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Responsabilités économiques

Section 2. Un statut juridique en gestation

2. Un usage opposable

Guide, plus que référentiel de certification, la Norme ISO 26000 ne fera pas l’objet d’un engagement contractuel en tant que condition suspensive dans les échanges commerciaux car elle n’est pas une norme internationale reconnue par les accords de Marrakech, comme OTC (obstacles techniques au commerce). A ce titre, celle-ci ne peut servir de fondement pour une plainte en justice. Mais en tout état cause, elle peut être opposable comme tout usage. Comment la refuser même au titre des citations quand ces lignes directrices ont acquis une reconnaissance internationale par leur adhésion et leur publication officielle en novembre 2010. La force des Droits de l’Homme ou leur faiblesse, c’est d’être applicable par ceux qui se reconnaissent dans ces valeurs universelles, sans exiger, comme condition suspensive, la réciprocité. Les pays qui ne reconnaissent pas les droits de l’Homme ne peuvent empêcher la revendication universelle des droits de l’Homme… C’est tout l’enjeu de la RSE en matière de politique économique internationale (Chanteau, 2009). L’opposabilité est du domaine du fait et non de l’acte juridique. C’est la distinction entre l’effet relatif et l’opposabilité des contrats

125http://www.pactemondial.org/les-bonnes-pratiques-des-adherents.html

126 V. Etude jurisprudentielle extrêmement fine de l’association d’avocats : http://www.asso-sherpa.org/reflexions/SHERPA%20Etude%20Juridique%20OCDE%20V150607.pdf

qui renaît à travers ce débat. Si l’effet sur les parties est relatif, par définition, l’existence de la norme crée une nouvelle situation juridique opposable à tout un chacun. L’accord des volontés entre parties prenantes s’imposera aux tiers, tel un fait juridique. Certes, il ne crée pas d’obligation pour les tiers, mais force est de constater que les parties sont liées, ne serait-ce que moralement par la norme adoptée, quand bien même son application demeure volontaire. Ce qui signifie concrètement que toute organisation qui décidera de se laisser guider par la Norme ISO 26000 dans sa démarche RS entraînera avec elle, ses partenaires. Celles qui, dans sa sphère d’influence, ne joueront pas le jeu, seront, de fait, éliminées. Les règles de l’art ont cette vertu. Rien n’empêchera une organisation de fixer contractuellement les pratiques auxquelles elle entend faire référence : l’emprunt, l’inspiration, la déclinaison peut être issue de la Norme ISO 26000. Même si l’utilisation contractuelle est proscrite par les rédacteurs de la Norme ISO 26000, dans une recherche ultime de compromis entre ces thuriféraires et ses contempteurs, nul doute, que certains chapitres, pris isolément au départ, serviront de fondements implicites à la rédaction de clauses sociales, que l’OMC aura de plus en plus de mal à écarter dans le règlement des différends. Pacta sunt servanda. L’usage contractuel de ces lignes directrices sur la responsabilité sociétale ne peut être réduit à néant. Ce serait un non-sens à la fois historique127 et juridique : aucune clause issue de la Norme ne peut proscrite, au titre d’une hiérarchie des normes qui n’est pas d’ordre public. La liberté contractuelle prévaut, notamment en matière commerciale.

C’est aussi une forme de liberté d’expression. De nombreux textes de droit public n’avaient qu’une valeur déclarative à leurs origines. On peut y ajouter l’évolution de la portée juridique de normes privées, tels les codes éthiques, a priori, facultatifs, « qui fourmillent de déclarations dégoulinantes de bons sentiments » (Deumier, 2009a, p.677), mais que la loi encadre progressivement (Desbarats, 2006 ; Mazuyer, 2010). Les bonnes pratiques sont parfois légalisées. Rien n’empêcherait, de la même façon, malgré les précautions contraires de ces rédacteurs, la Norme ISO 26000 de devenir, au fil du temps, un usage règlementaire ou plus exactement réglementé…

Mieux ! Dans un cadre démocratique, le contrat social s’impose à tous, même si tous les participants n’ont pu imposer leurs volontés ou se sont abstenus. C’est une dérogation à l’effet relatif des contrats car l’unanimité n’est pas de rigueur. L’opposabilité de la Norme ISO 26000 dépend donc essentiellement de rapports de forces. C’est sans nul doute ce qui a fait reculer puis céder la Chine, mais ne pourra que renforcer la Norme ISO 26000 dans la chaîne

des valeurs. Les Etats-Unis ne s’y trompent pas et craignent de ne pouvoir établir de nouvelles barrières protectionnistes, compte tenu du processus révolutionnaire de cette nouvelle norme. Serait-ce le premier pas vers une gouvernance mondiale ?

Conclusion

Dans cette recherche sur la responsabilité sociétale, c’est, en définitive, plus l’ISO, en tant qu’organisation internationale, qui a gagné en légitimité, plus que la Norme ISO 26000, norme d’un genre nouveau.

En inversant les rôles, en prenant la liberté de penser le développement durable pour mieux donner la mesure de ce que les entreprises, surtout, étaient susceptibles de s’approprier dans le magma des dispositions tant internationales ou nationales de la soft law voire de la hard law, chacun a pris sa part de responsabilité ou prendra sa part de responsabilité, la norme étant déclarée explicitement d’application volontaire.

L’éthique est sauve : ce n’est pas une tendance à la régression du droit, les obligations des entreprises n’étant pas celles des Etats, mais une marque d’intérêt pour dépasser les obligations légales pour les uns, ou de respecter la loi, pour les autres. Entre « protéger les droits de l’Homme » et « respecter les droits de l’Homme », il n’y a qu’une différence de degré et non de nature. Les deux termes sont autorisés : les thèses différentialistes sont donc admises.

Il ne faut pas faire plus de concessions sur le fondement même de la responsabilité sociétale et saper les bases de la Norme ISO 26000. L’expérience des réserves émises dans les traités internationaux ou la prolifération de conventions régionales, dérogatoires parfois, ne doit pas être imitée. Celles-ci ont ouvert trop de brèches dans l’édification des droits de l’Homme au point de remettre en cause leur universalisme. La Norme ISO 26000 est un compromis international qui engage ceux qui souhaitent s’engager dans la démarche de RSO : pour son efficacité et sa crédibilité, l’adhésion doit être totale. C’est ainsi qu’elle sera un « accélérateur d’innovations »128.