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Responsabilités économiques

Section 1. Le complexe normatif de la RSE

1. Normes internationales publiques

Dans un cadre normatif dominé par le marché, il n’est pas surprenant de présenter les normes de l’Organisation Mondiale du Commerce comme étant les plus importantes. L’OMC a, dans

son préambule, fixé un objectif de développement durable. Les échanges commerciaux

doivent être « orientés vers le relèvement des niveaux de vie » … « tout en permettant l’utilisation optimale des ressources mondiales » … « en vue de protéger et préserver l’environnement et de renforcer les moyens d’y parvenir d’une manière qui soit compatible avec leurs besoins et soucis respectifs à différents niveaux de développement économique ». Ce préambule qui ne vaut que comme une déclaration de principe (suivie de la Déclaration de Doha 2001). Les traités bilatéraux d’investissement (TBI) ont souvent remis en cause les protections accordées par certains Etats à l’environnement, à la santé, aux droits de l’Homme lors de procès des investisseurs contre les Etats. Les nouveaux modèles de TBI tentent de remédier à la situation. L’ORD (Organe de règlement des différends) de l’OMC et les instances arbitrales prennent en revanche plus en considération le développement durable dans leurs sentences, même si ce revirement est un épiphénomène. L’obligation relève bien de la hard law, du fait même de leur contractualisation et de la transposition dans les lois nationales du droit économique international, mais les entreprises transnationales trouvent la parade pour que ces dispositifs restent lettre morte (Delmas-Marty, 2005a).

A l’inverse, les conventions de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) sont obligatoires pour les Etats mais respectées très diversement selon les régions et les pays, alors que la déclaration tripartite de l’OIT à l’intention des multinationales de 1977 à laquelle a été incorporée les principes et droits fondamentaux au travail issus de la Déclaration de l’OIT de 1998 - visant expressément 8 conventions fondamentales de l’OIT94 qui traitent de la liberté syndicale et reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et l’élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession - exerce une forte pression sur les entreprises tant nationales qu’internationales (Duplessis, 2004, p.52). C’est le seul instrument juridique universel en matière sociale qui s’adresse à toutes les entreprises. Régulièrement des rapports publics permettent de donner un éclairage sur l’application, dans

le monde, du code international du travail constitué de 189 conventions et de près de 200 recommandations qui s’appliquent aux Etats qui les ont ratifiées95.

A ces 8 conventions fondamentales s’ajoutent 4 conventions dites prioritaires dont la

convention nº 144 sur les consultations tripartites relatives aux normes.

L’OIT est effectivement composée de manière tripartite, de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, et a une triple fonction :

- Une fonction normative, la Conférence Internationale du Travail (CIT) étant chargée depuis 1919 d’enrichir le corpus des normes internationales du travail

- Une fonction de contrôle de l’application de ces normes via plusieurs instances également tripartites. Si ce contrôle d’application n’est pas assorti d’un régime de sanctions, il s’impose néanmoins dans les Etats de droit.

- Une fonction d’expertise sociale, les experts du Bureau International du Travail produisant d’importants rapports sur les questions économiques et sociales.

En matière environnementale, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 est très importante également quoique simple déclaration. La première elle a inscrit le principe de précaution dans ses dispositions (raison laquelle les Etats-Unis ne l’ont pas signée) et a conduit par le jeu contractuel des Agendas 21 locaux et territoriaux a essaimé. En France, nous avons inscrit le principe de précaution dans notre Charte de l’environnement qui exceptionnellement est d’application directe (Jegouzo et Lolum, 2004). Le protocole de Kyoto de 1997 (entré en vigueur en 2005) qui avait préconisé une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à un seuil fixé en 1990 est également à mentionner car il découle de la convention cadre sur les changements climatiques de l’ONU : cet instrument n’est pas universel (les Etats-Unis et la Chine ne l’ont pas ratifié et le Canada, le Japon et la Russie se sont retirés) mais il est contraignant pour les pays qui se sont engagés, ne représentant que 15% des émissions de GES. Les négociations stagnent pour l’essentiel malgré l’urgence liée au réchauffement climatique (Le Deault et Kosciusko-Morizet, 2006)96.

