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1.4 …Au modèle des valeurs universelles de Schwartz (1992)

II. DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUX REPRÉSENTATIONS PROFESSIONNELLES

2.1 Des représentations collectives aux représentations sociales

Plus de cinquante ans après la théorisation princeps de Moscovici (1961), le développement de la notion de représentation sociale est tel que « la pluralité d’approches de la notion et la pluralité des significations qu’elle véhicule en font un instrument de travail difficile à manipuler » (Doise, 1985, p. 245). Si elle constitue un univers d’opinions à propos d’objets représentationnels aussi divers et variés que la psychanalyse (Moscovici, 1961), le SIDA (Markova & Wilkie, 1987), le travail (Salmaso & Pombeni, 1986), la santé et la maladie (Herzlich, 1969) ou encore la chasse et la nature (Guimelli, 1989), la représentation sociale ne saurait cependant se restreindre à un simple agencement cognitif de connaissances sur l’objet. En effet, « forme de connaissance courante, dite de ‘sens commun’ » (Jodelet, 1991a, p. 668) dans son acception la plus générale, tantôt opinion, image, croyance, stéréotype ou encore attitude organisés autour d’une signification centrale, la manière d’aborder le phénomène de représentation sociale et sa définition même diffèrent selon l’orientation et l’articulation théoriques retenues.

Dans son approche fondatrice, Moscovici l’envisage « comme un ensemble ordonné d’assertions évaluatives portant sur des points spécifiques » (Moscovici, 1961, p. 283) sous-tendu par trois dimensions : l’information, à savoir la somme et le contenu des connaissances sur l’objet représentationnel ; le champ de représentation, qui « désigne l’organisation et la hiérarchisation de l’information contenue dans la représentation » (Moliner & Guimelli, 2015, p. 24) ; et l’attitude qui « finit par dégager l’orientation globale de la représentation » (Moscovici, 1961, p. 287), expression d’un positionnement positif ou négatif du groupe envers l’objet. Par cette structure tridimensionnelle, Moscovici révèle le contenu et le sens des représentations sociales, réelles entités sociales et complexes qui ne se résument ni à « des ‘opinions sur’ des ‘images de’ ou des attitudes ‘envers’ mais des ‘théories’, des ‘sciences’ sui generis, destinées à la découverte du réel et à son ordination » (Moscovici, 1969, p. 10). À cet effet, son étude « La psychanalyse, son image et son public » inscrit et instruit la notion de

représentation sociale dans une perspective dynamique et processuelle, permettant de saisir dans son ensemble « comment une nouvelle théorie scientifique ou politique est diffusée dans une culture donnée, comment elle est transformée au cours de ce processus et comment elle change à son tour la vision que les gens ont d'eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent » (Farr, 1984, p. 387). À travers ces propos se perçoit l’une des conditions sine qua non à la création d’une représentation sociale, en ce sens où « qualifier une représentation de sociale revient à opter pour l’hypothèse qu’elle est produite, engendrée, collectivement » (Moscovici, 1976, p. 74). Quel que soit l’objet, le processus représentationnel émerge et se dessine en situation d’interactions sociales entre individus porteurs d’idées, de valeurs, de normes et de modèles issus de leur groupe d’appartenance et/ou d’idéologies véhiculées par la société, témoignant ici même de la nécessité d’appréhender la genèse, la structure et l’évolution de ce phénomène à l’aune du fonctionnement du système social, des groupes et des interactions en présence. Car, aux confins de l’individuel et du collectif, les représentations sociales expriment certes, le sens qu’un individu attribue à un objet, mais son identité sociale, son genre, sa position sociale et plus largement « son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l’environne » (Abric, 1994a, p. 12) viennent directement affecter les contenus représentationnels et leur organisation. À titre d’exemple, Moscovici (1976) établit l’existence de « deux sous-groupes ayant une représentation distincte de la psychanalyse » (Moscovici, 1976, p.73) au sein de l’échantillon « professions libérales », reflet d’un clivage idéologique et politique entre intellectuels de « gauche » et intellectuels de « centre-droite » et de la disparité des positions face à un objet socialement significatif. Éminemment diacritiques, les représentations sociales d’un même objet « s’étayent sur des valeurs variables selon les groupes sociaux » (Jodelet, 1991b, p. 35), diffèrent et se singularisent selon la position du groupe dans la société et son univers normatif, pour révéler, in fine, la construction et la constitution « d’une vision consensuelle de la réalité » (Jodelet, 1991b, p. 35) propre à chacun des groupes. Par ailleurs, et si le processus dynamique de création d’une représentation sociale se supporte naturellement de l’existence d’un groupe social, c’est non seulement à travers « des échanges réguliers entre des individus partageant des préoccupations et des pratiques semblables vis-à-vis d’un objet social donné » (Moliner, 1996, p. 37) que la représentation sociale s’élabore, mais qu’elle se transforme. Empreinte cognitive d’un système doublement contextualisé, la signification de la représentation se voit en effet déterminée et modulée tant par le contexte social que par le contexte discursif, émanant des « rapports concrets qui se déroulent le temps d’une interaction » (Abric, 1994a, p.15). Ainsi, et tandis que Durkheim

