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L’enquête par questionnaire en ligne : éléments de réflexions et justifications d’un mode de passation

Quelles articulations ?

2. L’enquête par questionnaire en ligne : éléments de réflexions et justifications d’un mode de passation

Outil à visées descriptive et explicative, l’enquête par questionnaire s’institue comme une procédure privilégiée de recueil de données en sciences humaines et sociales, voire « la plus répandue des méthodes de recherche utilisées […] [et] peut-être aussi celle qui a le plus d’impact » (Jones, Burnay, & Servais, 2000, p. 169) dès lors que l’instrument employé évite certains écueils. Si la méticuleuse rédaction des items « nécessite [en effet] une attitude réflexive, du bon sens et une interrogation systématique sur les effets de chaque option adoptée » (Parizot, 2012, p. 99) en ce qu’ils déterminent directement la qualité des réponses obtenues et des traitements ultérieurs, le choix du mode de diffusion de questionnaire constitue également une étape importante. Deux grandes méthodes de passation se distinguent communément « selon que le questionnaire est administré par un enquêteur ou que l’enquêté le remplit lui-même » (Parizot, 2012, p. 95), et portent chacune des limites respectives, en dépit des préconisations de praticiens et chercheurs ou de « l’application à la lettre des principes de l’orthodoxie méthodologique en termes de passation de questionnaire » (Caveng, 2012, p. 66) censés garantir la qualité de l’enquête. Car, en tout état de cause, « les conditions de collecte […] ne sont pas neutres quant à la qualité de l’information recueillie » (Régnier-Loilier, 2007, p. 28) : à titre d’exemple, le rapprochement de deux enquêtes sondant la consommation de drogues illicites chez les adolescents, menées alternativement par téléphone et par questionnaire auto-administré en milieu scolaire, révèle que « les prévalences déclarées au cours de l’année s’avèrent systématiquement plus faibles dans l’enquête téléphonique que dans l’enquête auto-administrée dans le milieu scolaire » (Beck & Peretti-Watel, 2001, p. 980). Le mode de collecte exerce un effet sur les déclarations des adolescents puisque, manifestement, « la consommation de cannabis […] s’avère[…] plus facilement avouable en cochant une case dans un questionnaire auto-administré anonyme qu’en répondant au téléphone » (Beck & Peretti-Watel, 2001, p. 974) et vient consécutivement altérer les résultats de la recherche. Ainsi, si le mode de passation tient une place cruciale dans le recueil des données et leur qualité intrinsèque, le recours à l’une ou l’autre des méthodes se doit avant tout d’être guidé par les objectifs et le thème de la recherche, les caractéristiques de la population étudiée et le type de données à recueillir. Ici, eu égard à la longueur du questionnaire – 100 items –, des instruments de mesure (cf. Section 4), et d’une population disséminée sur l’ensemble du territoire français, notre choix s’est porté sur le questionnaire auto-administré par Internet.

Véritable saut technologique tant dans le recueil que dans le traitement des données, « la recherche par Internet a atteint un niveau de maturité tel qu’elle peut être considérée comme un outil méthodologique essentiel de la sociologie »102 (Witte, 2009, p. 287) et, plus globalement, des sciences humaines et sociales. Qu’il s’agisse d’un questionnaire attaché ou d’un questionnaire sur un système web intégré, le mode de diffusion en ligne rencontre en effet un succès croissant notamment parce qu’il adjoint aux « possibilités de collecte et de traitement, la force d'un réseau capable de toucher potentiellement des centaines de millions de répondants dispersés géographiquement » (Galan & Vernette, 2000, p. 39). Outre l’avantage capital d’accéder aisément à des espaces regroupant des sujets directement concernés par l’objet de la recherche, l’enquête par Internet constitue un moyen moins onéreux pour la réalisation d’une étude quantitative que peuvent l’être le questionnaire en « face-à-face », exigeant l’intervention d’enquêteurs, ou que le questionnaire « papier » acheminé par voie postale, impliquant des coûts d’impression et d’affranchissement. De surcroît, à la rapidité de la collecte des données « liée à un accès facile au médium pour le répondant comme pour le chercheur » (Frippiat & Marquis, 2010, p. 312), vient s’ajouter la possibilité d’un suivi en temps réel de la participation à l’étude. En effet, à l’instar du logiciel choisi pour cette étude103, les logiciels dédiés à la création et l’administration des enquêtes en ligne détiennent généralement des informations telles que le temps exact accordé à chaque question par chaque sujet, témoin potentiel de la qualité des réponses, ou encore le « moment précis [où] un répondant abandonne […] [,ce qui] permet d’analyser l’impact de la complexité d’un questionnaire ou d’une question sur le taux de réponse » (Frippiat & Marquis, 2010, p. 313). Ainsi, le protocole en ligne comme méthode de collecte présente des atouts indéniables et supporte une diversité de mises en forme, types d’échelles et modalités de réponses, mais comprend néanmoins certaines limites, notamment lorsqu’il s’apparente simultanément à une procédure d’échantillonnage.