95 http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:1:0::NO

96 LE DEAULT J.-Y.et KOSCIUSKO-MORIZET N., Rapport n°3021 Assemblée Nationale, au nom de la MIES (Mission d’Information sur l’Effet de Serre) 12 avril 2006.

Au niveau régional, l’Union européenne est sans nul doute l’instance qui a produit le plus de textes sur la RSE à partir des traités et textes fondateurs de l’Union:

- Traité de Rome (1957) instaurant la CEE (faisant suite à la CECA de 1951 et à la CEEA de 1957) avec une libre circulation des travailleurs

- Charte sociale européenne (1961 contenant 19 droits, révisée en 1996, 31 droits inclus) engageant les « Parties contractantes ». La jurisprudence du Comité européen des droits sociaux (CEDS) a constaté à travers certains Etats des violations de la charte par des entreprises et signalé ces manquements aux Etats.

- Le Traité de Maastricht (1992) avec un protocole d’accord sur la politique sociale additionnel, adopte une stratégie de développement durable,

- Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (1989)

- Charte des droits fondamentaux de l’union européenne (2000) : dès lors que les principes du développement durable ou le droit à un environnement sain y sont énoncés dans les tous premiers articles des chartes ou résolutions et que d’autres conventions internationales réitèrent ces principes ou droits fondamentaux, le développement durable, la santé, l’environnement ne sont plus seulement des objectifs, ce sont désormais des principes.

- Traité d’Amsterdam (1997) insère un titre sur la politique sociale (reprenant le protocole antérieur et l’enrichissant) et un autre sur une « coordination des stratégies pour l’emploi » avec une méthode de benchmarking (étalonnage) pour montrer l’exemple à suivre

- Accord cadre du Conseil de l’Union européenne (2003) relatif à la lutte contre la corruption dans le secteur privé

- Traité constitutionnel européen (2004) et Traité de Lisbonne (2007) dans la lignée de la Stratégie de Lisbonne lancée par le Conseil européen en 2000…

La Commission européenne a dernièrement dévoilé toute sa stratégie en matière de RSE pour 2011-2014 du 25 octobre 2011 et dans les deux dernières résolutions du parlement européen de 2013 (V. Partie 2). Elle a publié un guide des marchés publics devant satisfaire

des critères environnementaux par exemple et indiqué les normes qu’elle recommande aux entreprises qui s’engagent dans une démarche RSE de suivre (Pacte mondial des Nations unies, Principes directeurs de l’OCDE, lignes directrices de l’ISO 26000).

En Europe, dans les textes impératifs (V. Partie 2 et 3 pour le détail de tous les textes à propos des droits de l’Homme et jurisprudence), il faut également citer

- La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950

- Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de l’OCDE (1997)

Et ayant aujourd’hui valeur de principes généraux du droit, nous pouvons signaler l’existence des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales de 1976, révisés à plusieurs reprises, et tout récemment, en mai 2011, qui impliquent de manière très originale les 34 Etats adhérents par des points de contact nationaux (PCN) représentant un maillon fort dans le développement de la RSE. Chaque année un rapport paraît avec les mesures prises par chaque gouvernement en la matière. Voici un extrait du rapport du PCN français du 2 décembre 2013 sur la mise en œuvre des principes directeurs de l’OCDE dans la filière textile-habillement (http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/398810 ):

Selon les Principes généraux des Principes directeurs*, les entreprises devraient « contribuer aux progrès économiques et sociaux en vue de parvenir à un développement durable » et « exercer une diligence raisonnable fondées sur les risques », dont « la nature et la portée dépendent des circonstances propres à une situation particulière ».

