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Titre 2. Les normes de RSE

Dans le contexte de déstructuration de la normativité juridique classique, la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) a pu prospérer en contrepoint des systèmes établis. C’est la traduction de l’expression américaine Corporate Social Responsability, tout en notant que le terme social anglo-américain englobe non seulement les relations employeurs/salariés, telles que nous les entendons en droit du travail français, mais également toute relation professionnelle ou tout lien avec un partenaire de la société civile dans le cadre de l’activité exercée. C’est pourquoi l’Union européenne a choisi de traduire désormais la responsabilité sociale par « responsabilité sociétale » :

« La responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société.

Pour assumer cette responsabilité, il faut au préalable que les entreprises respectent la législation en vigueur et les conventions collectives conclues entre partenaires sociaux. Afin de s’acquitter pleinement de leur responsabilité sociale, il convient que les entreprises aient engagé, en collaboration étroite avec leurs parties prenantes, un processus destiné à

intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans leurs activités commerciales et leur stratégie de base, ce

processus visant:

à optimiser la création d’une communauté de valeurs pour leurs propriétaires/actionnaires, ainsi que pour les autres parties prenantes et l’ensemble de la société;

à recenser, prévenir et atténuer les effets négatifs potentiels que les entreprises peuvent exercer. »81

Le Ministère français de l’écologie, du développement durable et de l’énergie qui vient de lancer la plateforme pour la promotion de la Responsabilité sociétale des entreprises le 17 juin 2013 retient la même traduction.

81 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 25 octobre 2011 COM (2011) 681 final « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », p.7

Légitime ou non, une nouvelle utopie réconciliant l’économie et l’éthique par « la participation directe et volontaire des firmes au bien commun et à l’intérêt général, et cela, de plain-pied avec les institutions publiques » (Salmon, 2006, p.524) a pris naissance en marge du droit (Noël 2004, Dionne-Proulx et Larochelle, 2010). S’agit-il pour autant d’une responsabilité hors normes ?

La question est loin d’être anodine : il faut effectivement démontrer, au préalable, que la RSE, concept de gestion, est un sujet à réguler par la norme (Helfrich, 2011, p.220). Historiquement, les normes juridiques ne s’imposaient pas comme outils de gestion en ce domaine. Pour autant, des normes privées environnementales et des labels sociaux ont fleuri. Et l’ISO, organisation privée internationale de normalisation, s’est même emparée de l’objet. Après la qualité et le management, la RSE a pris place comme « thème de gestion », comme « continuation - amplification » voire cage de résonance de l’éthique des affaires (Pesqueux, 2008, p.210). Mais peut-on laisser des normes sociales ou sociétales, autres que publiques, prospérer sans risque, dans la lignée des normes de qualité ou de management ?

Avec les normes de RSE, la question ne se pose plus dans les mêmes termes. Dans quelle mesure peut-on affirmer avec certitude que les Lignes directrices de l’ISO 26000 relatives à la responsabilité sociétale des organisations représentent une norme ou une norme d’un genre nouveau ? Est-ce la Norme ISO 26000 qui, par voie de conséquence, est hors normes, ou bien, la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) voire la RSO (responsabilité sociétale des organisations) ?

La question peut paraître très paradoxale car la RSE est avant tout un sujet sur la responsabilité. Or, la responsabilité est, tout autant, un sujet de philosophie, d’éthique que de gestion. La responsabilité est, également et surtout, un sujet de droit. L’article 1382 du Code civil, fondement de la responsabilité civile, nous le rappelle sans cesse : « Tout fait

quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Cette règle de droit est, en outre, reconnue aujourd’hui comme un

principe à valeur constitutionnelle qui appartient au bloc de constitutionnalité82. La responsabilité est donc bien un concept normatif.

La question sous-jacente est également relative à la nature des normes. S’agit-il d’un phénomène de normalisation de la RSE d’ordre technique ou managérial classique pourrait-on dire, ou de la naissance d’un droit de la RSE ? Les normes de RSE sont-elles des normes

82 Décision n°82-144 DC du 22 octobre 1982, loi relative au développement des institutions représentatives du personnel

juridiques ou parajuridiques (Boisson de Chazournes L. et Maljean-Dubois S., 2003), sur fond de soft law, ou exclusivement éthiques compte tenu de la liberté offerte d’avoir ou non de bonnes pratiques RSE?

L’exposé des mutations normatives de notre siècle nous a permis de découvrir toute une palette de référentiels susceptibles de faire progresser la RSE dans un champ normatif qui lui est propre. Il permet également, par voie de conséquence, de cerner avec plus de précisions les contours de des instruments juridiques proprement dits, de les distinguer des autres normes par rapport à la notion de contrainte.

Le complexe normatif de la RSE est effectivement hétérogène : il peut donner l’illusion d’être un arrière-plan institutionnel ou un compromis légitime des parties prenantes, ou encore de constituer un potentiel régulatoire multi-niveaux.

Une autre et dernière question se pose quant à la force normative de la RSE du fait de l’imbrication de la gestion et du droit. Suivant le point de vue, on peut considérer que la RSE est rattrapée par le droit ou à l’inverse qu’elle confère des normes sociales implicites (Gomez, 1997 ; Pariente-Butterlin, 2008). Elle devient tout autant un outil normatif, qu’un outil de gestion, le lien entre hard law et soft law : le chaînon manquant.

Pour répondre à toutes ces questions, nous proposons d’expliquer l’évolution du concept dans un contexte de crise de la responsabilité (Chapitre 1), de démontrer l’utopie représentée par une responsabilité au-delà de la loi (Chapitre 2).