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1.4 …Au modèle des valeurs universelles de Schwartz (1992)

II. DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUX REPRÉSENTATIONS PROFESSIONNELLES

2.2 Fonctions des Représentations Sociales

Plus qu’un simple « système symbolique organisé et structuré » (Abric, 1987, p. 64) ou qu’une « forme de connaissance, socialement élaborée et partagée » (Jodelet, 1991b, p. 36), la représentation sociale est un processus dynamique et complexe, construit à travers les interactions sociales quotidiennes et régi par quatre fonctions caractéristiques.

2.2.1 Fonction de savoir

Tout d’abord, en ce qu’elle permet d’expliquer et de comprendre le monde et la réalité, de structurer l’environnement physique et social par « le processus d’une activité d’appropriation de la réalité extérieure à la pensée et d’élaboration psychologique et sociale de cette réalité » (Jodelet, 1991b, p. 37), la représentation sociale implique, par essence, une fonction de savoir. S’il convient de la situer en dehors du savoir scientifique et de la considérer davantage comme un savoir naïf, la représentation sociale s’impose néanmoins comme une grille de lecture pertinente pour les groupes sociaux, qui, à travers elle, comprennent et interprètent le réel « en cohérence avec leur fonctionnement cognitif et les valeurs auxquelles ils adhérent » (Abric, 1994a, p. 16). Présentée comme un travail de « sociologie de la connaissance » (Lagache, 1976, p. 9), la recherche fondatrice de Moscovici sur la psychanalyse (1961) témoigne parfaitement de l’appropriation d’une nouvelle théorie scientifique par le sens commun, décrivant « quelles définitions le public donne de la psychanalyse, quel but il lui assigne, quelles images il se fait des groupes qui y ont recours et de celui qui la pratique » (Moscovici, 1976, p. 170). Aussi, cette fonction de savoir, résulte de la manière dont l’individu symbolise l'objet représentationnel, l’interprète et lui confère un sens, et, plus largement,

configure le réel pour le penser, mais également le communiquer. En effet, si par les représentations collectives, « les hommes se comprennent, les intelligences se pénètrent les unes les autres » (Durkheim, 1912, p. 623), et se supportent conséquemment d’une propriété communicationnelle, les représentations sociales assurent pleinement cette fonction de « communication entre les membres d’une communauté en leur proposant un code pour nommer et classer de manière univoque les parties de leur monde, de leur histoire individuelle ou collective » (Moscovici, 1961, p. 11). Ainsi, les représentations sociales présentent une fonction de savoir en fixant un « cadre de référence commun qui permet l’échange social, la transmission et la diffusion de ce savoir ‘naïf’ » (Abric, 1994a, p. 16) et laissent simultanément transparaitre la dimension identitaire du groupe à travers la manière dont il investit l’objet représentationnel.

2.2.2 Fonction identitaire

L’enracinement et l’appropriation des représentations sociales dans la vie des groupes contribuent tant à la compréhension fonctionnelle du monde qu’à traduire « l’appartenance et la participation sociales ou culturelles du sujet » (Jodelet, 1991b, p. 43), laissant poindre, au-delà d’une fonction de savoir, l’existence d’une fonction identitaire inhérente à la nature même des représentations sociales. Cette trace de logiques constructive et compréhensive différenciatrices des groupes sociaux se perçoit dès l’émergence des premières réflexions durkheimiennes autour des représentations collectives, entendues par l’auteur comme de véritables traductions « de la façon dont le groupe se pense dans ses rapports avec les objets qui l’affectent » (Durkheim, 2009, p. 48). De même, forme cognitive et expressive des sujets qui les construisent, les représentations sociales concourent à « reconstruire la réalité sociale sous une forme compatible avec ses valeurs et ses intérêts » (Moliner, 2001, p. 34), à l’élaboration et la transmission d’un langage commun, et plus largement, au partage d’« une vision consensuelle de la réalité » (Jodelet, 1991b, p. 35). Ainsi, si le sens attribué à un même objet représentationnel varie et se spécifie d’un groupe à l’autre, ce sens confère aux individus une singularité, une particularité qui signe et marque leur appartenance groupale. À titre d’exemple, les travaux de Bellelli (1987) sur la représentation de la maladie mentale, menés notamment au sein de quatre groupes d’étudiants en médecine, sciences, psychologie et soins infirmiers, soulignent « que les étudiants en psychologie privilégient une conception ‘relationnelle’ de la maladie mentale, s’opposant ainsi aux autres étudiants qui adhèrent davantage à une conception ‘médicale’ » (Deschamps & Moliner, 2008, p. 132). Ce faisant, « chacun privilégie la représentation la plus congruente avec ses attentes professionnelles […] [,] développe une

représentation qui justifie la nécessité de sa future pratique professionnelle et disqualifie des pratiques différentes » (Deschamps & Moliner, 2008, p. 133), dans le dessein d’affirmer son identité sociale, de justifier son existence professionnelle, et de « sauvegarder une image positive de son groupe d’appartenance » (Abric, 1994a, p. 16). Par ce rôle de maintien et d’expression de la spécificité du groupe, les représentations sociales concourent donc à « l’élaboration d’une identité sociale et personnelle gratifiante, c’est-à-dire compatible avec des systèmes de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminés » (Mugny & Carugati, 1985, p. 183), et affectent corollairement les pratiques sociales et comportements des individus et des groupes.