Recommandation n°1 : Contractualiser les engagements éthiques et le respect des normes internationales de l’OCDE et de l’OIT

Le PCN rappelle que les Principes directeurs de l’OCDE devraient constituer le référentiel de conformité des entreprises multinationales et servir de fondement à leurs relations contractuelles. En effet, selon les Principes directeurs, « les entreprises peuvent aussi influencer leurs fournisseurs par le biais d’accords contractuels tels que des contrats de gestion, des obligations de pré-qualification pour les fournisseurs potentiels, des conventions de vote ou encore des accords de licence ou de franchise ». Dans le secteur textile-habillement, les engagements éthiques des entreprises multinationales devraient en particulier permettre de veiller au respecter des standards et des conventions de l’OIT, dont la première étape est leur retranscription dans leurs codes de bonne conduite.

Le PCN constate que de nombreuses entreprises disposent de codes de conduite volontaires, traduisant leur adhésion à certaines valeurs éthiques dans des domaines comme l’environnement, les droits de l’homme, les normes du travail, la protection des consommateurs ou la fiscalité. Cependant, il constate que la qualité de ces codes est hétérogène et qu’ils ne renvoient pas tous aux mêmes droits fondamentaux. A ce titre, le PCN rappelle que, selon les Principes directeurs, « dans tous les cas et

indépendamment du pays ou du contexte spécifique dans lequel s’inscrivent les activités des entreprises, il faut se référer pour le moins (…) aux droits fondamentaux exposés dans la Déclaration de l’Organisation internationale du travail de 1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail ».

En outre, les engagements éthiques du donneur d’ordres étant transférés au(x) fournisseur(s), ils doivent l’être de manière précise. Ainsi, les contrats doivent clairement mentionner les cadres de référence éthique de l’entreprise. A cet égard, il convient de rappeler que la conformité aux Principes directeurs intègre des critères sociaux et environnementaux et non pas seulement le respect des caractéristiques intrinsèques du produit.

En 1999, au Forum économique mondial de Davos, le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a proposé un « pacte mondial », destiné à tous les peuples de la planète afin de les faire bénéficier des avantages de la mondialisation et d’ancrer les marchés mondiaux à des valeurs et pratiques indispensables pour répondre aux besoins socioéconomiques, aux entreprises. Celles-ci s’engagent à « embrasser, promouvoir et faire respecter » un ensemble de valeurs fondamentales dans le domaine des droits de l'homme, des normes du travail, de l'environnement et de la lutte contre la corruption, en se fondant sur (10) principes inspirés de la Déclaration universelle des droits de l'homme (2), la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (3), la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement (3), la Convention des Nations Unies contre la corruption dite de Mérida (1).

1) Les entreprises doivent promouvoir et respecter les droits de l’homme reconnus sur le plan international.

2) Les entreprises ne doivent pas se faire complices de violations des droits fondamentaux.

3) Les entreprises devraient respecter l’exercice de la liberté d’association et reconnaître le droit à la négociation collective.

4) Élimination de toutes les formes de travail forcé et obligatoire. 5) Abolition effective du travail des enfants.

6) Élimination de la discrimination en matière d’emploi et d’exercice d’une profession. 7) Promouvoir une approche prudente des grands problèmes touchant l’environnement. 8) Prendre des initiatives en faveur de pratiques environnementales plus responsables.

9) Encourager la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l’environnement. 10) Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption sous toutes ses formes, y compris l’extorsion de fonds et les pots-de-vin (10ème principe intégré en 2004)

Le 20 avril 2006, le Secrétaire général a même nommé un groupe de 20 leaders des milieux d’affaires, du monde syndical et de la société civile pour siéger au Conseil d’administration du Pacte mondial des Nations unies. L’ONU, instance des Etats souverains, a créé une véritable révolution en institutionnalisant un dialogue entre différentes parties prenantes du monde de l’entreprise. Les Etats ne signent pas le pacte : ce sont les organisations qui adhèrent. Les adhérents sont encouragés à publier une description précise de la façon dont ils soutiennent le Pacte mondial et les 10 principes, connue sous le nom de « Communication sur le Progrès ». Le Pacte mondial est convaincu que l’ouverture et la transparence encourage les participants à de bonnes pratiques. Mais l'absence de contraintes juridiques et de contrôle du respect des engagements pris par les multinationales est critiquée par des ONG (Capron et