En l’absence de données exhaustives permettant de contacter l’ensemble de la population étudiée104, la réalisation d’une enquête par l’intermédiaire d’Internet impacte inévitablement la représentativité de l’échantillon recueilli en regard d’une part, de l’accessibilité au médium et de l’erreur de couverture, et, d’autre part, du phénomène

d’auto-102 « Web-based survey research has reached a level of maturity such that it can be considered an essential part of the sociological tool kit. »

103 Nous avons utilisé le logiciel de sondage, d’enquête et de questionnaire en ligne « Eval&GO », choisi notamment pour le large choix de questions qu’il propose, son interface ergonomique, sa présentation visuelle, et les fonctionnalités liées au suivi du recueil des données.

104 Cette procédure serait susceptible d’être appliquée avec une population étudiante par exemple, si tant est que les adresses mails de l’ensemble des étudiant.e.s soient accessibles via le secrétariat de l’université visée.

sélection inhérent à cette méthode. De fait, le nécessaire accès à un matériel informatique et à une connexion Internet105 pour participer à cette recherche tend à restreindre l’accessibilité de l’étude, et ce, d’autant plus que l’activité professionnelle quotidienne des EJE échappe pleinement à l’utilisation d’un ordinateur, abstraction faite des EJE exerçant des fonctions de direction. Subséquemment, la fracture numérique, expression de « l’hétérogénéité des pratiques informatiques selon les groupes d’individus caractérisés par différentes variables (sexe, âge, revenu, lieu d’habitation…) » (Frippiat & Marquis, 2010, p. 317), affecte directement la représentativité de l’échantillon dans la mesure où la possession d’une connexion privée et l’usage régulier d’Internet discriminent d’ores et déjà les sujets susceptibles ou non de faire partie de cet échantillon. Aussi, et selon l’INSEE106 (2017), si le taux d’équipement des ménages varie selon l’âge et le sexe, le taux d’utilisation fléchit davantage encore à l’aune de ces deux caractéristiques (cf. Tableau 9), preuves que le profil de l’internaute rassemble des spécificités démographiques qui, in fine, se répercutent sur la représentativité de l’échantillon.

Tableau 9

Taux d’équipement en connexion Internet des ménages et taux d’utilisation en 2017 selon l’âge et le sexe

Part des individus disposant d’Internet à leur

domicile (en %)

Part des individus s’étant connectés à Internet tous les

jours ou presque (en %)

Hommes 15 à 44 ans 95.2 83.1 45 à 59 ans 89.9 68.4 60 ans ou plus 68.7 40.2 Femmes 15 à 44 ans 95.5 82.9 45 à 59 ans 91.6 68.9 60 ans ou plus 63.7 34

Champ : Ensemble des individus de 15 ans ou plus vivant en France dans un ménage ordinaire. Source : Insee, enquêtes Technologies de l'information et de la communication 2009 à 2017.

105 Selon le baromètre du numérique 2017, 81% des français possèdent un ordinateur et 55% l’utilisent tous les jours.

Au-delà de ces considérations démographiques et de l’absence de couverture d’une partie de la population, en raison du mode de passation retenu, la procédure d’échantillonnage (cf. Section 3.1) en tant que telle se détourne également d’un certain nombre d’EJE en ce qu’elle prive les individus non familiers des groupes et réseaux professionnels en ligne de la possibilité d’être exposés au message d’invitation à participer à la recherche. De plus, et outre les EJE n’ayant pas eu connaissance de l’enquête, la participation suppose une démarche active et volontaire de la part du répondant, provoquant ainsi une sélection naturelle des sujets ou, autrement dit, un biais d’auto-sélection « logiquement influencé par l’intérêt que l’on porte à l’enquête » (Frippiat & Marquis, 2010, p. 320). En effet, « puisque le chercheur ne sélectionne pas les individus de manière probabiliste, ce sont les individus eux-mêmes qui décident de s’inclure ou non dans l’échantillon » (Frippiat & Marquis, 2010, p. 317) si bien que notre échantillon final risque de réunir principalement des EJE présentant une sensibilité ou un intérêt particulier vis-à-vis de leur métier et de son devenir, potentiellement atypiques et non représentatifs de l’ensemble de cette population professionnelle. En somme, et face à ces biais de couverture et d’auto-sélection, il convient donc de se garder de « penser que les usagers d’internet sont représentatifs de ceux qui ne l’utilisent pas ; [et de] supposer que ceux ayant répondu par Internet représentent correctement ceux qui n’ont pas répondu par Internet (mais auraient pu le faire) » (Frippiat & Marquis, 2010, p. 320).

Ainsi, et malgré ces limites, relevant davantage de la procédure d’échantillonnage et de la délicate question de la représentativité (cf. Section 3), la méthodologie d’enquête par Internet offre des potentialités intéressantes qui répondent tout particulièrement ici aux contraintes du questionnaire et de la population visée.

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