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"La société, une

affaire

d'entreprise"**

fracture sociale mondiale liée aux excès du capitalisme international, l’ordre donné par le Club de Rome 1972 (Halte à la croissance!) et le premier choc pétrolier 1973.

Des crises éthiques majeures ont également suivi le drame de la Shoah et la mort des idéologies (fin du nazisme et du stalinisme) : le nihilisme ou le vide éthique (« Le crépuscule du sens » Nietzsche). L’individualisme et l’essoufflement de l’Etat providence, son corollaire, marquent de nouvelles étapes dans le questionnement des sociétés occidentales. A ces crises profondes, s’ajoutent des crises environnementales avec l’épuisement des ressources, de très graves pollutions et l’écart croissant entre riches et pauvres sans compter les scandales moraux et financiers.

L’épuisement des ressources et la répartition inégalitaire de certaines richesses comme l’eau potable sont devenus ou deviendront des sources de conflits majeurs compte tenu de l’explosion démographique et de l’urbanisation croissante, sans véritable politique de la ville, des transports, de gestion des déchets et de la santé.

Pour autant, il est difficile, dans ces crises globales (économiques, financières, sociales et environnementales), de déterminer un responsable et la liste est longue de ceux qui, à un titre ou à un autre, portent une responsabilité mais qui, du fait de la globalisation de la crise, décline toute responsabilité individuelle. Tout se passe comme si la mondialisation des crises et des causes entraînait une irresponsabilité générale.

La RSE comme concept a pu progresser du fait également que la législation et les diverses réglementations ne parvenaient pas à mettre un coup d’arrêt à ces scandales financiers, crises des subprimes et déficits abyssaux des Etats. Elle s’est développée en contrepoint des failles du système public.

La crise de la responsabilité que nous observons est donc « essentiellement une crise de la gouvernance » (Geiger, 2010, p.173). Pour autant les nouveaux impératifs écologiques (dont le réchauffement climatique), sociaux et humains, politiques, économiques et financiers permettent d’affirmer que la responsabilité sociale et environnementale ne peut être une mode (Laville, 2009, p.61).

A l’obligation de ne pas faire, s’est ajoutée une obligation de faire. Or, s’il est plus facile de poser des règles à ne pas transgresser (négatif), les juristes sont plus que mal à l’aise dès lors qu’il faut prescrire des comportements (positifs). C’est toute la divergence dans les conceptions de la responsabilité qui ressortent ici dans le débat sur la RSE.

Sous-section 2. Des conceptions différentes de la responsabilité

Aux crises financières, économiques sociales qui se succèdent, il est difficile d’apporter des réponses simples, tant les causes sont nombreuses et les responsabilités imbriquées et complexes. Le terme de responsabilité renvoie à plusieurs conceptions très divergentes selon les cultures et les systèmes juridiques. La RSE fait alors figure de hydre mélangeant des responsabilités individuelles et collectives, civiles et pénales, morales et juridiques.

Comment introduire, de surcroît, la responsabilité de l’entreprise, quand l’entreprise n’est pas même définie juridiquement (Cozian et alii, 2012) quand, de surcroît, les réalités économiques de l’entreprise varient d’un Etat à l’autre, quand la notion de personne morale demeure inconnue dans certains systèmes juridiques, et, tout simplement, quand la traduction du terme « responsabilité » ne fait pas l’unanimité ?

1. Définition de la responsabilité

Etymologiquement, la responsabilité vient de « respondere » en latin qui signifie « répondre de », « se porter garant » (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010), d’une promesse, d’un engagement, « c’est-à-dire en accepter la charge » (Noël, 2004, p.6). En France, nous avons un seul terme « responsabilité » qui englobe trois formes de responsabilité en langue anglaise (Delalieux, 2007, p.41): « responsibility » (responsable pour ou responsable de), qui est à la fois une responsabilité morale et une responsabilité juridique, « liability » (responsabilité légale), et « accountability » (obligation de rendre des comptes). La responsabilité recouvre alors la sanction et la réparation, le châtiment ou la peine.

Depuis peu, s’ajoute à ce triptyque, la « responsivness » (Post et Mellis, 1978), ou capacité à répondre aux attentes de ses parties prenantes, qui, selon Carroll (1979), correspond à la

Corporate Social Responsibility.

Le mot responsabilité revêt effectivement deux significations essentielles : assumer une charge et/ou devoir de rendre des comptes. La notion d’accountability revêt plusieurs dimensions allant de la mesure de ce qui compte à la responsabilisation (Pesqueux, 2012) ; elle signifie, principalement, dans les textes en langue anglaise, comme dans sa traduction en langue française, la responsabilité liée à l’obligation de rendre des comptes (Dumez, 2008).

