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1.4 …Au modèle des valeurs universelles de Schwartz (1992)

II. DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUX REPRÉSENTATIONS PROFESSIONNELLES

2.4 Pratiques, contradictions et transformations des représentations

En s’attachant davantage à l’étude et à la description de l’organisation interne des représentations sociales, la théorie du Noyau Central (Abric, 1976) les dépeint comme des structures sociocognitives hiérarchisées régulées par deux sous-systèmes en interaction : un système central, permanent et résistant aux changements, et un système périphérique qui, bien que nourri des variations individuelles et situationnelles, exerce un rôle défensif des éléments centraux garants de la cohérence et du sens de la représentation. Dans cette perspective paradigmatique, Flament (1994) éprouve la dynamique représentationnelle à travers la nature et le fonctionnement des éléments périphériques qu’il conçoit comme des schèmes, à savoir des séquences d’informations à visées descriptive et prescriptive de comportements, qui non seulement « assurent le fonctionnement quasi instantané de la représentation comme grille de décryptage d’une situation », mais indiquent également « de façon parfois très spécifique, ce qui est normal (et par contraste, ce qui ne l’est pas), et donc, ce qu’il faut faire comprendre, mémoriser… » (Flament, 1991, p. 209). Respectivement et conformément aux fonctions d’adaptation et de défense, les schèmes périphériques sont « conditionnels » en ce sens où « ce qui est prescrit ou décrit par le schème varie en fonction des conditions dans lesquelles le sujet se trouve » (Moliner, 1992, p. 325), et assurent parallèlement l’organisation et « la stabilité (relative) de la représentation » (Flament, 1991, p. 209) en absorbant les éléments contradictoires. En d’autres termes, alors que les cognitions centrales s’envisagent comme des prescriptions absolues qui légitiment les pratiques relatives à l’objet représentationnel indépendamment des variations individuelles et contextuelles, les cognitions périphériques s’instituent davantage comme des prescriptions conditionnelles « qui renvoient aux conduites qu’il est fréquent ou souhaitable de mettre en œuvre dans une situation donnée […] compte tenu de sa spécificité, ce qui autorise de possibles transgressions pour autant que la situation le justifie » (Souchet & Tafani, 2004, p. 81). Ainsi, et au-delà du caractère inertiel du noyau central, la « stabilité relative » des représentations sociales sous-entend l’existence de processus d’évolutions et de transformations dont la compréhension et l’analyse se situent en premier lieu au niveau des schèmes périphériques.

Si selon Flament (1987 ; 1991) la transformation d'une représentation sociale s'amorce d'abord par la modification des éléments périphériques, ce mécanisme s’observe plus particulièrement lorsque « certaines circonstances, indépendantes d’une représentation, […] amène[t] une population à avoir des pratiques en désaccord, plus ou moins violent, avec la représentation » (Flament, 1991, p. 211). En effet, alors que de manière générale « les pratiques

développées par les sujets ne peuvent […] être indépendantes des normes et des valeurs auxquelles ils se réfèrent » (Abric, 1991, p. 220) et suppose donc une compatibilité entre pratiques et représentations, il arrive que de nouvelles pratiques contiennent une voire plusieurs contradictions avec la représentation existante et l’engagent subséquemment dans un processus de transformation. À l’avenant, selon que ces pratiques sont perçues comme réversibles, à savoir que « les sujets pensent que la transformation à laquelle ils assistent et qui met en cause leur représentation n’est pas définitive » (Abric, 2001, p. 91), ou qu’elles présentent à l’inverse un caractère d’irréversibilité et impliquent la mise en cause du système central, le processus de transformation de la représentation s’appréhende de manières radicalement différentes. En effet, alors que « la réversibilité perçue […] interdira tout changement au niveau du noyau central » (Flament, 1994, p. 52) et circonscrit strictement l’évolution au système périphérique, l’irréversibilité perçue de la situation constitue une condition sine qua non à la transformation structurale de la représentation.

Dans un premier cas de figure, si l’irréversibilité relève davantage de pratiques conformes à des prescriptions initialement conditionnelles et non fondamentalement opposées aux éléments centraux de la représentation, « les schèmes activés par les pratiques nouvelles vont progressivement s’intégrer à ceux du noyau central et fusionner avec eux pour constituer un nouveau noyau, donc une nouvelle représentation » (Abric, 1994b, p. 83). Cette première dynamique représentationnelle témoigne d’une transformation dite « progressive » de la représentation, qui s’opère sans rupture du noyau central et s’observe notamment lorsque certains événements ou circonstances rendent fréquentes des pratiques auparavant rares. À ce titre, analysant la représentation sociale de la chasse et observant, chez les chasseurs, l’émergence progressive de pratiques écologiques ayant pour objectif de garantir des conditions maximales d’implantation et de prospérité du gibier, Guimelli (1989) démontre que si « les schèmes écologiques semblent avoir toujours été présents dans le champ représentationnel […] [,] les pratiques nouvelles sont venues activer les schèmes écologiques, en ont augmenté l’importance et, de ce fait, ont contribué à modifier la structure de la représentation » (Guimelli, 1989, p. 135-136).

