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La norme outre l’Etat : l’utopie

Chapitre 1. Les mutations normatives

Chapitre 1. Les mutations normatives

La norme, définie comme ayant pour double fonction de « guider l’agir et contrôler l’activité humaine » (Jeammaud, 1990, p.199), la fonction prend, par conséquent, le pas sur le contenu ou sur la forme. Et, c’est cette fonction qui est en plein processus de mutation.

En principe, la règle (devoir et obligation) appelle un système d’arbitrage à la différence de la norme (tracé et mesure) qui repose plus sur un système d’arpentage (Supiot, 2005, p.86). On retrouve, de nos jours, cette subtile division parmi les normes à caractère fonctionnel dans les entreprises, entre celles qui sont d’application volontaire et celles qui sont jugées obligatoires. Les premières relèvent de la régulation (souvent appelée « douce ») par opposition aux secondes fondées sur une réglementation (dite « dure ») ou classique. L’exigence de conformité s’est muée en recherche de compatibilité. Le législateur vise la régularité des comportements sociaux en fixant un modèle d’équilibre, un programme, une ligne de conduite. Or, la norme prescriptive appelle l’adhésion plus que la sanction. La nature de la règle a donc changé parfois imperceptiblement du fait de cette flexibilité. La régulation appelle originellement un réglage, dans le domaine technique. Les cloisons entre normes juridiques traditionnelles et techniques deviennent ainsi poreuses. La France a consacré cette forme de normativité, en 2001, par une loi sur « les nouvelles régulations économiques ». La nature du texte, législatif ou réglementaire, est alors indifférente, quoique le pouvoir réglementaire y soit davantage prédisposé. Il s’agit de trouver une règle de fonctionnement. Une brèche s’est ouverte dans le cadre des normes juridiques ou dites impératives (Supiot, 2005 ; Atias, 2012, p.190). Certaines dispositions, pourtant légales, dénuées de sanction directe, n’exigent plus une conformité absolue. Mieux, certaines normes seront considérées uniquement comme opposables. Il en résulte que, formellement les entreprises ne sont pas liées, ni par un contrat, sinon moral ou psychologique, ni par une loi dont ils seraient les destinataires, mais par le fait social que la norme est posée. Ainsi en est-il, et nous y reviendrons de la régulation par les droits de l’Homme, « normativités émergentes » (Benyekhlef, 2008), devenues le plus souvent inclusives dans de nombreux traités internationaux ou conventions de droit privé international. L’invitation à suivre (plus que

respecter) la norme provient d’une pression sociale : le risque d’image déclenche la « volonté » des entreprises de se « mettre aux normes » par conformisme.

Là encore, une nuance importante sera à apporter, entre normes facultatives, incitatives

En contresens, la normalisation, d’origine privée, rangée a priori dans les normes non juridiques, ne présenterait pas, par essence, de caractère d’impérativité compte tenu de la fonction de ces normes. Or, l’évolution de la normalisation oblige à nuancer cette assertion car bon nombre de normes techniques sont reprises dans des réglementations publiques et même dans des contrats privés.

Normes descendantes ou ascendantes, le processus de régulation par la norme opposable produit un résultat identique. Et les lignes parallèles se croisent à l’infini… Est-il

possible de trouver une application de ce théorème d’Euclide en sciences humaines ? Le rapprochement inéluctable entre normes privées et normes publiques, donne effectivement naissance à une catégorie hybride, dans la logique du marché mondial, entre les normes volontaires et les normes impératives. Nous verrons que ce point de jonction représente le

cœur du potentiel de régulation de la RSE et qu’il n’est pas dénué de caractère

contraignant, même si les apparences sont contraires. La nouvelle ligne formée, est-elle

« droite » ? Telle est la question.

Dans la nomenclature des normes juridiques, la soft law ou encore « droit souple » émane des Etats ou d’autorités publiques. Il s’agit bien de « loi molle » ou de « droit doux ». Les normes privées, quant à elles, participent activement à la soft law, mais en tant qu’instruments au service de la régulation publique. Quand bien même les pouvoirs publics, au sens large, entérineraient des normes privées, dans un rapport de force somme toute inversé, on ne peut considérer, en toute rigueur, qu’elles appartiennent à la soft law. Pour la suite de nos développements, nous distinguerons donc le soft power, exercé par les lobbies privés via notamment le jeu des normes techniques, de la soft law proprement dite.

Nous revisiterons la classification traditionnelle des normes juridiques fondée exclusivement sur les compétences liées à la matière et à leur auteur (ratione materiae, ratione personae) pour présenter une typologie plus complexe ou plus exactement une échelle de normes fondées sur le degré d’élasticité de la contrainte, à l’instar des modèles proposés par la sociologie.

Les relations d’ordre et d’appartenance ont laissé place à « des interdépendances, des interactions et des discontinuités » (Delmas-Marty, 2005b, p.89s.) : une normativité protéiforme en découle.

Dans ce chapitre, nous nous intéresserons, à la causalité, et plus spécifiquement, dans cette section, à la montée en puissance corrélative de la régulation et de la normalisation privée.

L’axiome que nous formulons est celui-ci :

- plus la contrainte se renforce, plus la norme tend à être propulsée dans le champ des règles juridiques.

- plus la contrainte est répartie, plus l’intensité normative croît.

A l’instar de la poussée d’Archimède, nous pouvons dire que l’extension du droit positif agit comme une force conservatrice réactionnelle.

Figure 3 La poussée normative

Nous tâcherons de décrire le phénomène normatif, en explorant certains de ces mécanismes pour expliquer la logique conceptuelle qu’elle sous-tend au regard du droit et ses conséquences sur la RSE, qui relève à la fois de hard law et soft law (De Cannard d’Hammale, 2007). Nous pourrons également prendre conscience que certains concepts, du

fait de leur fluidité, relèvent davantage du droit flou (fuzzy law) du fait d’une intégration dans l’ordre juridique interne génératrice de nombreuses incertitudes (Delmas-Marty, 2004a) a

fortiori lorsqu’ils viennent d’ailleurs.

Titre du paragraphe Problématique Nature du droit Hiérarchie des normes Entre législation et réglementation : la régulation sociale ou la norme publique souple

Peut-on encore parler de règle juridique ?

= droit positif

entre hard law et

soft law Norme juridique Norme technique Entre conformité et compatibilité La normalisation : une norme privée en

cours de

publicisation

De la norme technique à la norme politique ?

< droit positif

outil de la soft law

ou de la hard law

Norme technique

Norme juridique

Complémentarité ou concurrence

Les principes, les valeurs, l’éthique, les droits de l’Homme : nouveaux concepts

normatifs ?

Sont-ce des normes ? = « droits de nulle part » ?* ou bien = non - droit ? = droit naturel ? fuzzy law Utopie ? Métanorme ? > Norme juridique ou morales ? Opposabilité ? *(Carbonnier, 1996, p.48)

Figure 4 Typologie des normes

Section 1. Entre législation et réglementation : la régulation sociale