To account for, ou « rendre des comptes », rejoint l’accountability to, « être responsable de »,

selon les déclinaisons du Harrap’s Shorter. En Afrique (« lingala ») la responsabilité signifie « grossesse », par extension, poids, et dans les pays du Sud, charges inévitables envers la communauté; en Inde, la responsabilité est un devoir pour accomplir son dharma, envers soi-même et les autres (Robert-Demontrond, 2008, p.90); en chinois, le soi-même idéogramme

signifie « charge » ou « digne de confiance » (intersubjectivité de l’être); au Kenya, en swahili, la responsabilité est de l’ordre d’une mission décrétée par Dieu, définition qui a une résonnance dans les pays islamiques, correspondant en fait à l’initiative humaine volontaire, qui endosse la responsabilité d’un acte en toute ignorance de sa portée (verset 72 du Coran), donc notion proche de l’irresponsabilité (destin) ou d’une responsabilité vis-à-vis de Dieu (foi); aux Philippines, c’est l’idée de la dignité d’autrui (unité du moi et des autres, identité partagée, Sizoo, 2008)… la liberté individuelle est donc une responsabilité sociale (Sen, 2003, p.17, 43 et 95), alors qu’en Occident, la responsabilité est la conséquence d’un acte volontaire, initiative individuelle, tâche confiée par autrui (Ballet et alii, 2011).

2. L’exercice d’une liberté ?

L’éthique de la responsabilité a donc un sens différent dans chaque communauté. Deux philosophies de l’éthique se distinguent. L’une, occidentale, repose plus sur l’idée de liberté, selon Weber (1982), de choix, d’alternative. L’autre, sur la nécessité, le devoir vis-à-vis de la communauté, voire le destin à accomplir. Ces conceptions ne sont pas antinomiques, puisque théoriquement, la liberté n’a de bornes que celle d’autrui, ce qui constitue une obligation de respect. Le Conseil constitutionnel français en a déduit un principe de responsabilité88. Mais techniquement, le monde occidental, dissocie la loi (impérative) de l’éthique (facultative). La confusion entre la loi et le droit naturel, ou encore, entre l’impératif de la loi ou de la responsabilité, est plus prégnante dans certaines civilisations. Pour les uns, il s’agit donc d’une volonté, pour d’autres, d’un devoir moral. Or, la morale se traduit par un corpus d’us et coutumes, liée à l’idée de responsabilité, mais où l’abstraction juridique n’a pas toujours sa place. On comprend mieux alors le respect de la loi ou des usages (contrainte) et le dépassement de la loi (éthique/morale) selon le point de vue retenu.

La doctrine juridique, en France, tant privatiste que publiciste, s’interroge aussi sur les fondements philosophiques de ce principe de responsabilité (Radé, 2008). Il est très intéressant de noter que le principe constitutionnel de responsabilité civile a été finalement rattaché par le Conseil constitutionnel lui-même89 au principe de liberté de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 178990. L’idée d’une responsabilité

88 Déc. 2007-556 DC 16 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (§40).

89 Décision n°99-419 DC du 9 novembre 1999, loi relative au pacte civil de solidarité.

90 Article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles

sociale des entreprises au-delà de la loi, arrimée au principe de liberté, n’est donc pas tombée du ciel. Elle repose à la fois sur des fondements philosophiques, juridiques et culturels français.

De surcroît, c’est l’exigence de ne pas nuire à autrui, éthique minimaliste qui a prévalu, à travers cette reconnaissance constitutionnelle. En filigrane, c’est toute l’éthique occidentale de la responsabilité, conçue comme une liberté, qui ressort de cette conception de la RSE, avec la réduction des impacts environnementaux et sociaux des activités des entreprises, devenues le

credo de l’Union européenne. La responsabilité s’est ainsi publicisée sous couvert d’un

respect du principe de liberté et d’égalité civiles.

C’est, sans nul doute, le schéma de Carroll (1979) qui traduit le mieux cette idée de responsabilité, comme exercice d’une liberté, au-delà des contraintes économiques et juridiques.

L’idée de liberté a perduré et se retrouve dans le concept de CSR d’origine américaine donc venu d’Occident, qui lui confère une relation très particulière avec les normes, notamment les normes juridiques. L’isomorphisme de cette pyramide, avec la pyramide de Kelsen, n’est toutefois pas un hasard : la RSE est également un concept normatif.

qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Responsabilités