En revanche, si le caractère irréversible de la situation se conjugue à la contradiction de prescriptions absolues, une modification profonde du champ représentationnel s’opère et s’observe sous la forme soit d’une transformation « résistante », soit d’une transformation « brutale ». Deuxième dynamique, la transformation résistante se caractérise par l’émergence de schèmes étranges dans le système périphérique, qui, tels des mécanismes de défense du

système central de la représentation, adoptent un rôle adaptatif et supportent les incohérences pour un temps par la formulation de rationalisations. Véritables constructions cognitives, les schèmes étranges fournissent ainsi de « bonnes raisons » de s’accommoder des nouvelles pratiques et comprennent « quatre composantes étroitement imbriquées : (1) le rappel du normal, (2) la désignation de l’élément étranger, (3) l’affirmation d’une contradiction entre ces deux termes [et enfin] (4) la proposition d’une rationalisation permettant de supporter (pour un temps) la contradiction » (Flament, 1991, p. 212). À titre d’exemple, et envisageant la sédentarisation des Gitans comme un événement suscitant l’introduction de pratiques nouvelles plus ou moins contradictoires avec les pratiques sociales traditionnelles, Mamontoff (1996) repère, dans les discours des Gitans, un schème étrange sur la solidarité prenant la forme suivante : (1) normalement, le Gitan est solidaire, (2) mais, maintenant il arrive qu’il ne le soit pas, (3) on a toujours été solidaires, c’est dans la nature du Gitan, mais maintenant le Gitan ne l’est pas toujours, (4) la sédentarisation oblige à une vie dans des logements individuels et amène le contact avec les blancs. Néanmoins, si ces mécanismes cognitifs de rationalisations permettent de contenir les contradictions au niveau du système périphérique et de maintenir parallèlement la structure de la représentation, la récurrence et/ou l’accumulation de pratiques contradictoires provoquent inévitablement « la multiplication des schèmes étranges [et] ne peut qu’aboutir [,] à terme [,] à la transformation du noyau central […] [et] de la représentation dans son ensemble » (Abric, 1994b, p. 83).

Enfin, et à l’instar de la transformation résistante, la transformation dite « brutale » s’active au regard d’une incohérence entre éléments centraux de la représentation et nouvelles pratiques, mais se double d’une incapacité à rationaliser la pratique contre-représentationnelle. Ainsi, et « lorsque les nouvelles pratiques mettent en cause directement la signification centrale de la représentation, sans recours possible aux mécanismes défensifs mis en œuvre dans le système périphérique » (Abric, 1994b, p. 83) en raison de l’importance de ces pratiques, de leur permanence et de leur caractère irréversible, le noyau central est directement modifié et fracturé, impliquant, par là-même, la transformation de la représentation dans son ensemble.

Alors que la fonction d’orientation (cf. 3.2.2.3) témoignait d’ores et déjà de l’existence d’une subordination des représentations vis-à-vis des pratiques, ce lien de causalité se pose désormais dans une bilatéralité en ce sens où certes, « les représentations guident et déterminent les pratiques […] [mais] ces dernières agissent en créant ou en transformant des représentations » (Abric, 1996, p. 12). En effet, faces aux variations et aux évolutions de

l’environnement social dans lequel les individus évoluent et consécutivement, à l’adoption de nouvelles pratiques présentant des tensions voire des contradictions avec les structures représentationnelles préexistantes, les représentations sociales s’engagent dans un processus de transformation résistante et / puis brutale modifiant directement et profondément leur système central. Aussi, en se plaçant dans un cadre professionnel et au regard de l’évolution conjoncturelle des métiers du care, les attentes institutionnelles, prescriptives de pratiques et de comportements, peuvent, ici aussi, venir impacter le lieu de cohérence et de sens des représentations sociales. Plus encore, l’apparition de schèmes étranges liés à l’émergence de préoccupations gestionnaires et aux pratiques qui y sont associées pourraient alors s’instituer comme les prémisses de conflits éthiques chez les professionnels du care. Ainsi, et dans cette perspective, l’étude des représentations dites « professionnelles » fournit un cadre théorique spécifique et particulièrement adapté à la compréhension et l’analyse des évolutions contextuelles du care et des changements de pratiques professionnelles.

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