2.2.3 Fonction d’orientation

En effet, si les représentations sociales s’organisent et s’ancrent dans un système de valeurs et de croyances, symbole de l’idéologie du groupe et tendent simultanément à exprimer et renforcer son identité sociale, elles se posent également comme vecteurs essentiels des

conduites, interactions, des comportements et des pratiques des individus. « Système[s] de précodage de la réalité » (Abric, 1994a, p. 16), les représentations sociales définissent le réel, médiatisent notre relation au monde et s’instituent in fine comme de véritables dogmes du quotidien, qui, réciproquement, produisent « un système d'anticipations et d'attentes » (Abric, 1994a, p. 17) puisque l’individu « aborde et évolue dans les situations qui lui sont proposées avec tout un ensemble d’a priori, de système de pensées préétablis, [et] de schèmes interprétatifs » (Abric, 1991, p. 189). Aussi, dans une recherche expérimentale initiée sous forme de jeu, Flament (1987) perçoit la convocation et le recours à deux représentations distinctes de cette situation analogue - une représentation sociale centrée sur le gain, l’affrontement et la victoire, apanage des sujets de culture anglo-saxonne, et une représentation structurée autour du plaisir de la rencontre et des interactions chez des sujets de culture latine - interférant simultanément et directement dans la définition de la finalité de la situation. Corrélativement, la représentation sociale de la situation inspire « a priori le type de relations pertinentes pour le sujet » (Abric, 1994a, p. 17), de même que la représentation de la nature d’une tâche à effectuer instigue le type de démarche cognitive, la structure du groupe et la communication à adopter (Abric, 1971), pointant doublement que « les comportements des sujets ou des groupes ne sont pas déterminés par les caractéristiques objectives de la situation mais par la représentation de cette situation » (Abric, 1991, p. 189). À l’avenant, dans un effort de cohérence et de comptabilité avec sa représentation initiale, l’individu filtre, sélectionne et

interprète les informations dans un sens qui se réclame conforme à celle-ci, de sorte qu’au cours d’une situation conflictuelle par exemple, « le même comportement effectif d’un partenaire [peut] être interprété de façon radicalement différente (coopératif ou compétitif) selon la nature de la représentation élaborée par le sujet » (Abric, 1994a, p. 17). Par ailleurs, parce qu’elle « définit ce qui est licite, tolérable ou inacceptable dans un contexte social donné » (Abric, 1994a, p. 17), parce qu’elle suscite des obligations, des prohibitions ou des permissions, la représentation sociale s’inscrit dans une logique déontique, prescriptive de comportements ou de pratiques obligés, et corrobore à nouveau l’existence d’une subordination des représentations vis-à-vis des pratiques. Enfin, alors que le système social et idéologique des individus et des groupes concoure « à la création d’un système ‘représentations-valeurs’ ayant sa propre logique, et dans tous les cas, cohérent avec les pratiques développées par ailleurs » (Mardellat, 1994, p. 172-173), les représentations sociales interviennent également et finalement en aval de l’action, et s’interposent comme instances de justifications des conduites.

2.2.4 Fonction justificatrice

La représentation sociale précède et détermine le déroulement d’une interaction ou d’action, et poursuit, postérieurement, une fonction orientée vers la justification des prises

de positions et comportements des individus et des groupes. Si d’une manière générale, elle

permet donc « aux acteurs d’expliquer et de justifier leurs conduites dans une situation » (Abric, 1994a, p. 17-18) ou encore de légitimer ses actes et prises de positions à l’égard d’un autre groupe, dans le cadre spécifique des relations intergroupes asymétriques, elle peut constituer un véritable outil cognitif venant « soutenir et renforcer, sur le plan symbolique, la conduite de discrimination à l'égard de l'autre groupe » (Herzlich, 1972, p. 322). Ce corollaire, perceptible au niveau macrosocial dans le cas de ségrégation raciale aux Etats-Unis par exemple (Doise, 1973), émerge également dans des situations de compétition où « vont être progressivement élaborées des représentations du groupe adverse, visant à lui attribuer des caractéristiques justifiant un comportement hostile à son égard » (Abric, 1994a, p. 18). Ainsi, et alors que « la représentation faite de l'autre sert à justifier l'action qu'on entreprend à son égard » (Palmonari & Doise, 1986, p. 24), elle vient, par ailleurs, maintenir et renforcer l’affiliation du sujet à son propre groupe.

Double mouvement d’intériorisation de l’extériorité et d’extériorisation de l’intériorité, les représentations sociales jouent un rôle capital dans la compréhension du monde, les

interactions et pratiques des individus et des groupes. Aussi, et comme évoqué précédemment, si la manière d’investir et d’organiser un objet représentationnel diffère d’un groupe à l’autre en cohérence avec le système idéologique et social du sujet, il semble alors opportun de s’intéresser davantage à la structure de la représentation d’un objet afin d’appréhender non seulement sa signification mais d’entrevoir également les déterminants des attitudes, comportements et pratiques sociales qui lui sont associés.

2.3 Saisir le sens d’un objet par l’approche structurale des représentations

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