(1898) envisageait la représentation collective comme une entité invariante saisissable dans la conscience collective, la représentation sociale, quant à elle, « n’est pas un objet stable ou un système clos, mais une configuration absorbante, essentiellement dynamique capable d’intégrer des informations nouvelles en les reliant de manière spécifique à des informations mémorisées [...] [et] joue ainsi le rôle d’un appareil adaptatif, gestionnaire de sens » (Rouquette, 1994, p. 173-174). Dès 1961 et sa conceptualisation originelle, Moscovici examine « la transformation de la psychanalyse [...] en système composite d’opinions et d’interprétation du réel » (Kalampalikis, 2013, p. 8) et éprouve alors la question de l’élaboration et du fonctionnement d’une représentation sociale à travers la théorisation de deux phases majeures ; l’objectivation et l’ancrage. En tant que processus de construction symbolique de la réalité, la représentation, « par une mise en images des notions abstraites, donne une texture matérielle aux idées, fait correspondre des choses aux mots, donne corps à des schémas conceptuels » (Jodelet, 1984, p. 367), et se supporte ainsi d’une phase d’objectivation. Aussi, et dans une logique d’économie cognitive, l’objectivation consiste précisément à rendre l’abstrait concret et le polysémique monosémique en sélectionnant les informations sur l’objet représentationnel selon des critères culturels et normatifs pour le simplifier, l’imager et le schématiser. De cette schématisation se dégage alors un noyau figuratif, « structure imageante qui va reproduire de manière visible une structure conceptuelle » (Jodelet, 1984, p. 374) en objectivant des notions abstraites ou non familières et garantit ainsi la compréhension de l’objet représentationnel. En d’autres termes, le noyau figuratif agence un condensé d’informations tout en omettant des aspects plus conflictuels de l’objet pour matérialiser une entité abstraite en une élaboration saisissable, imagée et cohérente, et agit tel un filtre cognitif qui oriente les perceptions, jugements et conduites des individus. En secondant cette « opération imageante et structurante » (Jodelet, 1984, p. 367), l’ancrage vise à enraciner harmonieusement l’objet représentationnel dans un ensemble de connaissances préexistantes, le situer au regard du système de valeurs et de pensée des individus et des groupes, et marque subséquemment l’interprétation et l’appropriation de la représentation par le groupe social. Ainsi, si l’ancrage intègre « un objet nouveau dans un cadre de références bien connu pour pouvoir l’interpréter » (Palmonari & Doise, 1986, p. 22) et assure simultanément la pérennisation du système de valeurs des individus et des groupes, la signification des représentations sociales se doit d’être appréhendée et analysée comme nécessairement « imbriquée ou ancrée dans des significations plus générales intervenant dans les rapports symboliques propres à un champ social donné » (Doise, 1992, p. 190).

Au regard de la construction et de la cristallisation d’un « modèle figuratif » (Moscovici, 1976, p. 122) par le processus d’objectivation, puis de « son insertion organique dans une pensée constituée » (Jodelet, 1984, p. 371) par le processus d’ancrage, se perçoivent d’ores et déjà la visée pratique d’une représentation sociale et plus précisément les fonctions sociales qui lui sont assignées. En effet, « produit et [...] processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté, et lui attribue une signification spécifique » (Abric, 1987, p. 64), la représentation sociale remplit plusieurs fonctions, principalement orientées vers la compréhension fonctionnelle du monde et les interactions sociales des individus.

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