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Responsabilités économiques

Section 2. Un statut juridique en gestation

2. Valeur juridique de la Norme ISO 26000 ?

Cette question a été relativement peu étudiée (Cadet, 2010a, 2010b, 2011) si ce n’est depuis quelques années on peut noter un intérêt pour des regards croisés sur cette question de droit et de gestion sur la normativité de la RSE (Trébulle et Uzan, 2011, Savall, 2012 ; Le Flanchec et

alii, 2012).

A fortiori, des lignes directrices aussi politiques que l’ISO 26000 sur la RSO peuvent venir

concurrencer directement la souveraineté des Etats dans leurs pouvoirs régaliens voire les institutions gouvernementales internationales dont la mission peut être alors confondue avec celle de l’ISO.

C’est le prototype même de la norme éthique, comme véritable ligne de conduite119, de toutes celles, techniques ou processuelles, qui pourraient en découler. C’est une démarche collective proactive (Mione, 2006) mais, sans stratégie de différenciation. Personne n’en a douté au point de devoir rappeler, pour éviter tout risque de dérapage, dans le champ d’application des lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, ce qu’elle n’a jamais été : ni substituable aux obligations juridiques des Etats ou des organisations internationales, ni substituable aux autres normes de management ou sur la responsabilité soit sociale, soit sociétale, soit environnementale, comme une norme « glissante ».

L’OMC ne reconnaît pas les conventions de l’OIT. La violation des droits de l’Homme n’est pas considérée comme une distorsion dans les échanges mais comme une mesure discriminatoire entre produits nationaux ou produits similaires importés (Cadet, 2009a ; Drexl, 2009). Accepter la Norme ISO 26000 comme une recommandation aurait été un acte chargé de symbole, puisque indirectement les textes internationaux de base y figurent. Le poids des normes techniques devenus obstacles au commerce est tel que l’OMC n’a pas voulu prendre le risque de reconnaître expressément la valeur de cette métanorme, a fortiori, d’origine privée. Néanmoins, vouloir à tout prix cantonner son champ d’application, c’est admettre a contrario que celui-ci est, par essence, est plus vaste. C’est dire que, même

facultative, l’adhésion à la Norme ISO 26000 inquiète et ne laisse pas indifférent. Les commentaires de l’OMC sont, de ce point de vue, révélateurs, en quantité et en qualité. Peu de référentiels sociaux (SA8000, AA1000120, SD21000121) ont dépassé le cadre de leur territoire d’origine (Etats-Unis, Royaume-Uni, France). On assiste en la matière à un véritable « shopping social» (Desbarats, 2003a, p.7). La Norme ISO 26000 n’a pas vocation à les supplanter car elle n’est pas un référentiel de conformité, mais un référentiel d’engagement, dans une démarche responsable. Sa nature éco-systémique est nouvelle : elle ne peut remplacer les normes de processus ou techniques. On ne peut de manière « binaire » exprimer la responsabilité sociale ou sociétale, dixit le comité miroir français. C’est en ce sens, que la Norme ISO 26000 ne peut se substituer davantage à une norme juridique et par conséquent aux organisations chargées de sanctionner leur violation.

Le lobbying de certaines institutions ou gouvernements a également conduit à restreindre considérablement la portée de cette norme et par conséquent à lui ôter certaines caractéristiques. Les rédacteurs de la norme ont ainsi pris soin d’écrire, dans le champ d’application de la norme, ce que d’aucuns auraient pu espérer qu’elle soit :

- un objet de certification

- une norme de système de management - un usage règlementaire ou contractuel

- la base d’une action en justice dans une procédure nationale ou internationale - la preuve de l’évolution du droit coutumier international.

La certification n’est certes pas le propre de toutes les normes. Loin s’en faut ! Toutefois, le risque de certification des démarches RS n’est pas exclu, tant les acteurs de la normalisation cherchent d’alternatives pour la rendre « crédible »122 pour évaluer et vérifier les engagements pris. Or, la pertinence sera à analyser en fonction des contextes : une certaine flexibilité est nécessaire.

120 AccountAbility 1000, Responsabilité sociale 8000, Système de mangement de la santé et de la sécurité au travail

121 De l’avis du Professeur Christian Brodhag (AFNOR 12/01/2010), le guide SD 21000, « Guide pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l’entreprise » de mai 2003 deviendra « obsolète » avec la mise en œuvre de l’ISO 26000. Il conviendra de redéployer l’outil de diagnostic FD X 30-023, publié en avril 2006, pour aider les organisations, et non plus seulement les entreprises, à hiérarchiser les enjeux de développement durable.

122 Un groupe de réflexion à l’AFNOR appelé « crédibilité » s’est ainsi créé parallèlement au groupe de travail « déploiement de l’ISO26000 » sur la DDRS.

Toutefois, subsiste dans cette norme, à notre sens, plusieurs hypothèses juridiques intéressantes que j’ai pu relever, déduire ou extrapoler au gré des commentaires des auteurs123

ou des participants à l’élaboration de ce référentiel :

- une norme facultative

- un texte de référence non contraignant

- un texte de clarification et de mise en application de la responsabilité sociétale (valeur de circulaire d’application)

- un cadre d'analyse commune de la Responsabilité Sociétale (ligne directrice), - un outil de la soft law (recommandation)

- un facteur de cohérence des pratiques de développement durable (guide de bonnes pratiques).

- le « guide des guides » pratiques ou sectoriels à venir - des principes directeurs ou lignes directrices

- une base pour la rédaction de nouvelles normes en matière de RS

- une charte ou code éthique de la normalisation en matière de RSE voire RSO

- un guide pratique de terminologies communes et de qualifications juridiques sur la RSO - une démarche de qualité plus que de certification (au sens de la roue de Deming),

- une harmonisation des obligations sociales des entreprises dans le respect des conventions internationales, notamment celles des droits de l’Homme et de l’Organisation internationale du travail

- un outil de progrès vers des valeurs de sens, de respect de la diversité culturelle, d’écoute des signaux faibles, qui ne fasse pas barrage au commerce international.

- un projet de future(s) norme(s)

- un engagement unilatéral à l’instar des codes de conduite (Sobczak, 2004, p.33).

En outre, postuler l’absence d’évolution possible du droit coutumier ou de la jurisprudence me paraît bien présomptueux : comment savoir si la reconnaissance de la norme, par différentes parties prenantes, est constitutive ou déclarative de la valeur cette norme124 ?

123www.iso.org ; www.afnor.org; www.mediaterre.org

124 Mises à jour Revue Lamy Droit des affaires juillet 2009, querelles doctrinales autour de la valeur juridique de la norme, n°6444.

Sous-section 2. Portée juridique de la Norme ISO 26000

La portée juridique de ces futures lignes directrices sur la responsabilité sociétale n’est pas écrite. Si la Norme ISO 26000 est définitivement adoptée, comment pourrait-on en restreindre l’usage, sous différentes formes, sans atteinte à certaines libertés fondamentales (Cadet, 2010b) ?