées (Feather, 1995), le système de valeurs sensibilise plus largement l’individu « à percevoir certains événements et activités potentiels comme souhaitables et méritant d'être abordés ou poursuivis, et d'autres aspects comme indésirables, à éviter ou à supprimer » (Feather, 1982, p. 277). Aussi, en tant que standards et guides quotidiens pour la sélection et l’évaluation des situations, les valeurs accompagnent l’action individuelle indistinctement dans la sphère privée et la sphère professionnelle et tendent alors à orienter les individus vers un métier (Ros, Schwartz, & Surkiss, 1999) ou un parcours scolaire (Feather, 1988). Plusieurs recherches témoignent effectivement de la prédominance de valeurs spécifiques et différenciées en regard des cursus universitaires et professionnels, à l’instar de l’étude de Rosenberg (1957), qui souligne que les étudiants qui se destinent aux métiers de l’immobilier, des finances, de la vente, de la gestion hôtelière, du droit ou encore de la publicité insistent plus particulièrement sur des valeurs relatives au désir d’argent et de prestige. En outre, les valeurs centrées vers autrui – désir de travailler avec des personnes et d’aider les autres – apparaissent comme significativement plus importantes chez des étudiants qui envisagent leur carrière dans le travail social, la médecine, ou l’enseignement, comparativement aux étudiants qui souhaitent s’engager dans l’ingénierie, l’agriculture, l’art ou l’architecture. Plus récemment, la mise à l’épreuve des outils de mesure élaborés à partir du modèle théorique de Schwartz (Schwartz et al., 2001) révèle que l’orientation des étudiant.es en sciences économiques – économie, comptabilité, administration des affaires – ou en sciences humaines – langue et littérature, histoire, philosophie, études juives – diffère de façon significative par une plus forte valorisation de l’accomplissement et du pouvoir pour la filière économique et une plus forte valorisation de la tradition en sciences humaines. Enfin, Knafo et Sagiv (2004) interrogent les profils de valeurs au sein de 32 professions classées selon la typologie de Holland (1985) et observent une corrélation positive entre les environnements de travail de type « entreprenants »73 et les valeurs de pouvoir (.36) et d’accomplissement (.36), et une corrélation

72 Cet exemple s’inspire de scénarios développés par Kogan & Wallach (1964) dans leur Questionnaire de Choix Dilemme pour étudier la prise de décision collective et le déplacement vers le risque.

73 Selon la typologie de Holland (1985), les professions associées au type « entreprenant » – gestion, banque, vente et publicité par exemple – se caractérisent par des « activités destinées à convaincre, diriger et manipuler les personnes pour qu'elles agissent de manière à permettre la réalisation d'objectifs organisationnels ou financiers » (Knafo & Sagiv, 2004, p. 258).

négative avec les valeurs d’universalisme (-.35). À l’inverse, les analyses statistiques corrélationnelles entre les professions associées au type « social »74 et les dix valeurs du modèle de Schwartz (1992) indiquent des corrélations positives avec la bienveillance (.55) et l’universalisme (.36) et une corrélation négative avec l’accomplissement (-.35). Subséquemment, la réalisation d’une analyse des plus petits espaces (Guttman, 1968 ; Lingoes, 1973) vient positionner les 32 professions selon leurs priorités de valeurs et laisse apparaître que « les professions similaires en termes d’environnements de travail sont également similaires dans leurs valeurs » (Knafo & Sagiv, 2004, p. 263) (cf. Figure 6). Promues et partagées par les membres d’un groupe professionnel, la bienveillance et l’universalisme par exemple, s’instituent désormais comme des « valeurs professionnelles » qui guident et motivent les choix, attitudes et pratiques des travailleurs.ses sociaux.les (Fortin, 2003 ; Bouquet, 2012) et s’expriment sur le terrain concret de leur activité. Par ailleurs, la projection bidimensionnelle de l’espace généré par les corrélations entre toutes les valeurs traduit parallèlement la structure et la dynamique relationnelle des métiers dans leurs rapports d’oppositions et de contiguïtés (cf. Figure 6). À ce titre, et alors que le profil des assistant.es sociaux.les ou des psychologues relève d’une professionnalité caractérisée par le type « social », animé par des valeurs de bienveillance et d’universalisme et à distance des valeurs de pouvoir et d’accomplissement, les métiers de type « entreprenant » tels que banquier, conseiller financier ou manager, se situent graphiquement sur des valeurs diamétralement opposées aux métiers du « social ».

