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Explorations des (in)congruences entre représentations

du « métier d’éducateur.rice de jeunes enfants »

et de la « prestation de service unique »

« L’action proprement politique est possible parce que les agents, qui font partie du monde social, ont une connaissance […] de ce monde et que l’on peut agir sur le monde social en agissant sur leur connaissance de ce monde. Cette action vise à produire et à imposer des représentations […] du monde social qui soient capables d’agir sur ce monde en agissant sur la représentation que s’en font les agents. » Bourdieu, 1981, p. 69

1. Les politiques publiques ou le façonnage des représentations

n posant comme principe que « les politiques publiques constituent le lieu où les sociétés définissent leur rapport au monde et à elles-mêmes » (Muller, 2011, p. 31) et se matérialisent plus concrètement à travers un ensemble de mesures, réformes et prescriptions, analyser le contenu de ces dernières consiste nécessairement à pénétrer le mode de raisonnement, les préoccupations et plus largement l’idéologie qui orientent les autorités publiques dans leurs choix d’actions. Car si de manière générale, une politique publique désigne les « interventions d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou du territoire » (Thoenig, 2010, p. 420), elle s’élabore, se construit et s’exerce en s’appuyant sur un « référentiel », à savoir un système de représentation de la société et des différents secteurs qui la composent. La notion de référentiel sous-tend que toute politique publique se constitue en réponse à une problématique ou dysfonctionnement social, et qu’elle « est porteuse à la fois d’une idée du problème (le problème agricole, le problème de l’exclusion…), d’une représentation du groupe social ou du secteur concerné qu’elle contribue à faire exister (les agriculteurs modernisés, les exclus…) et d’une théorie du changement social » (Muller et al., 1996, p. 101). Espace de sens,

E

véritable « processus de modélisation de la réalité sociale » (Jobert, 1992, p. 220), le référentiel s’appréhende et s’articule autour de trois dimensions ; (1) une dimension cognitive, qui fournit les éléments d'interprétation causale des problèmes ou dysfonctionnements à résoudre, (2) une dimension normative, qui assoie les valeurs à respecter pour le traitement de ces problèmes et (3) une dimension instrumentale, intrinsèquement liées aux deux dimensions précédentes, garante des principes qui orientent l'action selon ces savoirs et valeurs (Jobert, 1992). Dès lors, en tant que politique publique développée par l’État et plus précisément par la CNAF, la PSU matérialise le référentiel sectoriel de la petite enfance et combine donc des dimensions cognitive, normative et instrumentale, qui guident et prescrivent l’action des professionnel.les. Au regard de ses dimensions constitutives, la notion de référentiel rencontre plusieurs caractéristiques d’une représentation sociale (Mériaux, 1995), véhiculant un certain nombre de normes, de valeurs, de croyances et de techniques (Jobert, 1992 ; Muller, 2011), et, plus largement, marquant l’image, la place et le rôle du secteur concerné dans la société. De même que « les propositions que l’on pourra faire en matière de politique de la santé dépendront de la représentation que l’on se fait du statut de la maladie dans la société moderne et du statut des personnels chargés de mettre en œuvre les systèmes de soin » (Muller, 2001, p. 57), la PSU s’institue comme un cadre normatif qui révèle et caractérise la représentation du secteur de la petite enfance désormais portée par la CNAF et les pouvoirs publics. Ainsi, « le référentiel d’une politique […] [étant] constitué d’un ensemble de prescriptions qui donnent du sens à un programme politique » (Muller, 2011, p. 58), c’est donc dans une perspective herméneutique de compréhension et d’interprétation de ce référentiel sectoriel que s’est inscrite l’analyse de contenu de la circulaire de la CNAF réalisée en étude préliminaire. Les méthodologies lexicométriques utilisées dans cette recherche ont contribué à objectiver les préoccupations, enjeux et objectifs explicites et implicites de la PSU, incarnation prescriptive de la politique actuelle de l’accueil du jeune enfant. La lecture et l’analyse des mondes lexicaux de cette réforme témoigne que si la PSU se veut investie d’une logique sociale en affichant explicitement un objectif d’amélioration des services rendus par les établissements d’accueil du jeune enfant, elle confronte néanmoins ces structures à un environnement de contrainte gestionnaire supporté par des impératifs d’efficacité et de rentabilité. Guidés par une intention d’objectivation similaire, et ayant recours aux mêmes procédés méthodologiques, ces premiers résultats rappellent l’analyse du mouvement discursif opéré au sein des conventions médicales nationales entre 1971 et 2005, dont l’étude statistique de la distribution du vocabulaire (Abecassis & Domin, 2009) a démontré le passage « d’un langage principalement axé sur

l’efficacité de l’organisation administrative du système de santé […] vers une représentation comptable et un effort avant tout centré sur la maîtrise des dépenses » (Batifoulier, Bessis, & Biencourt, 2011, p. 90). Mais plus qu’un simple déplacement sémantique, signe de l’immixtion d’une normativité marchande dans les pratiques professionnelles et valeurs de la médecine libérale (Abecassis & Domin, 2011 ; Batifoulier & Gadreau, 2006), ce glissement traduit plus largement la métamorphose du référentiel qui, conséquemment, se répercute et reconfigure les discours et représentations des acteurs (Abecassis & Domin, 2011). En d’autres termes, et alors que « la politique économique de santé modifie les comportements du corps médical, […] au-delà des comportements, les représentations et les discours […] [se voient, eux aussi], remodelés par ‘l’univers marchand’ sur lequel s’appuient ces politiques » (Abecassis & Domin, 2011, p. 28). In fine, cette double transformation des représentations et des comportements, en ce qu’elle sous-tend que les changements de comportements des acteurs sont conditionnés et tributaires des transformations des représentations sociales du rôle, de la place et du fonctionnement d’un secteur particulier dans la société, aboutit à une redéfinition de l’identité collective des acteurs de ce secteur (Nahrath, 2010).

Ainsi, si l’évolution du référentiel sectoriel de la petite enfance se perçoit et s’objective au travers des spécificités lexicales du discours de la PSU et impacte directement les pratiques, cette politique publique tendrait également à reconfigurer l’univers représentationnel des professionnel.les concerné.es par ces changements. Une telle hypothèse repose sur l’approche cognitive des politiques publiques qui défend l’idée qu’« une politique publique opère comme un vaste processus d’interprétation du monde, au cours duquel, peu à peu, une vision du monde va s’imposer, être acceptée, puis reconnue comme ‘vraie’ par la majorité des acteurs du secteur, parce qu’elle permet aux acteurs de comprendre les transformations de leur environnement, en leur offrant un ensemble de relations et d’interprétations causales qui leur permet de décoder, de décrypter les événements auxquels ils sont confrontés » (Muller & Surel, 1998, p. 53 ). Mais aussi séduisante soit-elle, cette conception préjuge qu’une politique publique rencontre et s’accorde harmonieusement avec les représentations et pratiques des individus, leur fournit des outils d’analyse et de compréhension de leur environnement, ce qui, incontestablement, conduit à éluder la possibilité d’intérêts contraires ou incongruents entre politique publique et acteurs du secteur concerné. De fait, et avant même de questionner l’influence de la PSU sur les représentations des professionnel.les, et plus spécifiquement des éducateur.rices de jeunes enfants, recueillir simultanément les représentations professionnelles des EJE quant à leur

propre métier et la PSU contribuerait, dès lors, à faire émerger les congruences et incongruences entre une logique de sens du métier et le référentiel porté par la CNAF.

2. De la notion de référentiel au concept de représentation professionnelle :

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