Quairel-Lanoizelée, 2004, p.32). Certaines d'entre elles n'hésitent pas à dénoncer le risque d'opportunisme des entreprises, qui pourraient utiliser la caution onusienne pour masquer leurs pratiques de « violations des droits humains et de l'environnement ». La FIDH va encore plus loin dans sa critique, puisque, selon elle, « le Pacte mondial consacre un renversement inquiétant : les droits de l'Homme sont proposés aux entreprises comme une disposition facultative, alors qu'ils devraient s'imposer à elles, puisqu'ils sont par essence les valeurs communes de l'humanité ». Par cette adhésion au Pacte mondial, l'ONU accepte, voire, en proposant gratuitement son assistance technique par le biais de ses agences (PNUE, PNUD), encouragerait l'assujettissement de l'intérêt général à l'intérêt particulier. Le Pacte mondial est certes une initiative exclusivement volontaire; mais il contrôle et impose une conduite à tenir ou activités aux entreprises par le biais de la « Communication sur le Progrès ». Cette dernière devient de plus en plus exigeante, au point que les entreprises qui ne font en réalité aucun effort pour améliorer leurs pratiques finissent par être éliminées. L’ONU a mis en place un filtre qui permet de refuser une communication quand le reporting est jugé insuffisant ou de mauvaise qualité. La sanction est la radiation définitive du pacte mondial : l’entreprise n’est plus habilitée à utiliser le logo du Pacte mondial. Le contrôle peut paraître purement formel et la sanction ridicule, compte tenu des enjeux, mais le nombre de radiations est tel que le site du Pacte Mondial actualise en ligne le nombre d’adhérents en valeur absolue mais n’affiche plus le nombre d’organisations radiées. En termes d’image pour l’entreprise, l’impact est loin d’être négligeable.

Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a également adopté, à l’unanimité, le 16 juin 2011, des Principes directeurs pour la mise en œuvre du cadre de référence « Protéger, respecter et réparer » élaborés par le Représentant spécial de l’ONU, John Ruggie. Ceux-ci reposent notamment sur l’obligation de protéger qui incombe aux Etats y compris quand un tiers (entreprise) porte atteinte aux droits de l’Homme et sur la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’Homme.

Le Conseil de l’Europe qui regroupe 47 Etats a lors de sa 85ème réunion du Comité directeur pour les droits de l’Homme le 7 et 8 juin 2012 retranscrit la totalité des dispositifs existants (normes et réseaux) dans le monde pour un projet d’étude préliminaire sur la RSE. Le projet

est presque abouti et pour sa faisabilité, il préconise un partenariat avec l’Union européenne97

notamment pour mettre en place un nouvel instrument de droit souple pour combler les écarts d’intégration, de gouvernance et de conformité aux normes des droits de l’Homme entre Etats.

En droit de l’investissement et en matière de gouvernance (Brissy et Guigou, 2008), de nombreuses directives européennes égrènent des dispositions impératives (directive « Prospectus » du 4 novembre 2003, directive « MIF – Marchés d’instruments financiers » - du 21 avril 2004, directive « Transparence » du 15 décembre 2004, concernant l’information des émetteurs et enfin les directives du 17 mai et 14 juin 2006 prévoit de rendre obligatoires les comités d’audit pour les émetteurs …). Dans les mesures de soft law qui ont un impact majeur, les Principes pour l’Investissement Responsable (UNPRI) de 2006 de l’ONU sont à mentionner. En 2013, 1123 investisseurs gérant au total 32000 milliards de dollars actifs ont adhéré à ces principes des Nations Unies. Le Forum européen de l’investissement durable considère que le marché de l’ISR atteint environ 7000 milliards d’euros en septembre 201098. De nombreux Etats sont engagés dans la RSE. Les initiatives françaises retiendront toute notre attention.