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Chapitre 2. Un système normatif outre l’Etat

1. La désinstitutionalisation de l’Etat-nation

Plusieurs facteurs expliquent l’Etat n’est plus la source première des normes publiques de référence. Certains se demandent même si l’Etat est encore un Etat de droit (Henry, 1977 p.1207 ; Chevallier, 1999, 2001a) L’histoire nous apprend tout d’abord que le premier contournement de la souveraineté des Etats s’est effectivement opéré par la régulation du droit dérivé du droit international public, issu des organisations internationales publiques. C’est effectivement à la faveur par exemple de l’Organisation Internationale du Travail (1919) et des conventions qui en découlent le plus souvent ratifiées par les Etats que les normes s’imposent venant de l’extérieur des Etats, même si en théorie les Etats demeurent souverains pour accepter ces conventions et modifier en conséquence leur propre droit interne. L’Organisation mondiale du commerce porte également en la matière une responsabilité lourde.

Plus marquante dans l’atteinte à la souveraineté des Etats, au niveau régional, est la construction de la Communauté européenne. Car l’Union européenne dispose d’une capacité, en vertu de ses traités constitutifs, et de son droit dérivé, à s’imposer comme la source du droit économique de tous ses Etats membres, unique en son genre, puisqu’elle dispose d’institutions et de moyens coercitifs pour se faire respecter. L’Europe n’a ni frontières, ni personnalité morale.

Phénomène majeur des dernières décennies, l'intégration dans l'ordre juridique interne d'instruments internationaux de plus en plus nombreux et hétérogènes est source d'incertitude et de déstabilisation des systèmes de droit. À mesure que se renforcent les liens d'interdépendance, se multiplient, tous ces « droits venus d'ailleurs » qui pénètrent dans les droits nationaux en passant tout simplement par la porte qui leur est ouverte, soit directement par le principe de primauté du traité sur la loi interne, soit indirectement par leur incorporation législative. Critiquant pour l'Europe des droits qui n'ont, écrit-il, « ni histoire ni territoires », le doyen Carbonnier les appelle « droits de nulle part », ajoutant, sur le mode ironique, « de nulle part cela pourrait se dire en grec utopie ; mais les utopies sont poétiques, aériennes, tandis qu'autour des droits européens, il s’est constitué une telle capitalisation d'intérêts et d'ambitions qu'il faudrait rien de moins qu'une éruption de volcan pour faire crouler ces « babylones juridiques ». En tous cas, ils alimentent une inflation sans précédent, véritable pathologie qu’il décrit comme « prolifération », « pullulement » et finalement, s’inquiète-t-il, « pulvérisation » du droit en une multitude de droits subjectifs souvent contradictoires, qui n'ont pas la force immédiate des règles de droit mais seulement un accès à cette force (Carbonnier, 1996, p.48 et 125).

Extraits de Delmas- Marty M. (dir.) L’intégration normative, Collection les voies du droit PUF 2004

L’intégration normative est assurée par des principes de « bonne gouvernance ». La Commission européenne, en 2001, dans le Livre blanc de la gouvernance européenne, désigne ainsi les règles, les processus et les comportements qui influent sur l'exercice des pouvoirs au niveau européen, particulièrement du point de vue de l'ouverture, de la participation, de la responsabilité, de l'efficacité et de la cohérence. Ces cinq « principes de bonne gouvernance » renforcent ceux de subsidiarité et de proportionnalité.

La pyramide de Kelsen tient certes toujours sur son socle mais avec un pouvoir des Etats fortement érodé. Toutefois, il s’agit davantage de superposition de normes, avec la primauté accordée au droit communautaire, plutôt que de substitution au droit étatique. La souveraineté de principe est maintenue à titre symbolique, quoique le transfert des compétences rende illusoire l’application du principe de subsidiarité.

Figure 12 Hiérarchie des normes en France

Les techniques d’harmonisation pour tendre vers un droit commun laissent le plus souvent des marges d’appréciation aux Etats membres. Le droit souple est même érigé en méthode de gouvernance77. Des espaces de dialogue sont ouverts. Ainsi la stratégie de Lisbonne adoptée par le Conseil européen en l’an 2000 a systématisé la démarche sous le nom de MOC (méthode ouverte de coordination) dans le domaine social (emploi, éducation, lutte contre la pauvreté...

Le droit demeure alors très fragmenté et l’unification des systèmes est alors en plein déclin au profit de normes alternatives (Benyekhlef, 2008). Ces méthodes conduisent surtout à une prolifération des normes pour traduire les directives, interpréter le droit communautaire dans le sens d’une harmonisation, concilier les systèmes juridiques. L’inflation normative dénoncée est la résultante d’un processus de gouvernance internationale ou régionale qui se

met en place soit pour s’insérer dans cette mouvance normative, soit pour y résister. Cette dispersion des instruments confine à leur ineffectivité avec parfois la complicité des Etats. Mais ce sont surtout l’explosion des échanges commerciaux et la libre circulation des capitaux ont limité le pouvoir des Etats avec des règles du multilatéralisme commercial. La remise en cause de la légitimité de certains Etats avec la décolonisation a entraîné une fracture des espaces et un mouvement tiers-mondiste qui ne s’est plus aligné par rapport aux grandes puissances. Un autre phénomène a réduit la puissance des Etats : le mode de fonctionnement des institutions internationales avec la multiplication des Etats. Au sein de l’ONU avec un système de vote (un Etat une voix), qui finit par mettre sur un pied d’égalité le Luxembourg et les Etats-Unis, l’échelon étatique ne paraît plus adapté pour les négociations. De nombreux Etats sont en guerre et d’autres sont en faillite : la crédibilité de l’Etat est également remise en cause quand la sécurité n’est plus assurée ou en cas de mauvaise gestion. La multiplication des autorités de contrôle achève d’affaiblir l’Etat (Frison-Roche, 2004a).

L’Etat n’est plus la seule source des règles contraignantes. Il existe désormais une multiplicité de lieux de production de la norme juridique (Chazel et Commaille, 1991, p.15): le droit se privatise avec l’institutionnalisation des organisations.