74 Les professions répertoriées sous le type « social » – travailleurs sociaux, psychologues, enseignants et conseillers par exemple – cherchent à aider, développer, guider, guérir et prendre soin d’autres personnes (Knafo & Sagiv, 2004).

Note. Les lettres en gras indiquent le type d’environnement de travail prédominant pour chaque profession selon

la classification de Holland (Gottfredson, Holland, & Ogawa, 1982) (A = Artistique ; C = Conventionnel ; E = Entreprenant ; I = Investigateur ; R = Réaliste ; S = Social).

Figure 6. Représentation spatiale bidimensionnelle des similitudes et différences de profils de valeurs entre 32 professions (Knafo & Sagiv, 2004, p. 263).

Ces études illustrent simultanément que les étudiant.es et professionnel.les s’inscrivent dans un registre axiologique distinctif selon leur filière et métier et que, réciproquement, « l’agrégation des valeurs des individus au sein d’une profession reflète les valeurs dominantes de cette profession » (Knafo & Sagiv, 2004, p. 257). Porteuses de sens, les valeurs « orientent les préférences, les choix et les actes individuels dans tout ce qui touche les grands domaines de l’existence comme la famille […] [ou] le travail » (Bréchon & Tchernia, 2002, p. 6) de telle sorte que les individus aspirent naturellement à évoluer dans des environnements professionnels

compatibles avec leur système de valeurs. En mobilisant tout particulièrement cette dimension axiologique, les théories de l’adéquation personne-environnement (Chatman, 1989 ; Kristof-Brown, Zimmerman, & Johnson, 2005) supposent ainsi que « si un aspect du travail est hautement valorisé [– contribuer à améliorer la société, bénéficier d’un statut social prestigieux –], les individus recherchent un emploi qui appuie cette valeur » (Kroeger, 1995, p. 546). Face à cette quête perpétuelle de congruence et de sens, chacun s’attache expressément à choisir et exercer un métier, une activité de travail qui favorise et encourage l’atteinte et l’expression de valeurs jugées prioritaires (Katz, 1973). Dans une démarche empirique, et consécutivement à la caractérisation du système de valeurs de 67 étudiant.es, Judge et Bretz (1992) remarquent que les sujets dont la principale préoccupation est le souci d’autrui sont plus enclins que les autres à accepter un emploi dans une organisation qui met l’accent sur l’intérêt d’autrui, et que cette congruence de valeurs a « tendance à exercer plus d’influence sur le processus de prise de décision que les opportunités de rémunération et de promotion » (Judge & Bretz, 1992, p. 269). Aussi, si dans cette étude, les valeurs individuelles imprègnent et prédisent les choix professionnels des sujets en regard des valeurs explicitement prônées par les organisations présentées, les aspirations et orientations professionnelles se nourrissent également des images et représentations des secteurs et métiers (Huteau & Vouillot, 1989 ; Labbé & Gachassin, 2012 ; Brillet & Gavoille, 2016). Plus précisément encore, « le choix de métier d’un individu est […] en partie dépendant des représentations partagées et véhiculées par les groupes sociaux » (Gavoille, Lebègue, & Parnaudeau, 2014, p. 113), qui reposent et s’étayent intrinsèquement sur des types de valeurs. Par exemple, en considérant deux représentations socialement élaborées, à savoir « que le poste de chef de direction […] donne l’occasion de contrôler les personnes et ressources […] [et] qu’une assistante sociale se voit offrir la possibilité de se préoccuper et de s’occuper des autres » (Knafo & Sagiv, 2004, p. 256), la priorité accordée aux valeurs de pouvoir ou de bienveillance chez un individu présage alors de l’intérêt porté à l’une ou l’autre de ces professions. En outre, et plus encore qu’une fonction orientationnelle, les représentations sociales des métiers articulent des savoirs conceptuels et procéduraux, guident et affectent les pratiques professionnelles (Boulanger, Larose, & Couturier, 2010), jusqu’à porter les traces de ce qui constitue et définit un travail de qualité (Boutanquoi, 2008 ; Caublot & Blicharski, 2014). Dès lors, les représentations sociales se posent comme un concept central pour saisir, d’une part, les valeurs qui sous-tendent un métier tel que celui d’EJE, et éclairer, d’autre part, le sens que ces professionnel.les de la petite enfance attribuent à leur métier et à la PSU.

II. DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUX

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